Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 11 mai 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Monsieur Bacquet, j'ai tenu les mêmes propos au cours d'un débat en Lot-et-Garonne et je n'ai pas eu le moins du monde le sentiment qu'on ne m'entendait pas. Les citoyens, extrêmement attentifs à la question, ont au contraire très bien compris la position de la France : en l'état, ce traité n'a pas d'intérêt pour notre pays – ni pour notre économie ni en termes de respect de certains principes et valeurs que je n'ai cessé de rappeler depuis ma nomination. En l'état, nous y sommes donc hostiles. Je l'ai moi-même répété tout au long de l'année dernière. Cela a également été dit avec beaucoup de force par le chef de l'État au début de mois de mai. Je ne crois pas qu'il y ait là la moindre ambiguïté, et je suis prêt à venir parler du sujet devant tous ceux qui le souhaiteront.

Madame Lebranchu, vous savez l'importance que j'accorde aux exportations des PME, qui font l'objet d'une feuille de route spécifique. Nos dispositifs ne parviennent pas forcément à bien cibler les PME. Les enjeux sont pourtant très importants, d'autant que les PME sont les premières victimes de ce qui ressort des doubles contrôles, notamment en matière agricole. Des formalités douanières extrêmement complexes peuvent être rédhibitoires et dissuader une PME d'exporter. Sur ce point, nous ne notons pas d'évolution favorable des négociations. Nous sommes évidemment preneurs de tous les travaux parlementaires sur la question, pas seulement en ce qui concerne les États-Unis. J'organise moi-même le 14 juin prochain, au Quai d'Orsay, le deuxième forum des PME à l'international. Le premier, au mois de mars 2015, avait surtout traité de la réforme des dispositifs d'accompagnement à l'export. Cette fois, nous examinerons les opportunités des PME, y compris en matière d'e-commerce, de simplification, etc. Vous y êtes évidemment tous invités, mesdames et messieurs les députés.

Madame Fort, vous avez bien fait d'auditionner le rapporteur du CESE. J'ai moi-même été auditionné par le CESE, qui effectue un travail important. J'ai également rencontré le député européen Franck Proust, lors de mon dernier déplacement à Bruxelles, mais j'ai aussi rencontré le député Poisson. Je rencontre aussi bien les députés de l'opposition que ceux de la majorité.

Pour déterminer qu'un accord est mixte, le Conseil doit se prononcer de manière unanime. Sur les positions de la France dans la négociation, il n'y a aucune posture. Vous pouvez relire les déclarations que j'ai faites tout au long de l'année dernière : rien n'a varié, dans la construction de la stratégie, dans les critères posés, dans les exigences, formulées, avec force et précision par le Président de la République. Et si j'ai été le seul membre d'un gouvernement à envisager la fin des négociations, je l'ai fait en plein accord avec les plus hautes autorités de l'exécutif, et la position française ne connaît aucune inflexion.

Madame Dagoma, je n'ai pas de réponse toute faite à propos de l'implication des parlements nationaux. Je suis cependant convaincu que c'est un sujet d'avenir. L'enjeu démocratique est fondamental, mais il y va aussi de la capacité de l'Union à être une puissance économique mondiale et à négocier. Soyons très clairs : si le but de tel ou tel est purement et simplement de priver l'Union de sa capacité à conclure des accords nationaux, elle s'en trouvera évidemment affaiblie dans l'économie mondiale. Il est donc indispensable de réussir à conjuguer contrôle démocratique et crédibilité de l'Union sur la scène internationale.

De manière générale, je suis personnellement favorable à ce que le Parlement donne des mandats de négociation aux membres du Gouvernement à la veille des Conseils européens. Aujourd'hui, la Constitution ne prévoit pas cette possibilité, mais je suis heureux d'être devant vous avant le prochain Conseil, où je pourrai relayer vos propos. De même, une association du Parlement européen et des parlements nationaux dans le suivi de tout le déroulement des négociations me paraît indispensable ; ce n'est pas non plus possible aujourd'hui, travaillons-y donc. L'idée que le Parlement ne se prononce qu'au terme des négociations me semble complètement surannée et, au bout du compte, préjudiciable. On peut toujours se faire plaisir en disant « non » à la fin, mais ce n'est pas la meilleure manière de défendre les intérêts à long terme de notre pays. Pour que le Parlement joue un rôle pilote, il doit être associé tout au long des négociations et pouvoir écarter au fur et à mesure ce qui doit l'être pour parvenir finalement à un bon accord. Je travaillerai très volontiers avec vous, madame Dagoma, sur cette question.

Monsieur Myard, je suis d'accord avec vous, et cela fait partie de nos critères : un accord passé avec les États-Unis au niveau national, qui serait contesté au niveau des États fédérés et devant la Cour suprême des États-Unis, n'aurait aucun intérêt. Or, en l'état, ce serait le cas. Le Canada, lui, a permis l'ouverture des marchés, y compris au niveau des provinces et des collectivités locales, qui ont d'ailleurs participé aux négociations et sont liées par l'accord. Cette méthode me paraît vraiment la bonne.

En ce qui concerne la cour commerciale, nous avons veillé à ce que l'ensemble des propositions soient conformes à la Convention de New York. L'exequatur ne serait pas nécessaire et les décisions de la cour s'appliqueraient automatiquement. De même, il est très important d'interdire les conflits d'intérêts, d'éviter la remise en cause des politiques publiques, du droit des États à réguler et de la transparence des procédures. J'ignore quelles seront les intentions des États-Unis, même si leur tradition juridique peut donner à penser que de telles cours supranationales ne suscitent pas leur enthousiasme.

Monsieur Prat, mon cabinet vous a reçu avec des acteurs économiques de votre circonscription pour faire le point sur la question chinoise. Je vous confirme la position française, précise et ferme : nous devons pouvoir lutter contre le dumping et disposer d'instruments de défense commerciale, face à la Chine, grand partenaire économique, comme face aux autres pays.

Merci, monsieur Loncle, pour votre approbation ; j'y suis très sensible. La question des nombreux lobbys est centrale. Cependant, les responsables des diverses branches de notre économie sont aujourd'hui largement d'accord pour considérer que l'accord ne va pas dans le sens de nos intérêts. Poursuivant l'action de Mme Bricq, j'ai reçu les différentes fédérations professionnelles au quai d'Orsay, de manière on ne peut plus officielle, pour que chacun s'exprime. Seule la transparence permet de défendre les intérêts économiques de notre pays sans être à la solde des lobbys. Grâce à l'open data, à l'accès des parlementaires à l'information, le pouvoir revient à la représentation nationale et aux citoyens.

J'ai pris soin de travailler en permanence avec nos partenaires allemands. J'ai ainsi fait de nombreuses déclarations communes avec le vice-chancelier Sigmar Gabriel ou avec mon homologue, Matthias Machnig, placé auprès de Sigmar Gabriel, notamment il y a quelques jours, à la veille de la venue du président Obama à Hanovre. Notre position en sera d'autant plus forte. Incontestablement, des débats traversent la grande coalition et les positions respectives de la chancelière et du vice-chancelier ne sont pas identiques, mais je travaille avec le gouvernement allemand. Jusqu'à présent, aucun désaccord ne s'est fait jour sur des sujets fondamentaux. Puissions-nous continuer à oeuvrer dans cet état d'esprit !

Monsieur Martin-Lalande, le numérique fait évidemment partie des négociations. Nous sommes attentifs tant aux enjeux défensifs qu'aux enjeux offensifs. Certes, la question des données personnelles n'est pas traitée en tant que telle, mais… tant mieux ! Ce genre de sujet ne doit pas être abordé directement dans un accord commercial. Nous sommes très attachés à la défense des données personnelles, au Privacy Shield et aux différentes protections qui peuvent exister, mais c'est dans le cadre d'accords impliquant des autorités judiciaires, notamment la Chancellerie, que ces questions doivent être négociées. Des négociations commerciales ne doivent pas remettre en question des intérêts majeurs en cette matière. Je suis disponible, si vous le souhaitez, pour des échanges plus précis avec vous.

Monsieur Vauzelle, le Président de la République s'est rendu dans plusieurs pays du Mercosur au mois de mars. Lors de chaque entretien, il a rappelé à la fois l'attachement de principe de notre pays à des négociations avec cette région – c'est très important, y compris pour nos PME et nos services – et notre sensibilité agricole, qu'il faut respecter. Nous considérons que la Commission a commis des erreurs tactiques en sortant trop tôt des offres tarifaires trop élevées sur toute une série de sujets agricoles ; je l'ai dit en public comme en privé, et Stéphane Le Foll et moi-même avons écrit à ce propos à la commissaire au commerce et au commissaire responsable de l'agriculture. Nous avons bon espoir que la Commission tienne compte des demandes françaises concernant un certain nombre de secteurs, dans l'échange d'offres qui intervient aujourd'hui. Je vous en dirai plus lorsque la demande sera officiellement envoyée, mais nous sommes très vigilants. J'insiste par ailleurs sur un problème de fond : nous négocions sur la base de mandats très anciens, qui datent de 1999. La situation des pays du Mercosur, les habitudes de consommation, là-bas comme ici, étaient différentes. Il conviendrait que nous nous interrogions sur la prorogation automatique de ces mandats.

Madame Guittet, les municipalités, les collectivités sont nombreuses à avoir adopté des voeux « Stop TAFTA ». Cette mobilisation est importante. Je me suis déjà rendu dans des conseils municipaux « zone de débat TAFTA » ou « hors TAFTA ». Les services publics sont clairement exclus du mandat de négociation. C'est écrit noir sur blanc, et je ne suis pas inquiet. De même, l'achat local demeurera possible.

Je ne partage absolument pas l'idée selon laquelle le CETA serait le cheval de Troie du TAFTA. Sur bien des sujets, le CETA est un anti-TAFTA ! Par ailleurs, l'accord comporte des clauses précises selon lesquelles une entreprise américaine ne peut bénéficier des stipulations du traité que si elle a une vraie activité au Canada. Une simple boîte aux lettres canadienne ne lui permettra pas de s'attaquer à l'Europe.

La fin des négociations est envisagée par la France comme de plus en plus probable. Nous verrons comment évoluent les négociations au cours des prochains mois, et nous en tirerons les conséquences si les critères réaffirmés par le Président de la République ne sont pas respectés.

Pourquoi l'opacité, monsieur Piron ? Il y a un côté « vieille méthode »… L'opacité des négociations douanières n'était encore pas très grave : le lien se faisait avec les secteurs concernés, l'information circulait, et tout le monde s'y retrouvait à peu près. Dans la négociation d'accords de nouvelle génération, qui comporteront des règles, des normes, ce n'est plus possible. L'opacité s'explique aussi par des intérêts bureaucratiques : ceux qui ont l'information ont le pouvoir. Nombreux sont donc ceux qui n'ont pas envie que l'information circule, y compris auprès des parlementaires français. Il est d'autant plus important que vous ayez accès à tout, que les citoyens aient accès à tout !

Il est également très important de revivifier les négociations à l'OMC et d'y traiter des nouveaux sujets – le numérique, l'environnement, le lien entre droit commercial, droit de l'environnement et droit du travail. Nous y travaillons, et le directeur général de l'OMC a aussi envie d'avancer, mais c'est d'autant plus compliqué que certains pays émergents ont des positions très dures ; cela explique l'essoufflement de Nairobi. La diplomatie française doit sans relâche appeler à la revitalisation du multilatéralisme.

Je ne sais quelle sera la position des États-Unis sur l'arbitrage.

Quant aux positions des différents pays sur la lutte contre le dumping, je vous ferai un rapport précis à l'issue du Conseil de vendredi, où ce sujet sera abordé. Nous essayons d'avancer avec beaucoup de partenaires européens, dont l'Allemagne. Il faut convaincre, et être très fermes. Je pourrai vous en dire plus lorsque chacun se sera exprimé.

Quant à la campagne américaine, les candidats sont extrêmement réservés sur les sujets commerciaux, notamment parce qu'une part importante des classes populaires et des classes moyennes voit que toute une série de promesses n'ont pas été tenues et que la désindustrialisation a fait beaucoup de ravages aux États-Unis comme en Europe. Les responsables politiques doivent donc donner à l'économie mondiale des règles validées par les citoyens.

Nous sommes d'accord, madame Bonneton, sur les études d'impact. Nous demandons d'ailleurs régulièrement des études complémentaires. Nous jugeons aussi nécessaires un débat économique contradictoire et une évaluation ex post des accords déjà entrés en vigueur – afin que l'on sache quelles promesses ont été tenues.

Je pense avoir été clair en ce qui concerne l'application provisoire. Prévue par les textes européens, elle pose de nombreuses questions. La France considère qu'elle ne saurait concerner que les stipulations du niveau communautaire, à la suite d'un vote favorable du Parlement européen. L'association des parlements et le contrôle démocratique sont, à long terme, la seule voie envisageable.

Quant à la noix de Grenoble, la France a demandé la reconnaissance de cette indication géographique aux États-Unis. Je ne doute pas que la nouvelle pourra rencontrer un écho important dans votre circonscription.

Monsieur Cochet, je suis parfaitement d'accord avec ce que vous avez dit sur le dollar. L'euro doit donc devenir une monnaie de référence internationale, plus encore qu'il ne l'est aujourd'hui. La question concerne de nombreux pays, notamment l'Iran. J'en avais parlé en réponse à une question posée par M. Myard à la suite d'un déplacement dans ce pays où les banques françaises ne sont pas présentes par crainte de représailles. Se pose aussi la question de l'application extraterritoriale du droit américain. Il faut bâtir des règles communes sur ces sujets et les appliquer ensemble. C'est un enjeu majeur du droit international. Il y va de la souveraineté nationale et européenne. Nous y sommes très attentifs. La COFACE est active dans de nombreux pays, pour apporter des garanties, mais la question des financements est absolument cruciale, notamment compte tenu de la concurrence chinoise, d'une efficacité redoutable. Nous y travaillons, et nous sommes aussi en lien avec l'Office of foreign assets control, les autorités américaines, pour déterminer quelles règles s'appliquent et les sanctions éventuellement encourues – cela concerne de nombreux pays. Devoir demander à des autorités étrangères ce que nos établissements financiers peuvent faire ou non n'est pas idéal, mais nous voulons les protéger ; il faut donc des lignes directrices extrêmement précises. À terme, la seule solution réside dans l'adoption de règles internationales. Le combat sera long, mais il est extrêmement important. Et il ne suffit pas de dire non pour que cela marche.

Monsieur Pueyo, la cour commerciale publique internationale est une proposition française, défendue avec l'Allemagne. Mme la commissaire Malmström, totalement impliquée, n'a pas repris l'intégralité de la position française, mais a formulé une proposition européenne. C'est donc l'Union qui mène ce combat. Ne critiquons pas toujours la Commission européenne ; quand cela se passe bien, sachons le reconnaître. Saluons de même les engagements pris par la commissaire en matière de transparence.

Depuis l'élection de M. Trudeau, le Canada a repris notre proposition. Il est le premier pays à le faire. Nous considérons aussi que le CETA est un bon accord pour notre agriculture. Le degré élevé de reconnaissance de nos indications géographiques est une victoire diplomatique très importante.

Plusieurs faits expliquent la floraison des traités, monsieur Guibal : tout d'abord, la mondialisation ; ensuite, l'essoufflement du multilatéralisme et son remplacement par des négociations bilatérales ; parfois, un manque de priorisation stratégique des négociations à mener. J'ai demandé à la Commission européenne, qui travaille d'ailleurs sur la question, une approche plus stratégique des différentes négociations, tant sur le plan géographique que sur le plan sectoriel. Aucun secteur ne doit, à force de négociations, se trouver soumis à une juxtaposition de quotas. Tel était aussi le sens du rapport sur la stratégie du commerce extérieur que je vous ai présenté. Le politique doit reprendre la main, les priorités doivent être clairement établies. Il me semble que Mme Malmström partage cet état d'esprit.

Merci, monsieur Hamon, pour vos mots aimables. En l'état du TAFTA, si l'accord n'était pas conclu, cela ne créerait pas de problèmes pour l'économie européenne. Il est regrettable que nous ne puissions pas avancer ensemble avec nos partenaires et amis américains sur beaucoup de sujets, mais, sans réciprocité, un arrêt des négociations n'aurait pas d'impact significatif et ne porterait préjudice ni à l'économie française ni à l'économie européenne. Il ne suffit pas de négocier ni de conclure une négociation ; c'est le contenu des accords qui compte. C'est simple : n'en signons pas de mauvais ! Disons-le clairement : l'intérêt de la France et de l'Europe n'est pas, en l'état, de signer ce traité.

Mme Chabanne, sur les marchés publics, il n'y a pas d'avancée côté américain. Or l'accès aux marchés de niveau subfédéral est un enjeu clé. Quant aux services publics, ils ne seront pas remis en cause.

Madame Karamanli, le grand débat public est indispensable. La mise en place d'un comité de suivi stratégique au Quai d'Orsay procède du même souci de transparence. Nous avons obtenu la publicité du mandat pour le TTIP en 2014 et pour le TiSA au mois de mars 2015. Des précédents sont donc créés, qui doivent s'appliquer à tous les sujets. Et, sans m'inviter partout, je serai moi-même heureux de venir sur le terrain, dès que mon agenda le permettra.

Madame la présidente Élisabeth Guigou, c'est le Conseil qui décide du caractère d'un accord, mixte ou non, aux différents niveaux : représentants permanents, membres de gouvernement, chefs d'État ou de gouvernement. La décision est prise à l'unanimité. Nous attendons, en l'occurrence, la proposition de la Commission européenne.

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