La commission entend Me Stéphane Austry, président de l'Institut des avocats conseils fiscaux (IACF).
Chers collègues, je souhaite en votre nom la bienvenue à Me Stéphane Austry, accompagné de Me Marc Bornhauser et de Me Frédéric Teper.
En février 2013, notre commission avait déjà auditionné l'IACF, en l'occurrence Me Pascal Coudin – qui présidait alors l'Institut – et Me Luc Jaillais, sur l'incidence de la fiscalité sur les départs de France de contribuables français.
La question est toujours d'actualité, mais le contexte dans lequel nous les recevons aujourd'hui a beaucoup évolué en trois ans, et nous nous apprêtons à examiner en commission le projet de loi dit « Sapin II » la semaine prochaine. Nous auditionnerons M. Michel Sapin sur ce projet de loi mardi prochain à neuf heures trente. Ce texte fait l'objet d'une saisine au fond de la commission des lois, mais elle nous a donné délégation pour dix-huit articles relevant plus particulièrement de nos compétences.
En tant que législateurs, nous avons tout à gagner à entendre une profession dont la mission principale, il faut y insister, consiste à apporter un éclairage face à la complexité du droit. La profession d'avocat fiscaliste n'a pas pour objectif de faciliter l'optimisation fiscale, mais d'expliquer un droit fiscal d'une complexité et d'une instabilité excessive. C'est ce qui justifie les heures de travail et les honoraires de cette profession !
Monsieur le président, je vous remercie de cette introduction. Je pense que nous aurons l'occasion de revenir plus en détail par la suite sur le rôle des avocats fiscalistes et la notion d'optimisation fiscale.
L'IACF, dont je suis le président et que je représente aujourd'hui devant vous, est très honoré de l'occasion qui lui est donnée d'échanger avec les membres de la commission. L'IACF a été créé il y a plus de quatre-vingts ans et il représente la grande majorité des avocats fiscalistes, puisqu'il regroupe 1 500 avocats. Nous ne sommes pas un syndicat professionnel : nous n'avons pas pour objet de représenter la profession d'avocat fiscaliste, mais de contribuer à la réflexion et à l'élaboration de la règle fiscale, d'assurer la formation continue des avocats fiscalistes – qui est une obligation professionnelle – et de relayer auprès des pouvoirs publics les préoccupations des contribuables.
Nous ne faisons pas de politique fiscale, seulement de la technique fiscale. Nous ne prenons pas parti sur des questions telles que l'opportunité de la suppression ou du maintien de certains impôts, de leur niveau ou de leur taux. En revanche, nous pouvons aider les pouvoir publics à mettre en place une législation fiscale simple et accessible aux contribuables dans ses modalités techniques d'application ; mais aussi robuste dans sa qualité juridique, notamment en se conformant aux normes supérieures.
Notre mission vis-à-vis des contribuables n'est pas de les faire échapper à la loi fiscale, mais au contraire de les conseiller en vue de les aider à se conformer à une législation particulièrement complexe et mouvante.
Nous avons souhaité vous rencontrer pour évoquer avec vous des sujets d'actualité fiscale pour lesquels nous observons une sensibilité accrue des contribuables.
Le premier de ces sujets est l'acceptabilité de la loi fiscale, qui constitue bien entendu un élément essentiel du consentement à l'impôt. Nous observons que nos clients sont de plus en plus désorientés par l'instabilité de la norme fiscale, et surtout son imprévisibilité. Rappelons que chaque année, environ trois mille amendements fiscaux sont examinés par la direction de la législation fiscale, et 20 % des dispositions du code général des impôts sont modifiées. Depuis 2012, le volume du code général des impôts a augmenté de 8 %. Je parlais d'une matière complexe et mouvante, vous comprenez maintenant à quoi je faisais allusion !
Néanmoins, il est tout à fait naturel que dans une démocratie, le législateur soit conduit à faire évoluer la loi pour répondre aux orientations politiques qui ont été choisies par les électeurs. Personne ne peut donc être partisan d'une loi fiscale inamovible, cela n'aurait pas de sens.
Ce n'est donc pas la modification de la loi fiscale qui est source d'incompréhension pour les contribuables, mais son imprévisibilité. C'est le fait que les modifications de la loi fiscale viennent remettre en cause le régime fiscal de certaines opérations alors qu'il semblait acquis, ou changer le traitement fiscal de leur situation alors que celle-ci n'a pas évolué.
Pour illustrer mon propos, je m'appuierai sur l'exemple, que vous connaissez fort bien, de la suppression de la demi-part fiscale pour les personnes seules. Cette décision prise il y a quelques années a suscité une réaction très forte – et assez inattendue – de la part des contribuables. Cette mesure a été totalement incomprise des contribuables parce que leur situation n'a pas évolué et qu'ils ont vu leur charge fiscale augmenter très sensiblement.
Comment aurait-il été possible d'adopter cette mesure sans susciter ce mouvement d'incompréhension ? Il est vrai que cette disposition attribuant une demi-part de quotient familial aux personnes qui ont élevé des enfants n'avait pas beaucoup de sens ; l'objectif du quotient familial est de prendre en compte les charges de famille et il s'agit ici d'un avantage fiscal accordé à des gens ayant déjà élevé des enfants et ne supportant pas de charges de famille. Sur le principe, la suppression de ce mécanisme n'était pas contestable, mais ce sont les modalités de cette suppression qui n'ont pas été comprises par le contribuable, parce qu'elle a totalement modifié l'impôt auquel ils étaient assujettis alors que leur situation n'avait pas évolué.
Comment aurait-il été possible d'éviter cette difficulté ? Tout simplement en prévoyant des mesures de transition adaptées à la modification de cette règle fiscale. Une technique de modification de la loi dans le temps aurait été parfaitement adaptée à cette situation : la clause de grand-père, empruntée à la législation anglo-saxonne. Son application entraînerait le maintien de l'avantage pour les personnes qui en bénéficient déjà, et sa suppression pour l'avenir, pour les personnes qui deviennent seules à partir d'une certaine date.
Je ne pense pas que cela constitue une rupture de l'égalité entre les contribuables. C'est d'ailleurs ce qui a été prévu cinq ans plus tard par le législateur pour les exonérations de taxe d'habitation, et le Conseil constitutionnel n'a rien trouvé à redire à cette modalité d'application de la loi dans le temps.
De manière plus générale, nous pensons souhaitable que le législateur soit plus attentif aux mesures de transition lorsqu'il modifie la loi fiscale. Chez nos principaux voisins, dans les pays de développement comparable à la France, la loi fiscale est également très souvent modifiée, mais le sentiment d'instabilité y est pourtant moins fort. Contrairement à ce qui se passe en France, les questions d'application dans le temps des modifications de la loi fiscale y sont bien davantage prises en considération. Prêter une plus grande attention aux questions d'application de la loi fiscale dans le temps et prévoir des mesures de transition contribuerait à rendre la loi fiscale plus acceptable par les citoyens.
Deuxième sujet que nous souhaitions aborder : l'importance croissante des questions de conformité aux normes supérieures – Constitution, droit de l'Union européenne – en matière fiscale. Nous savons qu'il s'agit d'un réel sujet de préoccupation pour la commission des finances, puisque vous avez récemment auditionné sur cette question M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, et nous sommes bien entendu très bien placés pour apprécier l'importance croissante de cette problématique.
La loi est de plus en plus souvent contestée par les contribuables et il est de plus en plus fréquent que les juridictions écartent l'application de la loi quand elles considèrent que celle-ci est contraire à une norme supérieure. Ce contentieux est d'une nature différente du contentieux fiscal classique, car les décisions rendues ont des incidences budgétaires bien supérieures. Il s'agit à chaque fois de décisions de principe touchant de nombreux contribuables. Même si les sommes en jeu pour chaque contribuable sont relativement limitées, rapportées au nombre de contribuables concernés, on aboutit à des valeurs extrêmement importantes sur le plan budgétaire.
Ces dernières années nous ont fourni plusieurs exemples de telles affaires. Ainsi le contentieux OPCVM s'est conclu en mai 2012 par l'arrêt Santander de la Cour de justice de l'Union européenne, qui crée une charge de plusieurs milliards d'euros pour l'État. Cette charge produit encore ses effets : la direction générale des finances publiques (DGFiP) continue à restituer les impositions perçues sur les OPCVM en contradiction avec le droit de l'Union européenne. Plus récemment, l'arrêt de Ruyter de la Cour de justice concerne les non-résidents assujettis à des prélèvements sociaux au titre de la réalisation de leurs revenus immobiliers. C'est un contentieux nouveau qui va entraîner une charge fiscale assez lourde pour l'État.
Il faut également anticiper les effets de la contestation de la contribution de 3 % sur les dividendes, votée en août 2012 pour répondre à l'enjeu budgétaire lié au contentieux OPCVM. Une action en manquement a été engagée par la Commission européenne contre la France, et des questions prioritaires de constitutionnalité sur ce sujet sont actuellement soumises au Conseil d'État, qui va donc être amené à se prononcer dans les semaines qui viennent.
Toutes ces affaires conduisent à des situations extrêmement lourdes sur le plan budgétaire pour l'État, d'autant plus qu'à la restitution de l'impôt prélevé à tort vont s'ajouter des intérêts moratoires dont le taux est aujourd'hui très élevé. Quand l'administration lisse dans le temps la restitution des impôts en question, il faut avoir conscience qu'elle acquitte aux contribuables des intérêts de 4,8 % par an. C'est absurde lorsque l'on connaît le taux auquel l'État s'endette aujourd'hui.
Il faut donc tout faire pour garantir en amont la robustesse de la loi par rapport aux normes supérieures. Bien sûr, le contrôle du Conseil d'État sur les projets de loi constitue une garantie, mais les projets de loi évoluent souvent qu'il les a examinés. La contribution de 3 % est un bon exemple, puisque sa rédaction a été totalement modifiée entre son examen par le Conseil d'État et la version finalement votée par le Parlement. Les textes peuvent aussi être introduits par voie d'amendement. Ce fut le cas de la mesure supprimant le bénéfice mondial consolidé, votée en septembre 2011 mais jugée contraire aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme du fait de l'absence de mesures de transition.
Nous savons que le Parlement ne dispose pas toujours du temps ni des moyens pour mener une expertise juridique approfondie au moment du débat. Mais nous avons cette expertise, et nous sommes bien entendu parfaitement disposés à la mettre au service de la représentation nationale pour vous aider à garantir la qualité de la norme fiscale.
Troisième sujet : les relations entre l'administration fiscale et les contribuables. Nous jouons un rôle d'une importance majeure dans ces relations. Même si nous défendons nos clients, notamment lorsqu'ils font l'objet d'un contrôle fiscal, nous ne sommes pas qu'un adversaire pour l'administration, mais aussi un médiateur et bien souvent un partenaire. C'est ce que j'ai expliqué l'été dernier aux élèves de l'École nationale des finances publiques, à l'invitation du chef du service de contrôle fiscal de la DGFiP. Mon discours et celui de l'administration étaient parfaitement convergents sur ce point. Cette position est le fruit de notre indépendance, qui nous permet de dire à nos clients quand l'administration a raison ou quand il existe des arguments pour la contredire. C'est ce que l'administration apprécie dans notre intervention : nous allons jouer un rôle de médiateur et intervenir auprès des contribuables pour leur indiquer dans quelles hypothèses ils n'ont pas intérêt à engager un contentieux long et coûteux alors qu'il y a toutes les raisons de penser que l'administration a raison sur ce point.
Le rôle que nous avons joué dans les régularisations de comptes étrangers non déclarés illustre clairement cette fonction de médiation. Marc Bornhauser a été la cheville ouvrière de notre collaboration avec l'administration sur ce point et il pourra y revenir, je me contenterai de vous donner quelques indications. M. Bernard Cazeneuve avait publié une circulaire fixant les conditions de régularisation de la situation des contribuables qui disposaient de comptes étrangers non déclarés. Un service particulier a été mis en place pour traiter de ces régularisations, le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR). L'IACF a organisé des conférences en concertation avec le STDR, qui a pu y présenter la procédure de régularisation et les mécanismes qu'il allait mettre en place. Nous avons échangé en amont de ces conférences sur ces différents points, et cette concertation a permis de préciser certaines modalités techniques de la régularisation. Cette concertation avec le STDR nous a permis d'aider les contribuables à constituer les dossiers qui allaient être soumis aux services en question et jouer notre rôle de conseil pour les aider à régulariser leur situation.
De par ce rôle unique que nous jouons dans les relations entre les contribuables et l'administration, nous sommes un peu préoccupés des évolutions récentes de ce dialogue, qui nous semble perdre en qualité en certaines circonstances. Nous éprouvons donc parfois plus de difficultés à jouer ce rôle d'apaisement – auquel nous sommes très attachés – dans une relation parfois trop conflictuelle. Nous le regrettons, et nous pensons nécessaire d'appeler votre attention sur cette évolution.
Vous avez beaucoup parlé de la loi fiscale, mais pas des textes d'application. Une commission présidée par M. Olivier Fouquet avait réalisé un travail afin de mieux associer les contribuables à l'élaboration des textes d'application, pour faciliter leur assimilation par les milieux économiques. Que pensez-vous de cette démarche ?
L'expérience nous montre que la loi fiscale est souvent préparée dans l'urgence par le Gouvernement. Chaque année, quel que soit le gouvernement, après avoir travaillé avec les différents ministères sur les dépenses pendant des mois dans le cadre des conférences budgétaires, arrive le moment où il faut boucler les recettes et l'équilibre, à la fin août. C'est alors que sortent des tiroirs des propositions qui ne sont pas toujours très expertisées, et qui traduisent une certaine improvisation. C'est par exemple le cas de l'arbitrage opéré fin août 2012 sur les plus-values mobilières.
Mais l'exécutif n'est pas seul fautif, car nous avons également notre part de responsabilité. Vous connaissez les délais urgents dans lesquels nous travaillons et la multiplicité des amendements que nous devons étudier. Puisque nous ne pouvons pas faire d'amendements sur les dépenses, nous nous rabattons sur les recettes et certains de nos collègues ont une imagination très fertile en matière de fiscalité. Sur les milliers d'amendements proposés chaque année, quelques-uns sont adoptés et peuvent poser des problèmes.
Me Austry évoquait la suppression du bénéfice mondial consolidé ; je plaide coupable, puisque c'est un amendement que j'avais déposé en tant que rapporteur général. Le ministère des finances était réticent mais la commission des finances soutenait unanimement cet amendement. Nous l'avons adopté et il apparaît a posteriori que nous aurions mieux fait de faire expertiser davantage la mesure. Mais ce travail devait être réalisé très rapidement : nous n'avions que quelques jours et il est extrêmement difficile de disposer de l'expertise nécessaire dans de tels délais. Confrontés à des points de vue contradictoires, nous devons trancher.
Les trois sujets que vous évoquez – instabilité fiscale, normes supérieures et relations avec les contribuables – sont objectivement sérieux.
D'importants progrès sont à accomplir, au-delà des désaccords – parfaitement légitimes – sur les politiques à mener, et j'ai apprécié que vous disiez que le sujet n'était pas la légitimité d'un impôt ou le niveau de la pression fiscale. Il faudra travailler ces questions avec Bercy et les ministres, car l'initiative est essentiellement administrative, ce qui s'explique par la matière même. La direction de la législation fiscale est extrêmement compétente, mais il faut veiller à l'articulation entre ces administrations, les cabinets de conseil et le niveau interministériel.
Sur la question de l'instabilité fiscale, vous admettez que l'on ne peut pas empêcher le législateur de modifier la loi.
Les mesures de transition se heurtent au principe d'égalité devant l'impôt. Si l'on modifie une disposition fiscale, c'est soit qu'elle est mal appliquée, soit qu'elle est inefficace, soit qu'elle est injuste. Si l'on considère qu'une mesure fiscale n'est pas juste, il faut la changer.
Vous vous dites des techniciens capables de beaucoup apporter aux relations avec l'administration ou avec le Parlement. Dans la période actuelle, le sujet qui figure en tête des préoccupations de toutes les puissances publiques est la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Je ne vous ai pas entendu dire en quoi des avocats fiscalistes pourraient aider les pouvoirs publics à lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, qui sont sources de bien des inégalités et des perturbations. Vous êtes des praticiens qui connaissent parfaitement les choses, et le problème de l'optimisation fiscale n'est ni ce qui est clairement légal, ni ce qui est clairement illégal, mais ce qui se trouve dans la zone grise, qu'il faudrait réduire.
L'article 79 de la loi de finances pour 2015 prévoyait une amende pour incitation à l'abus de droit. Très clairement, cet article visait votre profession. Le Conseil constitutionnel a heureusement annulé cette disposition, mais il ne l'a pas fait pour son principe même, sinon du fait des importantes imprécisions de l'article.
Votre profession semble s'en inquiéter. Quelle est votre position et quels sont, d'après vous, les arguments qu'il conviendrait d'avancer pour éviter que le législateur ne récidive ?
Je vous remercie d'avoir exposé votre rôle de conseiller et de médiateur entre le citoyen et l'État. Au vu de la masse des dispositions fiscales, on comprend le besoin d'interprètes.
Je souhaitais vous interroger sur les règles déontologiques applicables à votre profession. Il faut défendre le citoyen en tant qu'individu, mais aussi à titre collectif.
Et que pensez-vous de la clarté avec laquelle nos textes sont rédigés ? Les Anglo-Saxons restent souvent plus généralistes que nous, et les fraudeurs se méfient. Au contraire, nous produisons des textes très détaillés et bavards qui permettent à tout moment de s'en sortir, et c'est là que votre profession joue parfaitement son rôle.
J'ai apprécié votre présentation, et la description de votre rôle d'observateur. Vous dites que le problème d'acceptabilité de la loi fiscale est dû à deux facteurs : le consentement à l'impôt et l'instabilité de la loi fiscale. Selon vous, lequel provoque le plus de réaction ? Constatez-vous plus de contestation du niveau de l'impôt ou de l'instabilité des règles fiscales ?
Vous dites que le dialogue entre les citoyens et l'administration fiscale a perdu en qualité. Une confusion est récemment apparue entre la lutte contre la fraude fiscale et l'optimisation fiscale. L'optimisation fiscale est un usage légal des mesures offertes par le code général des impôts. La barrière a été floutée, et chaque fois que vous intervenez en tant que conseil, cela crée une suspicion d'abus de droit. En termes d'image, cela doit avoir un impact négatif sur votre profession.
Vous parlez beaucoup des contribuables, mais je suis pour ma part spécialement préoccupé par le problème de l'entreprise. Les règles sont évolutives et les entreprises voient leur régime fiscal changer, notamment lorsque les entreprises artisanales deviennent des PME. Quel est votre rôle dans ce cas ? Les chefs d'entreprise qui viennent me voir me parlent de leurs comptables : quels sont vos rapports avec ces derniers ? Avez-vous ce rôle de conseil lors des transformations et des évolutions des entreprises ? Quelquefois, ce petit tissu économique est mis à mal par des règles qui ont changé, simplement parce que les chefs d'entreprise ne connaissent pas les évolutions de la réglementation.
Jouez-vous un rôle à ce niveau, et si ce n'est pas le cas, comment pouvons-nous faire pour répondre à ce besoin ?
Vous accompagnez vos clients à l'occasion des contrôles fiscaux. Il est dit qu'un certain nombre de dispositifs fiscaux occasionnent des contrôles de manière presque systématique, notamment le crédit d'impôt recherche, la réduction d'impôt au titre des investissements réalisés outre-mer et le dispositif Malraux. Avez-vous constaté la réalité de cette information ?
En contentieux fiscal, la plupart des procès sont gagnés sur des questions de procédure, ce qui est un peu frustrant car l'État peut perdre énormément sur de telles erreurs. Cela correspond-il à la réalité que vous constatez ?
Enfin, pour aller plus loin sur l'instabilité fiscale, quel est votre sentiment sur la petite et la grande rétroactivité fiscale, c'est-à-dire la marge que se donne l'État pour agir sur un revenu récent ? Il faut éviter toute forme d'instabilité, mais aussi laisser des marges au Parlement, surtout lorsqu'il doit prendre des décisions difficiles.
Maître Austry, Marie-Christine Dalloz évoquait votre rôle d'observateur, et vous nous disiez ne pas prendre parti. Je note avec intérêt que la dernière conférence que vous avez organisée le 12 avril s'intitulait : « Les solidarités fiscales en question : fausses garanties et vraies punitions ». C'est peut-être une façon de prendre parti sur la question fiscale !
Vous avez tracé quelques pistes, notamment sur la clause de grand-père. Vous avez raison, c'est un processus particulièrement efficace qui avait notamment été utilisé par Pierre Mendès France pour les bouilleurs de cru. Nous avons constaté que l'extinction du privilège pouvait être appliquée dans de bonnes conditions, mais elle dure !
Je crois que le premier de nos soucis pour améliorer l'accessibilité à l'information fiscale devrait être l'application immédiate des mesures, plutôt que de différer leur mise en oeuvre juste après l'élection suivante. Votre exemple sur la suppression de la demi-part fiscale des veuves est à cet égard éloquent.
Vous avez évoqué vos préoccupations concernant le dialogue avec l'administration fiscale. Les commissaires aux finances pourraient vous dire la même chose : nous éprouvons nous-même cette difficulté, d'autant que nous avons le sentiment que l'on continue de raisonner dans ce pays sur des phénomènes d'assiette : on considère que l'effet fiscal ne modifie pas l'assiette. Or, quelquefois les recettes ne correspondent pas aux prévisions, tout simplement parce que les assiettes évoluent. Nous l'avons constaté à propos de l'épargne salariale : le forfait social est passé de 0 à 8 %, puis de 8 % à 20 %. La source s'est tarie et nous avons enregistré des pertes fiscales.
Je voudrais compléter les propos de Dominique Lefebvre sur l'optimisation fiscale. Si l'on saisit les mots « optimisation fiscale » sur les moteurs de recherche, on est immédiatement dirigé vers des cabinets d'avocats fiscalistes à Paris. Très vite, les questions de redevance, de prix de transfert, de choix d'implantation, de paradis fiscal, de charges financières ou de gestion de dettes apparaissent comme la meilleure façon de gérer les finances de nos entreprises. C'est tout de même un peu malsain, parce que la citoyenneté des entreprises est nécessaire. J'aimerais vous entendre réaffirmer que la contribution fiscale est un élément de la citoyenneté de l'entreprise, dans notre pays comme en Europe.
Depuis l'affaire des « Panama papers », et la triste renommée que le cabinet Mossack Fonseca y a gagné, les cabinets de conseil fiscalistes sont plus que jamais sous le feu des projecteurs concernant l'ingénierie globale de l'optimisation et de la fraude fiscales, le montage de sociétés écrans et l'organisation de l'anonymat.
Mon propos n'est pas de faire le procès de toute une profession. Certains ont déjà été condamnés par la justice : l'avocat de l'héritière de la maison Nina Ricci a été condamné à payer solidairement avec sa cliente un million d'euros pour fraude fiscale. Sur les bancs d'autres procès pour fraude, comme celui du marchand d'art Guy Wildenstein, on trouve aussi des avocats fiscalistes.
À ce sujet, vous avez dénoncé les failles entre les législations fiscales internes des États, qui ne parviennent pas à s'harmoniser, ainsi que l'amalgame dans les esprits et dans les faits entre optimisation et fraude fiscale.
Je me demande donc si la disposition d'origine parlementaire insérée dans la loi de finances pour 2014, qui créait l'obligation pour les professionnels du droit et de la finance de signaler les schémas d'optimisation fiscale, ne prend pas tout son sens, bien qu'elle ait malheureusement été censurée par le Conseil constitutionnel. Quel est le point de vue de l'IACF sur cette mesure ? Pensez-vous qu'il serait opportun de la mettre en oeuvre, à l'image de la déclaration de soupçon s'agissant du blanchiment ? Cela pourrait être un outil efficace de clarification pour les avocats.
Vous devez également gérer le flux continu de demandes de régularisation de comptes bancaires non déclarés. Vous vous êtes félicités des bons résultats communiqués il y a six mois par MM. Michel Sapin et Christian Eckert, auxquels vous avancez avoir pleinement contribué de par vos conseils, vos conférences, ainsi que l'accompagnement des contribuables concernés pour le dépôt des dossiers dans les délais au STDR. Dans quel cadre procédez-vous à la médiation concernant ces régularisations ? Est-ce dans un cadre gracieux ? Comment procédez-vous concrètement ?
L'application dans le temps des modifications fiscales est très importante pour notre commission. Vous avez parlé de la clause de grand-père en évoquant des pratiques différentes dans d'autres pays. Serait-il possible d'avoir une étude comparative des dispositions en vigueur dans d'autres pays ?
Par ailleurs, au sein de cette commission, nous parlons très souvent de macroéconomie et très peu de microéconomie. Très fréquemment, ce que nous décidons n'est pas facilement applicable dans les petites entreprises, et cela peut entraîner des contentieux fiscaux. Dans le cadre des contrôles fiscaux, de quelle manière pourrait-on faciliter les relations entre l'entreprise contrôlée et le contrôleur ? Pensez-vous que ces contrôles pourraient ne pas systématiquement être inopinés ? Cela permettrait peut-être d'améliorer leur déroulement.
Enfin, ne pensez-vous pas que beaucoup de contentieux vont naître des mesures prises dans le cadre du BEPS (Base erosion and profit shifting), et que pensez-vous des évolutions sur cette question ?
Vous êtes probablement les premiers à analyser les textes qui sortent de l'Assemblée nationale, les circulaires et les règlements. Vous êtes les premiers à les décortiquer, à les mettre en application dans des cas concrets, et à identifier les failles et les améliorations rédactionnelles qui peuvent y être apportées.
Quelles seraient vos définitions de l'optimisation fiscale et de l'évasion fiscale ?
Vous avez peu parlé de la rétroactivité fiscale. Vous avez parlé de loi simple, robuste, et des dispositifs de transition avec la clause de grand-père. La volonté de non-rétroactivité fiscale a été affirmée par M. Michel Sapin en 2014 dans une charte intitulée « Nouvelle gouvernance fiscale ». Quelle est selon vous la tendance en cette matière ? La rétroactivité fiscale est-elle plus rare aujourd'hui ?
Sur la clause de grand-père, votre parole est d'or, mais la réalité est que nous prenons des décisions dans l'urgence, parce que nous avons besoin de recettes fiscales. Repousser aux générations futures l'application du dispositif ne répond pas au problème posé à un moment donné, qui est de remplir les caisses de l'État. En théorie, les dispositifs tels que la clause de grand-père constituent l'idéal, mais en pratique il faut faire immédiatement entrer de l'argent. Le problème est que nous ne savons malheureusement pas anticiper.
En matière de consentement à l'impôt, où est la limite ? Nous évoquons souvent l'optimisation fiscale agressive, qui correspond à un certain nombre de processus, tels que le transfert de bénéfices. Même dans les pays où l'impôt est très faible, en tout cas moins important qu'en France, comme l'Irlande ou le Luxembourg, on constate de l'évasion et de l'optimisation fiscale. Autrement dit : le niveau d'imposition n'est jamais assez bas. Quel serait, selon vous, le niveau d'imposition acceptable par la population et les entreprises ?
Monsieur le président Austry, dans l'exercice de votre profession, vous devez nécessairement souvent flirter avec la ligne rouge qui sépare l'optimisation fiscale de la fraude fiscale. Votre profession s'est-elle dotée d'un code de déontologie pour éviter à ses membres de franchir cette ligne rouge ? Votre association a-t-elle mis en place un service de conseils aux professionnels qui s'interrogeraient sur la légalité de certains montages fiscaux ?
Enfin, les avocats fiscalistes ont l'obligation de déclarer leurs soupçons. Pourriez-vous nous dire combien de déclarations de ce genre sont effectuées chaque année par les membres de votre profession, et considérez-vous que cette obligation est scrupuleusement respectée ?
Sur les quatre dernières années, quel est le taux de croissance annuel du chiffre d'affaires des cabinets d'avocats conseils fiscaux ?
J'ignore la réponse à la dernière question de M. de Courson, car la plupart des cabinets en question ont des pratiques multiples : il est donc impossible d'identifier au sein de ces cabinets le chiffre d'affaires qui correspond à l'activité de fiscalité. Ce qui est clair en revanche, c'est que le chiffre d'affaires global des cabinets d'avocats d'affaires a été très sévèrement affecté par la crise financière et le ralentissement de l'économie de manière globale.
Monsieur le président, vous nous interrogiez sur la concertation dans le cadre de l'élaboration des instructions fiscales. Il est vrai que l'administration engage la concertation de manière beaucoup plus systématique qu'il y a dix ou quinze ans sur les projets d'instruction, et elle nous sollicite souvent sur ces projets, soit en amont, soit dans le cadre de la concertation publique. Deux modalités de concertation sont organisées par l'administration : une concertation totalement ouverte, dans laquelle l'administration va publier sur internet le projet d'instruction et inviter à des commentaires, et une modalité de concertation plus fermée dans laquelle elle va soumettre son projet d'instruction à un certain nombre d'organismes représentatifs tels que le Medef et l'Afep, et nous sommes également souvent sollicités sur des projets, des notices ou des cadres de déclaration.
C'est au niveau de l'élaboration des textes que cette concertation est insuffisante, et il est regrettable que la France se distingue de nos principaux voisins en cela. Il n'est pas toujours facile pour l'administration de revenir par ses instructions sur des défauts qui entachent le texte lui-même. Normalement, les instructions ne doivent pas faire autre chose que commenter de manière exacte la loi, même si l'administration procède parfois par ce que l'on appelle pudiquement les tolérances administratives.
La difficulté concernant la concertation se situe plutôt au stade de l'élaboration de la loi elle-même qu'au stade de l'instruction. Le regret que l'on peut avoir au sujet des instructions est qu'elles interviennent souvent très tardivement, et que les contribuables sont conduits à appliquer la loi fiscale sans bénéficier de la clarification très utile qu'elles apportent.
Beaucoup de questions portent sur la distinction entre fraude fiscale et optimisation fiscale, et l'affaire des « Panama papers » a même été évoquée. Dans cette affaire, qui porte sur la dissimulation dans des sociétés offshore situées dans des pays à régime fiscal privilégié de revenus non déclarés, il ne fait guère de doutes que ces revenus doivent en principe être déclarés en France. De nombreux dispositifs anti-abus existent dans notre arsenal législatif : l'article 209 B du code général des impôts – pour les entreprises – et l'article 123 bis du même code pour les particuliers prévoient que les revenus en question doivent être déclarés en France. Nous sommes donc clairement au-delà de la ligne rouge : il s'agit de fraude fiscale, de dissimulation du revenu. Placer son revenu dans des sociétés offshore à l'étranger revient à placer des billets sous le matelas pour ne pas déclarer ces sommes au fisc.
En tant qu'avocats, nous sommes soumis aux règles déontologiques qui s'appliquent à la profession. Et notre déontologie nous interdit de prêter notre concours à des opérations de fraude fiscale. L'article 1.5 du règlement intérieur national de la profession est parfaitement clair sur ce point : il soumet l'avocat à une double obligation de vigilance et de dissuasion lorsque son client réalise une opération juridique dont l'objet ou le résultat concoure à la commission d'une infraction. Si l'avocat n'est pas parvenu à convaincre son client de renoncer à cette opération frauduleuse, il doit se retirer du dossier. Nos obligations déontologiques nous interdisent donc de prêter notre concours à des opérations de fraude fiscale.
Mais il n'est pas toujours évident de faire la part des choses entre la fraude et l'optimisation fiscale. Pourtant, cette distinction a reçu une consécration constitutionnelle. Le fait que nous soyons conduits à conseiller nos clients de manière à minorer leur charge fiscale est parfaitement normal et légal, comme le rappelle le commentaire d'une décision du Conseil constitutionnel, que l'on peut trouver sur son site internet : « Tout contribuable peut légitimement être amené à chercher à minorer sa charge fiscale, et tout avocat fiscaliste cherche à minorer la charge fiscale de ses clients, sans que pour autant cette démarche soit constitutive d'une fraude. »
Il est donc bien clair que notre mission est de conseiller au mieux nos clients. C'est pour nous une obligation professionnelle. Faute de conseiller nos clients de la meilleure manière, en leur permettant de payer le moins d'impôts, notre responsabilité professionnelle risque d'être engagée. Je rappelle à cet égard un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 11 mars 2009, qui concernait la cession par un dirigeant partant à la retraite des titres d'une société. Ce dirigeant avait eu recours aux services d'un avocat pour conclure le contrat de cession des titres en question, qui est finalement intervenue à la fin du mois de novembre 2005. Or, à compter du 1er janvier 2006, un dispositif législatif entrait en vigueur, permettant de bénéficier de droits d'enregistrement plus faibles pour les cessions réalisées par les dirigeants partant à la retraite. L'avocat qui avait assisté son client dans cette affaire – ce n'était pas un fiscaliste, mais un spécialiste du droit des sociétés – a été condamné au titre de sa responsabilité professionnelle pour ne pas avoir conseillé à son client de décaler cette opération après le 1er janvier 2006, ce qui lui aurait permis de payer moins d'impôts. Il faut donc bien avoir en tête les conditions dans lesquelles nous exerçons notre profession.
À cet égard, nos obligations déontologiques sont absolument essentielles. Au sein de l'IACF, nous avons rédigé un manifeste dans lequel nous déclinons, pour la matière fiscale, un certain nombre des obligations déontologiques auxquelles sont soumis les avocats. Par exemple, nous prévoyons que « dans le cadre de son activité de conseil, l'avocat se fait un devoir d'informer son client de l'étendue de ses obligations fiscales et l'alerte sur les risques qu'il encourrait en cas de manquement auxdites obligations » et « lorsqu'il constate que son client a commis des manquements, […] l'avocat incite celui-ci à régulariser sa situation et, s'il s'agit de manquements pour lesquels l'administration a institué une procédure de régularisation, l'informe de l'existence de cette procédure ». C'était le cas pour la régularisation des comptes non déclarés.
Les avocats sont donc soumis à une déontologie stricte, et en cas de manquements à cette déontologie, des sanctions professionnelles peuvent être prononcées par les barreaux, sous l'autorité du Conseil national des barreaux.
Il y a certainement eu des cas dans lesquels des avocats fiscalistes, pour une raison ou une autre, ont été sanctionnés par le Conseil national des barreaux.
Il a été fait allusion au cas d'un de nos confrères qui a été condamné au pénal. Un appel a été formé, et il faut respecter la présomption d'innocence. Mais ce cas reste isolé. Nous avons peu d'exemples de cas dans lesquels des avocats fiscalistes ont fait l'objet de poursuites pénales pour complicité de fraude fiscale. Ce simple exemple ne doit pas être utilisé pour stigmatiser une profession qui, par ailleurs, est soumise aux règles déontologiques strictes que je viens de rappeler.
Pour aider nos adhérents à se conformer à ces règles déontologiques, notre activité de formation est extrêmement importante. Nos conférences portent sur l'actualité fiscale, mais aussi sur les obligations déontologiques et professionnelles des avocats membres de l'IACF, qui se conforment par ailleurs aux exigences rappelées dans le manifeste que vous pouvez trouver en ligne sur notre site internet.
Sur la question de la rétroactivité fiscale, des progrès ont été enregistrés, notamment avec la charte de non-rétroactivité diffusée il y a un an et demi. Elle prévoit que la petite rétroactivité ne s'appliquera plus en matière fiscale, sauf exception. Mais ce n'est pas un document contraignant : c'est un simple engagement du ministre, qui ne concerne que les projets de loi et n'a donc pas d'incidence sur le droit d'amendement des parlementaires. C'est donc un progrès qui reste assez timide.
La petite rétroactivité est extrêmement mal comprise par les entreprises. Une entreprise qui cède les titres d'une société au mois de mars peut découvrir le 31 décembre suivant que le régime fiscal de cette opération est totalement bouleversé. Heureusement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué dans un sens positif ces dernières années. Désormais, y compris dans des hypothèses où il n'y a pas de rétroactivité juridique, le Conseil constitutionnel va admettre que des dispositions législatives portent atteinte à la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Mais il n'en reste pas moins que dans certaines hypothèses, le Conseil constitutionnel considère que cette jurisprudence ne joue pas. Nous pouvons donc avoir des hypothèses de petite rétroactivité extrêmement pénalisantes pour les contribuables.
Je comprends bien l'argument budgétaire, mais une fois de plus, j'appelle votre vigilance sur cette question du consentement à l'impôt, qui est absolument essentiel dans notre pays.
L'un d'entre vous nous a interrogés sur la relation entre consentement à l'impôt et stabilité fiscale. Il est difficile de distinguer les deux, car ce qui est incompréhensible pour les contribuables, ce sont les modifications brutales de la loi fiscale qui vont conduire à une augmentation très forte de leurs impôts. Si un contribuable voit ses impôts augmenter parce que ses revenus augmentent, il pourra le comprendre ; mais si ses impôts augmentent alors que son revenu n'augmente pas, voire qu'il baisse, c'est plus difficile à comprendre.
Lorsqu'une entreprise a réalisé ses calculs financiers sur la base d'un régime fiscal applicable à un moment précis, elle ne comprend pas que ces calculs soient totalement bouleversés par une modification de la loi fiscale.
Dans les études sur l'attractivité de notre pays pour les investisseurs étrangers, le problème de l'instabilité de la loi fiscale revient de manière récurrente. C'est malheureusement un point sur lequel la France se distingue négativement par rapport à nos principaux concurrents sur le plan économique.
Je ne citais la clause de grand-père qu'à titre d'exemple : elle n'a pas vocation à s'appliquer de manière systématique. Mais une plus grande vigilance sur les mesures de transition est indispensable. Si ceux qui élaborent la loi fiscale – je pense autant à la direction de la législation fiscale qu'au législateur lui-même – augmentaient de moitié l'attention qu'ils portent à ces mesures de transition, nous pourrions avoir une loi fiscale plus acceptable. Et je ne suis pas sûr que cela aurait des conséquences budgétaires néfastes. Si nous reprenons l'exemple de la demi-part fiscale pour les personnes seules : depuis combien d'années est-il question de la supprimer ? Dès la fin des années 1990, une décision du Conseil constitutionnel a prononcé la censure d'une mesure de diminution du plafond de la demi-part pour les personnes seules. Cette mesure avait peut-être sa raison d'être au moment de son adoption après la guerre, mais lorsque nous avons réalisé qu'elle avait perdu sa légitimité, nous aurions pu décider de la supprimer moyennant une clause de grand-père. Le rendement budgétaire aurait été bien meilleur à celui que nous avons connu vu la façon dont ce dossier a été géré.
Le fait de prévoir des mesures de transition facilite la réforme fiscale, parce qu'elles permettent de réduire le principal obstacle à la réforme fiscale : les transferts de charges entre les contribuables. Si l'on introduit des mesures de transition, nous allons pouvoir réformer plus facilement la fiscalité, notamment pour l'augmenter lorsqu'il est légitime de remettre en cause un avantage fiscal.
M. Dominique Lefebvre disait que si un avantage était injuste, il était normal de le remettre en cause, mais pour ceux qui bénéficiaient de la demi-part pour personnes seules, elle n'avait rien d'illégitime, c'était la prise en compte de leur situation, et cela leur semblait légitime.
Pour répondre à vos questions sur la régularisation des comptes en Suisse, je commencerai par le petit bout de la lorgnette : celui de la rémunération. Les avocats fiscalistes ont élaboré le mode d'emploi des régularisations, qui a permis à tous ceux qui sont intervenus dans ce processus d'expliquer à leurs clients combien cela allait leur coûter. C'est la première question à laquelle il faut répondre pour convaincre quelqu'un de régulariser, c'est donc grâce à notre travail que tous les intervenants ont pu convaincre les détenteurs de compte de régulariser leur situation.
Malgré cela, ce ne sont pas les avocats français qui ont fait le plus de régularisations. Beaucoup d'experts-comptables se sont positionnés sur ce secteur qu'ils ont estimé porteur. Avantagés par la grande taille de leurs cabinets et les moyens importants dont ils disposent, ils ont été capables de fournir la même prestation que les avocats pour un tarif moindre. Ils ont donc pris une part non négligeable du marché.
D'autre part, les avocats suisses pratiquaient des tarifs plus élevés que les nôtres, mais ils ont un avantage concurrentiel : ils ne facturent pas de TVA. Ils ont donc également pris une part non négligeable du marché.
Enfin, ceux des avocats français qui ont traité des régularisations se sont fait rémunérer de façon très variable. Certains ont pris un pourcentage, d'autres des forfaits, d'autres ont facturé au temps passé. La facturation au temps passé est celle que le bâtonnier applique en cas de litiges afin de déterminer le juste honoraire.
Oui, nous nous sommes félicités d'avoir participé au succès de ces régularisations. Et à cette occasion, certains d'entre nous – moi le premier – ont réalisé que quelques-uns de leurs clients avaient des comptes en Suisse dont ils n'avaient jamais parlé. Ils connaissaient la réponse qui leur aurait été apportée : nous ne pouvons pas accepter de compter dans notre clientèle des personnes détenant un compte non déclaré, car nous risquons d'être pénalement sanctionnés pour complicité de blanchiment de fraude fiscale.
Pour améliorer la manière dont se déroulent les contrôles fiscaux, la seule solution est le dialogue. Un certain nombre d'outils peuvent le favoriser, mais c'est le respect mutuel qui permet un bon dialogue. Nous nous félicitons que les inspecteurs des impôts respectent notre profession, mais nous constatons malheureusement une utilisation un peu trop systématique des pénalités pour manquement délibéré – 40 % – qui aboutissent trop souvent à exercer une forme de chantage sur le contribuable : il lui est proposé l'abandon de ces pénalités en contrepartie de l'acceptation du redressement. De notre point de vue d'avocats, ce n'est pas acceptable : un redressement critiquable doit pouvoir être critiqué en toute sérénité, et pas sous la menace de pénalités fiscales.
En réponse à M. Le Fur, nous avons en effet constaté une systématisation des contrôles fiscaux pour les régimes de faveur, et c'est normal. L'impôt est déclaratif, mais en contrepartie l'administration a un pouvoir de contrôle. Lorsqu'un régime de faveur est utilisé pour faire des économies d'impôts, il est normal que l'administration vienne le vérifier. À nous, avocats, d'aider les contribuables à bénéficier de ces régimes de faveur en toute sécurité, conformément à notre interprétation de la loi, qui n'est pas toujours celle de l'administration. Nous avons vu récemment des instructions annulées par des recours en excès de pouvoir devant le Conseil d'État. Je peux parler d'un d'entre eux, puisqu'en j'en suis l'auteur. Il contestait l'instruction administrative prétendant appliquer les abattements pour durée de détention aux moins-values de cession de titres et a fait l'objet d'une décision du Conseil d'État du 12 novembre 2015.
J'ai déposé à plusieurs reprises, sur plusieurs projets de loi de finances successifs, un amendement pour prendre en compte les moins-values, mais il a toujours été rejeté.
Je ne peux pas laisser dire par M. Le Fur que nous gagnons la majorité de nos contentieux sur des vices de procédure car ils n'interviennent que dans une très faible minorité des contentieux. L'administration fait bien son travail et le contribuable bénéficie de garanties qui lui sont généralement accordées. En revanche, quand le travail est mal fait par l'administration, il est normal que l'impôt soit fragilisé et que le contribuable soit déchargé quand ses droits ont été violés. C'est l'équilibre démocratique de notre système qui le veut. Les vices de procédure existent, il est tout à fait normal qu'ils soient invoqués et que l'impôt soit dégrevé lorsque la procédure n'a pas été respectée. Mais cela ne concerne qu'une petite minorité des décisions favorables obtenues devant les tribunaux par les contribuables.
Je souhaite revenir sur la définition de l'optimisation fiscale. On en trouve déjà des définitions, notamment dans l'excellent rapport de MM. Muet et Woerth de juillet 2013. Mais il est important de fixer les idées, car une confusion existe dans le débat public entre l'optimisation fiscale et d'autres formes de mise en oeuvre de la loi fiscale, que ce soit dans un contexte domestique ou international.
À la lecture du code général des impôts, il est clair que la fraude fiscale est le fait de ne pas déclarer ou de soustraire des revenus aux impôts.
Il existe un autre concept, que l'on trouve plutôt dans le domaine international, c'est celui de l'évasion fiscale. C'est ce qui est visé par l'OCDE dans ses travaux sur BEPS. Certaines affaires qui ont défrayé la chronique, comme les mises en place de schémas internationaux par des entreprises du domaine numérique, font partie d'une forme d'évasion fiscale, ou de planification fiscale agressive, en jouant sur des différences de législation. Ce n'était pas nécessairement interdit il y a quinze ans, mais à la suite d'une importante prise de conscience des États, ces situations sont en voie de disparition, notamment grâce aux travaux de l'OCDE et au projet de directive actuellement en discussion au sein de l'Union européenne.
Une fois que l'on a parlé de la fraude et de l'évasion fiscales, reste le sujet de l'optimisation fiscale. Ce n'est pas qu'une distinction sémantique : lorsque le code général des impôts envisage l'abus de droit, il ne fait pas référence à l'optimisation fiscale, mais à la fraude. L'abus de droit en France a deux composantes : la fictivité ou la fraude à la loi.
Dans certaines situations, la loi laisse des choix au contribuable. Par exemple, lorsqu'un groupe décide de s'organiser en intégration fiscale, s'agit-il d'optimisation fiscale ? Oui, mais c'est parfaitement légal, puisque c'est une option offerte par le législateur.
Lorsque les sociétés A et B décident de fusionner, il faut déterminer dans quel sens sera réalisée la fusion : A va-t-elle absorber B, ou inversement ? Dans certains cas, il peut y avoir des différences de traitement fiscal selon l'identité de la société absorbante. Nous sommes aussi dans le domaine de l'optimisation fiscale, et sur ce sujet particulier, le Conseil d'État a décidé il y a déjà fort longtemps qu'à partir du moment où une fusion est réalisée pour des motifs légitimes, le sens de la fusion relève de l'optimisation fiscale.
Il y a donc des moyens légaux, souvent prévus par le législateur, de réduire l'impôt. Comme l'a rappelé Stéphane Austry, ces moyens sont consacrés par le Conseil d'État comme par le Conseil constitutionnel.
Vous nous interrogez sur l'opportunité d'une déclaration préalable des schémas d'optimisation fiscale par les avocats fiscalistes. La décision du Conseil constitutionnel de décembre 2013 a censuré cette proposition de déclaration parce que cette notion d'optimisation fiscale était mal définie par la loi. Nous savons tous qu'il existe des dispositifs de déclaration préalable, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis. Mais ce sont des systèmes de common law, très différents de notre tradition de loi civile, et ces systèmes de déclaration préalable visent des schémas que nous ne pouvons pas faire entrer dans la définition constitutionnelle de l'optimisation fiscale.
La législation britannique envisage des schémas standardisés, qui ne sont pas nécessairement commercialisés par des avocats fiscalistes, car le partage des rôles entre les professions n'est pas le même en France qu'aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Nous sommes des avocats, alors que dans la majorité des cas, ce ne sont pas des avocats qui proposent ce type de schémas standardisés. Le paradigme est totalement différent.
S'agissant du rôle respectif des experts-comptables et des avocats fiscalistes, les experts-comptables ont évidemment leur rôle à jouer dans le conseil des entreprises au quotidien. Ils le font sur des questions comptables, sur des questions de fiscalité courante et aussi parfois sur des questions de droit social, qui ne peuvent pas leur échapper dans leur rôle d'information de leurs clients. En tant qu'avocats fiscalistes, nous allons intervenir en conseil des entreprises ou des experts-comptables lorsque le sujet devient encore plus technique. Une grande partie de notre rôle est de nous tenir au courant non seulement de la lettre de la loi et des instructions de l'administration fiscale, mais également de la jurisprudence. Pour des raisons évidentes de temps et de compétences, ce n'est pas quelque chose que peuvent faire les experts-comptables.
J'ai déjà fait allusion aux travaux de l'OCDE sur BEPS. Je pense qu'il s'agit d'un changement de paradigme, d'une révolution à laquelle nous devons tous être attentifs. Non que les thèmes évoqués dans le cadre de ces travaux soient totalement nouveaux : prix de transfert, déductions de charges financières et sociétés soumises à une fiscalité privilégiée à l'étranger sont des thèmes présents sur la scène internationale depuis des décennies.
Ce qui est nouveau, c'est la prise de conscience, au nom de la concurrence loyale entre les États, de ces phénomènes. Nous sortons donc de la simple question des paradis fiscaux : il s'agit de savoir si ces pratiques fiscales dommageables sont tolérables entre des États rationnels, disciplinés, qui prétendent favoriser la croissance économique mondiale.
Ces pratiques ont conduit à un ensemble de recommandations de la part de l'OCDE, qui n'a pas de pouvoir normatif. Dans le cadre de l'Union européenne, ces recommandations sont déclinées dans un projet de directive de janvier 2016.
Toutes ces évolutions, dès lors qu'elles sont coordonnées, sont souhaitables. En tant que praticiens de la fiscalité et conseils des entreprises ou des particuliers, notre souci est de favoriser l'intelligibilité et la prévisibilité de la loi.
Or il est prévu dans le projet de directive européenne une modification des règles en matière de déduction des charges financières. Les charges financières ne seraient déductibles que dans la limite de 30 % de l'EBITDA (Earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization), et celles qui ne correspondent pas à des produits imposables ne seraient plus déductibles.
Ce système ressemble beaucoup au système allemand, mais ce n'est pas celui que nous connaissons aujourd'hui en France. En France, nous avons une superposition de règles en matière de déduction des charges financières, et une partie de notre rôle de conseil consiste à expliquer à nos clients comment appliquer ces règles – on en compte sept ou huit – ainsi que des dispositifs plus simples sur la sous-capitalisation ou les prêts par des sociétés qui sont actionnaires.
Si nous passons de cet empilement au système prévu par la directive européenne, comment va se faire la transition ? Comment les entreprises, qui ont pris en compte ce paramètre fiscal en France, vont appliquer les nouvelles règles ? Voilà un exemple de contradiction pour laquelle nous, avocats fiscalistes, avons un rôle à jouer.
Nous allons bientôt examiner le projet de loi de finances pour 2017. Le ministre dit avoir bénéficié d'une recette exceptionnelle de 2,5 milliards d'euros suite à la régularisation des comptes non déclarés. Pensez-vous que ces régularisations sont terminées, ou peut-on espérer retrouver ces recettes exceptionnelles en 2017 et 2018 ? Dans tous les cas, l'échange automatique d'informations entrera en vigueur au 1er janvier 2018.
Par ailleurs, dans certains cas de contrôles fiscaux, des redressements semblent se terminer à l'amiable, c'est-à-dire sans base. L'erreur ou la fraude n'a pas pu être prouvée, et pour en terminer, un accord est trouvé. Quel est votre avis ?
D'après les chiffres officiels, les régularisations ont rapporté 4,5 milliards à la fin de l'année 2015 et 2,4 milliards sont attendus en 2016. Environ 45 000 dossiers de régularisation ont été déposés, et moins de 10 000 ont été traités. Il existe donc des réserves, mais il ne faut pas s'attendre à percevoir quatre fois ce qui a déjà été perçu, car les contribuables ont déjà payé lors du dépôt de la régularisation le principal de l'impôt sur la fortune et le principal des droits de mutation à titre gratuit. Ce qui va maintenant être mis en recouvrement est l'impôt sur le revenu, les amendes ainsi que les intérêts de retard et pénalités sur l'impôt sur le revenu, l'impôt sur la fortune et les droits de succession. L'essentiel a donc été perçu, mais il y en aura encore un peu.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 18 mai 2016 à 10 heures 30
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Jean-Marie Beffara, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Alain Chrétien, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, M. Marc Francina, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Joël Giraud, M. Claude Goasguen, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Razzy Hammadi, M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico, M. Marc Laffineur, M. Jérôme Lambert, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, Mme Eva Sas, Mme Claudine Schmid, M. Pascal Terrasse, M. Michel Vergnier, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Olivier Carré, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean-Pierre Gorges, M. Patrick Lebreton, M. Victorin Lurel, M. Laurent Marcangeli, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Philippe Vigier, M. Laurent Wauquiez
Assistait également à la réunion. - Mme Christine Pires Beaune