Intervention de Hosham Dawod

Réunion du 6 avril 2016 à 16h15
Mission d'information sur les moyens de daech

Hosham Dawod, anthropologue au CNRS :

On parle de berceau historique de Daech en Irak et en Syrie. Il y a un an et demi Daech était à la porte de Bagdad. Daech a perdu Tikrit, l'extérieur de Salaheddine, la totalité de Diala, une partie de la province de Ninive et al-Anbar. Cela fait beaucoup de territoires. Daech contrôle dans cette partie ce qu'on appelle la zone quasi vide, désertique. Depuis peu, on a commencé à dresser des cartes plus exactes. Sur ce point également, il faut être critique : souvent, on se contentait de projeter la carte et de présenter la zone contrôlée par Daech. En vérité, il faut distinguer la zone quasi vide sous l'influence de Daech et les autres zones situées autour des villes comme Mossoul qui sont sous le commandement direct de Daech. L'essentiel de la population se trouve dans cette deuxième zone qui ne représente pourtant qu'un espace plus mesuré.

Je ne crois pas à la thèse selon laquelle Daech constitue une organisation internationale avec un centre de commandement à Raqqa ou à Mossoul. Daech est plus un emblème, une sorte de modèle qu'on copie, une certaine manière de se projeter dans un espace.

En ce qui concerne les liens entre les organisations, je note que Boko Haram a déclaré allégeance à Daech mais je ne sais pas quelle est la portée réelle de cette déclaration. Il peut y avoir des coopérations sur un sujet mais rien ne permet d'assurer que c'est systématique. Par exemple, en raison des pressions très fortes sur al-Nosra, les « amis » de Daech au Sinaï ont pu porter un coup aux Russes en abattant un avion civil.

À la différence d'al-Qaïda, Daech est une organisation territoriale. Chaque fois qu'il y a un État défaillant ou un territoire délaissé, Daech surgit. C'est le coeur du livre d'Abu Bakr Naji, Management de la sauvagerie, qui montre bien ces trois étapes : provoquer assez de troubles pour conduire à la faillite de l'État en place, le remplacer et consolider sa maîtrise territoriale et enfin propager le modèle ainsi constitué. Daech prend le contrôle de territoires viables, avec un accès à la mer et éventuellement du pétrole qu'il peut vendre pour vivre.

Combien de djihadistes irakiens se trouvent parmi les Libyens en sol libyen? Quelques-uns mais pas plus, il n'y a pas cette fluidité.

Venir à bout de Daech en Irak et en Syrie donnera un coup fatal à cette organisation mais mettre fin au djihadisme en général, c'est autre chose.

Le wahhabisme est une pensée rigoriste salafiste du XVIIIe siècle qui a évolué, à la fois sur sa terre natale d'Arabie Saoudite et à l'extérieur. La plupart des gens qui se réclament de la pensée de Mohammed ben Abdelwahhab sont dans une phase beaucoup plus radicale et belliqueuse que ce que le wahhabisme était à l'origine. Même en terre d'Arabie Saoudite, la question de la nature du projet wahhabite s'est posée : est-ce que c'est un projet d'expansion ou de limitation territoriale ? Cela s'est terminé en 1928 par une confrontation entre le pouvoir de Ben Saoud, le fondateur, et ce qu'on appelle l'ikhwan. Elle s'est terminée par le massacre de 4 000 à 5 000 combattants. La question centrale était celle de la frontière : les plus radicaux considéraient qu'ils devaient diffuser par le sabre l'étendard de l'Islam partout dans le monde. À ce titre, ils ne reconnaissaient pas les frontières arrêtées par un accord conclu entre Ben Saoud et les Britanniques.

Il me semble qu'il faut être attentif à la place des pays du Golfe dans la politique de Daech, sujet qui est peu vu et peu étudié. Quelques chercheurs du Moyen-Orient commencent à étudier cette question en regardant dans les publications de Daech le nombre de références aux pays du Golfe, depuis la guerre du Yémen et depuis la création de l'alliance des pays musulmans. Le dernier discours d'al-Baghdadi était largement dirigé contre l'Arabie Saoudite. Dans sa recherche de symboles et de références sacrées, Daech oblige l'Arabie Saoudite à se positionner et à s'opposer à la politique générale de Daech. La confrontation est désormais claire entre Daech et l'Arabie Saoudite.

Je suis un spécialiste des questions tribales qui constituent mon champ de recherche au CNRS. Qu'est-ce qui différencie une tribu d'une ethnie ? La tribu est une quasi société politique parce les hommes et femmes d'une tribu reconnaissent un individu comme leur représentant et acceptent qu'il assure une médiation entre eux et avec les autres. Cette médiation, cette représentation, cette délégation est une action politique. Pour une organisation comme Daech, il ne s'agit pas simplement de prolonger une identité religieuse et belliqueuse mais bien de gérer la population, c'est-à-dire d'assurer une véritable organisation politique.

Depuis un siècle, en Syrie et en Irak, se sont constituées deux cultures, deux modes d'identifications, des administrations différentes. Les populations se reconnaissent dans leur économie, leur monnaie, leur drapeau. Si cela peut subir un affaiblissement, il n'est pas possible de faire disparaître ces éléments facilement.

L'organisation de Daech en Irak est construite autour d'acteurs locaux, d'anciens militaires. Elle s'appuie sur la frustration de la population sunnite et se nourrit de son sentiment d'humiliation. Cela n'a été qu'amplifié par les erreurs successives du gouvernement irakien, en particulier celui d'al-Maliki, par la négligence de la communauté internationale et des pays de la région et par les guerres fratricides entre la Turquie et l'Iran ou entre l'Iran et l'Arabie Saoudite.

M. Lévy a évoqué précédemment le rôle du syrien al-Adnani qui est le responsable des médias. Tout le monde sait qu'il y a un conflit entre lui et al-Baghdadi. Ce dernier conçoit d'abord son réseau par des relations personnelles de proximité. Le Conseil militaire est par exemple constitué à 70 % par des Irakiens. S'il y a de nombreux Irakiens dans la branche militaire syrienne, il n'y a, à l'inverse, aucun Syrien dans la branche irakienne. Je fais cette précision pour indiquer combien la distinction entre Irakiens et Syriens reste vivace, même au sein de Daech.

Daech met en place une décentralisation réelle sur le terrain et s'est divisé en petits groupes. La décision est toutefois prise au niveau central s'il s'agit de quelque chose de très important. Par exemple, l'attaque du Bataclan relève d'une décision centrale, tout comme la décision d'attaquer Ankara ou Istanbul, la Turquie étant un État capital pour Daech. Mais l'attaque d'une ville ou d'un proche village relève d'une décision de la branche locale.

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