Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 31 janvier 2013 à 15h00
Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et protection des lanceurs d'alerte — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

La déontologie et l'indépendance de l'expertise ainsi que la protection des lanceurs d'alerte sont devenues une attente forte de nos concitoyens.

L'enjeu est double. C'est d'abord un enjeu de santé publique : protection des consommateurs, des travailleurs, des citoyens contre des risques sanitaires et environnementaux. C'est également un enjeu démocratique et politique : il s'agit en effet de redonner à nos concitoyens confiance dans la prise en compte et le traitement, par la puissance publique, des risques sanitaires et environnementaux avec leurs conséquences, mais aussi de l'impact des conflits d'intérêt en tous genres sur les décisions prises à différents niveaux, parfois sans aucune considération pour l'intérêt général.

Si les attentes sont si fortes, c'est parce que nos dispositifs de sécurité sanitaire, de protection des consommateurs et de l'environnement se sont construits de manière erratique, au gré des affaires et des scandales qui mettaient en exergue d'une part le conflit permanent entre les objectifs désintéressés de la recherche scientifique indépendante, la nécessaire préservation de l'environnement, l'attente citoyenne de sécurité sanitaire face aux innovations technologiques, d'autre part la recherche du profit qui régit l'économie capitaliste de marché.

Plomb, amiante, sang contaminé, vache folle, Médiator, Bisphénol A, voire OGM : chacun de ces épisodes, parfois dramatiques, a fait l'objet de commissions d'enquête, de rapports, de missions d'information qui ont systématiquement mis en évidence les affres de la liberté d'entreprendre, laquelle conduit mécaniquement à la recherche du profit à tout prix, avec pour corollaire l'émergence de conflits d'intérêts majeurs au sein des agences chargées de l'expertise publique et l'insécurité juridique, professionnelle et sociale pour les lanceurs d'alerte.

Chacun de ces épisodes a révélé l'inertie des pouvoirs publics face à des situations intolérables et, il faut le dire, l'absence de volonté politique d'y remédier. L'inscription dans notre droit des principes de prévention et de précaution n'y a rien changé. Et pour cause ! Les divers dispositifs existants en matière de santé publique, de sécurité sanitaire et de protection de l'environnement poursuivent invariablement le même objectif : réduire les délais entre l'apparition d'un risque de dommage, la prise de conscience de ses effets et la réaction au risque ou au dommage, tout en préservant la liberté des acteurs économiques de réaliser le profit pour lequel ils ont investi.

Cet objectif révèle la tare originelle de notre système de vigilance et de protection des consommateurs et de l'environnement : l'expertise scientifique et les mécanismes d'alerte obéissent à une logique de gestion des risques une fois les dommages survenus mais non à une logique de prévention.

Il n'est dès lors pas étonnant de voir de nouveaux scandales défrayer régulièrement la chronique, prothèses PIP, médiator, pilules de troisième et quatrième générations, bisphénol A. Les exemples sont légion.

Un cas d'école, celui de l'amiante. Ce dossier emblématique est révélateur, la lutte exemplaire des anciennes salariées de l'usine Amisol à Clermont-Ferrand en témoigne. Ce n'est qu'à la fermeture de leur usine, en 1974, qu'elles ont appris les risques auxquels elles avaient été exposées en manipulant cette fibre, sans protection, durant plusieurs décennies.

En 1994, en créant le premier Collectif amiante prévenir et réparer – CAPER –, les anciennes d'Amisol ont été les pionnières du mouvement national engagé pour la reconnaissance des droits des victimes de l'amiante en France. Leur détermination a précipité la création de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante mais elles n'ont jamais pu obtenir qu'un procès pénal se tienne pour que soit reconnue la culpabilité des dirigeants de l'entreprise.

Pourtant, dès 1906, un inspecteur du travail, Denis Auribault, sonneur d'alerte avant l'heure, avait rendu un rapport sur les dangers de ce matériau, à la suite de décès successifs dans une usine de textile en Normandie. Comment expliquer alors que l'interdiction de l'amiante ne date que de 1997 ? C'est donc en connaissance de cause que les salariés ont continué à être exposés, au mépris des règles de protection, avec la complaisance du pouvoir politique. Aucun procureur n'a ouvert d'enquête sur cette catastrophe sanitaire et les procédures pénales engagées par les victimes ou leur famille ont été systématiquement freinées, d'abord dans le bureau du juge d'instruction, puis au tribunal de grande instance. Et c'est toujours le cas !

Les attentes de la majorité de nos concitoyens et le fait que l'expertise en matière environnementale, sanitaire et professionnelle puisse désormais être le fruit d'un travail collectif, imposent de changer de paradigme. C'est à cette condition que nous restaurerons la confiance des citoyens dans les avancées de la science, les innovations de l'industrie et la capacité d'intervention du pouvoir politique ou administratif. Or, le texte dont nous débattons aujourd'hui n'est que l'amorce de ce changement.

Bien entendu, nous nous réjouissons des dispositions visant à encadrer et rationaliser l'exercice du droit d'alerte et à protéger les lanceurs. Elles emportent notre vote en faveur de ce texte. Mais restons vigilants : nous le savons tous ici, les salariés qui jouissent d'une protection légale ou d'un statut de salarié protégé sont souvent malmenés par leur direction, discriminés, parfois mis au placard, quand ils ne sont pas licenciés.

En revanche, le rôle de la future commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d'environnement nous laisse dubitatifs.

Nous regrettons que des considérations d'ordre budgétaire aient eu raison de la Haute autorité indépendante, au point que celle-ci ne soit plus que le fantôme d'elle-même : une commission nationale sous tutelle des ministres concernés – lesquels ? – et au champ d'action restreint.

J'en donnerai quelques exemples.

Dans le texte initial, la Haute autorité était dotée de la personnalité morale, ce qui lui donnait une latitude plus grande pour intervenir dans le champ de compétences qui lui était assigné que n'en aura la commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d'environnement, placée sous la tutelle des ministres compétents.

La Haute autorité était chargée d'énoncer les principes directeurs de l'expertise scientifique et technique en matière de santé publique et d'environnement et d'en vérifier l'application. La commission a seulement pour mission de veiller aux règles déontologiques qui s'appliquent à l'expertise scientifique et technique.

La Haute autorité était chargée de garantir la mise en oeuvre des procédures d'alerte. La commission veillera seulement aux règles déontologiques applicables aux procédures d'enregistrement des alertes.

La Haute autorité était chargée d'élaborer des règles déontologiques propres à l'expertise scientifique et technique dans le domaine de la santé publique et de l'environnement. La nouvelle commission sera réduite à émettre des recommandations générales sur les principes déontologiques propres à l'expertise scientifique et technique, et à assurer leur diffusion.

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