Intervention de Anne-Clémentine Larroque

Réunion du 6 avril 2016 à 16h15
Mission d'information sur les moyens de daech

Anne-Clémentine Larroque, maître de conférences à SciencesPo :

Il me semble que cette question est centrale aujourd'hui. J'aimerais partager quelques pistes de réflexion nourries de mon expérience d'enseignante en lycée de ZEP. Je combine mes observations avec les informations dont nous disposons depuis deux ans sur ces jeunes de 15 à 25 ans qui choisissent de partir en Irak ou en Syrie.

À cet âge, les esprits sont encore en cours de formation et beaucoup ressentent une envie de s'échapper de ce à quoi ils appartiennent, indépendamment de leur milieu d'origine. Ils veulent jouer un rôle, à l'instar des jeux vidéos auxquels ils jouent, ils veulent se trouver une existence. Daech a bien compris ces besoins et a même créé des jeux vidéos rendant encore plus floue la frontière entre ces jeux et la réalité où vous êtes celui qui tue effectivement. Il y a donc un aspect directement lié à l'adolescence. Il y a également le rêve de tout laisser derrière soi et de construire quelque chose de totalement nouveau.

Pour les jeunes filles, le processus s'appuie plus sur la séduction avec un rôle majeur des recruteurs. Une psychologue de la PJJ que j'ai rencontrée m'expliquait bien que ces jeunes filles tombent amoureuses de leurs recruteurs, souvent plus âgés qu'elles, et ont l'impression qu'ils donnent un sens à leur existence.

Je note également que beaucoup de fratries sont concernées par ces départs. Plus globalement, tous les jeunes de France et de Belgique qui partent semblent avoir été, d'une façon ou d'une autre, en contact les uns avec les autres.

Sans céder à de la sociologie ou de la psychologie de comptoir, j'observe aussi la récurrence de l'absence de l'autorité paternelle doublée d'une envie de transgression, d'un besoin de faire ses preuves et d'une recherche de ce qu'on est.

Je conclurai en relevant que la question identitaire est au coeur du processus et qu'elle est en lien avec le statut d'immigré ou d'enfant d'immigré à la deuxième ou troisième génération. C'est sans doute plus éloigné et cela n'a pas encore fait l'objet d'études. Je l'ai bien vu dans les lycées de ZEP : dans un groupe marqué par sa capacité à se définir, ces jeunes sont à la recherche de leur identité et d'une appartenance à un groupe. Ils ne savent pas forcément historiquement ce qui s'est passé d'ailleurs. Ils ont reçu la colère en héritage et développent un sentiment anti-Français, même s'ils ne le comprennent pas. Je vais peut-être loin dans mon analyse, mais il me semble qu'il faut prendre tous ces éléments en compte pour comprendre ce mécanisme complexe.

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