Intervention de Gilles Carrez

Réunion du 18 mai 2016 à 10h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, président :

J'ignore la réponse à la dernière question de M. de Courson, car la plupart des cabinets en question ont des pratiques multiples : il est donc impossible d'identifier au sein de ces cabinets le chiffre d'affaires qui correspond à l'activité de fiscalité. Ce qui est clair en revanche, c'est que le chiffre d'affaires global des cabinets d'avocats d'affaires a été très sévèrement affecté par la crise financière et le ralentissement de l'économie de manière globale.

Monsieur le président, vous nous interrogiez sur la concertation dans le cadre de l'élaboration des instructions fiscales. Il est vrai que l'administration engage la concertation de manière beaucoup plus systématique qu'il y a dix ou quinze ans sur les projets d'instruction, et elle nous sollicite souvent sur ces projets, soit en amont, soit dans le cadre de la concertation publique. Deux modalités de concertation sont organisées par l'administration : une concertation totalement ouverte, dans laquelle l'administration va publier sur internet le projet d'instruction et inviter à des commentaires, et une modalité de concertation plus fermée dans laquelle elle va soumettre son projet d'instruction à un certain nombre d'organismes représentatifs tels que le Medef et l'Afep, et nous sommes également souvent sollicités sur des projets, des notices ou des cadres de déclaration.

C'est au niveau de l'élaboration des textes que cette concertation est insuffisante, et il est regrettable que la France se distingue de nos principaux voisins en cela. Il n'est pas toujours facile pour l'administration de revenir par ses instructions sur des défauts qui entachent le texte lui-même. Normalement, les instructions ne doivent pas faire autre chose que commenter de manière exacte la loi, même si l'administration procède parfois par ce que l'on appelle pudiquement les tolérances administratives.

La difficulté concernant la concertation se situe plutôt au stade de l'élaboration de la loi elle-même qu'au stade de l'instruction. Le regret que l'on peut avoir au sujet des instructions est qu'elles interviennent souvent très tardivement, et que les contribuables sont conduits à appliquer la loi fiscale sans bénéficier de la clarification très utile qu'elles apportent.

Beaucoup de questions portent sur la distinction entre fraude fiscale et optimisation fiscale, et l'affaire des « Panama papers » a même été évoquée. Dans cette affaire, qui porte sur la dissimulation dans des sociétés offshore situées dans des pays à régime fiscal privilégié de revenus non déclarés, il ne fait guère de doutes que ces revenus doivent en principe être déclarés en France. De nombreux dispositifs anti-abus existent dans notre arsenal législatif : l'article 209 B du code général des impôts – pour les entreprises – et l'article 123 bis du même code pour les particuliers prévoient que les revenus en question doivent être déclarés en France. Nous sommes donc clairement au-delà de la ligne rouge : il s'agit de fraude fiscale, de dissimulation du revenu. Placer son revenu dans des sociétés offshore à l'étranger revient à placer des billets sous le matelas pour ne pas déclarer ces sommes au fisc.

En tant qu'avocats, nous sommes soumis aux règles déontologiques qui s'appliquent à la profession. Et notre déontologie nous interdit de prêter notre concours à des opérations de fraude fiscale. L'article 1.5 du règlement intérieur national de la profession est parfaitement clair sur ce point : il soumet l'avocat à une double obligation de vigilance et de dissuasion lorsque son client réalise une opération juridique dont l'objet ou le résultat concoure à la commission d'une infraction. Si l'avocat n'est pas parvenu à convaincre son client de renoncer à cette opération frauduleuse, il doit se retirer du dossier. Nos obligations déontologiques nous interdisent donc de prêter notre concours à des opérations de fraude fiscale.

Mais il n'est pas toujours évident de faire la part des choses entre la fraude et l'optimisation fiscale. Pourtant, cette distinction a reçu une consécration constitutionnelle. Le fait que nous soyons conduits à conseiller nos clients de manière à minorer leur charge fiscale est parfaitement normal et légal, comme le rappelle le commentaire d'une décision du Conseil constitutionnel, que l'on peut trouver sur son site internet : « Tout contribuable peut légitimement être amené à chercher à minorer sa charge fiscale, et tout avocat fiscaliste cherche à minorer la charge fiscale de ses clients, sans que pour autant cette démarche soit constitutive d'une fraude. »

Il est donc bien clair que notre mission est de conseiller au mieux nos clients. C'est pour nous une obligation professionnelle. Faute de conseiller nos clients de la meilleure manière, en leur permettant de payer le moins d'impôts, notre responsabilité professionnelle risque d'être engagée. Je rappelle à cet égard un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 11 mars 2009, qui concernait la cession par un dirigeant partant à la retraite des titres d'une société. Ce dirigeant avait eu recours aux services d'un avocat pour conclure le contrat de cession des titres en question, qui est finalement intervenue à la fin du mois de novembre 2005. Or, à compter du 1er janvier 2006, un dispositif législatif entrait en vigueur, permettant de bénéficier de droits d'enregistrement plus faibles pour les cessions réalisées par les dirigeants partant à la retraite. L'avocat qui avait assisté son client dans cette affaire – ce n'était pas un fiscaliste, mais un spécialiste du droit des sociétés – a été condamné au titre de sa responsabilité professionnelle pour ne pas avoir conseillé à son client de décaler cette opération après le 1er janvier 2006, ce qui lui aurait permis de payer moins d'impôts. Il faut donc bien avoir en tête les conditions dans lesquelles nous exerçons notre profession.

À cet égard, nos obligations déontologiques sont absolument essentielles. Au sein de l'IACF, nous avons rédigé un manifeste dans lequel nous déclinons, pour la matière fiscale, un certain nombre des obligations déontologiques auxquelles sont soumis les avocats. Par exemple, nous prévoyons que « dans le cadre de son activité de conseil, l'avocat se fait un devoir d'informer son client de l'étendue de ses obligations fiscales et l'alerte sur les risques qu'il encourrait en cas de manquement auxdites obligations » et « lorsqu'il constate que son client a commis des manquements, […] l'avocat incite celui-ci à régulariser sa situation et, s'il s'agit de manquements pour lesquels l'administration a institué une procédure de régularisation, l'informe de l'existence de cette procédure ». C'était le cas pour la régularisation des comptes non déclarés.

Les avocats sont donc soumis à une déontologie stricte, et en cas de manquements à cette déontologie, des sanctions professionnelles peuvent être prononcées par les barreaux, sous l'autorité du Conseil national des barreaux.

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