Monsieur le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, le hasard – mais en est-ce vraiment un ? – fait que je vous interroge sur la recherche neutronique au moment où tant de prix Nobel s’interrogent sur l’avenir de la recherche en France.
Le réacteur Orphée constitue la source principale de diffusion neutronique française : il couvre, à lui seul, environ 60 % des besoins nationaux dans ce domaine.
Cette installation est essentiellement dédiée à la recherche fondamentale. Elle est utilisée par une communauté de 1 750 chercheurs pour leurs travaux de recherche – fondamentale ou appliquée – en physique, chimie et sciences des matériaux. Avec près de 600 expériences annuelles pour un total de 3 500 jours de temps expérimental, le laboratoire Léon Brillouin-Orphée est classé au quatrième rang mondial pour ses performances.
La fermeture anticipée interviendrait fin 2019, alors que la moitié des appareils du LLB a été rénovée au cours des cinq dernières années et que l’excellence des travaux scientifiques conduits grâce au réacteur Orphée est reconnue par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, et par le comité scientifique de l’Institut de physique du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS. Ce dernier recommandait d’ailleurs, en 2015, la prolongation du réacteur Orphée jusqu’en 2025, voire jusqu’en 2030.
Si l’installation fermait prématurément en 2019, les utilisateurs français ne disposeraient plus que de moins de 1 000 jours de mesure, contre 6 000 actuellement. Les disponibilités de l’Institut Laue-Langevin, l’ILL, installé à Grenoble sont, en effet, largement insuffisantes pour répondre aux enjeux.
Cette fermeture entraînerait, par un simple effet mécanique, une altération forte de la communauté française d’utilisateurs. En outre, l’arrêt anticipé d’Orphée rendra difficile l’investissement français dans la future source européenne de spallation – l’European Spallation Source – puisque, dans l’intervalle nous séparant de sa mise en service, les utilisateurs ne disposeraient plus de l’équipement national nécessaire à leur formation comme à la préparation de leurs expériences, condition sine qua non pour prétendre accéder à l’ESS, installée en Suède.
En outre, cette fermeture fera également courir un risque de perte de compétences entre 2019 et 2024, c’est-à-dire pendant la période séparant la fermeture de l’actuel réacteur et celle de la mise en service de l’ESS.
Surtout, il paraît difficile que la recherche neutronique française se contente du temps d’accès à la future ESS qui lui sera réservé, puisqu’il représentera tout au plus 8 % du temps total disponible de cet équipement – soit environ 250 jours d’expériences. Au vu des 6 000 jours d’expériences dont jouissent aujourd’hui nos chercheurs, une simple substitution ne paraît donc pas satisfaisante. D’ailleurs, l’Allemagne, qui participe à l’ESS, est en train de se doter d’une source neutronique nationale propre.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, quel avenir préparez-vous pour la recherche neutronique française compte tenu de la fermeture programmée du réacteur Orphée ? Comment envisagez-vous la période séparant la fermeture d’Orphée et le démarrage de l’ESS ? Envisagez-vous vraiment d’apostasier cette expertise mondialement reconnue et que de nombreux États nous envient ?