Intervention de Alain Bocquet

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 9h30
Encadrement des rémunérations dans les entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Bocquet :

La possibilité de rendre obligatoire le respect par les conseils d’administration du vote des assemblées générales d’actionnaires sur la rémunération des hauts dirigeants est une autre avancée à souligner.

La modification introduite en 2013 par le code de bonne conduite de l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, et du MEDEF avait consisté à opter pour un vote consultatif, hardiment présenté à l’époque comme une évolution majeure. Il n’aura pas fallu trois ans au patronat du CAC 40 pour le faire voler en éclats. En atteste le coup de force du conseil d’administration de Renault et de son PDG, Carlos Ghosn, dont les rémunérations cumulées dépassent, toute honte bue, la barre annuelle des quinze millions d’euros. Soit dit en passant, ce même PDG était déjà dans l’oeil du cyclone en février 2012, quand le cabinet Proxinvest dénonçait le cas Renault où « l’État n’est pas responsable dans son rôle d’administrateur, puisque Carlos Ghosn a encore pu toucher près de dix millions d’euros en 2010. »

Que de temps perdu depuis pour un législateur tenu à l’écart de ces enjeux ! Dans le discours qu’il avait prononcé en 2008 à Toulon, le Président de la République d’alors avait annoncé la refondation du capitalisme « sur une éthique. » « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, ajoutait-il, c’est fini. Le laisser-aller, c’est fini ». Pourtant, ça continue !

Les députés du Front de gauche déposent aujourd’hui cette proposition de loi parce que ces situations indécentes imposent – et c’est l’exigence des Français – d’éradiquer le mal. Nos concitoyens veulent des actes, car la France a plus que tardé à contrôler les salaires des hauts dirigeants. De 2004 à 2011, les Pays-Bas, la Norvège, les États-Unis, l’Allemagne, la Suisse, d’autres encore ont fait évoluer leurs réglementations, tandis qu’en France, les salaires du haut patronat continuent de faire l’objet d’une contestation fondée.

La rémunération globale de 77 % des patrons du CAC 40 a bondi de plus de 40 % entre 2006 et 2007. En 2008, une étude du cabinet Hay Group faisait des patrons français des champions d’Europe en matière de rémunérations. En 2014, alors que le patron du MEDEF, Pierre Gattaz, déclare vouloir limiter les revalorisations de salaires à 1 %, la presse révèle que sa propre rémunération en tant que PDG de Radiall a augmenté de 29 % entre 2012 et 2013. En 2015, une enquête appelle à « visualiser l’indécence » : trois cents millions d’euros par an de salaires pour quelques PDG, soit l’équivalent de 206 000 emplois payés au SMIC et plus que le budget d’une ville comme Grenoble ! En 2016 enfin, Carlos Tavares, président du directoire de PSA Peugeot Citroën, ose revendiquer, avec un incroyable cynisme, le statut d’un joueur de football professionnel ou d’un pilote de Formule 1 ! Sa rémunération, passée de 2,75 millions en 2014 à 5,24 millions en 2015, couronne une gestion illustrée par des gains féroces de productivité, des gels de salaires, des pertes de RTT et 17 000 suppressions d’emplois.

On pourrait en dire autant de Renault, supprimant 8 260 emplois et faisant progresser de 6% le temps de travail depuis 2013, ou de Sanofi, dont la presse rappelle que le nouveau dirigeant a bénéficié « d’un bonus de bienvenue de 4 millions sur deux ans, sa rémunération fixe et variable n’atteignant que 4,4 millions, complétés par un pactole de 12,7 millions sous forme d’option de souscription d’actions et d’actions de performance. » Pendant ce temps, soulignent les syndicats, « on a trois plans de restructuration en cours, qui vont se traduire par un minimum de 650 suppressions d’emplois, et on craint que ça atteigne plutôt le millier ! »

On le sait, on le voit : hauts salaires patronaux et liquidations d’emplois vont du même pas. Tous ces scandales et ces gâchis sociaux suscitent l’écoeurement de l’opinion et les glissements vers l’abstention ou le vote extrême. Mais dans une France devenue un pays de bas salaires, où le SMIC ne dépasse plus que d’une centaine d’euros le seuil de pauvreté, ils nourrissent aussi, et c’est salutaire, l’action du mouvement social contre l’insuffisance criante des salaires et contre des écarts de rémunération devenus des gouffres.

Le phénomène des travailleurs pauvres s’amplifie. L’évolution de la législation sociale et du droit du travail s’inscrit systématiquement dans le sens d’une précarisation qui constitue le statut promis à la majorité des jeunes arrivant sur le marché du travail. Le rejet par sept Français sur dix et la contestation massive de votre projet de loi « Travail » devraient d’ailleurs conduire à une décision de bon sens : son retrait !

Un tel contexte ne fait que rendre plus dommageables encore les rendez-vous manqués ces dernières années avec l’histoire sociale de notre pays. Je pense par exemple au renoncement du Gouvernement à concrétiser l’engagement pris en 2013 par Jean-Marc Ayrault. Celui-ci, alors Premier ministre, annonçait, après la mesure positive de plafonnement des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques, que vous avez rappelé, monsieur le ministre, « un projet de loi pour que ces mesures s’appliquent aussi aux dirigeants des grandes entreprises privées ».

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