Intervention de Alexandre Lévy

Réunion du 6 avril 2016 à 16h15
Mission d'information sur les moyens de daech

Alexandre Lévy, journaliste, Reporters sans frontières :

Je n'ai pas une réponse simple à la question complexe de savoir ce qui fait qu'un jeune va être sensible et éventuellement succomber à la propagande de Daech. De façon caricaturale, que je crois que la propagande de Daech porte un projet : tout est justifié, tout s'explique et tout est permis. Lorsque vous êtes jeune, lorsque vous n'avez pas cette immunisation que notre génération peut avoir par rapport à la propagande soviétique, vous tombez dans ce piège.

Dans le cadre d'une prochaine enquête pour Reporters sans frontières, je travaille sur ceux qui combattent la propagande de Daech avec les cellules de contre-propagande. Comment contrer la propagande de Daech ? J'ai interrogé certaines personnes, notamment des militaires. Lorsqu'on dit à ces jeunes que Daech leur propose un projet qui est un traquenard, ça ne marche jamais. Il faut leur proposer un projet alternatif... mais mes interlocuteurs constatent n'avoir rien à leur proposer et c'est leur problème. Au mieux, notre projet est banal à leurs yeux : l'emploi, l'université, les études, la famille… ça ne marche pas. C'est sur ce contre-projet qu'il faut travailler ; c'est peut-être ça la solution.

Comment cela se fait-il que cette propagande marche aussi bien en Occident ? Vous connaissez Dabiq qui a une déclinaison française avec Dar Al-Islam : si vous la feuilletez, c'est un mélange très malin. En tant que journalistes, nous sommes presque obligés de lire Dabiq car il y a à chaque fois des informations exactes, des scoops... Ils savent qu'il faut avoir du contenu attractif pour forcer à lire une publication qui devrait aller à la poubelle normalement. C'est la première astuce. La deuxième astuce plus globale est l'artifice journalistique : Dabiq se présente comme un vrai magazine qui utilise et détourne nos codes. Cette stratégie de détournement et d'utilisation de nos codes journalistiques sert à faire passer des messages. C'est ce que, dans une moindre mesure mais d'une façon encore plus intelligente, fait le régime de Vladimir Poutine avec Russia Today, une CNN à la russe qui va distiller tout à fait autre chose et qui va utiliser tous les codes auxquels nous sommes habitués.

Je peux donner un autre exemple presque extrême, celui du journaliste britannique John Cantlie exploité par Daech. Cet ancien otage, devenu journaliste pour Daech, fait des reportages qui apparaissent régulièrement dans les réseaux sociaux et qui sont conçus comme des reportages de la BBC, sauf qu'ils sont faits pour le compte et sous le contrôle de Daech. C'est de cette manière que ce journaliste a sauvé sa vie qui ne tient qu'à un fil et qui dépend du fait qu'il accepte de jouer le rôle du journaliste occidental au service de Daech. Il est l'illustration extrême du détournement de nos codes.

Vous avez également posé la question du lien entre les victoires militaires et la propagande. Je pense qu'il y a un lien évident de cause à effet et qu'aujourd'hui Daech a moins de choses à mettre en avant. Mais, comme disait Monsieur Dawod, Daech change : peut-être qu'ils mettront davantage en scène cette utopie qui est aujourd'hui en péril. Cela peut être un axe de leur future propagande.

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