Je m'arrêterai très brièvement sur la première question. Je suis plutôt un spécialiste « de là-bas » même si rien n'interdit d'essayer d'avoir le « regard éloigné » dont parlait Claude Lévi-Strauss. Les jeunes qui partent en Syrie ont entre quinze et quarante ans. Au vu de leurs origines, de leurs parcours, il ne saurait y avoir d'explication simple. Il y a 35 % de femmes, 25 % de convertis et une bonne part est issue des classes moyennes. Les raisons de leur départ sont différentes. Pour certains, le départ est lié à une perte de sens ; d'autres sont poussés par une volonté d'engagement humanitaire. Certains sont partis combattre le régime de Bachar-al-Assad sans comprendre toutes les contradictions inhérentes à la région actuellement. Ils sont partis en ayant le sentiment de faire leur devoir et se sont trouvés, sur place, aux prises avec un ennemi beaucoup plus redoutable. Un certain nombre a été dérouté par l'absence de hiérarchisation des adversaires. Il y a donc des explications sociales, politiques, identitaires mais je me méfie beaucoup des explications essentialistes. Souvent par carence intellectuelle, ces explications vont chercher les versets qui parlent de la violence dans le Coran mais sans véritablement les analyser.
À la deuxième question, je répondrai qu'en effet la propagande de Daech a changé. Daech est sur la défensive, obligé de s'adapter aux pertes qu'il subit. Il est obligé de mentir, de faire de la désinformation. Revenue à une forme de guerre de mouvement, l'organisation n'a plus la capacité de contrôler durablement un territoire. C'était pourtant un élément fondamental de la logique du califat, dont la devise est « baqiya watatamaddad », c'est-à-dire « il restera et s'étendra ». Pour cela, Daech doit continuer d'attirer des gens de l'extérieur.
Certes, Daech est en déclin mais le problème est ailleurs. Quelle alternative politique proposer aux populations ? Un million et demi de personnes habitent aujourd'hui à Mossoul. Demain ou peut-être après-demain, il y aura peut-être un soulèvement, je ne lis pas dans le marc de café. Barack Obama est encore là pour quelques mois et je suis presque persuadé qu'il voudra marquer l'Histoire en réduisant al-Baghdadi comme il a vaincu Ben Laden ou au moins, en expulsant Daech de Mossoul. Mais quelle est l'alternative politique ? Le gouvernement de Bagdad peut-il accepter une ouverture, une conciliation nationale ? Les Sunnites peuvent-ils avoir leur place dans le processus de décision ? Toutes ces questions aujourd'hui sans réponses alimentent la machine de Daech ! La communauté internationale a le devoir d'accompagner les États sur place car leurs conflits internes rejaillissent sur tout le monde. Il faut arriver à un accord pour gérer d'une manière plurielle l'État et la société. Même en écrasant Daech, le problème politique reste entier. Quelle sera la suite ? Quelle gouvernance, quelle forme d'État sera mise en place ? Comment recoller les morceaux ? Nous n'avons pas de réponse jusqu'à maintenant.