Intervention de Frédéric Teper

Réunion du 18 mai 2016 à 10h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Frédéric Teper, membre de la commission fiscalité des entreprises de l'Institut des avocats conseils fiscaux, IACF :

Je souhaite revenir sur la définition de l'optimisation fiscale. On en trouve déjà des définitions, notamment dans l'excellent rapport de MM. Muet et Woerth de juillet 2013. Mais il est important de fixer les idées, car une confusion existe dans le débat public entre l'optimisation fiscale et d'autres formes de mise en oeuvre de la loi fiscale, que ce soit dans un contexte domestique ou international.

À la lecture du code général des impôts, il est clair que la fraude fiscale est le fait de ne pas déclarer ou de soustraire des revenus aux impôts.

Il existe un autre concept, que l'on trouve plutôt dans le domaine international, c'est celui de l'évasion fiscale. C'est ce qui est visé par l'OCDE dans ses travaux sur BEPS. Certaines affaires qui ont défrayé la chronique, comme les mises en place de schémas internationaux par des entreprises du domaine numérique, font partie d'une forme d'évasion fiscale, ou de planification fiscale agressive, en jouant sur des différences de législation. Ce n'était pas nécessairement interdit il y a quinze ans, mais à la suite d'une importante prise de conscience des États, ces situations sont en voie de disparition, notamment grâce aux travaux de l'OCDE et au projet de directive actuellement en discussion au sein de l'Union européenne.

Une fois que l'on a parlé de la fraude et de l'évasion fiscales, reste le sujet de l'optimisation fiscale. Ce n'est pas qu'une distinction sémantique : lorsque le code général des impôts envisage l'abus de droit, il ne fait pas référence à l'optimisation fiscale, mais à la fraude. L'abus de droit en France a deux composantes : la fictivité ou la fraude à la loi.

Dans certaines situations, la loi laisse des choix au contribuable. Par exemple, lorsqu'un groupe décide de s'organiser en intégration fiscale, s'agit-il d'optimisation fiscale ? Oui, mais c'est parfaitement légal, puisque c'est une option offerte par le législateur.

Lorsque les sociétés A et B décident de fusionner, il faut déterminer dans quel sens sera réalisée la fusion : A va-t-elle absorber B, ou inversement ? Dans certains cas, il peut y avoir des différences de traitement fiscal selon l'identité de la société absorbante. Nous sommes aussi dans le domaine de l'optimisation fiscale, et sur ce sujet particulier, le Conseil d'État a décidé il y a déjà fort longtemps qu'à partir du moment où une fusion est réalisée pour des motifs légitimes, le sens de la fusion relève de l'optimisation fiscale.

Il y a donc des moyens légaux, souvent prévus par le législateur, de réduire l'impôt. Comme l'a rappelé Stéphane Austry, ces moyens sont consacrés par le Conseil d'État comme par le Conseil constitutionnel.

Vous nous interrogez sur l'opportunité d'une déclaration préalable des schémas d'optimisation fiscale par les avocats fiscalistes. La décision du Conseil constitutionnel de décembre 2013 a censuré cette proposition de déclaration parce que cette notion d'optimisation fiscale était mal définie par la loi. Nous savons tous qu'il existe des dispositifs de déclaration préalable, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis. Mais ce sont des systèmes de common law, très différents de notre tradition de loi civile, et ces systèmes de déclaration préalable visent des schémas que nous ne pouvons pas faire entrer dans la définition constitutionnelle de l'optimisation fiscale.

La législation britannique envisage des schémas standardisés, qui ne sont pas nécessairement commercialisés par des avocats fiscalistes, car le partage des rôles entre les professions n'est pas le même en France qu'aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Nous sommes des avocats, alors que dans la majorité des cas, ce ne sont pas des avocats qui proposent ce type de schémas standardisés. Le paradigme est totalement différent.

S'agissant du rôle respectif des experts-comptables et des avocats fiscalistes, les experts-comptables ont évidemment leur rôle à jouer dans le conseil des entreprises au quotidien. Ils le font sur des questions comptables, sur des questions de fiscalité courante et aussi parfois sur des questions de droit social, qui ne peuvent pas leur échapper dans leur rôle d'information de leurs clients. En tant qu'avocats fiscalistes, nous allons intervenir en conseil des entreprises ou des experts-comptables lorsque le sujet devient encore plus technique. Une grande partie de notre rôle est de nous tenir au courant non seulement de la lettre de la loi et des instructions de l'administration fiscale, mais également de la jurisprudence. Pour des raisons évidentes de temps et de compétences, ce n'est pas quelque chose que peuvent faire les experts-comptables.

J'ai déjà fait allusion aux travaux de l'OCDE sur BEPS. Je pense qu'il s'agit d'un changement de paradigme, d'une révolution à laquelle nous devons tous être attentifs. Non que les thèmes évoqués dans le cadre de ces travaux soient totalement nouveaux : prix de transfert, déductions de charges financières et sociétés soumises à une fiscalité privilégiée à l'étranger sont des thèmes présents sur la scène internationale depuis des décennies.

Ce qui est nouveau, c'est la prise de conscience, au nom de la concurrence loyale entre les États, de ces phénomènes. Nous sortons donc de la simple question des paradis fiscaux : il s'agit de savoir si ces pratiques fiscales dommageables sont tolérables entre des États rationnels, disciplinés, qui prétendent favoriser la croissance économique mondiale.

Ces pratiques ont conduit à un ensemble de recommandations de la part de l'OCDE, qui n'a pas de pouvoir normatif. Dans le cadre de l'Union européenne, ces recommandations sont déclinées dans un projet de directive de janvier 2016.

Toutes ces évolutions, dès lors qu'elles sont coordonnées, sont souhaitables. En tant que praticiens de la fiscalité et conseils des entreprises ou des particuliers, notre souci est de favoriser l'intelligibilité et la prévisibilité de la loi.

Or il est prévu dans le projet de directive européenne une modification des règles en matière de déduction des charges financières. Les charges financières ne seraient déductibles que dans la limite de 30 % de l'EBITDA (Earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization), et celles qui ne correspondent pas à des produits imposables ne seraient plus déductibles.

Ce système ressemble beaucoup au système allemand, mais ce n'est pas celui que nous connaissons aujourd'hui en France. En France, nous avons une superposition de règles en matière de déduction des charges financières, et une partie de notre rôle de conseil consiste à expliquer à nos clients comment appliquer ces règles – on en compte sept ou huit – ainsi que des dispositifs plus simples sur la sous-capitalisation ou les prêts par des sociétés qui sont actionnaires.

Si nous passons de cet empilement au système prévu par la directive européenne, comment va se faire la transition ? Comment les entreprises, qui ont pris en compte ce paramètre fiscal en France, vont appliquer les nouvelles règles ? Voilà un exemple de contradiction pour laquelle nous, avocats fiscalistes, avons un rôle à jouer.

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