Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 11 mai 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Mesdames les présidentes, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation. Je suis très heureux de m'exprimer une nouvelle fois devant vos commissions réunies. Je salue d'ailleurs le travail du Parlement sur les négociations commerciales transatlantiques et, plus généralement, les questions de commerce extérieur, qui appellent un contrôle démocratique renforcé ; c'est une attente très forte de nos concitoyens.

Je souscris totalement au postulat de Mme la présidente Élisabeth Guigou : en principe, des négociations sont utiles, et il est important que l'Union européenne et, à travers elle, la France participent à l'élaboration de règles, de normes, de standards de sécurité les plus élevés possible. Hélas, la réalité des négociations transatlantiques n'est pas à la hauteur de l'ambition qui était affichée lorsqu'elles se sont ouvertes. Cela explique, au-delà de questions de principe très importantes, la position de la France.

Les négociations multilatérales s'essoufflent. Ainsi, au mois de décembre dernier, il ne s'est pas passé grand-chose à Nairobi – je vous l'avais dit. Cela conduit progressivement à la multiplication de négociations bilatérales : de pays à pays, d'ensemble régional à ensemble régional ou d'ensemble régional à pays, puisque l'Union européenne négocie tant avec le Mercosur ou le Japon qu'avec les États-Unis et beaucoup d'autres parties du monde. L'espace commercial international se trouve ainsi exposé au risque, dénoncé même par le Fonds monétaire international, d'une fragmentation et menacé par le moins-disant normatif. Lorsque des négociations concurrentes se tiennent, c'est effectivement un nivellement par le bas qui menace.

Où en sommes-nous au lendemain du treizième round de négociations transatlantiques ? À peu près au même point qu'au lendemain du douzième. Aucun progrès significatif ! N'ont été enregistrées que quelques avancées très techniques, en matière de convergence réglementaire, si modestes qu'elles méritent à peine d'être mentionnées. En ce qui concerne les différentes demandes formulées par la France tout au long de l'année 2015, les choses n'ont pas bougé.

Nous avons cependant obtenu une meilleure transparence, avec l'accès des parlementaires aux documents de négociation. Je veux être extrêmement clair : à la suite d'une demande de la France, mais aussi d'autres pays, vous avez accès, depuis le début de cette année, dans des salles de l'administration française, à l'ensemble des documents de négociation, dans les mêmes conditions que les autres parlementaires européens, y compris les députés du Bundestag, souvent cités en référence. Je m'y suis engagé, et c'est la moindre des choses : tout document auquel j'ai accès en tant que membre du gouvernement vous est aussi accessible. Je suis au courant d'un certain nombre de difficultés, rencontrées notamment par vous-même, madame la présidente Auroi, et j'ai rappelé les règles, de manière on ne peut plus claire, au secrétariat général des affaires européennes. Nulle éminence ne saurait, à l'abri de son bureau, faire obstacle à l'accès des parlementaires à l'ensemble des documents. Si vous rencontrez le moindre problème, signalez-le-moi, directement ou via mon cabinet.

Cela n'épuise pas la question de la transparence. L'open data n'est pas une réalité, c'est un combat. Et je souscris complètement à l'idée énoncée par Mme la présidente Guigou : les négociations doivent se faire en public. En matière commerciale, tout ce qui est négocié doit pouvoir être assumé, et ne peut être négocié que ce qui peut être assumé. Je ne dirais pas la même chose de négociations diplomatiques plus traditionnelles, ayant éventuellement des implications pour la défense nationale, comme celles sur le nucléaire iranien ; les négociations commerciales ont des conséquences sur la vie de nos concitoyens. N'hésitez pas à faire usage de votre droit d'accès.

Nous nous mobilisons aussi auprès de la Commission européenne pour que les documents soient disponibles en français, d'autant que le français est une langue officielle et une langue de travail de l'Union européenne, mais de réels progrès sont encore nécessaires. Nous souhaitons plus généralement que les documents soient accessibles dans toutes les langues des parlements européens ; c'est un enjeu démocratique. Nous ne souhaitons pas faire nos propres traductions, car la traduction engage ; pour éviter de nombreux problèmes, il faut donc une traduction validée au niveau européen. J'en fais régulièrement la demande, et cette requête est légitime au-delà même du seul champ des négociations commerciales.

Quels progrès attendons-nous ?

J'ai posé de manière extrêmement claire la question du remplacement de l'arbitrage par une cour de justice internationale, proposition que j'ai élaborée au nom de la France et défendue avec l'Allemagne, représentée par le vice-chancelier Sigmar Gabriel et mon homologue Matthias Machnig. D'autres États européens y ont souscrit et, alors que nous étions relativement seuls au début, cette proposition est devenue la proposition européenne. Les Canadiens ont été les premiers à la reprendre, acceptant, après les élections et la formation du gouvernement Trudeau, de modifier le chapitre concerné du CETA. Ce progrès très important marque un moment fort de l'histoire des relations commerciales. Fixer des règles, permettre à la puissance publique d'en arrêter au niveau international et de les faire respecter par des personnalités insoupçonnables de conflits d'intérêts, inscrire noir sur blanc, dans des traités internationaux, le droit à réguler des États est une étape décisive. À ce stade, les États-Unis n'ont pas souhaité reprendre la proposition. En l'absence de prise de position officielle, gardons-nous de tout procès d'intention, mais ce point, que nous estimons crucial, ne figure toujours pas au menu de nos discussions.

Quant aux marchés publics américains, ils sont ouverts à 47 %, alors que les marchés publics européens le sont à 90 %. Les choses ne bougent pas et rien, dans les négociations, ne permet de croire qu'elles évolueront…

Nous souhaitons des règles communes en matière de services. C'est un principe extrêmement important. Nous sommes notamment très attachés à l'idée de règles communes pour la finance. En outre, les intérêts offensifs de la France sont considérables : l'excédent de notre pays, exportateur net de services, est de près de 15 milliards d'euros. La question des règles dans la finance, l'expertise, le conseil, les transports, etc., est un enjeu fort, et les choses n'ont pas bougé à ce propos, non plus qu'en matière agricole.

Vous connaissez mon attachement à la diplomatie des terroirs. Les choses, sur ce point aussi, doivent bouger de manière significative. Nous souhaitons que nos indications géographiques et nos appellations contrôlées soient reconnues. Le Canada l'a fait avec pas moins de 128 appellations européennes reconnues, dont 42 en France, qui s'ajoutent à toutes les appellations déjà reconnues par le Canada en 2004 en matière de vins et spiritueux. Nos terroirs, nos agriculteurs seront d'autant mieux défendus que nous réussissons, pas à pas, à faire reconnaître toujours plus d'indications géographiques et d'appellations contrôlées ; ce combat doit être mené à l'échelle internationale et, lorsque nous franchissons des étapes aussi importantes, il faut les saluer.

Avec une très large ouverture des marchés publics, au niveau national comme au niveau des provinces et des communes canadiennes, ce ralliement inédit à l'idée d'une cour de justice commerciale internationale et la reconnaissance des indications géographiques, le CETA est une sorte d'anti-TAFTA, qui va très clairement dans le sens que nous souhaitons. Quand mes exigences et mes critères sont repris, j'en tire les conséquences. L'analyse du Gouvernement est donc claire : il s'agit, en l'état, d'un bon accord – certes encore perfectible, mais les progrès sont considérables.

Les États membres de l'Union européenne sont unanimes pour considérer que les deux accords sont des accords mixtes, ce qui implique une ratification au niveau européen et au niveau national, avec un vote des parlements. Quant à la possibilité d'une entrée en vigueur provisoire, prévue par le droit communautaire, la position du Gouvernement est extrêmement claire : ne peuvent être concernés que les aspects communautaires. Tant que le parlement national n'a pas voté, les stipulations relevant de la compétence nationale n'entrent pas en vigueur. Par ailleurs, l'entrée en vigueur provisoire ne peut intervenir qu'après un vote favorable du Parlement européen.

La Commission européenne n'a jamais clairement indiqué quelle était, selon elle, la nature juridique de ces accords. Il est possible qu'elle considère qu'il s'agit d'accords non mixtes. Cependant, la France tiendra bon : il s'agit bien d'accords mixtes qui requièrent une ratification nationale – et tout le monde, en Europe, est d'accord. Comme il appartient au Conseil de déterminer la nature juridique de l'accord, je n'ai aucun doute sur la décision qui sera prise, quelle que soit la proposition de la Commission européenne.

L'articulation de ces négociations avec la COP21 est une question extrêmement importante. Le Président de la République a très clairement indiqué il y a quelques jours, lors de la Conférence environnementale, que la France ne signerait pas d'accords commerciaux n'intégrant pas la priorité à l'environnement et à la lutte contre le réchauffement climatique. Cela n'aurait aucun sens après la signature au mois de décembre du très grand Accord de Paris, le premier qui énonce des règles universelles et contraignantes pour lutter contre le réchauffement climatique. J'ai oeuvré tout au long de l'année dernière, et la France défend maintenant au niveau international l'idée que, dans les accords commerciaux, les règles de droit environnemental et de droit social doivent être contraignantes au même titre que les règles de droit commercial. Nous ne voulons pas de textes de droit commercial précis et contraignants accompagnés d'annexes déclaratoires, floues, peu précises.

La recherche de cette cohérence globale est un nouvel axe de travail de notre diplomatie économique, et nous sommes le premier gouvernement à défendre des propositions concrètes dans ce combat extrêmement important. De même, notre gouvernement est le premier à avoir exprimé aussi clairement ses exigences dans les négociations transatlantiques. Je l'ai moi-même fait dès l'année dernière, et le Président de la République est le premier chef d'État à poser des critères très précis et à indiquer que la France saurait tirer toutes les conséquences d'une absence de progrès. Aucun autre gouvernement en Europe n'a eu cette approche, aucun chef d'État européen ne s'est exprimé aussi clairement sur le sujet.

J'en viens à nos relations avec la Chine, acteur majeur du commerce international. Tout d'abord, le statut d'économie de marché est l'objet d'un débat juridique. La Chine a adhéré en 2001 à l'OMC et l'accord d'adhésion comporte un certain nombre de dispositions, mais l'octroi du statut d'économie de marché au bout de quinze ans est-il automatique ? Une échéance est fixée au mois de décembre prochain. Nous suivons de très près la question, au niveau de l'Union européenne comme du G7 et dans les différentes instances où le sujet est abordé.

Qu'en est-il des instruments de défense commerciale ? Là réside le véritable enjeu du débat. Comment l'Union européenne pourra-t-elle, demain, quelle que soit la décision prise sur le statut d'économie de marché, continuer à mettre en oeuvre des instruments de défense commerciale et des mesures antidumping, à l'encontre de la Chine, ou de tout autre pays pour lequel la question se pose ? Je préconise en effet, sur de tels sujets, des approches de principe, non des approches pays par pays – ne suscitons pas d'inutiles tensions, ce sont des principes qui sont en cause. La France est l'un des rares États membres à avoir opté pour une approche très offensive de la problématique des instruments de défense commerciale, qui sera aussi à l'ordre du jour du Conseil ce vendredi, à Bruxelles. Nous devons pouvoir continuer de défendre nos industries, notamment celle de l'acier. Le ministre de l'économie Emmanuel Macron est de son côté mobilisé au sein du Conseil « compétitivité », et nous coordonnons étroitement nos actions. Nous espérons que d'autres États membres nous rejoindront autour d'une proposition très offensive sur la question des instruments de défense commerciale en général, notamment le Royaume-Uni, extrêmement combatif sur l'acier, mais plus réservé sur la question des instruments de défense commerciale en général. Avec l'Allemagne et d'autres États concernés, nous espérons pouvoir avancer au niveau européen.

Doivent s'appliquer à la négociation du TiSA les mêmes exigences de transparence qu'à celle du TAFTA – cela permettra notamment d'éviter que prospèrent de fausses idées. J'ai déjà évoqué les intérêts offensifs considérables de notre pays, avec 15 milliards d'euros d'excédent, et notre ambition de fixer des règles communes.

Nous sommes mobilisés pour qu'aucune de ces négociations ne puisse compromettre nos choix démocratiques, notamment notre volonté de préserver la diversité culturelle et l'exception culturelle. Le numérique ne doit pas ouvrir la voie à leur remise en cause. La France continuera de mener ce combat dans toutes les instances internationales, par-delà les alternances politiques.

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