Intervention de Gilles Carrez

Réunion du 18 mai 2016 à 10h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, président :

Il y a certainement eu des cas dans lesquels des avocats fiscalistes, pour une raison ou une autre, ont été sanctionnés par le Conseil national des barreaux.

Il a été fait allusion au cas d'un de nos confrères qui a été condamné au pénal. Un appel a été formé, et il faut respecter la présomption d'innocence. Mais ce cas reste isolé. Nous avons peu d'exemples de cas dans lesquels des avocats fiscalistes ont fait l'objet de poursuites pénales pour complicité de fraude fiscale. Ce simple exemple ne doit pas être utilisé pour stigmatiser une profession qui, par ailleurs, est soumise aux règles déontologiques strictes que je viens de rappeler.

Pour aider nos adhérents à se conformer à ces règles déontologiques, notre activité de formation est extrêmement importante. Nos conférences portent sur l'actualité fiscale, mais aussi sur les obligations déontologiques et professionnelles des avocats membres de l'IACF, qui se conforment par ailleurs aux exigences rappelées dans le manifeste que vous pouvez trouver en ligne sur notre site internet.

Sur la question de la rétroactivité fiscale, des progrès ont été enregistrés, notamment avec la charte de non-rétroactivité diffusée il y a un an et demi. Elle prévoit que la petite rétroactivité ne s'appliquera plus en matière fiscale, sauf exception. Mais ce n'est pas un document contraignant : c'est un simple engagement du ministre, qui ne concerne que les projets de loi et n'a donc pas d'incidence sur le droit d'amendement des parlementaires. C'est donc un progrès qui reste assez timide.

La petite rétroactivité est extrêmement mal comprise par les entreprises. Une entreprise qui cède les titres d'une société au mois de mars peut découvrir le 31 décembre suivant que le régime fiscal de cette opération est totalement bouleversé. Heureusement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué dans un sens positif ces dernières années. Désormais, y compris dans des hypothèses où il n'y a pas de rétroactivité juridique, le Conseil constitutionnel va admettre que des dispositions législatives portent atteinte à la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration de 1789. Mais il n'en reste pas moins que dans certaines hypothèses, le Conseil constitutionnel considère que cette jurisprudence ne joue pas. Nous pouvons donc avoir des hypothèses de petite rétroactivité extrêmement pénalisantes pour les contribuables.

Je comprends bien l'argument budgétaire, mais une fois de plus, j'appelle votre vigilance sur cette question du consentement à l'impôt, qui est absolument essentiel dans notre pays.

L'un d'entre vous nous a interrogés sur la relation entre consentement à l'impôt et stabilité fiscale. Il est difficile de distinguer les deux, car ce qui est incompréhensible pour les contribuables, ce sont les modifications brutales de la loi fiscale qui vont conduire à une augmentation très forte de leurs impôts. Si un contribuable voit ses impôts augmenter parce que ses revenus augmentent, il pourra le comprendre ; mais si ses impôts augmentent alors que son revenu n'augmente pas, voire qu'il baisse, c'est plus difficile à comprendre.

Lorsqu'une entreprise a réalisé ses calculs financiers sur la base d'un régime fiscal applicable à un moment précis, elle ne comprend pas que ces calculs soient totalement bouleversés par une modification de la loi fiscale.

Dans les études sur l'attractivité de notre pays pour les investisseurs étrangers, le problème de l'instabilité de la loi fiscale revient de manière récurrente. C'est malheureusement un point sur lequel la France se distingue négativement par rapport à nos principaux concurrents sur le plan économique.

Je ne citais la clause de grand-père qu'à titre d'exemple : elle n'a pas vocation à s'appliquer de manière systématique. Mais une plus grande vigilance sur les mesures de transition est indispensable. Si ceux qui élaborent la loi fiscale – je pense autant à la direction de la législation fiscale qu'au législateur lui-même – augmentaient de moitié l'attention qu'ils portent à ces mesures de transition, nous pourrions avoir une loi fiscale plus acceptable. Et je ne suis pas sûr que cela aurait des conséquences budgétaires néfastes. Si nous reprenons l'exemple de la demi-part fiscale pour les personnes seules : depuis combien d'années est-il question de la supprimer ? Dès la fin des années 1990, une décision du Conseil constitutionnel a prononcé la censure d'une mesure de diminution du plafond de la demi-part pour les personnes seules. Cette mesure avait peut-être sa raison d'être au moment de son adoption après la guerre, mais lorsque nous avons réalisé qu'elle avait perdu sa légitimité, nous aurions pu décider de la supprimer moyennant une clause de grand-père. Le rendement budgétaire aurait été bien meilleur à celui que nous avons connu vu la façon dont ce dossier a été géré.

Le fait de prévoir des mesures de transition facilite la réforme fiscale, parce qu'elles permettent de réduire le principal obstacle à la réforme fiscale : les transferts de charges entre les contribuables. Si l'on introduit des mesures de transition, nous allons pouvoir réformer plus facilement la fiscalité, notamment pour l'augmenter lorsqu'il est légitime de remettre en cause un avantage fiscal.

M. Dominique Lefebvre disait que si un avantage était injuste, il était normal de le remettre en cause, mais pour ceux qui bénéficiaient de la demi-part pour personnes seules, elle n'avait rien d'illégitime, c'était la prise en compte de leur situation, et cela leur semblait légitime.

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