Nous nous interrogeons encore sur cette augmentation à laquelle vous faites référence. Au départ, comme Mme Soulas l'a indiqué, des familles pouvaient être réticentes à appeler un numéro vert clairement identifié comme une plateforme du ministère de l'intérieur puisqu'elle est installée dans les locaux de l'UCLAT à Levallois-Perret. Lors de la création de la plateforme, beaucoup de gens ont d'ailleurs expliqué que ce lien était gênant, que les parents n'appelleraient pas pour signaler la radicalisation de leur enfant pour ne pas avoir l'impression de le dénoncer. D'un autre côté, peut-on mener une politique publique en camouflant l'origine de ceux qui répondent aux appels, qui sont des réservistes de la police nationale dotés d'une bonne expérience de l'écoute et de l'analyse de ce genre de conversation ? Pour notre part, nous avons considéré de manière quasi unanime qu'il fallait dire clairement qui sont ceux qui répondent aux appels, sans donner leur nom et leur adresse bien entendu.
Il y a un an, la diffusion du numéro vert était encore balbutiante. Nombre de communes, de commissariats, de brigades de gendarmerie et de services sociaux n'avaient pas vraiment affiché l'information dans leurs locaux. En janvier 2015, après les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Casher, il y a eu une très forte augmentation du nombre des appels. Une petite hausse a été ensuite constatée en novembre et décembre, puis le nombre d'appels s'est stabilisé. Le numéro est mieux diffusé et les réticences qu'il suscite sont moins importantes qu'au départ, d'autant que l'on s'évertue à expliquer, que ce soit dans des émissions de télévision et de radio ou dans des articles de presse, que l'appel ne déclenche pas une surveillance policière systématique. L'information est transmise aux préfets qui peuvent la répercuter auprès des commissariats ou des services sociaux.
L'effort de diffusion le plus important doit être fait auprès de ceux qui, à l'instar des parents, peuvent signaler : l'éducation nationale, les services sociaux, les associations d'éducation populaire, les clubs de sport. Un enseignant ou un animateur peut remarquer un début de déraillement. Les attentats ont permis de faire tomber certaines réticences à signaler. Certains professionnels nous avaient opposé le secret professionnel, arguant qu'ils ne pouvaient rien dire même s'ils avaient connaissance d'un drame imminent, pour ne pas perdre la confiance du jeune concerné. Actuellement, ce type de raisonnement semble totalement inopérant aux yeux de directeurs des services de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ou de responsables d'associations qui s'occupent de jeunes. Ceux-là nous disent qu'il faut absolument qu'ils aient l'occasion de signaler. À cet égard, le numéro vert est rassurant : on téléphone à des gens qui vont écouter et orienter en fonction de l'état de radicalisation et de danger, évalué sur la base d'un questionnaire, et non pas à un commissaire de police ou à un juge.
L'augmentation du nombre de personnes radicalisées et surveillées est liée à tout cela et aussi à un effet de mode : les jeunes sont attirés par cette organisation dont tous les médias disent du mal. Je me souviens d'un commissaire de police qui faisait des campagnes de prévention de la toxicomanie dans les lycées. Une fois qu'il avait fini d'exposer la dangerosité de ces produits, des jeunes lui disaient qu'ils avaient envie de les essayer ! Ce phénomène de contre-culture est assez banal chez les jeunes.
Venons-en aux coopérations européennes. Nous avons tendance à nous auto-flageller et à dire que l'Europe est beaucoup plus avancée que nous. Honnêtement, ce n'est pas mon impression. Certes, il existe depuis longtemps un réseau anglophone auquel nous participons encore modestement : le RAN (Radicalisation Awareness Network). Ce réseau est organisé en une dizaine de groupes de travail – sur la psychologie, les leaders communautaires, les questions sociales, etc. – dans lesquels s'échangent les expériences. Ces groupes sont désormais rattachés au CIPD du préfet N'Gahane, et la sous-préfète Malika Benlarbi est chargée de faire avancer, au sein des administrations françaises, cette question de coopération européenne. Bien sûr, il existe aussi une coopération interministérielle : les ministres de l'intérieur se déplacent et se réunissent à Bruxelles sous l'égide de Gilles de Kerchove, le coordinateur de la lutte antiterroriste. Nous avons des choses à apprendre des autres, en particulier des Danois qui ont mis en place des programmes à la danoise, et des Anglais qui travaillent beaucoup avec les collectivités locales et les associations musulmanes.
Enfin, un premier centre « de réinsertion et de citoyenneté » ouvrira en septembre dans une petite commune d'Indre-et-Loire, où des locaux sont en cours de rénovation. Le Premier ministre l'a annoncé le 9 mai dernier, lors d'une conférence de presse sur la nouvelle étape du plan contre la radicalisation. Une équipe issue de la PJJ procède actuellement à la sélection d'une trentaine de jeunes – considérés comme peu dangereux mais néanmoins très enfermés dans cette idéologie – qui seront envoyés dans ce centre. Le directeur de cette structure, que nous avons rencontré la semaine dernière, n'est autre que le directeur adjoint de la PJJ de Paris, c'est-à-dire une personne qui a de l'expérience. En Europe, beaucoup de gens nous ont demandé à venir visiter ce centre. Je signale d'ailleurs que nos amis tunisiens ou marocains nous interrogent aussi beaucoup sur ce que nous faisons dans ce domaine.