La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
La parole est à M. Gaby Charroux, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, les inégalités de revenus sont devenues dans notre pays un problème politique aussi bien qu’un problème social. La stagnation du niveau de vie des salariés depuis plusieurs années va de pair avec une hausse continue des rémunérations les plus élevées, comme si les dirigeants des grandes entreprises et certains salariés qui se voient attribuer des bonus ne vivaient plus dans la même société que leurs compatriotes.
Déjà au Ve siècle avant notre ère, Platon estimait que « le législateur doit établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté » et proposait un rapport de un à quatre.
Nul doute qu’il serait aujourd’hui membre du groupe de la Gauche démocrate et républicaine !
Sourires.
De même qu’il lui revient d’exiger la fixation d’un salaire minimum afin de garantir que les travailleurs puissent vivre dignement, le législateur doit encadrer les écarts de rémunération entre les membres d’une même communauté de travail. Il ne s’agit nullement de plafonner les rémunérations ou de porter atteinte au droit de l’entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise : il s’agit de s’assurer que les bénéfices de l’entreprise, et donc du travail de tous, sont répartis selon une échelle qui ne soit pas indécente.
Longtemps, les dirigeants ont eu conscience de cet écart et ont modéré leurs prétentions mais l’évolution récente des pratiques nous oblige aujourd’hui à réagir. Une échelle des rémunérations de l’ordre de un à vingt existait il n’y a pas si longtemps mais, en France, les dirigeants des entreprises du CAC 40 ont perçu l’année dernière en moyenne 4,2 millions d’euros, soit l’équivalent de deux cent trente-huit fois le SMIC annuel !
Preuve que ce problème éthique est désormais un problème politique, mais aussi un motif d’inquiétude économique pour les investisseurs, ceux-ci commencent à se préoccuper de cette inflation du montant des rémunérations des dirigeants. Rien, et surtout pas les prétendues performances de certains managers, ne justifie ces écarts. Le principe du Say on Pay, selon lequel les actionnaires se prononcent sur les rémunérations des mandataires sociaux des entreprises, les encourage à s’interroger sur l’intérêt économique de ces rémunérations. Le 3 mai dernier, le fonds souverain norvégien décidait d’édicter des principes concernant le niveau des rémunérations.
Face à ce constat, les mesures destinées à encadrer les écarts de rémunérations en fixant un plafond pour les entreprises du secteur public ou en faisant appel à l’autorégulation, ont montré leurs limites. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à mettre fin aux écarts indécents de rémunération au sein de chaque entreprise.
L’augmentation des inégalités de revenus en France constitue aujourd’hui un problème politique aussi bien que social tant elles ont progressé au cours des dernières années. Selon un rapport de l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques – publié le 13 novembre 2015, la situation de la France en matière d’inégalités ne cesse de s’aggraver. Proches de la moyenne de l’OCDE entre 2007 et 2011, les inégalités y ont depuis augmenté plus nettement que dans les autres pays. Par ailleurs, les inégalités de patrimoine renforcent les inégalités de revenus.
La crise et l’essor des « emplois non standards », c’est-à-dire des contrats temporaires, du temps partiel et du travail indépendant, ont totalement redessiné le marché du travail. Le rapport indique qu’un tiers de la population disposant d’un emploi en France était dans l’une de ces situations en 2013.
Les économistes de l’INSEE rappellent toutefois que tous les Français ne sont pas logés à la même enseigne. Les catégories socioprofessionnelles les plus élevées, dont les salaires augmentent plus rapidement que ceux des travailleurs les plus pauvres depuis la crise, en profiteront davantage.
Parallèlement, les rémunérations des dirigeants d’entreprise ont connu une progression bien supérieure, pour atteindre aujourd’hui des niveaux indécents. Dans son rapport sur la rémunération des dirigeants de sociétés cotées, publié en septembre 2015, le cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest souligne que « la rémunération totale moyenne des présidents exécutifs du CAC 40 repasse la barre des 4 millions d’euros pour atteindre 4,2 millions en 2014, soit une hausse de 6 % ».
Alors que ces dirigeants mettent en avant les performances de leurs entreprises pour justifier ces montants, il apparaît que la part liée à la performance économique reste limitée, 40 % des présidents exécutifs n’ayant pas de rémunération à long terme. J’observe que les trois plus hautes rémunérations parmi les plus grandes entreprises françaises ont été attribuées sans que les indicateurs mesurant la performance de leurs dirigeants aient été particulièrement bien définis.
Économiquement mais également socialement et écologiquement, rien ne justifie que ces dirigeants soient payés l’équivalent de six cents à huit cent soixante fois le montant du SMIC annuel.
Comme l’on exposé les économistes que nous avons auditionnés, les rémunérations des dirigeants sont aujourd’hui véritablement des « biens positionnels », destinés à permettre à ces dirigeants de se situer et de se classer les uns par rapport aux autres, en laissant croire que leur valeur et leur compétence sont caractérisées par une rémunération supérieure à celle de leurs homologues. Les rémunérations ne sont plus la contrepartie d’un travail ou d’une compétence.
L’encadrement des rémunérations présente des vertus économiques incontestables, notamment en termes de soutien à la consommation. La crise des subprimes est aussi le fruit de la richesse excessive des riches, en quête de rendements élevés pour leur énorme épargne disponible, et de la pauvreté de millions de ménages, qui a facilité la mise au point de produits financiers à très haut risque.
Les citoyens sont d’ailleurs très favorables à une limitation des écarts de revenus et les jugements des Français sur ce que doivent être des salaires « justes » ne sont pas loin de la norme définie par Platon il y a vingt-cinq siècles.
Je souhaite maintenant démontrer que les mesures destinées à encadrer les écarts de rémunération ont atteint leurs limites.
Le plafonnement des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques ou aidées par l’État n’est pas suffisant. Les États-Unis n’ont pas hésité à plafonner les rémunérations dans les entreprises sauvées par l’État fédéral. Ainsi, l’administration Obama a imposé, à partir de 2009, un maximum de rémunération globale de 500 000 dollars, soit 384 000 euros, aux patrons et aux équipes de direction des établissements renfloués par l’État fédéral, c’est-à-dire en premier lieu des banques et des constructeurs automobiles.
Par ailleurs, un principe de comparaison des rémunérations a été établi afin de tenter de dissuader les conseils d’administration d’avaliser des montants établis en dehors de tout réfèrent. Ainsi, à partir de 2017, les sommes accordées aux patrons des 3 800 plus grosses entreprises américaines cotées devront être publiées et mises en regard avec le salaire médian de leurs salariés.
Plus près de nous, en 2013, le peuple suisse a adopté par référendum le principe d’un vote de l’assemblée générale sur les rémunérations des dirigeants et l’interdiction des indemnités de départ et des primes d’entrée ou de ventes d’entreprise.
De son côté, la France a mis en place un encadrement des rémunérations des dirigeants applicable aux entreprises publiques. Mettant en oeuvre un engagement du Président de la République d’imposer aux dirigeants des entreprises publiques « un écart maximal de rémunérations de un à vingt », le Conseil des ministres a approuvé, le 26 juillet 2012, un décret plafonnant les rémunérations des dirigeants des entreprises publiques à 450 000 euros.
Dans le secteur privé, le recours à l’autorégulation a échoué.
L’engagement des représentants du patronat reposait essentiellement sur la mise en place du principe inspiré du droit des sociétés anglo-saxonnes du Say on Pay. Il consiste à demander aux actionnaires réunis lors de leur assemblée générale de se prononcer par un vote, à caractère le plus souvent purement consultatif, sur le mécanisme de rémunération des dirigeants de leur entreprise.
Le code de commerce prévoit que, si l’assemblée générale d’une société anonyme vote le montant global des jetons de présence que le conseil d’administration répartit entre ses membres, la rémunération des mandataires sociaux est déterminée librement par le conseil d’administration.
En 2016, ces dispositions ont été volontairement appliquées par la plupart des grandes entreprises françaises pour la deuxième fois. Force est de constater que cela n’a pas eu pour conséquence de limiter le montant des rémunérations proposées aux actionnaires par le conseil d’administration.
Dans le cas récent de la rémunération du président-directeur général de Renault, ce système consultatif a montré ses limites : le 29 avril dernier, quelques heures après le vote de l’assemblée générale rejetant, à 54,12 % des suffrages, les éléments de rémunération dus à M. Carlos Ghosn, le conseil d’administration de Renault a approuvé « le maintien de la rémunération décidée pour le président-directeur général pour l’année 2015 ».
Devant cette attitude, pourtant conforme à la lettre du code de bonne conduite adopté par l’Association française des entreprises privées et le Mouvement des entreprises de France, ou code AFEP-MEDEF, le président du Medef s’est simplement dit « un peu choqué ».
Dans le cadre de l’examen du présent texte, j’ai organisé il y a dix jours trois tables rondes, l’une avec les organisations syndicales représentatives – FO, la CFCT, la CFDT et la CFE-CGC –, une autre avec des économistes et des spécialistes de la gouvernance d’entreprise, dont M. Gaël Giraud et Mme Cécile Renouard, coauteurs de l’ouvrage Le Facteur 12, pourquoi il faut plafonner les revenus et la dernière avec les représentants du patronat, à savoir le MEDEF et le Haut comité chargé de l’application du code AFEP-MEDEF.
Je constate qu’en quelques jours, les positions du patronat et celles du Gouvernement ont évolué sur ce sujet. Le patronat a proposé de revoir les règles du code, mais de manière uniquement cosmétique. Le journal Libération a lancé une pétition appelant à plafonner les rémunérations et le Président de la République et le Gouvernement se sont déclarés prêts à légiférer. À mon avis la perspective de la discussion du présent texte n’y est pas étrangère.
Il est aujourd’hui nécessaire et juste de recourir à la loi, à une norme impérative s’appliquant à tous, car l’augmentation des rémunérations des dirigeants en 2015 montre bien que les promesses et les codes de bonne conduite ne sauraient à eux seuls constituer une réponse utile à ce problème de société que sont les écarts de rémunération. Cela justifie une proposition de loi ayant pour objet de mettre fin aux écarts indécents de rémunération au sein de chaque entreprise. C’est pourquoi le texte qui vous est présenté prévoit un dispositif simple d’encadrement des rémunérations au sein de l’entreprise.
Le présent texte entend apporter trois améliorations à la situation actuelle. La commission des affaires sociales a supprimé le premier et adopté les deux autres.
L’article 1er proposait d’inscrire les écarts de rémunération au sein d’une même entreprise dans un rapport allant de un à vingt. Cet écart maximal reprend celui retenu il y a plus d’un siècle par le milliardaire John Pierpont Morgan Senior, fondateur de la banque du même nom et qui n’était pas vraiment un poète. Il avait pourtant pour règle de ne pas prêter d’argent à une société dont le dirigeant était payé plus de vingt fois le salaire de ses ouvriers.
Cela correspondrait tout de même en France à un maximum de 351 989 euros bruts annuels.
Ce mécanisme ne constitue cependant pas un plafonnement des rémunérations : le cas échéant, il permettrait à l’entreprise d’augmenter le salaire annuel le moins élevé pour rendre légale une rémunération maximale qui se retrouverait au-delà du plafond fixé, notamment du fait des modalités de calcul des éléments variables. Ainsi, lorsque la bonne santé et les performances de l’entreprise justifieraient le versement de bonus aux personnes les mieux payées, cette proposition de loi permettrait aux salariés de voir leur salaire augmenter à due concurrence, garantissant ainsi une meilleure répartition des richesses produites dans l’entreprise au profit du travail et donc, indirectement, de notre système de protection sociale.
Lors de l’examen du texte, la majorité de la commission a rejeté le principe de cet encadrement. Bien entendu, je le regrette et c’est pourquoi j’ai déposé un amendement le rétablissant.
Plusieurs orateurs ont également évoqué en commission les « risques constitutionnels » de cet encadrement. Je considère pour ma part qu’un tel encadrement ne s’oppose à aucun principe constitutionnel, et surtout pas à la liberté d’entreprendre, principe dégagé de l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 par le Conseil constitutionnel en 1981, ce que confirment d’éminents constitutionnalistes, à la tête desquels M. Dominique Rousseau.
En rétablissant une échelle de proportionnalité des rémunérations au sein de cette communauté de vie et de travail, sans limiter de manière fixe et autoritaire leur montant maximal, la présente proposition de loi apporte une solution adaptée et proportionnée à un réel problème d’inégalité portant atteinte à la cohésion sociale.
Je termine, monsieur le président.
Par ailleurs, afin de limiter les risques de connivences entre dirigeants d’entreprise, notamment dans la détermination de leurs rémunérations, l’article 2 limite à deux, au lieu de cinq actuellement, le nombre de postes d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance de société anonyme pouvant être exercé par une même personne physique.
Enfin, en adoptant l’un de mes amendements, la commission des affaires sociales a posé à l’article 3 le principe du caractère contraignant du vote de l’assemblée générale des actionnaires sur les rémunérations des dirigeants des entreprises, comme cela existe au Royaume-Uni et en Suisse. Cela permettrait aux actionnaires de refuser les rémunérations indécentes et ne satisfaisant pas des critères de réussite. Je me réjouis que le groupe SRC ait déposé, dans le cadre de l’examen en commission du projet de loi Sapin 2, un amendement reprenant intégralement ce dispositif.
Mesdames et messieurs, un consensus se construit quant à la nécessité de légiférer pour garantir notre cohésion sociale et limiter les écarts de rémunération. On ne peut se satisfaire des engagements peu contraignants du MEDEF, qui n’est pas légitime pour édicter et appliquer à lui-même ses propres règles en dehors de tout contrôle citoyen ou démocratique. Comme le remarque Françoise Deceunier-Defossez, « les recommandations du rapport de l’AFEP-MEDEF semblent avoir été acceptées, pourtant je doute que leurs principes soient conformes aux règles démocratiques et aux aspirations de Montesquieu. »
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens à saluer le sérieux du travail accompli par l’auteur et rapporteur de la proposition de loi, qui a su en outre s’entourer de nombreux avis, sur un sujet légitime mais délicat à mettre en oeuvre.
Comme vous le savez, le Gouvernement partage pleinement l’objectif de modération de la rémunération des grands dirigeants. Celles qu’ils s’octroient aujourd’hui nous choquent, à juste titre, comme elles choquent l’ensemble des Français.
De telles inégalités salariales entre les dirigeants des entreprises et leurs employés risquent par ailleurs de porter atteinte à la qualité du dialogue social au sein de ces entreprises et à leur cohésion. Comment comprendre que la rémunération de certains dirigeants puisse doubler en un an quand des efforts significatifs continuent d’être demandés à leurs employés, parfois après trois années de gel des salaires ?
Le Gouvernement a agi dès juillet 2012, en limitant par décret la rémunération brute des dirigeants d’entreprises publiques à 450 000 euros, plafonnant ainsi à vingt-cinq fois le SMIC le salaire le plus élevé. Nous l’avons fait parce que nous en avions le pouvoir puisque l’État est majoritaire dans ces entreprises.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est doté d’une doctrine extrêmement claire, et que nous appliquons scrupuleusement, en matière de rémunération dans les entreprises dont il est actionnaire, en demandant à leurs dirigeants de baisser leur rémunération de 30 %, d’abandonner leur retraite chapeau et de revoir leurs indemnités de départ à la baisse.
Nous avons d’ailleurs toujours voté contre des propositions qui contreviendraient à ces dispositions.
Nous avons par ailleurs, grâce au soutien de l’Assemblée, augmenté la fiscalité des stock options et des retraites chapeaux.
S’agissant de la gouvernance des entreprises privées, le Gouvernement a fait le choix de responsabiliser le patronat. Ce dernier s’est ainsi doté en 2013, à la demande du Gouvernement, d’un code de bonne conduite dit code AFEP-MEDEF.
L’expérience prouve que cela ne suffit pas.
Que penser en effet du cas de Renault, que vous avez abondamment évoqué, monsieur le rapporteur, et à juste titre ? En l’espèce, l’État actionnaire et les actionnaires tiers ont rejeté la rémunération de Carlos Ghosn sans que leur vote soit le moins du monde pris en compte par le conseil d’administration.
À la suite de ce vote, le Gouvernement a, la semaine dernière, donné une nouvelle chance d’adapter ce code de bonne conduite de façon à contrer des décisions de cette nature. Force est de constater que les propositions sont tout à fait insuffisantes puisqu’elles laissent au conseil d’administration le dernier mot en matière de rémunération. Il est donc nécessaire de passer à une autre étape. Pour le dire simplement, il faut légiférer.
Votre proposition est de ce point de vue bienvenue.
La démarche que nous privilégions est celle qui a été retenue par la commission lors de l’examen du texte. Plafonner les rémunérations au sens strict du terme serait probablement inconstitutionnel – je crois avoir compris que c’était une de vos préoccupations juridiques –, même si dans ce domaine il n’y a de certitudes qu’a posteriori.
Certes, et vous avez dû remarquer combien c’est facile !
Sourires.
Nous n’y parvenons pas même quand nous partageons l’analyse d’une partie de la droite et qu’il s’agit d’évidence de l’intérêt général, tant celle-ci craint de faire un cadeau au Gouvernement ! S’engager dans cette voie, monsieur Bocquet, serait donc courir le risque de vous faire attendre trop longtemps, y compris à votre goût.
Les principes constitutionnels s’imposent à nous par définition. Même si on peut trouver cela désagréable, il ne saurait en être autrement dans une nation gouvernée par le droit.
Il ne faut donc pas porter atteinte à la liberté d’entreprendre, pas plus qu’à la liberté contractuelle. C’est pourquoi nous ne ferons pas le choix pour les entreprises privées d’un mécanisme de plafonnement pur et simple, comme celui que nous avons retenu pour les entreprises publiques.
En revanche, donner au vote des actionnaires un caractère réellement contraignant en matière de politique de rémunération des dirigeants me paraît être la bonne voie. Le code de bonne conduite de l’AFEP et du MEDEF ne les autorise en effet qu’à s’exprimer à travers un vote purement consultatif. Le Gouvernement, en tant qu’actionnaire, est bien conscient des limites de ces dispositions. Un vote réellement contraignant des actionnaires permettra d’éviter que ne se reproduise ce qui s’est passé dans le cas de Renault, à savoir qu’un conseil d’administration passe outre l’avis de ses actionnaires.
Renforcer le poids des actionnaires dans la fixation des rémunérations est d’ailleurs la philosophie retenue au niveau européen, où une directive relative aux droits des actionnaires est en discussion. Le débat n’est donc pas propre à notre pays : il est largement partagé. Vous connaissez mon attachement à une concertation étroite avec nos voisins. Celle-ci est particulièrement appropriée sur ce sujet, puisque les entreprises que nous visons sont souvent des sociétés multinationales, qui raisonnent à l’échelle européenne, sinon mondiale.
Par ailleurs, la transparence en matière de rémunération des dirigeants, tant vis-à-vis des actionnaires que de nos concitoyens, doit être accrue. Les entreprises doivent publier les écarts de rémunération entre leurs employés, d’une part parce que les salariés sont en droit de les connaître, d’autre part parce que la modération salariale doit d’abord concerner les salaires les plus élevés. C’est un point auquel je suis très attaché.
Tel est le sens des amendements que le Gouvernement présentera en séance le 6 juin prochain, lors de l’examen du projet de loi sur la transparence, en s’appuyant sur l’amendement du rapporteur Sébastien Denaja, qui a été adopté par la commission des lois.
Nous nous appuierons également, monsieur le rapporteur Gaby Charroux, sur le travail effectué en commission sur votre proposition de loi, qui procède de la même logique.
Le Gouvernement continue donc de travailler, son objectif étant d’aboutir à l’adoption d’un dispositif clair, pleinement opérationnel et véritablement efficace, en bonne articulation avec les autres dispositifs existant déjà pour certains éléments de rémunération, comme les indemnités exceptionnelles.
Un deuxième volet de la proposition de loi porte sur le nombre maximal des mandats d’administrateurs qu’une personne physique peut exercer. Le texte propose de les limiter à deux plutôt qu’à cinq pour toutes les sociétés anonymes dont le siège social est situé en France.
Cette question, vous le savez, a été abordée dans le cadre des débats parlementaires de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Le Gouvernement partage l’objectif de limitation du nombre des mandats. Cette loi abaisse d’ailleurs la limite de cinq à trois mandats, mesure qui ne sera pas applicable avant l’été 2016. Il serait de bonne méthode d’attendre que cette disposition soit entrée en application afin que nous puissions analyser ses conséquences avant d’aller plus loin.
J’ajoute à cet argument de bon sens une considération plus concrète pour vous inviter à aller moins loin que ne le propose M. Charroux. Dans notre pays, les entreprises de taille intermédiaire, ou ETI, qui nous manquent tant, se constituent souvent par rapprochement progressif de PME. Dans de tels cas, il est courant qu’un dirigeant exerce plus de trois mandats. Ne pas toucher à ces situations, tel est le sens de la limitation introduite dans la loi activité car ce que nous visons – je pense que nous nous retrouvons sur ce point –, c’est la consanguinité dans les conseils des grandes entreprises.
Le Gouvernement ne souhaitant pas remettre en question l’équilibre actuel, alors que les effets des modifications récentes que je viens de décrire ne peuvent pas encore être mesurés, je soutiendrai une proposition de suppression de l’article 2 de la proposition de loi.
Voilà, mesdames et messieurs les parlementaires, la position du Gouvernement sur ces sujets, sur lesquels nous partageons, je crois, la conviction qu’il faut avancer.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises, que nous examinons aujourd’hui, interpelle au premier chef nos concitoyens, dont nous sommes les représentants. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à des rémunérations qui atteignent des montants injustifiés, injustifiables, au point de choquer nos concitoyens.
Je citerai à titre d’exemple un secteur que nous sommes nombreux à connaître : celui des firmes pharmaceutiques. Ce secteur bénéficie du soutien de l’État au travers du crédit d’impôt recherche, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, du pacte de responsabilité et de solidarité, notamment les entreprises de façonnage, où les salaires sont plus bas que dans la recherche. Enfin, il est solvabilisé par l’assurance maladie et les mutuelles.
Eh bien ! un PDG de ce secteur, nommé en 2008, a été accueilli à son arrivée par un golden hello de 2,2 millions d’euros et 65 000 actions gratuites. Il avait été nommé, alors qu’il bénéficiait d’un parachute doré, pour supprimer huit cents salariés et restructurer le groupe. Il est quand même incroyable qu’on alloue des sommes faramineuses à quelqu’un qui n’a au bout du compte réussi qu’à supprimer des emplois !
Le ministre l’a rappelé : depuis quatre ans qu’elle est au pouvoir, la gauche s’est attaquée aux rémunérations dites indécentes dans les entreprises du secteur public, dont elle a plafonné la rémunération annuelle des dirigeants à 450 000 euros bruts.
Le renforcement du code de gouvernance au sein des entreprises privées à la suite d’un accord entre l’AFEP et le MEDEF laisse dubitatif. Ce qu’on appelle le Say on Pay est une forme d’autorégulation dont on constate les limites.
La France a néanmoins obtenu des avancées au niveau européen. Les bonus ne peuvent plus excéder les salaires annuels fixes dans le secteur bancaire. La loi de 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires a fait de la France un pays précurseur puisque nous avons transposé par anticipation la directive, affirmant ainsi que seule l’assemblée générale, par une majorité renforcée, peut décider de porter la part variable à deux fois la part fixe.
La proposition de loi de M. Charroux a fait l’objet d’un travail approfondi de la commission des affaires sociales, qui a supprimé l’article 1er, bien que nous partagions les objectifs du texte. Plusieurs raisons nous ont amenés à voter la suppression de cet article.
En premier lieu, l’article risquait de porter atteinte, le ministre l’a dit, au principe de la liberté d’entreprendre. Le Conseil constitutionnel exige que la limitation de ce principe ne soit pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. En second lieu, une telle mesure n’aurait pu s’appliquer aux contrats conclus antérieurement à la loi. En troisième lieu, ne l’oublions pas, elle pourrait conduire à une expatriation des fonctions de direction, les tâches d’exécution demeurant seules en France.
Comme je l’ai dit précédemment, il existe aussi un risque de contournement via l’attribution aux dirigeants nouvellement nommé de parachutes d’accueil, ou golden hello, exorbitants, au cas où les autres formes de rémunération seraient régulées.
Cette proposition de loi a permis l’émergence de ce débat, et je vous en remercie, monsieur Charroux, ainsi que votre groupe. En tant que présidente de la commission, je pense cependant qu’elle aurait dû satisfaire au principe posée par l’article L.1 du code du travail, qui nous engage à associer les partenaires sociaux. Certes, cet article ne concerne que les projets de loi, mais le sujet me semble suffisamment important pour justifier une concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux, notamment les syndicats de salariés, qui se font aujourd’hui entendre comme c’est leur droit. Sur un tel sujet, il aurait été opportun que les patrons, bien sûr, mais aussi les salariés puissent faire entendre leur voix.
Au moment où s’ouvre le débat en séance, je veux espérer que nous serons à même de trouver des solutions pérennes afin de lutter contre ces excès qui, je le répète, choquent nos concitoyens et les représentants que nous sommes. Si la proposition de loi n’arrivait pas à son terme, je souhaite que nous puissions poursuivre ce travail, au sein de la commission, avec vous tous, et notamment avec vous, monsieur Charroux.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le ministre, chers collègues, notre collègue et ami Gaby Charroux a rappelé les objectifs du texte déposé par les députés communistes et du Front de gauche en faveur de l’encadrement des rémunérations du patronat des grandes entreprises.
La commission des affaires sociales a retenu notre proposition de ramener de cinq à deux le nombre des mandats d’administrateur ouverts à un même dirigeant. C’est positif. On bouscule ainsi les situations de cumul des mandats, de jackpot des jetons de présence, et cet entre-soi qui préside à la composition des conseils d’administration des grands groupes.
Cette juste avancée gagnerait à s’accompagner de la création et de l’inscription dans la loi de droits nouveaux ouverts aux salariés d’intervention dans l’organisation du travail et dans les choix de gestion et de production.
La possibilité de rendre obligatoire le respect par les conseils d’administration du vote des assemblées générales d’actionnaires sur la rémunération des hauts dirigeants est une autre avancée à souligner.
La modification introduite en 2013 par le code de bonne conduite de l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, et du MEDEF avait consisté à opter pour un vote consultatif, hardiment présenté à l’époque comme une évolution majeure. Il n’aura pas fallu trois ans au patronat du CAC 40 pour le faire voler en éclats. En atteste le coup de force du conseil d’administration de Renault et de son PDG, Carlos Ghosn, dont les rémunérations cumulées dépassent, toute honte bue, la barre annuelle des quinze millions d’euros. Soit dit en passant, ce même PDG était déjà dans l’oeil du cyclone en février 2012, quand le cabinet Proxinvest dénonçait le cas Renault où « l’État n’est pas responsable dans son rôle d’administrateur, puisque Carlos Ghosn a encore pu toucher près de dix millions d’euros en 2010. »
Que de temps perdu depuis pour un législateur tenu à l’écart de ces enjeux ! Dans le discours qu’il avait prononcé en 2008 à Toulon, le Président de la République d’alors avait annoncé la refondation du capitalisme « sur une éthique. » « L’autorégulation pour régler tous les problèmes, ajoutait-il, c’est fini. Le laisser-aller, c’est fini ». Pourtant, ça continue !
Les députés du Front de gauche déposent aujourd’hui cette proposition de loi parce que ces situations indécentes imposent – et c’est l’exigence des Français – d’éradiquer le mal. Nos concitoyens veulent des actes, car la France a plus que tardé à contrôler les salaires des hauts dirigeants. De 2004 à 2011, les Pays-Bas, la Norvège, les États-Unis, l’Allemagne, la Suisse, d’autres encore ont fait évoluer leurs réglementations, tandis qu’en France, les salaires du haut patronat continuent de faire l’objet d’une contestation fondée.
La rémunération globale de 77 % des patrons du CAC 40 a bondi de plus de 40 % entre 2006 et 2007. En 2008, une étude du cabinet Hay Group faisait des patrons français des champions d’Europe en matière de rémunérations. En 2014, alors que le patron du MEDEF, Pierre Gattaz, déclare vouloir limiter les revalorisations de salaires à 1 %, la presse révèle que sa propre rémunération en tant que PDG de Radiall a augmenté de 29 % entre 2012 et 2013. En 2015, une enquête appelle à « visualiser l’indécence » : trois cents millions d’euros par an de salaires pour quelques PDG, soit l’équivalent de 206 000 emplois payés au SMIC et plus que le budget d’une ville comme Grenoble ! En 2016 enfin, Carlos Tavares, président du directoire de PSA Peugeot Citroën, ose revendiquer, avec un incroyable cynisme, le statut d’un joueur de football professionnel ou d’un pilote de Formule 1 ! Sa rémunération, passée de 2,75 millions en 2014 à 5,24 millions en 2015, couronne une gestion illustrée par des gains féroces de productivité, des gels de salaires, des pertes de RTT et 17 000 suppressions d’emplois.
On pourrait en dire autant de Renault, supprimant 8 260 emplois et faisant progresser de 6% le temps de travail depuis 2013, ou de Sanofi, dont la presse rappelle que le nouveau dirigeant a bénéficié « d’un bonus de bienvenue de 4 millions sur deux ans, sa rémunération fixe et variable n’atteignant que 4,4 millions, complétés par un pactole de 12,7 millions sous forme d’option de souscription d’actions et d’actions de performance. » Pendant ce temps, soulignent les syndicats, « on a trois plans de restructuration en cours, qui vont se traduire par un minimum de 650 suppressions d’emplois, et on craint que ça atteigne plutôt le millier ! »
On le sait, on le voit : hauts salaires patronaux et liquidations d’emplois vont du même pas. Tous ces scandales et ces gâchis sociaux suscitent l’écoeurement de l’opinion et les glissements vers l’abstention ou le vote extrême. Mais dans une France devenue un pays de bas salaires, où le SMIC ne dépasse plus que d’une centaine d’euros le seuil de pauvreté, ils nourrissent aussi, et c’est salutaire, l’action du mouvement social contre l’insuffisance criante des salaires et contre des écarts de rémunération devenus des gouffres.
Le phénomène des travailleurs pauvres s’amplifie. L’évolution de la législation sociale et du droit du travail s’inscrit systématiquement dans le sens d’une précarisation qui constitue le statut promis à la majorité des jeunes arrivant sur le marché du travail. Le rejet par sept Français sur dix et la contestation massive de votre projet de loi « Travail » devraient d’ailleurs conduire à une décision de bon sens : son retrait !
Un tel contexte ne fait que rendre plus dommageables encore les rendez-vous manqués ces dernières années avec l’histoire sociale de notre pays. Je pense par exemple au renoncement du Gouvernement à concrétiser l’engagement pris en 2013 par Jean-Marc Ayrault. Celui-ci, alors Premier ministre, annonçait, après la mesure positive de plafonnement des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques, que vous avez rappelé, monsieur le ministre, « un projet de loi pour que ces mesures s’appliquent aussi aux dirigeants des grandes entreprises privées ».
Mes chers collègues, les dispositions que nous proposons vont dans le sens d’une régulation de situations insupportables de mépris en matière de rémunération des hauts dirigeants et de gestion des grandes entreprises cotées. Elles constituent d’utiles avancées. Elles nécessiteraient d’aller plus loin en retenant le principe d’un rapport de 1 à 20 dans l’encadrement des rémunérations au sein d’une même entreprise. Cela ne mettrait pas ces dirigeants sur la paille ni ne les conduirait à la soupe populaire puisqu’ils gagneraient encore 352 000 euros par an. À titre de comparaison, un chirurgien, un professeur de médecine, un commandant de bord, qui ont la charge de vies humaines, gagnent de 140 000 à 150 000 euros par an, et un ministre, qui n’est pas non plus sans responsabilités, de 130 000 à 140 000 euros. Il est donc temps de regarder les choses comme elles sont et de prendre des décisions fermes.
Nos propositions remettent en cause une organisation entrepreneuriale et un système qui permettent ces dérives et les financent, tout en pressurant les salariés. La société française est confrontée aux questions de la gestion de ses grands groupes, de la responsabilité sociale de l’entreprise et de la redistribution de la richesse créée par le travail.
L’écart de rémunération était de 1 à 20 aux États-Unis dans les années 1960 ; il est désormais de 1 à 370 ; il a été multiplié par vingt en cinquante ans. Le même glissement vertigineux s’est opéré en France. La finance folle rend fous certains de ses dirigeants. Il est d’ailleurs fort probable que plusieurs d’entre eux bénéficient de comptes offshore et je vous demande d’aller y voir de plus près, monsieur le ministre – je donnerai prochainement quelques exemples. Il est grand temps de mettre un terme à ce « pognonisme » ambiant !
Le Pape François a eu des paroles fortes à propos de ces dérives. « L’ambition sans retenue de l’argent qui commande. Voilà le fumier du diable. Le service du bien commun est relégué à l’arrière-plan […]
Quand l’avidité pour l’argent oriente tout le système socio-économique, cela ruine la société, condamne l’homme, le transforme en esclave, détruit la fraternité entre les hommes […] L’avenir de l’humanité n’est pas uniquement entre les mains des grands dirigeants et des élites. Il est fondamentalement dans les mains des peuples. »
La loi donne aux législateurs que nous sommes la capacité et la responsabilité devant l’opinion de créer des avancées favorables aux salariés, en remédiant au gaspillage des richesses et en rappelant la part de l’entreprise dans un progrès de la société française bénéficiant à tous. C’est tout le sens de la proposition de loi que nous allons voter.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la question de la rémunération des dirigeants d’entreprise est d’une grande actualité, en raison d’un nouveau scandale qui a éclaté à la fin du mois d’avril. Nous avons alors appris que le patron du groupe Renault allait voir sa rémunération, ou devrais-je dire plutôt ses rémunérations, passer de 2,67 millions à 7,22 millions d’euros. Une augmentation choquante, qui témoigne du fossé abyssal qui sépare les rémunérations des ménages français de celles des grands patrons, le tout sur fond de crise économique et financière.
Je me félicite donc que nous abordions aujourd’hui ce sujet majeur qui suscite l’émoi de nos concitoyens. Et pour cause : le patron le moins bien payé du CAC 40 perçoit 1,32 million d’euros par an, ce qui représente tout de même 76 SMIC !
Soulignons d’ailleurs que ces dérives choquantes n’ont rien de spécifiquement français. En termes d’écarts de rémunérations, notre pays est dans la moyenne des nations occidentales : les États-Unis, le Canada ou l’Allemagne sont beaucoup plus inégalitaires que la France.
De fait, la prise de conscience du problème posé par l’écart grandissant des rémunérations des dirigeants et des salariés revêt une véritable dimension internationale. Avec plus ou moins de succès, et dans le cadre de réformes plus ou moins ambitieuses, plusieurs pays, depuis une décennie environ, ont légiféré, ou tenté de le faire, dans le but de réduire les écarts de salaires au sein d’une même entreprise. Tel a été notamment le cas en Allemagne, en Italie, ou encore en Belgique.
C’est dans ce contexte que nous examinons la proposition de loi présentée par notre collègue Gaby Charroux, qui nous propose de légiférer pour répondre aux dérives en matière de rémunération des dirigeants de société et apporter une solution pérenne à ce problème de plus en plus pressant qu’est l’inflation inconsidérée de la rémunération des dirigeants.
Avant de revenir plus précisément sur les dispositions proposées par notre collègue, je voudrais rappeler les importants progrès introduits par notre majorité depuis 2012.
Nous avons plafonné dès 2012 les revenus des dirigeants d’entreprises publiques ; nous avons obtenu le renforcement du code de gouvernance des sociétés cotées élaboré par l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, et le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF ; nous avons obtenu, au niveau européen, que les bonus ne puissent plus excéder les salaires annuels fixes dans le secteur bancaire et nous avons encadré le système des retraites chapeaux des mandataires sociaux. Bien loin des déclarations d’intention de la droite, notre majorité n’est pas restée les bras croisés et agit pour un juste encadrement des rémunérations. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des finances – hier après-midi encore, lors des questions d’actualité – ont d’ailleurs rappelé la nécessité de légiférer sur cette question.
Je voudrais maintenant revenir sur les dispositions du texte soumis aujourd’hui à notre discussion.
L’article 1er, qui visait à plafonner les écarts de rémunérations, a été supprimé en commission des affaires sociales. Comme je sais que M. le rapporteur nous présentera des amendements visant à réintroduire cet article, je voudrais rappeler les raisons qui ont conduit à sa suppression.
Tout d’abord, cet article comportait un risque important d’atteinte au principe de la liberté d’entreprendre, qui permet à chacun d’exercer l’activité qu’il souhaite, ainsi qu’au principe de liberté contractuelle. En effet, tant aux termes de la Constitution que de la jurisprudence constitutionnelle, la liberté ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre, ainsi qu’à la liberté contractuelle. Le législateur ne peut donc qu’y apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Or, imposer un écart maximum entre les rémunérations les plus hautes et les plus basses dans une entreprise conduirait à méconnaître la liberté de l’employeur, comme celle du salarié, d’exercer librement leur activité. La réduction des inégalités, comme seul motif d’intérêt général invoqué, ne semble pas suffisante au regard du contrôle de proportionnalité de l’atteinte aux droits précités exercé par le juge constitutionnel.
Par ailleurs, cet article 1er ne s’appliquerait qu’aux contrats conclus postérieurement à la loi, en vertu du droit constitutionnel au maintien de l’économie des conventions légalement conclues.
L’article 2 prévoit de limiter à deux, au lieu de cinq actuellement, le nombre de conseils d’administration dans lesquels une personne peut siéger, pour lutter contre la consanguinité des conseils d’administration et des conseils de surveillance. La loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques avait déjà abaissé à cinq, contre huit auparavant, le nombre maximal de mandats d’administrateur et de membre du conseil de surveillance qu’une personne physique peut exercer. Dans son rapport de 2008 sur les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marché, adopté à l’unanimité, notre collègue de l’opposition Philippe Houillon proposait déjà de limiter plus fortement le cumul des mandats sociaux. Cet article 2 va dans le sens de nos travaux et des préconisations formulées par nos commissions.
L’article 3, issu de nos travaux en commission, prévoit l’approbation par l’assemblée générale des rémunérations et des indemnisations des mandataires sociaux des sociétés anonymes. L’exemple récent de Renault que j’évoquais au début de mon intervention a montré les limites du vote simplement consultatif des actionnaires et atteste la nécessité de légiférer en la matière.
Mes chers collègues, le choix opéré en 2012 avait été celui de la responsabilisation des entreprises. Force est de constater qu’il n’a pas été concluant. Les rémunérations excessives perdurent et les tentatives de moralisation n’ont eu qu’un succès relatif. Après le temps du patronat est venu celui du Parlement. C’est pourquoi le groupe socialiste, écologiste et républicain votera cette proposition de loi telle qu’amendée en commission des affaires sociales.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe aujourd’hui donne-t-il matière à légiférer ? Telle est l’une des principales questions qu’avec mon collègue Guillaume Larrivé, ici présent, nous nous posons, et que nous avons posées en commission au sujet de la proposition de M. Charroux.
Certes, nous légiférons trop et sur tout, mais le sujet dont nous sommes saisis aujourd’hui mérite toute notre attention. De fait, si la majorité des dirigeants d’entreprise ne font pas parler d’eux, les dernières années ont toutefois été émaillées de quelques scandales qui ont défrayé la chronique. Je pense en particulier – cela a été dit – à l’épisode Carlos Ghosn : le maintien de la rémunération de M. Ghosn, d’un montant de 7,2 millions d’euros en 2015 au titre de son activité chez Renault, a en grande partie inspiré cette proposition de loi.
Depuis ces révélations, nous nous sommes tous exprimés pour dénoncer l’indécence de tels salaires perçus par les patrons. Nous avons exprimé ce point de vue en commission des affaires sociales. Mais la question sous-jacente à cette actualité est celle de l’inégalité qui ne cesse de se creuser, au sein des entreprises, entre les personnes percevant les salaires les plus élevés et celles touchant les salaires les plus faibles. Cela renvoie à l’entente entre les grands patrons et leur conseil d’administration quant au montant de la rémunération de ceux-ci. Monsieur Charroux, vous ne vous êtes pas trompé en qualifiant cette entente de pratique de la « barbichette ».
Est-ce pour autant à la loi de dire ce qui est moral, juste et décent en matière économique et dans le domaine privé ? C’est, je crois, l’un des préjugés les plus populaires de notre époque. On ne veut pas seulement que la loi soit juste, mais aussi qu’elle soit philanthropique. Mais la force de la loi ne peut pas être philanthropique !
Votre proposition de loi ne prend pas en compte la notion de performance. Limiter, contraindre, plafonner une rémunération rend-il une entreprise plus performante, plus à même de recruter ?
Est également absente de ce texte la notion de mérite d’un homme ou d’une femme responsable d’un nombre parfois très important de salariés, ce mérite qui explique un salaire conséquent, à la mesure des responsabilités assumées.
C’est pourquoi les membres du groupe Les Républicains se réjouissent de la suppression de l’article 1er en commission. Cet article entendait instituer un écart d’un à vingt entre la rémunération la plus élevée et la rémunération la plus faible. Pourquoi pas un à vingt et un ? Ou un à dix-neuf ? Et d’ici quelque temps, d’autres trouveront que cet écart est encore trop grand et proposeront de le réduire à nouveau. Il est évident que le législateur ne pouvait en rien imposer cette échelle d’un à vingt sans créer de nouvelles iniquités, sans renforcer la concurrence internationale des salaires des grands dirigeants et précipiter la fuite des cerveaux que subit déjà notre pays.
L’article 2, qui a pour objet de réduire de cinq à deux le nombre maximal de conseils d’administration ou de surveillance dans lesquels une même personne peut siéger, nous interroge aussi. Dans ce domaine comme dans celui des salaires, nous pensons que l’autorégulation n’a pas démérité.
Premièrement, le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées établi par l’Association française des entreprises privées et le MEDEF est plus exigeant que la loi en vigueur.
Il autorise les administrateurs à exercer, au plus, quatre autres mandats dans les sociétés cotées extérieures au groupe, y compris étrangères. La loi, elle, en permet au maximum cinq et ne prend en compte que les mandats exercés dans des sociétés françaises. J’ajoute que ce code demande aux dirigeants de n’exercer, au plus, que deux autres mandats d’administrateur dans des sociétés cotées extérieures à leur groupe, y compris étrangères.
Ce qu’il faut relever, c’est que les choses se régulent elles-mêmes. En 2014, 43,2 % des dirigeants des sociétés du CAC n’exerçaient pas de mandat à l’extérieur du groupe dans des sociétés cotées et aucun n’en exerçait plus de trois. S’il existe, en effet, un entre-soi, que la professionnalisation et la féminisation contribuent déjà à faire reculer, la loi n’est pas, pour autant, une réponse adéquate.
Il convient de relever les apports des travaux de la commission, qui ont étendu aux sociétés anonymes dotées d’un conseil de surveillance les mesures relatives au nombre de mandats pouvant être exercés par une même personne physique, et qui ont accordé un délai d’un an aux personnes concernées pour se mettre en conformité avec la loi.
En prétendant lutter contre des arrangements dont nous ne nions pas l’existence, une telle loi peut aussi avoir des effets pervers. Nous verrons sans doute la fin de ces petits arrangements coûteux et une baisse effective des rémunérations, mais nous risquons de priver les entreprises de personnes compétentes, qui siègent dans plusieurs conseils précisément parce qu’elles ont acquis une expérience opérationnelle en tant que dirigeant ?
À la suite de l’épisode Carlos Ghosn, M. le rapporteur a proposé d’introduire un article 3 rendant contraignants les votes des assemblées générales sur la rémunération des dirigeants. En la matière nous partageons le point de vue de M. Macron, selon lequel « la loi n’est pas la bonne méthode, c’est au monde économique de prouver qu’il est à la hauteur ».
Certes, cette solution est pratiquée par quelques pays européens très largement minoritaires : le Royaume-Uni, depuis 2012, et la Suisse. Dans le reste du monde, cette solution n’a pas été retenue : le patron de BMW a gagné 6,2 millions d’euros en 2015, celui d’Audi, 6,5 millions, celui de Mercedes, 8,4 millions, celui de Fiat-Chrysler, 10,9 millions de dollars et celui de General Motors, 16 millions de dollars et je pourrai vous en citer bien d’autres. Nous devons donc mettre en perspective le salaire de nos dirigeants les mieux payés avec celui des dirigeants d’entreprise d’autres pays, où le salaire minimum est largement plus faible que le nôtre, et donc l’écart plus grand.
En réponse à l’article 3, l’Association française des entreprises privées et le MEDEF proposent de rendre le vote des actionnaires, non pas contraignant mais impératif, afin de permettre aux conseils d’administration de formuler des contre-propositions.
Pour ce qui nous concerne, à travers nos amendements, nous proposons une voie médiane entre le vote contraignant et le vote impératif. Notre objectif est toujours de penser aux conséquences de nos décisions. Rendre exécutoire la décision de l’assemblée générale ordinaire à l’issue du vote contraignant oblige le dirigeant à quitter l’entreprise en cas de vote négatif. Ainsi cette loi produira l’effet tout à fait inverse à celui qu’elle recherche : elle paralysera les actionnaires qui souhaitent seulement dénoncer les émoluments d’un directeur général, sans toutefois souhaiter son départ. Deux choix s’offriront à eux : démettre le dirigeant en espérant en trouver un autre aussi bon, voire meilleur, pour un salaire plus faible, ou voter sa rémunération.
Si nous devons adopter cette proposition, laissons une part à la négociation plutôt que de figer la rémunération d’un dirigeant en prévoyant deux issues qui ne satisferont personne. Sous réserve de l’adoption de ces deux amendements, nous pourrions avoir un a priori favorable à l’article 3, car il rendrait la loi plus apte à prévenir les injustices.
Je le reconnais, il existe des dérives, des cas extrêmes qui poussent certains d’entre vous, en toute sincérité, à vouloir encadrer ces comportements. Je le dis haut et fort : je n’approuve ni les retraites chapeaux, ni les parachutes dorés, et je ne nie pas que la richesse et l’opulence, surtout quand elles sont très inégalement réparties, entraînent des excès. Mais quel message voulons-nous envoyer aux jeunes, à ceux qui veulent se lancer dans l’entreprise et qu’il faut encourager ?
Devenez votre propre patron, enrichissez-vous et nous veillerons à ce que vous ne dépassiez pas le seuil que nous jugeons décent : voilà qui est impensable ! Pour quelle vertu ? Je veux, après le rapporteur, évoquer Platon qui condamnait le commerce dans ses Lois. Pouvons-nous admettre de façon générale que la vertu soit le privilège de la misère et que tous les maux de notre terre soient l’apanage de l’aisance ? L’idée de rejeter la richesse est devenue une tradition tellement française qu’elle nous place devant cette alternative : soit rester éternellement misérable soit évoluer progressivement vers l’immoralité.
Alors, comment faire ? II faut que cette question, que tout le monde redoute, arrive à cette tribune. Il faut que nous déchargions le pays du poids que cette pensée fait peser sur lui.
Le groupe Les Républicains appelle à faire confiance aux acteurs, à croire en leur bon sens. Bien entendu, nous pouvons renforcer le pouvoir des actionnaires par la loi, et nous n’y sommes pas opposés. C’est d’ailleurs le sens de l’article 3, que nous soutenons avec les réserves que je viens d’émettre. Notre position finale dépendra donc du sort que vous réserverez ce matin à l’amendement que nous avons déposé.
En conclusion, je souhaite rappeler quelques enseignements d’Abraham Lincoln, toujours d’actualité bien qu’ils datent de 1860 : vous ne pouvez pas donner la force au faible en affaiblissant le fort. Vous ne pouvez pas aider le salarié en anéantissant l’employeur.
Vous ne pouvez pas encourager la fraternité humaine en encourageant la lutte des classes.
Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les très hauts salaires des chefs d’entreprise constituent, à raison, un sujet de débat récurrent.
Dans la période difficile que traverse notre pays qui, je le rappelle, compte 5,5 millions de demandeurs d’emploi, le creusement des inégalités et les écarts de revenus ne peuvent que nous poser question. En effet, comment ne pas être gêné lorsqu’un président-directeur général voit sa rémunération augmenter, tandis qu’on demande des efforts aux salariés, dont les salaires stagnent, et que les plans sociaux se multiplient ?
Malgré la crise qui frappe notre pays, la rémunération moyenne des dirigeants des sociétés françaises cotées a considérablement augmenté ces quinze dernières années. En outre, on observe une décorrélation entre la rémunération de certains dirigeants et la performance à moyen et à long termes de leur entreprise.
Ces excès en matière de rémunérations, qui sont dommageables tant pour les entreprises que pour la cohésion sociale, imposent de prendre des mesures afin de moraliser et d’encadrer les rémunérations des dirigeants d’entreprises. Nous devons cependant rester prudents face aux attentes en matière de régulation. Gardons-nous de succomber à la tentation de légiférer sous le coup de l’émotion, dénoncée trop souvent, et à juste titre, par le Conseil d’État.
En notre qualité de représentants de la nation, gardons-nous également d’alimenter un climat de défiance, voire de rejet, qui conduirait à jeter l’opprobre sur l’ensemble des dirigeants d’entreprises.
N’oublions pas qu’il arrive régulièrement qu’un chef de TPE ou de PME diminue son salaire, voire même ne se paie plus pour sauvegarder son entreprise et l’emploi de ses salariés.
Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants estime que ce n’est pas à l’État de fixer le niveau des salaires dans des entreprises privées.
Certes, l’État actionnaire a un rôle à jouer au sein de l’assemblée générale, mais son action ne doit pas se muer en une ingérence ; ce serait d’ailleurs contraire aux principes constitutionnels.
Nous estimons que le niveau de rémunération d’un dirigeant est du seul ressort du comité de rémunération du conseil d’administration et des actionnaires.
Une fois ce constat préalable établi, que faire ?
Mise en avant dans le code AFEP-MEDEF, la procédure du Say on Pay, qui vise à soumettre la rémunération des dirigeants au vote consultatif des actionnaires, a pu constituer une première réponse bienvenue. Malheureusement, force est de constater que l’autorégulation n’a pas résolu toutes les difficultés. Les exemples récents ont montré que la présence dans les grandes entreprises de comités de rémunération supposés apporter de l’objectivité à la fixation de la rémunération des dirigeants n’est pas suffisante.
Si nous sommes bien conscients des limites de l’autorégulation, la proposition de loi initiale de nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine nous semblait aller trop loin en limitant les écarts de rémunération dans l’entreprise de un à vingt. Les travaux en commission ont en outre permis de souligner les risques qu’aurait entraînés l’adoption d’une telle disposition, au premier rang desquels le risque d’externalisation des plus bas salaires au sein d’une entreprise.
Par ailleurs, les expériences étrangères nous apprennent qu’il n’est pas pertinent de réglementer les entreprises à l’excès et qu’il faut plutôt agir sur plusieurs niveaux, à la fois en imposant des règles générales et en développant de bonnes pratiques. Suivant cette démarche, nous estimons qu’il faut davantage encourager toutes les initiatives favorisant une plus grande transparence et la publicité des rémunérations.
Parce qu’il vise à rendre le vote des actionnaires non plus seulement consultatif mais décisionnel, le nouvel article 3 présente l’avantage de renforcer le rôle de l’assemblée générale et d’éviter à l’avenir la situation déplorable qu’a connu le groupe Renault voilà quelques semaines. Il n’est en effet plus supportable que les conseils d’administration puissent prendre des décisions contraires aux avis des assemblées générales d’actionnaires, lesquels sont les propriétaires de l’entreprise. Chacun ici a bien conscience que leur avis doit être respecté.
La limitation du cumul des mandats va dans le même sens que ce rééquilibrage des pouvoirs puisqu’il s’agit de mettre en place des outils qui permettront aux administrateurs de jouer pleinement leur rôle et de limiter la pratique des mandats croisés et l’entre-soi.
Avant de conclure, j’aimerais rappeler que le débat que nous avons ce matin n’est pas propre à la France : la question des très hautes rémunérations se pose dans tous les pays occidentaux. Le Royaume-Uni a ainsi instauré dès 2003 le vote consultatif des actionnaires sur les salaires des dirigeants. Faute de progrès substantiels, le gouvernement britannique a mis en place en 2012 un vote contraignant sur la politique de rémunération des entreprises. Le contrôle des actionnaires est d’ailleurs encore plus étendu puisqu’ils doivent approuver tous les trois ans les principes régissant les salaires, les modalités d’attribution des bonus, la définition des critères et la forme de leur versement.
Aux États-Unis, en août 2015, la Securities and Exchange Commission a voté un texte qui va également dans le même sens. Il s’agit, non pas de limiter les rémunérations, mais de les comparer, afin de tenter de dissuader les conseils d’administration d’avaliser n’importe quel montant en-dehors de tout référent. Ainsi, à partir de 2017, les sommes accordées aux patrons des plus grosses entreprises américaines cotées devront être publiées et appréciées au regard du salaire médian dans l’entreprise.
Les sources d’inspiration ne manquent pas et il est important que la France s’inscrive dans ce mouvement global qui vise à faire de l’éthique une priorité de l’entreprise. Ce sera tout le sens des amendements défendus par mon collègue Charles de Courson. S’ils n’étaient pas adoptés ce matin dans le cadre de la discussion de ce texte, j’espère que de nouvelles dispositions allant dans ce sens pourront être rapidement intégrées au projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
En conclusion, vous aurez compris que si nous sommes opposés à une loi qui plafonnerait les rémunérations, nous estimons en revanche que les actionnaires doivent rester libres de fixer le niveau de rémunération des dirigeants et souhaitons voir leur pouvoir de décision renforcé dans le cadre d’une démocratie économique.
Aussi, sous réserve du respect des travaux de la commission, la proposition de loi du groupe de la Gauche démocrate et républicaine recueillera un vote favorable de notre part.
Monsieur le président, monsieur le ministre, nous sommes saisis d’une proposition de loi visant à plafonner la rémunération des dirigeants d’entreprise et à limiter le nombre des mandats d’administrateur.
Tout d’abord, cette saisine est légitime, et même opportune, car il est vrai que la rémunération moyenne des dirigeants d’entreprises, en particulier de celles qui relèvent du CAC 40, qui est de 4,2 millions d’euros, peut être considéré comme astronomique.
Or, ces dirigeants sont rarement les propriétaires de l’entreprise.
Et celui qui prend le risque, c’est le propriétaire, et non pas le dirigeant.
Il faut le rappeler avec force.
Ces mandataires sociaux touchent pourtant des indemnités multiples et importantes : les indemnités pour prise de fonction ou golden hello, jusqu’à une date récente, les indemnités de départ, négociées avant même que le responsable de l’entreprise ne prenne ses fonctions, ou encore les stock options, toutes rémunérations versées sans aucune limitation. Qui plus est, ces avantages peuvent être négociés avec le dirigeant quels que soient les résultats de l’entreprise, y compris en l’absence de bénéfices. Cela paraît particulièrement impudent lorsque la mission qui est ainsi rémunérée consiste précisément à redresser l’entreprise en supprimant des milliers de postes.
Les dernières augmentations qui ont fait parler d’elles, en particulier dans le secteur automobile, relèvent et de l’impudence, et de la discrimination. Elles nous gênent en particulier au regard du droit des sociétés, puisque de telles décisions ont été prises en faisant passer l’assemblée générale au second plan par rapport au conseil d’administration.
Pourtant, et il faut vous rendre justice sur ce point, monsieur le ministre, le Gouvernement a tenté d’être exemplaire en la matière. Dans les entreprises publiques, tout d’abord, la rémunération des dirigeants a été limitée en 2012 à 450 000 euros, si mes souvenirs sont bons. Le Gouvernement s’est ensuite attaqué aux retraites chapeau et aux indemnités de départ, et a revu la fiscalité des stock options.
Il a également essayé d’être entendu par le MEDEF, qui a fait semblant d’écouter, mais le code de bonne conduite sur lequel ils se sont accordés a rapidement été enfreint. La décision du conseil d’administration de la société Renault, qui est un modèle d’entreprise capitaliste, nous rappelle que même là où l’État est présent, les dirigeants d’une entreprise décident selon leur bon vouloir, en particulier au sein du conseil d’administration, où ils s’appuient sur d’autres administrateurs pour trouver une majorité.
Le problème posé est toutefois complexe, car limiter la rémunération au sein des entreprises équivaut à coup sûr à s’attaquer au principe de la liberté d’entreprendre et à celui de la liberté contractuelle. La probabilité qu’une telle mesure soit censurée par le Conseil constitutionnel est donc encore plus élevée que pour la taxation des revenus à 75 %. On ne peut toutefois pas se contenter de ce constat.
C’est pourquoi l’approche que vous avez adoptée en reprenant le dossier me paraît intéressante, monsieur le ministre. Imposer simplement une limite par la fiscalité n’est pas une solution. Il convient plutôt de revoir le droit des sociétés, en particulier le rôle du conseil d’administration et de l’assemblée générale dans le processus de décision.
Ce qui s’est passé dans le cas de Renault, c’est que le conseil d’administration a refusé de suivre l’avis de l’assemblée générale. Pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise, il suffirait de redonner le pouvoir à l’assemblée générale, ce qui n’est pas inconstitutionnel, en imposant que celle-ci soit à nouveau saisie dès lors que le conseil d’administration prend une décision contraire à l’avis qu’elle a émis et ce jusqu’à ce qu’un accord intervienne entre le conseil d’administration et l’assemblée générale. Si la négociation doit bien avoir lieu entre le conseil d’administration et le dirigeant, ce que chacun comprend, elle ne doit toutefois pas échapper à l’encadrement de l’assemblée générale.
Nous sommes bien d’accord !
En cas de décision contraire à l’avis de l’assemblée générale, de nouvelles négociations entre le conseil d’administration et le dirigeant devront avoir lieu et la nouvelle saisine de l’assemblée générale devra avoir pour base les résultats de cette négociation. Si elle les refuse, le conseil d’administration sera à nouveau saisi.
Il me semble que c’est la seule solution. Elle est opportune. Son modus operandi respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel et s’inscrit dans le cadre de la législation européenne.
Telle quelle, la proposition de loi est un miroir aux alouettes puisqu’elle n’est pas susceptible d’être retenue. Nous n’obtiendrions pas satisfaction et serions à nouveau déboutés tant la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière est particulièrement sévère. Je propose donc de souscrire à la proposition du Gouvernement de traiter ce sujet dans le cadre du projet de loi Sapin 2. Vous laisserez ainsi une signature indélébile sur la rémunération des grands chefs d’entreprise, monsieur le ministre ! Ils vous haïront jusqu’à leur mort !
Rires sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mais au moins aurez-vous fait preuve de justice car seule cette solution réconcilie la justice et le droit.
Quant au nombre maximal de mandats détenus par les personnes physiques, il faut en la matière éviter la consanguinité. On revient de loin ! Il existait, en raison de la pression du secteur bancaire notamment, des administrateurs nommés pour être systématiquement d’accord. Il semble donc normal de limiter le nombre de mandats à trois, au moins à titre d’expérience.
Telles sont les raisons pour lesquelles, monsieur le président, mes chers collègues, j’estime que la proposition de loi dont nous sommes saisis est opportune et j’en félicite et remercie son inspirateur, mais il me semble nécessaire de trouver une solution qui ne risque pas d’être censurée par le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi je me rallie aux propositions de M. le ministre.
Quelle sagesse !
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre débat sur l’encadrement des rémunérations dans les entreprises est-il nécessaire ? Oui, parce que le marché libre et sans régulation produit des écarts de rémunérations économiquement et socialement injustifiables.
Nous allons donc ouvrir les discussions sur les modalités d’encadrement des rémunérations des dirigeants d’entreprise. Il existe certes un code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées élaboré par l’association française des entreprises privées, l’AFEP, et le mouvement des entreprises de France, le MEDEF. Ce code recommande pour les dirigeants la mesure en matière salariale, fondée sur un équilibre à déterminer entre l’intérêt général de l’entreprise, les pratiques du marché et les performances des dirigeants. Un tel dispositif d’autorégulation n’ayant jamais empêché les excès, il doit être complété.
Plusieurs auteurs et organismes ont montré le caractère improductif des inégalités. Citons le rapport du Fonds monétaire international publié en 2014 qui, constatant l’accentuation des inégalités, prône une politique budgétaire redistributive qui ne nuirait pas à la croissance, ou le rapport de l’OCDE publié en décembre 2014 montrant quant à lui les effets néfastes des inégalités sur l’activité économique. Les travaux de Camille Landais, tout récent lauréat du prix du meilleur jeune économiste, montrent qu’en France les inégalités ont recommencé à augmenter rapidement à la fin des années 1990. Parmi les causes de ce phénomène, il faut citer la forte hausse des rémunérations des PDG, des stars du sport et des arts et celle, moins visible, des rémunérations des salariés de l’industrie financière.
En revanche, aucune étude n’a réussi à prouver que la hausse des rémunérations a amélioré le rendement et la productivité des dirigeants. En effet, comment justifier une rémunération extravagante au nom de la compétence ou des performances personnelles alors qu’il est impossible de distinguer ce qui relève du patron en poste, de son prédécesseur, de son équipe dirigeante et de l’ensemble des salariés ? Surtout quand le patron divise par deux la valeur de l’action de son entreprise, comme ce fut le cas d’ un ex-patron de la grande distribution !
Comment justifier une rémunération extravagante au nom des risques pris et de la précarité de la fonction – Ernest-Antoine Seillière vantait déjà ces « risquophiles » – quand les patrons sont à même de fixer leur propre salaire par le jeu de participations croisées dans les conseils d’administration où siègent d’autres patrons ayant profité du système et quand les contre-pouvoirs au sein des entreprises sont toujours aussi limités ? D’ailleurs, depuis quelques années, les actionnaires n’hésitent plus à se manifester, en Amérique et en Europe, afin de réduire les prétentions des dirigeants de leur entreprise. Enfin, comment justifier une rémunération extravagante pour garder nos talents quand aucun transfert n’a jamais eu lieu entre entreprises du CAC 40 ni aucun débauchage par des entreprises étrangères pour des raisons strictement financières ?
C’est néanmoins du point de vue social et éthique que les rémunérations extravagantes sont les moins justifiables, alors qu’ un trop grand nombre de Français connaît encore des difficultés. Face à ces rémunérations astronomiques, il est utile de rappeler quelques repères. Selon l’observatoire des inégalités et l’institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, moins de 10 % des Français touchent 3 313 euros nets par mois. Je rappelle que le salaire médian en France est de 1 673 euros net.
C’est à la fin des années soixante-dix que le capitalisme a commencé à s’organiser autour des marchés financiers et que le compromis de la Libération en faveur d’un capitalisme démocratique inscrit dans le cadre d’un État-providence sans cesse perfectionné a commencé à être remis en cause. Il en est résulté à l’époque un rejet du système fiscal issu de 1945 ; il en résulte aujourd’hui l’absence d’encadrement des rémunérations. Contrairement à ce que veulent faire croire les orthodoxes de la pensée économique, la théorie du ruissellement est un mirage : la création incontrôlée de richesses ne bénéficie pas au plus grand nombre.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de remercier le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour. Il me semble en effet que nous sommes les mieux placés pour en débattre, nous qui représentons l’ensemble de notre nation et du peuple qui nous a élus.
Je ne me hasarderai pas à formuler la moindre critique, monsieur le ministre, tant je suis persuadé que nous sommes tous coupables. Toute notre génération est coupable de ne pas avoir vu se produire ce changement de monde, ou plus exactement de ne pas avoir compris le basculement du monde qui nous était imposé.
Certains individus en viennent à ne plus avoir aucune considération pour ce qu’ils font ni aucune dignité. Accepter de tels excès pour soi-même dit assez le manque de considération que l’on porte à la vie en général et à l’Homme en particulier. Je ne les blâme pas, je les plains car ils se sont coupés du bien commun, et nous les avons laissés faire.
Dès lors que 50 % du capital des entreprises du CAC 40 sont détenus par des fonds de pension américains, qataris ou autres, on est bien obligé, si on veut que le système tienne en place, de verser de très larges rétributions aux actionnaires et, pour obtenir le silence, de donner dans la démesure de salaires exorbitants à des directeurs qui malheureusement acceptent car ils sont résignés à ne plus croire en rien.
C’est autant d’argent qui ne rentre pas dans les caisses de l’État, monsieur le ministre, au moment où vous avez tant de difficultés à assumer une politique difficile, qui n’est certainement pas celle qu’il faudrait, mais au moins avez-vous le courage de la proposer.
Et que dire de l’amalgame que cette situation produit dans tous les esprits, dans un pays qui compte quasiment dix millions de chômeurs ? Comment expliquer de telles différences, qui alimentent l’antienne du « tous pourris » à laquelle le député n’échappe pas ? Je gagne 5 300 euros par mois, comme toutes et tous ici. Je coûte donc environ 60 000 euros par an à la nation, et j’administre depuis quarante ans, dont trente à titre bénévole, la commune de Lourdios-Ichère qu’on s’apprête par ailleurs à faire disparaître parce qu’elle coûte trop cher au contribuable ! Qu’on m’explique où est le bon sens dans cette affaire !
Je crois que nous vivons là un moment symbolique, même si je ne me fais pas d’illusion sur sa portée, mais tous les républicains de ce pays doivent avoir cette prise de conscience. Il n’est pas possible d’entreprendre, de rénover ni de créer de nouvelles richesses dans ce pays tant que nous continuerons à fermer les yeux et laisser proliférer de telles attitudes.
J’aurai un dernier mot, qui ne sera pas très populaire et ne m’ouvrira certainement pas les plateaux de télévision, afin de rendre hommage à l’action de la CGT. Il faut beaucoup de courage pour réveiller un pays si profondément endormi et plongé dans un tel cauchemar.
Je serais heureux, mesdames et messieurs, que nous votions ce texte tous ensemble afin d’envoyer un premier signal de l’ampleur du travail qui nous attend pour remplir la mission qui nous est confiée par le peuple !
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe GDR nous propose d’encadrer les rémunérations dans les entreprises en visant clairement les rémunérations extravagantes des dirigeants des très grandes entreprises, qui cumulent allègrement salaires démesurés, stock options, actions gratuites, ou encore primes de bienvenue, indemnités de départ et retraites chapeau !
L’histoire bafouille depuis bien longtemps, au grand dam de nos concitoyens contraints de subir une modération salariale généralisée et qui assistent depuis les années 2000 à des scandales répétés.
En septembre 2008, en pleine crise financière après la faillite de Lehman Brothers, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, affirmait la responsabilité morale et éthique des dirigeants, « sommés » de proscrire les pratiques excessives en matière de rémunération sous peine d’une intervention du législateur ! Le 30 avril 2009, le groupe SRC déposait une proposition de loi, dont le rapporteur était Pierre-Alain Muet, en ce sens.
Les chiffres de l’observatoire des inégalités illustrent que les écarts continuent de s’accroître entre un revenu médian qui a augmenté entre 2004 et 2011 de seulement 7,7 % – 1 400 euros par an –, et les revenus les plus élevés – 0,01 % des assujettis –, qui ont bondi de 43 % sur la même période, pour atteindre 810 000 euros en moyenne. Au sommet de la pyramide, on trouve les grands patrons du CAC 40, dont la rémunération totale a atteint 167 millions d’euros en 2015, en augmentation constante, du Petit Poucet millionnaire de Bouygues au champion toutes catégories de Sanofi, avec presque 17 millions d’euros.
Monsieur le ministre, en février 2013, au nom de mon groupe, j’avais interrogé votre prédécesseur, Pierre Moscovici, lors des questions au Gouvernement. Sa réponse est toujours d’actualité : « nous sommes actionnaires minoritaires par exemple chez France Télécom et Renault. Dans ces entreprises, j’appelle à la modération : en aucun cas l’État n’est prêt à prendre des positions laxistes. Je donne à cet égard des consignes de très grande fermeté. Je souhaiterais d’ailleurs que ces principes déteignent sur le secteur privé. »
Dès lors, deux questions se posent à nous. Premièrement, doit-on légiférer pour le secteur privé ou s’en remettre au seul code de gouvernance AFEP-MEDEF ? Pour décrire la conduite souhaitable, je vous livre les cinq commandements du professeur de droit rennais Claude Champaud : « tu ne cumuleras point ; tu sauteras sans parachute ; tu entreras en retraite sans chapeau ; tu intéresseras tes employés comme toi-même ; tu proclameras ta rémunération et tu t’en expliqueras. » Nous sommes au coeur du sujet !
La consultation publique que vient d’ouvrir l’AFEP-MEDEF, accessible en ligne, reprend des principes et des propositions fort intéressants : le niveau de rémunération doit être déterminé en cohérence avec celle des autres dirigeants et des salariés de l’entreprise ; le cours de bourse ne doit pas constituer le seul critère quantifiable ; les stock options et les actions gratuites de performance ne doivent pas représenter un pourcentage disproportionné de l’ensemble des rémunérations. Je ne saurais dire mieux.
La deuxième question qui se pose à nous est de savoir si l’on peut limiter les rémunérations sans encourir la censure du Conseil constitutionnel. Sur ce point, les avis divergent : d’un côté, ceux qui mettent en avant le respect de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle, en rappelant que la loi ne pourrait pas s’appliquer aux contrats existants ; de l’autre, ceux qui considèrent qu’encadrer les rémunérations est conforme à l’intérêt social, que cette question touche d’une part à l’ordre public, mis en péril par le profond sentiment d’injustice de l’opinion publique, et d’autre part à l’intérêt général, la santé des entreprises ayant un impact direct sur la situation économique du pays. N’étant pas juriste, j’avoue ma perplexité et ma difficulté à trancher cette question. Les élus de la Nation ne devraient-ils pas d’abord soutenir ce qui leur paraît juste plutôt que s’autocensurer ?
Je finis sur un constat, celui des dérives auxquelles donne lieu l’application de l’article 135 de la loi Macron, adoptée l’été dernier. Cet article a accéléré la distribution d’actions gratuites aux salariés, et surtout aux dirigeants. En 2015, selon un site consacré à l’actionnariat minoritaire, donc peu suspect d’hostilité, 1,6 milliard d’euros d’actions gratuites ont été distribuées. Ce chiffre devrait avoir triplé, voire quadruplé à la fin du 1er semestre 2016. C’est Dassault Systèmes qui a décroché le pompon, malgré le refus des actionnaires minoritaires, avec 380 millions d’euros d’actions distribuées, dont 133 millions aux dirigeants, et 22 millions au seul directeur général !
Chers collègues, le sujet est brûlant. Il est temps d’utiliser un Canadair législatif – une image que Gaby Charroux, riverain de l’étang de Berre, devrait apprécier !
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Je veux remercier l’ensemble des orateurs, qui, pour la plupart d’entre eux, ont repris les arguments développés en commission. À cet égard, je regrette que le Gouvernement aille dans un sens contraire aux conclusions de la commission des affaires sociales en défendant la quasi suppression des trois articles, demandant notamment qu’on maintienne la possibilité d’exercer le même nombre de mandats. Je le regrette, et souhaite que l’avis de la commission des affaires sociales, tel qu’il avait été défini, soit suivi en séance.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
La commission a supprimé l’article 1er.
Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 3 , 16 , 17 , 18 et 19 , pouvant être soumis à une discussion commune, qui tendent à rétablir l’article1er.
Les amendements nos 16 et 17 sont identiques.
La parole est à M. Jean-Luc Laurent, pour soutenir l’amendement no 3 .
Il est temps de légiférer sur la rémunération des patrons, qui fait l’objet d’un débat récurrent. Nous devons définir un cadre et déterminer une échelle. je remercie le groupe GDR d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi. Dans un contexte où certains salaires apparaissent exorbitants, disproportionnés et étant donné qu’ils sont eux-mêmes le résultat de la financiarisation de l’économie, il est nécessaire de réguler et de légiférer. Il faut promouvoir une certaine cohésion entre les rémunérations les plus hautes et les plus basses. La procédure – ce que proposent un certain nombre de nos collègues et le Gouvernement – est un élément de réponse, mais elle n’est pas la solution. Il est important de rétablir une certaine décence au sein des entreprises et de s’assurer que la direction ne sera pas déconnectée de la réalité.
Cet amendement, que j’ai signé avec Christian Hutin, membre du Mouvement républicain et citoyen, vise à rétablir l’article 1er. Il indique que le salaire minimum ne peut être inférieur au vingtième de la rémunération la plus élevée.
Très bien ! Excellent !
Beaucoup des commentaires sur cet article évoquaient le risque d’inconstitutionnalité. Or la liberté d’entreprendre, principe dégagé de l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 par le Conseil constitutionnel en 1981, n’est pas atteinte par la présente proposition de loi. Celle-ci ne conduit nullement à plafonner les rémunérations de certains salariés ou mandataires sociaux ni à porter atteinte au droit de l’entrepreneur de tirer les fruits de son entreprise.
Par ailleurs, à ceux qui considéreraient que l’encadrement des conditions de rémunération au sein de cette communauté de travail qu’est l’entreprise constitue une atteinte à la liberté d’entreprendre, je rappelle que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’indiquer que « la liberté d’entreprendre n’est ni générale ni absolue » et qu’elle pouvait faire l’objet de limitations lorsque celles-ci étaient « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. »
Je vous demande donc, chers collègues, de ne pas abuser de cette question de la constitutionnalité pour rejeter cette proposition, au motif qu’elle pourrait être censurée par le Conseil constitutionnel.
Les rémunérations des dirigeants ont atteint un niveau qui constitue un véritable non-sens. Non-sens sur le plan économique d’abord, puisque, alors qu’un euro donné au pauvre sera intégralement consommé, le même euro donné au riche sera épargné ou placé…
…ou dans l’immobilier, favorisant ainsi la constitution d’une bulle et le rendant inutile pour l’économie réelle.
Un non-sens écologique ensuite, puisque les plus riches, par leurs habitudes alimentaires, leurs déplacements ou leurs habitations laissent une empreinte carbone bien plus élevée. Un non-sens social enfin, lorsque l’on pense à la communauté de travail et de vie qu’est l’entreprise, à sa responsabilité sociale et, tout simplement, au pacte social national.
Je terminerai en rappelant une proposition qu’avait faite le PDG d’un grand groupe alimentaire. Il affirmait qu’en réduisant de 30 % la rémunération des 1 % les mieux payés, on pourrait multiplier par deux le revenu des 20 % les moins payés. Cette proposition a été mise sous l’éteignoir, et son auteur contraint de se taire : c’est la loi du milieu qui s’est imposée. C’est contre cela que nous devons lutter en rétablissant l’article 1er.
La parole est à Mme Jacqueline Fraysse, pour soutenir l’amendement identique no 17 .
Ce qui est remarquable dans ce débat, c’est qu’il y a consensus pour dénoncer le caractère anormal, voire insupportable, de certaines rémunérations de dirigeants d’entreprise – sans parler du dégoût légitime, et je pèse mes mots, manifesté par nos concitoyens dans cette période de chômage de masse et de précarité galopante. Je pense à Carlos Tavares, qui, en un an, a réussi l’exploit de doubler son salaire pour le porter à 5,3 millions d’euros. Quant à Paul Hermelin, son salaire atteint la somme astronomique de 4,8 millions d’euros, soit environ 357 fois le SMIC annuel. Dans le discours, personne ne conteste donc la nécessité de mettre un terme à ces excès. Mais au moment de passer à l’acte, on trouve tous les arguments possibles pour que cela continue !
C’est ce qu’illustre la suppression de l’article 1er, lequel ne vise pas à fixer les rémunérations à la place des actionnaires et des chefs d’entreprise, comme je l’ai entendu dire, mais à encadrer l’écart entre la rémunération la plus haute et la rémunération la plus basse dans les grandes entreprises. Cela entre tout à fait dans notre rôle de législateur !
Certes, ce gouvernement a pris des dispositions pour plafonner à 450 000 euros les salaires annuels des dirigeants d’entreprises publiques, ce qui est très bien. Mais les rémunérations des dirigeants d’entreprises privées, dont beaucoup d’ailleurs bénéficient d’argent public – ne serait-ce qu’à travers les 18 milliards annuels du CICE –, doivent aussi être encadrées car, de toute évidence, l’éthique et l’autorégulation ne suffisent pas.
L’article 1er, qui visait à imposer un écart maximum de 1 à 20 entre le salaire le plus élevé et le salaire le plus bas dans les entreprises et à lier l’augmentation des rémunérations des dirigeants à celles des salariés répondait à l’exigence de mettre en oeuvre concrètement, comme le réclament légitimement nos concitoyens, davantage de justice sociale, mais aussi d’efficacité économique. Pour toutes ces raisons, nous demandons le rétablissement de l’article 1er.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Les écarts de rémunérations étant inacceptables pour le maintien de notre pacte social, il est proposé, par ces amendements de repli no 18 et no 19, de prévoir un encadrement, respectivement dans la limite de un à cinquante et dans la limite de un à cent.
Dans la discussion générale, M. Gilles Lurton a demandé pourquoi nous proposions un rapport de un à vingt et non à dix-neuf ou à vingt et un. Eh bien ! c’est un peu comme le taux de 3 %, inventé par l’Europe pour limiter le déficit : on se demande vraiment sur quoi ce chiffre repose !
Sourires.
Y a-t-il une divergence de fond entre nous ? Je ne le pense pas. Voulez-vous une preuve par les actes, pour reprendre votre expression, madame la députée ? À chaque fois que l’exécutif a pu agir, il l’a fait. À chaque fois que le Gouvernement occupait une position d’actionnaire majoritaire qui lui permettait de prendre des décisions comparables à celle que vous proposez, sans risquer de les voir annuler, il l’a fait.
Vous l’avez tous rappelé, nous avons fixé à 450 000 euros au maximum la rémunération des dirigeants d’entreprises publiques.
Cette mesure ne s’applique pas exclusivement aux toutes petites entreprises. De très grandes sont concernées, voire même des entreprises dignes d’entrer au CAC40. Or, sauf erreur de ma part, 450 000 euros représentent, à peu de chose près, vingt-cinq fois le SMIC ! Vous proposez un rapport d’un à vingt : nous ne sommes pas à cinq points près. Sur le fond, je pense que tout le monde aura compris que nous n’avons aucun désaccord.
Quel est donc le point d’achoppement ? Est-il juridique ? Le législateur ne peut ignorer les questions juridiques que son texte peut soulever. Nous sommes un certain nombre à travailler ici depuis des années, et notre objectif n’a pas changé : écrire des lois qui puissent s’appliquer et produire des résultats. Dès lors, et sans vouloir être désagréable, je vous rappellerai qu’il vaut mieux voter un texte efficace plutôt que des mesures qui nous font plaisir mais seraient sans effet parce que susceptibles d’être annulées.
Chacun a bien entendu en tête la fameuse mesure des 75 %, proposée par le Gouvernement. Vous l’avez tous votée et j’en aurais fait de même si je n’avais pas été au Gouvernement. Elle a été ensuite annulée. À quoi cela sert-il de prendre un tel risque ? Nous devons tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, même si, en ce domaine, l’on n’est sûr de rien tant que sa décision n’est pas rendue.
Nous devons respecter les principes de liberté contractuelle et de liberté d’entreprendre. Je ne veux pas soulever la moindre polémique car si nous pouvions prendre une telle mesure, je serais le premier à m’en réjouir,…
…mais croyez-moi, en l’état actuel, une telle mesure serait annulée.
Ce n’est pas une divergence de fond…
…et nous l’avons prouvé. Quand nous avons le pouvoir d’agir, nous le faisons, mais nous sommes soucieux de ne pas faire adopter ici des mesures qui ne seraient pas appliquées.
Je ne m’impatientais pas mais je ne savais pas qu’il fallait aussi s’inscrire pour s’exprimer sur les amendements.
À ceux qui craignent l’annulation de notre vote par le Conseil constitutionnel, je répondrai que nous ne devons pas reculer. Si le Conseil constitutionnel doit retoquer notre décision, qu’il le fasse, mais il en prendra toute la responsabilité politique.
La situation dans laquelle nous nous retrouvons ne peut perdurer. Nous pouvons faire semblant d’y croire mais elle ne fera pas long feu. Nous devons réussir ce tournant très important pour notre pays et peut-être aussi, d’ailleurs, pour le monde, d’une manière pacifique.
Il faut aussi réformer la Constitution pour enlever au Conseil constitutionnel ce pouvoir exorbitant !
Or, il ne semble pas que nous en prenions le chemin, c’est pourquoi je vous conjure de voter cette mesure aujourd’hui. Essayons de retrouver dans cette Assemblée, ne serait-ce que pour quelque temps, les accents de l’Assemblée constituante qui, lorsqu’elle édictait un principe, ne s’encombrait pas d’autres préoccupations.
Monsieur le ministre, vous venez vous-même de l’affirmer : vous êtes d’accord avec cette proposition et vous avez pris par le passé des mesures similaires. Eh bien, je pense que vous devez prendre la mesure de ce que nous vivons aujourd’hui. Nous débattons d’un texte qui vise à encadrer les salaires des grands patrons, les grands, les extravagants salaires des extravagants patrons, dirai-je même !
Dans l’histoire de notre pays, sous d’autres gouvernements, des actes forts ont pu être posés par cette assemblée. Je pense au Front populaire, entre 1936 et 1939 : de jeunes ministres, dont certains ont une plaque gravée à leur nom, ici, derrière nos sièges, ont su, sans réfléchir peut-être plus que cela, agir avec leurs tripes, leur coeur, pour changer notre pays et notre société.
Sans crainte d’exagérer, je suis convaincue que cette proposition de loi du groupe GDR est de celles qui peuvent tout changer. Nos concitoyens attendent aujourd’hui de nous des actes forts. Ils ne peuvent plus se satisfaire de petites mesures à la marge pour limiter l’évasion fiscale ou les grandes rémunérations. Non ! Ce sont de grandes réformes dont notre pays a besoin pour mettre fin aux extravagantes rémunérations ! Nos concitoyens ont besoin que nous montrions l’exemple, que nous revenions à une certaine décence, qui n’existe plus. Jusqu’où sommes-nous tombés ? Les retraites chapeau ! Les patrons qui se remplissent les poches de stock options, d’actions ou d’obligations, à l’occasion d’un changement d’entreprise ! Les patrons de Canal Plus qui osent venir pleurer malgré leur niveau de rémunération, dont je suis bien au courant, et qui sont capables de mettre en faillite leur propre entreprise alors qu’ils se sont gavés pendant des années !
Ce texte fort et courageux nous place aujourd’hui face à nos responsabilités, et j’en remercie vivement nos collègues GDR. Ensemble, nous pouvons porter des actes forts, j’en suis persuadée. C’est ce que nous demandent aujourd’hui les Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Il est difficile de définir le plafonnement des rémunérations les plus importantes…
L’encadrement, en effet. Que le rapport soit de vingt, cent ou deux cents entre les rémunérations, la mesure reste difficile à appliquer car la définition du salaire de référence est trop floue. Lequel retenir, entre le salaire de base et les rémunérations supplémentaires, qu’il s’agisse des primes, des bonus, de la participation ou de l’intéressement ? La réflexion mérite d’être poursuivie mais sans doute pas de cette manière, car nous risquons la censure du Conseil constitutionnel. Vous reconnaissez d’ailleurs que le salaire minimum lui-même peut être soumis à des éléments de variation. Même si je partage votre objectif, la méthode me laisse sceptique.
Les arguments juridiques avancés par le ministre ont leur portée, qui ne se réduit pas au seul aspect technique, mais touche au fond. La liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie existent dans notre pays ! Vous l’avez d’ailleurs appris à vos dépens, monsieur le ministre, lorsque la promesse extravagante du candidat François Hollande de taxer à 75 % les revenus supérieurs à 1 million d’euros, votée ici dans des conditions d’improvisation improbables, a été immédiatement censurée pour des raisons de fond par le Conseil constitutionnel.
Au-delà de ces arguments juridiques, je voudrais dire à nos collègues du groupe communiste, que je n’oserai appeler chers camarades, que je comprends leurs intentions et que je sais leur engagement sincère.
Vous n’êtes pas dans une posture morale, mais je vous demanderai tout de même de réfléchir un instant : qu’arriverait-il si votre amendement était voté ? Quelle en serait la conséquence sur l’attractivité de la France en termes d’implantation de sièges sociaux ? Quelle en serait la conséquence sur la création de richesses et donc d’emplois ? Dans un pays qui compte 1,1 million de chômeurs supplémentaires depuis mai 2012 et l’élection de François Hollande à la présidence de la République, dans un pays enfoncé dans une croissance quasi nulle – 1,2, ou 1,4 % –…
…dans un pays qui souffre d’un véritable retard de croissance par rapport à nos partenaires européens ou d’autres pays, nous n’avons aucun intérêt, que ce soit sur un plan économique ou social, de voter des mesures simplement pour faire plaisir à la gauche de la gauche.
Dans l’intérêt des demandeurs d’emploi, des salariés, de notre pays, il faut rejeter cet amendement.
Je voudrais en revenir au Conseil constitutionnel. On nous explique qu’il ne faut pas voter cette mesure car elle pourrait être annulée par cette juridiction. Laissons donc le Conseil constitutionnel décider !
Par ailleurs, ne nous faites pas dire ce que nous n’avons pas dit ! Cet amendement ne vise pas à plafonner les rémunérations, mais à les encadrer. C’est ce qui est écrit et cela change tout car il suffirait, pour augmenter les rémunérations des plus hauts dirigeants, de relever les salaires les plus bas de l’entreprise !
Expliquez-moi enfin une dernière chose, monsieur le ministre. Le troisième personnage de l’État, le président de l’Assemblée nationale, a signé il y a peu de temps une tribune en faveur de l’encadrement des revenus des hauts dirigeants en limitant les écarts de rémunération de 1 à 100 au sein d’une même entreprise. Je doute que le président de l’Assemblée nationale signe une tribune s’il avait le moindre doute quant à la constitutionnalité du principe défendu ! Laissons le Conseil constitutionnel décider, nous aviserons ensuite.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Quant au fond, je suis d’accord avec M. Larrivé, la question n’est pas seulement juridique. Elle est aussi éminemment politique. Il ne s’agit pas ici seulement de justice et de morale, mais d’efficacité. Depuis des années, les inégalités augmentent. Je vous invite à lire le très beau livre du célèbre prix Nobel de l’économie, Joseph Stiglitz, Le prix de l’inégalité. Depuis trente ans, notre système, qui s’est financiarisé et vit sur la dette, a creusé les inégalités entre les revenus et abouti à un chômage de masse considérable. Ce n’est pas un hasard.
Restaurer l’égalité au niveau de l’échelle des revenus renforcerait l’efficacité de notre politique économique.
Je vous citerai un homme que vous connaissez bien, monsieur Larrivé : Emmanuel Faber, le directeur général du groupe Danone, cité à juste titre dans le rapport de Gaby Charroux. Selon lui, il conviendrait de revenir sur la pyramide des revenus et faire évoluer les rémunérations pour relever le défi social mondial auquel nous sommes confrontés. Il suffirait ainsi de baisser de 30 % les rémunérations de seulement 1 % des dirigeants les plus riches pour doubler celle de 20 % des salariés les moins payés, que l’on trouve essentiellement dans les pays en voie de développement. Voilà l’objectif que l’on poursuit. La mesure n’est pas seulement morale, elle est aussi efficace sur le plan économique et social.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Compte tenu des exemples réguliers de rémunérations indécentes que nous avons connus ces derniers mois et ces dernières années, ce débat et ce texte sont les bienvenus. Je distingue les deux en espérant que nous pourrons voter une loi qui ne sera ni enterrée, ni censurée, et qui sortira le plus rapidement possible de la navette parlementaire pour s’appliquer. Sur les mandats sociaux et le pouvoir des assemblées générales que nous étudierons aux articles 2 et 3, on pourra prendre des décisions normatives rapidement.
Pour le reste, je qualifierai notre débat de bon débat. En effet, un certain nombre d’entreprises dans notre pays ont déjà posé des principes qui, même s’ils n’ont pas force légale, leur font respecter des écarts de rémunération acceptés dans l’entreprise en portés à la connaissance du public. Je pense notamment aux entreprises de l’économie sociale, dont certaines ont adopté, dans leurs principes de rémunération, des éléments de plafonnement entre les salaires les plus bas et les salaires les plus hauts.
S’il faut verser ces données au débat économique et au débat public, je pense néanmoins, comme M. le ministre, qu’il est difficile de légiférer à partir d’un article qui reste, pour l’instant, très déclamatoire. J’en veux pour preuve, d’ailleurs, les amendements de repli. Autant je souhaiterais, si cela était possible, que l’écart maximal de rémunération soit de 1 à 20, voire de 1 à 25 ou de 1 à 30, autant je m’interroge quand je vois que des amendements tendent à porter cet écart à 1 à 50 ou à 1 à 100, car cela ne signifie plus rien ! Je pourrais être d’accord pour 1 à 25…
Je ne l’ai pas signée, mon cher collègue : quand je suis dans cet hémicycle j’essaie de parvenir à poser des actes qui auront force de loi. En l’occurrence, nous avons aujourd’hui un débat intéressant, un débat qui doit irriguer le monde économique car les écarts de rémunération actuels sont bien trop élevés.
Au passage, je suis tout à fait d’accord avec votre souhait d’augmenter les salaires les plus bas. Examinons tous les effets que cela induit, notamment le risque d’externalisation des emplois correspondant aux plus bas salaires par le recours à des travailleurs indépendants ou à la sous-traitance à l’étranger, sujet qui n’est nullement mineur si nous devions adopter un tel article.
Mais cette hypothèse doit être écartée car je suis convaincu que notre Constitution ne nous permet pas aujourd’hui – le ministre l’a rappelé et il n’est pas besoin de plus ample démonstration – d’adopter cette disposition.
Murmures sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Pour notre part, nous voterons les articles 2 et 3, mais nous considérons que l’article 1er tel que vous voulez le rétablir est purement déclamatoire.
Je voudrais réagir à ce que Mme Leroy a dit tout à l’heure au sujet des primes des salariés. Il n’est pas concevable de les mettre sur le même plan que les rémunérations des dirigeants. Quand ces primes qui figurent sur la fiche de paie des salariés atteignent 20 ou 30 % du total, c’est un grand maximum !
De quoi parlons-nous ici, madame ? De primes pour exposition à la chaleur ou à la poussière, de primes pour conditions de travail particulières, pour travail de nuit, etc. Ce n’est pas du tout comparable !
Sachez, madame, qu’avoir été exposé à la chaleur pendant toute sa carrière, cela représente des années de vie en moins. Les médecins du travail vous l’expliqueront, c’est une fatigue dont on ne récupère jamais. La plupart des personnes meurent soit avant l’âge de la retraite, soit juste après. C’est dire si ces primes sont légitimes ! Ne comparons pas ce qui n’est pas comparable !
Par ailleurs, les rémunérations des dirigeants ne représentent qu’une partie de l’iceberg. Ces personnes ont parfois de belles maisons, un chauffeur, une femme de ménage, un jardinier, etc., et le tout est payé par l’entreprise. Alors n’en rajoutons pas !
Si Bruno Le Roux est d’accord pour voter un écart maximal de 1 à 25, eh bien, déposons un amendement en ce sens et votons-le !
Monsieur le ministre, monsieur le président du groupe socialiste, j’ai mal pour vous.
Monsieur le ministre, monsieur le président du groupe socialiste, j’ai mal pour ces grandes valeurs de gauche qu’un temps, dans de grandes périodes de l’Histoire, nous avons pu porter ensemble.
Monsieur le ministre, monsieur le président du groupe socialiste, quand je vous écoute, j’ai mal pour le peuple de gauche et j’ai mal pour la France.
On peut avoir un débat idéologique, on peut conduire des batailles d’idées. Notre discours, par exemple, s’affronte au discours des représentants de la droite dans cet hémicycle. Nous disons, nous, en réponse à leurs propos de tout à l’heure, que l’argent doit servir davantage à la recherche, à l’innovation, à l’investissement ; que cet argent qui rentre dans certaines poches – on en vient à se demander ce qu’ils peuvent en faire ! – pourrait servir au développement industriel.
Mais ce que je vous reproche, à vous – je le dis avec une colère contenue mais je le dis avec solennité –, c’est que vous faites semblant !
Approbations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Ce que je vous reproche, c’est que vous vous dites favorables à des mesures de justice sociale et que, dans la réalité du travail législatif au quotidien, vous refusez ces mesures de justice sociale.
Seriez-vous comme Sisyphe, poussant son rocher sans jamais parvenir en haut ? Lui, au moins, il se faisait les muscles. Je ne suis pas sûr que ce soit votre cas, tant votre tromperie est généralisée.
Aujourd’hui, il y a une telle rupture entre la politique, les dirigeants politiques, nous tous ici, et le peuple, que ces discours pleins d’artifices, de tromperies, ces comportements qui dévalorisent la République…
Assez ! Un peu, mais pas trop !
Alors que nous essayons tous, je l’espère, de donner des lettres de noblesse à la politique, vous la détruisez !
Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Vous allez trop loin, monsieur Chassaigne !
Ayez le courage de ce que vous soutenez. N’essayez pas de trouver sans cesse des artifices. Car non seulement ces artifices rabaissent la politique, mais ils rabaissent la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Interruptions sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Je veux que le propos scandaleux de M. Le Roux soit porté au compte rendu !
Veuillez écouter le rapporteur, qui est un homme pondéré.
Monsieur Charroux, vous avez la parole.
Je souhaite inviter une dernière fois mes collègues à voter le rétablissement de l’article 1er.
En effet, j’ai cru un moment que notre assemblée s’était transformée en Conseil constitutionnel. Depuis presque une demi-heure maintenant, nous semblons siéger à sa place.
Je rappelle que le Conseil ne s’est jamais prononcé sur l’instauration et la justification d’un salaire minimum – non plus, bien sûr, que sur la mise en place d’un salaire maximum. Pourtant, personne ne doute plus de la légitimité du salaire minimum.
Alors, comme l’a dit Nicolas Sansu, laissons le Conseil constitutionnel s’exprimer et ne nous substituons pas à lui. C’est pourquoi j’invite l’Assemblée à accepter le rétablissement de l’article 1er.
Nous commençons donc par le vote à main levée de l’amendement no 3 , si toutefois il est maintenu, monsieur Laurent.
L’amendement no 3 n’est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 35 Nombre de suffrages exprimés: 34 Majorité absolue: 18 Pour l’adoption: 15 contre: 19 (L’amendement no 18 n’est pas adopté.)
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 36 Nombre de suffrages exprimés: 35 Majorité absolue: 18 Pour l’adoption: 17 contre: 18 (L’amendement no 19 n’est pas adopté.)
La parole est à M. Nicolas Sansu, pour soutenir l’amendement no 14 rectifié .
Cet amendement, monsieur le ministre, vise un élément très important de la rémunération des hauts dirigeants, les actions gratuites, dites aussi « actions de performance ». Il tend à revenir sur une disposition de l’article 34 de la loi Macron qui avait fait l’objet d’un large débat en février 2015.
En effet, cette disposition est à l’évidence un cadeau déguisé que l’on adresse aux dirigeants du CAC 40.
On nous avait expliqué que l’adoption de ce dispositif permettrait l’attribution d’actions gratuites pour les dirigeants des start-up et les cadres dirigeants, sûrement pas pour ceux des entreprises du CAC 40. Non seulement, comme l’a rappelé mon collègue Gérard Sebaoun à la tribune, c’est tout le contraire qui se passe, mais un autre problème considérable se pose.
On le voit dans l’étude de Proxinvest : aujourd’hui, la part fixe de la rémunération des hauts dirigeants, notamment ceux des groupes du CAC 40, est passée en dessous de 30 % du total, la part variable atteignant les 70 %. Et, dans cette part variable, les actions gratuites représentent 37 à 38 % du total de la rémunération.
Ces 37 à 38 %, ce sont des milliards et de milliards distribués en actions gratuites. On a évoqué un cadeau fiscal de 100 à 200 millions d’euros. Nous souhaiterions, nous, que vous nous donniez le chiffre réel. En effet, lorsqu’on défiscalise ces actions gratuites à hauteur de 65 %, en exigeant seulement qu’elles soient conservées deux ans et non plus quatre, le cadeau coûte à l’État plus de 1 milliard, peut-être 1,5 milliard d’euros. C’est considérable !
Notre amendement est très simple : il tend à revenir au régime antérieur. Le Gouvernement se targue d’avoir pris des dispositions encadrant les stock options, mais celles-ci ne représentent plus que 3 % du total des rémunérations des dirigeants du CAC 40, c’est-à-dire presque plus rien. Pour les actions gratuites, en revanche, le dispositif est tout bonnement scandaleux !
Mon avis est extrêmement favorable. Comme Nicolas Sansu vient de le démontrer, lorsque l’on considère les éléments constitutifs de la rémunération des dirigeants – part fixe, part variable, stock options, actions gratuites –, on assiste à un renversement depuis la loi Macron. Les stock options ne représentent quasiment plus rien dans la rémunération, alors que les actions gratuites en constituent la part la plus importante avec la part fixe. Pour reprendre l’expression du professeur Villemus, le système de rémunération des grands dirigeants est un mille-feuilles.
Sur l’amendement no 14 rectifié , je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis du Gouvernement, monsieur le ministre ?
L’objet de cet amendement est de remettre en cause une disposition promulguée en août 2015 après avoir été adoptée par l’Assemblée.
Elle est donc applicable et appliquée depuis moins d’un an. Je comprends votre souhait de faire un point pour examiner dans quelles conditions on a pu l’utiliser et pour déterminer, en particulier, s’il n’y a pas eu des basculements excessifs qui montreraient une forme d’utilisation détournée de la loi. C’est une préoccupation que j’entends. Mais revenir sur une disposition largement moins d’un an avant sa mise en oeuvre ne permettrait même pas de réaliser cette étude et de voir où l’on en est exactement à partir de l’ensemble des éléments.
Ce n’est pas une bonne manière de légiférer que de vouloir remettre si vite en cause une telle mesure, même si je comprends parfaitement la préoccupation du législateur qui doit contrôler l’application des lois, les conditions de leur mise en oeuvre et leurs effets.
Au bout d’un an, le Gouvernement fournira à l’Assemblée et, le cas échéant, aux commissions concernées, des éléments d’information sur l’utilisation de cet article, afin de leur permettre de s’assurer qu’il n’a pas été dévoyé, mais il me semble beaucoup trop tôt pour prendre une telle décision aujourd’hui. Le Gouvernement n’est donc pas favorable à l’adoption de cet amendement.
Monsieur le ministre, je vous ai suivi tout à l’heure pour ce qui concernait les risques d’inconstitutionnalité, mais il faut prendre ici en compte un élément nouveau : l’attitude affichée globalement par un certain nombre de grands patrons qui ne respectent pas le code de bonne conduite auquel ils s’étaient engagés, ce qui est très ennuyeux. En refusant de suivre les propositions de l’article 1er, nous n’avons pas donné de signal, mais il faut le faire ici. C’est la raison pour laquelle je soutiendrai cet amendement.
La loi Macron a donné lieu à de nombreux débats et le dispositif en question procédait peut-être d’une idée saine : faire bénéficier les salariés d’actions gratuites dans des conditions plus favorables. Mais la dérive a été immédiate et les assemblées générales extraordinaires se sont multipliées dès 2016, au profit certes des salariés, mais surtout des dirigeants. J’en ai donné des exemples éloquents, dont celui, extraordinaire, de Dassault Systèmes, et il y en a beaucoup d’autres. Les chiffres que j’ai cités proviennent d’un site évoquant les actionnaires minoritaires, qui sont, avec le fisc, les premiers floués. Voilà la réalité de cette disposition législative. Même si elle a été votée depuis moins d’un an, je soutiendrai donc, à titre personnel, cet amendement.
Monsieur le ministre, je tiens à préciser à nouveau que la loi que vous invoquez n’a pas été votée par l’Assemblée nationale, mais adoptée par le recours à l’article 49-3 de la Constitution.
On vient d’évoquer le code de bonne conduite mais est-ce à dire qu’avec des codes de bonne conduite, on n’aurait plus besoin de la loi ? La loi est, au contraire, précisément faite pour tous ceux qui n’ont pas de code de bonne conduite. M. Larrivé évoquait tout à l’heure la menace de voir la limitation des salaires accroître le chômage, mais il y a trente ans qu’on nous le dit ! Le problème, c’est que les codes de conduite, ça ne marche pas. Il nous faut donc les inscrire dans la loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 27 Nombre de suffrages exprimés: 25 Majorité absolue: 13 Pour l’adoption: 18 contre: 7 (L’amendement no 14 rectifié est adopté.)
Je suis saisi d’un amendement, no 15 .
Sur cet amendement, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Alain Bocquet, pour soutenir l’amendement.
Cette question est directement liée à celle de l’encadrement des rémunérations dans l’entreprise. On évoque beaucoup les hautes rémunérations des dirigeants du CAC 40, mais il faut parler très concrètement de ce que vivent des millions de nos concitoyens, payés au SMIC, qui galèrent pour boucler leurs fins de mois : c’est bien la question des salaires qui est derrière tout cela.
Cet amendement tend à revaloriser le SMIC pour le porter à 1 700 euros bruts mensuels. Son montant actuel est de 1 466 euros bruts mensuels et il concerne environ deux millions de salariés – et même un peu plus, car tous ne sont pas recensés, notamment les saisonniers.
Le SMIC stagne depuis plusieurs années. En janvier 2016, en effet, il n’a été augmenté que de 0,6 %, soit une hausse de 6 euros par mois, portant le salaire mensuel net à 1 143 euros. Que peut-on faire avec 1 143 euros par mois ? Le seuil de pauvreté s’établissant à 1 000 euros par mois selon Eurostat, le montant du SMIC ne s’en écarte que de 143 euros. Qui peut croire que l’on peut vivre de manière décente avec 1 143 euros par mois ?
Il n’y a donc pas, dans notre pays, de dynamisme de progression des salaires – loin de là. Cette modération salariale et cette « smicardisation » progressive de la société ont pour conséquence le maintien dans la précarité, avec des conséquences concrètes au quotidien. Difficultés pour se loger et se nourrir, impossibilité d’accès au crédit bancaire : voilà ce qu’est la réalité des salariés payés au SMIC.
Plus largement, le maintien du salaire minimum à un niveau très bas contribue à accentuer le phénomène des « trappes à salaires ». Dans ce contexte, nous proposons un amendement qui apporte une solution très concrète de bon sens et de salubrité publique pour lutter contre la précarité. Je vous invite à le voter.
Si Monsieur Larrivé était encore présent, il voterait certainement cet amendement,…
…car cette loi qui prévoit un encadrement des rémunérations des hauts dirigeants permet surtout de lier les plus hautes rémunérations aux plus basses : puisque nous proposons d’augmenter la plus basse, cela aura pour effet d’augmenter la plus haute.
Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Entendre dire que le rapporteur est « malin » pourrait me faire sourire, et même rire, mais la mesure proposée n’a pas été votée et n’aura donc pas cette conséquence, très généreuse de votre part, d’augmenter le salaire des plus riches dans les entreprises.
Monsieur Chassaigne, il n’est pas nécessaire non plus de monter sur ses grands chevaux, comme vous l’avez fait précédemment.
Nous pouvons débattre, mais nos relations doivent être respectueuses. Je n’ai, personnellement, pas apprécié que vous ayez mis en cause notre sens de la République lors d’un débat législatif.
Revenons à l’amendement. Je comprends le débat qui a eu lieu sur l’amendement précédent car, comme vous, lorsqu’une nouvelle disposition est adoptée, je m’interroge sur sa mise en oeuvre. J’ai du reste déclaré que je n’avais pas d’opposition à ce que, le moment venu, avec un recul suffisant, on examine clairement la situation. Mais si nous commençons à entrer dans un schéma où le SMIC est fixé par la loi, il n’y a pas de limite ! Pourquoi 1 700 euros, plutôt que 1 800, 1 900 ou 2 000 ? Il n’est pas possible d’entrer dans un tel mécanisme.
Dans toutes les grandes démocraties où le dialogue social est de qualité, cette question relève des négociations. En France, le SMIC est, du fait d’un certain nombre de règles, fixé par décret, après cependant, à chaque fois, consultation des organisations syndicales et patronales, où chacun peut exprimer son opinion. Et voilà qu’aujourd’hui, tout d’un coup, on entrerait dans un mécanisme où la loi, brutalement, fixerait le niveau du SMIC ?
On peut certes dire – et nous en convenons – que ce n’est pas beaucoup. De fait, c’est très peu, le SMIC, et c’est très difficile, pour beaucoup de nos concitoyens, de vivre avec un SMIC. Aucun d’entre nous, aujourd’hui en tout cas, ne peut savoir la difficulté que cela représente – peut-être avons-nous connu, pour certains d’entre nous, à nos débuts, des situations rémunérées au SMIC. On sait que c’est très difficile et la surenchère sur ce sujet est donc très facile. Je propose donc que nous l’évitions, car ce serait un dévoiement la procédure législative et du droit des salariés et des organisations syndicales et patronales à donner leur avis sur l’évolution des salaires et du SMIC.
Sur cet amendement qui soulève un vrai problème de crédibilité, je ne peux donc donner qu’un avis défavorable.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 26 Nombre de suffrages exprimés: 25 Majorité absolue: 13 Pour l’adoption: 11 contre: 14 (L’amendement no 15 n’est pas adopté.)
La parole est à M. Jean Lassalle, premier orateur inscrit sur l’article.
Ce débat, même s’il a parfois un caractère passionné, est intéressant et fort utile pour nos concitoyens. Au-delà des traitements exagérés d’une très petite minorité de dirigeants d’entreprise, c’est tout le problème de l’entreprise dans notre pays qui est posé. Par amalgame, nos concitoyens peuvent avoir le sentiment que tous sont logés à la même enseigne, alors qu’une immense majorité des chefs d’entreprise est très loin d’atteindre ces niveaux de salaires.
Il faut donc mettre fin à cet amalgame et l’initiative de nos collègues est à cet égard salutaire, car il est absolument nécessaire de faire la lumière sur cette question et d’indiquer à nos compatriotes que nous, politiques, ne disposons plus dans ce domaine que d’une marge de manoeuvre faible – pour ne pas dire inexistante. Nous avons en effet laissé, depuis une vingtaine d’années, la finance prendre le pouvoir et en sommes, hélas, totalement dépourvus.
L’article 2 de la proposition de loi que nous examinons, adopté en commission des affaires sociales, propose de limiter à deux le nombre de conseils d’administration au sein desquels une même personne peut siéger, au lieu de cinq dans le droit actuellement en vigueur.
Notre ami rapporteur rappelle très bien, dans son rapport, que notre pays se distingue par une pratique contre laquelle il convient désormais d’agir très fortement : celle du croisement des mandats d’administrateur. Je le cite : « Je suis dans ton conseil d’administration, tu es dans le mien. On se coopte, on se choisit, on se reconnaît, on fréquente les mêmes milieux, on a grandi et appris dans les mêmes écoles – grandes écoles, devrais-je dire. On échange aussi certaines bonnes pratiques. Tel est le cas en matière de rémunérations : je te vote ta rémunération, tu me votes la mienne ». Cette pratique dite de la « barbichette » n’est plus acceptable.
Sociologiquement, il y a consanguinité dans la composition des conseils d’administration français. Il n’y est donc pas encore question de diversité ou de représentativité de la société française – on note d’ailleurs au passage, même si la situation a un peu évolué, que la présence des femmes y est très faible.
Il est donc aujourd’hui nécessaire d’aller plus loin en la matière et de faire respirer les conseils d’administration des entreprises. Un peu d’air frais ne devrait pas faire de mal à la bonne gestion de ces dernières.
Il est temps et il est difficile – comme l’illustrent les nombreux arguments avancés ce matin – de casser cette spirale vécue par les citoyens comme déstabilisante et qui atteint de nombreux chefs de petites entreprises de notre pays, montrés du doigt alors que rien de ce dont nous débattons ici ne les concerne.
J’entends l’argument du ministre selon lequel certaines entreprises de taille intermédiaire – ETI – sont créées par plusieurs PME. Il conviendrait de distinguer, et un décret y suffirait sans doute, entre ceux qui apportent un capital personnel à la création d’une ETI via des PME et ceux qui sont de simples représentants au conseil d’administration. Une opinion diffuse crée en effet aujourd’hui dans notre société des blocages sociaux – et peut-être aussi politiques : celle selon laquelle il y a entre les grands patrons et la haute fonction publique des allers-retours permanents, avec un petit groupe de personnes siégeant partout. On me rappelait ainsi récemment, à propos du dossier d’Air France, que le comité des nominations comptait depuis dix-sept ans un représentant d’un grand groupe, qui est toujours là sans qu’on sache vraiment pourquoi. C’est donc, en un mot, une sorte de spirale, de petit monde, de « microcosme », comme aurait dit Raymond Barre en son temps, qui a fait disparaître la confiance dans la manière dont sont prises les décisions.
Il faut donc voter cet article et regarder ensuite comment on peut le rectifier au cours de la navette pour tenir compte du fait que certains représentants au conseil d’administration sont les propriétaires effectifs d’une partie du capital.
Bref, il y a sans doute à regarder de près les conséquences mais il est temps que la spirale soit cassée.
La parole est à M. le ministre, pour soutenir l’amendement no 25 , qui tend à supprimer l’article 2.
Il est toujours désagréable pour un gouvernement de demander la suppression d’une disposition adoptée par la commission, qui a donc fait l’objet de débats approfondis, avec un échange d’arguments.
Aujourd’hui, il y a une différence entre les sociétés cotées, celle auxquelles vous avez fait allusion, et celles qui ne le sont pas. Les sociétés non cotées, ce sont les ETI, les PME devenues ETI. Comme je le soulignais à la tribune, compte tenu de leur histoire, c’est-à-dire du fait que des PME se sont rapprochées pour former un ETI, il est légitime que les dirigeants soient présents dans les différents conseils d’administration, de manière croisée. Ce n’est pas de la consanguinité, c’est ce qui a permis de faire monter en puissance ces PME.
Vous proposez de ramener de cinq à deux le nombre de mandats sociaux, y compris pour les PME et les ETI. Franchement, là, ce n’est pas une question de curseur.
Cet article va bouleverser des situations que nous connaissons sur nos territoires, que nous avons encouragées, pour permettre le regroupement de PME en ETI. Je sais que ce n’est pas l’objectif que vous poursuivez par cet amendement, mais c’est le résultat.
Pour les entreprises cotées, nous partageons totalement l’idée qu’il faut lutter contre ce qu’on appelle la consanguinité, le fait qu’il y ait toujours à peu près les mêmes dans les conseils d’administration, avec un éventuel échange de bonnes manières. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en août dernier, le chiffre a été porté de cinq à trois dans le cadre de la loi « Activité et croissance ».
Avec votre amendement, on passerait de trois à deux, et, là, c’est une question de bon sens. La décision a été prise il y a un peu moins d’un an. Peut-être faudra-il faire évoluer les choses. Peut-être aura-t-on besoin de faire un bilan, c’est normal. Entre nous soit dit, monsieur Sansu, si l’ensemble du texte a été adopté en application de l’article 49.3 l’année dernière, chacune de ses dispositions a été adoptée avec une majorité.
Je n’y reviens pas, c’est un texte qui ne porte pas mon nom. Il y en a un autre qui porte mon nom avant même d’avoir discuté et, je le souhaite, voté. J’espère d’ailleurs qu’il va nous rassembler largement.
Bref, passer de trois à deux, alors que la loi a été votée il y a moins d’un an, cela me paraît un peu tôt, et ce ne serait pas forcément une bonne chose. Je ne peux donc qu’être défavorable à l’article tel que vous l’avez rédigé.
Ne mettez pas le feu dans des entreprises qui se sont regroupées, avec nos encouragements, pour devenir suffisamment puissantes. Il y a évidemment des croisements de capital, mais ce sont des petites entreprises. Ce ne sont pas des gens qui se tiennent par la barbichette, ce sont des gens qui se mettent ensemble pour essayer de réussir. Attention parce que, là, vous mettez en cause le dispositif.
Cette histoire de nombre d’administrateurs, c’est une histoire ancienne. Le rapport Houillon en proposait trois en 2009, et même l’AFEP-MEDEF parle de trois.
Vous venez de nous dire, monsieur le ministre, qu’avec la loi Macron, on passait de cinq mandats à trois. Pouvez-vous nous confirmer que cela concerne toutes les entreprises ? Je ne le crois pas. L’on peut être sensible à vos arguments mais il me semble que la loi Macron ne concerne pas l’ensemble des entreprises.
Je me posais la même question.
L’objectif, que je partage, c’est de casser ce qui est aujourd’hui un gros problème en France, ce qui crée, il faut le dire, des sentiments anti-européens, bref ce qui entraîne une véritable crise sociale et politique, l’impression globale qu’un petit noyau de personnes gèrent de grandes entreprises.
Il suffirait donc d’écrire, monsieur le ministre, que cela ne concerne pas les ETI créées par des regroupements de PME. On ferait un geste, nécessaire, pour casser cette bulle de personnes, la haute administration, les grands patrons, avec une exception pour les ETI.
J’ai eu l’occasion de m’exprimer largement sur l’article 2 dans la discussion générale.
Même s’il y a des situations indécentes, nous l’avons tous souligné dans nos interventions et beaucoup d’entre elles doivent être dénoncées, il existe un grand nombre de chefs d’entreprise qui se battent au quotidien pour maintenir l’emploi dans leurs petites entreprises, parfois même au détriment de leur salaire, et ils ne doivent pas se reconnaître dans ce qui vient d’être dit.
Cela dit, je le répète, une autorégulation se fait d’elle-même, et les chiffres le montrent : en 2014, 43,2 % des dirigeants des sociétés du CAC n’exerçaient pas de mandat à l’extérieur du groupe dans des sociétés cotées et aucun n’en exerçait plus de trois.
Nous voterons donc la suppression de l’article 2.
Vous avez raison, monsieur Sebaoun, il faut être précis. Les entreprises concernées par le passage de cinq à trois du nombre de mandats à partir d’août prochain sont celles qui sont cotées et ont plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 salariés dans le monde. Ce sont très exactement celles auxquelles nous pensons, celles où nous voulons éviter des situations anormales.
Passer de trois à deux alors que le texte n’est même pas encore appliqué, qu’il est en cours de discussion et qu’il y a des négociations, cela me paraît vraiment trop tôt. Il est question de la vie de ces grands groupes. Ils ont été obligés de prendre des décisions. Tant mieux, c’est ce que nous voulions. Changer encore alors qu’ils sont tous en train de se préparer, le mois d’août n’étant pas dans bien longtemps, ce ne serait pas de bonne administration.
La commission n’a pas examiné cet amendement. J’y serai donc défavorable. La limitation du cumul ne s’appliquerait en effet qu’aux administrateurs des sociétés anonymes et non aux PME organisées sous forme de SARL.
Pour protéger les ETI, si c’était encore nécessaire après cette remarque, on pourrait, comme l’a proposé Mme Lebranchu, déposer un sous-amendement pour les exclure du dispositif.
L’amendement no 25 n’est pas adopté.
Je suis saisi d’un amendement no 20 .
Sur cet amendement, je suis par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Gaby Charroux.
Il s’agit de créer un comité des rémunérations. Cet amendement reprend en réalité la proposition no 6 du rapport de la mission d’information sur les nouvelles régulations de l’économie en 2009, mission présidée par M. Jean-Luc Warsmann, dont le rapporteur était M. Philippe Houillon.
Certains dirigeants du MEDEF avec qui j’ai eu récemment des confrontations nous contestent la légitimité de nous intéresser à ces questions. Je vous invite donc vraiment à approuver nos propositions. Tout citoyen a en effet le droit de s’y intéresser et, pour nous, députés, à l’Assemblée nationale, c’est un devoir plus encore qu’un droit. Il n’est pas possible de laisser les dirigeants des grandes entreprises décider eux-mêmes de leurs propres règles.
Je serais en contradiction avec la position que j’ai prise en demandant la suppression de l’article si j’acceptais cet amendement. Par cohérence de pensée, j’y suis donc défavorable.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 25 Nombre de suffrages exprimés: 22 Majorité absolue: 12 Pour l’adoption: 16 contre: 6 (L’amendement no 20 est adopté.)
L’article 2, amendé, est adopté.
La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement no 11 .
À l’instar de l’article 2 de cette proposition de loi, cet amendement vise à faire respirer les conseils d’administration des entreprises. Pour ce faire, il conviendrait d’améliorer également la représentation des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises.
Cette représentation est aujourd’hui très limitée dans notre pays. D’une part, elle est réservée aux seules très grandes entreprises et on n’y trouve souvent que deux salariés. D’autre part, elle ne peut être considérée comme efficace car ce nombre est insuffisant.
On parle souvent du fameux modèle allemand en matière de participation des salariés à la gestion de l’entreprise. On peut effectivement dire que l’Allemagne a un, voire deux temps d’avance sur notre pays. Outre-Rhin, les salariés représentent un tiers du conseil d’administration des entreprises dont l’effectif se situe entre 500 et 2 000 salariés, la moitié du conseil d’administration dans les très grandes entreprises.
Ce que nous proposons ici est clair. L’amendement consiste à garantir aux salariés un tiers des sièges des conseils d’administration des entreprises. Nous proposons ainsi que le plafond devienne le plancher. Ce serait un saut qualitatif indéniable.
Il y a eu quelques avancées à ce sujet, notamment dans le cadre de la loi sur la sécurisation de l’emploi, mais beaucoup de choses restent à faire. Fondamentalement, nous croyons à une véritable gestion partagée de l’entreprise, seule porteuse d’un développement concerté et durable.
Je suis persuadé que le Gouvernement et la majorité, dont l’ambition est d’améliorer le dialogue social, soutiendront cet amendement.
L’amendement no 11 , repoussé par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Patrice Carvalho, pour soutenir l’amendement no 10 .
Il s’inscrit dans la même logique que le précédent, en lien avec les dispositions de l’article 2. Il s’agit d’un amendement que nous aurions aimé examiner dans le cadre du projet de loi travail, mais qui n’a pu faire l’objet d’un débat public.
Il vise à garantir une représentation minimum de deux administrateurs salariés dans les conseils d’administration, à l’exception des conseils composés de trois membres.
Cette proposition de loi nous donne une belle opportunité pour avancer dans ce domaine. On évoquait précédemment l’exemple allemand, qu’on ne cesse de vanter : je suis persuadé que ce modèle de co-détermination est l’un des facteurs expliquant la réussite et la compétitivité de ce pays.
Démocratiser l’entreprise, c’est aussi faire participer les salariés à la prise de décision en améliorant leur représentation dans les instances de gouvernance. Nous ferions clairement un premier pas dans la bonne direction.
Pardon de revenir un instant sur le vote précédent, monsieur le président : je n’ai pu m’exprimer, faute de m’être suffisamment signalé auprès de vous.
C’est un sujet que je connais bien : nous en avons débattu en examinant une loi de 2013 par laquelle nous avions abaissé l’effectif nécessaire pour qu’il y ait représentation des salariés au conseil d’administration.
Nous allons encore un peu plus loin. Ce point avait été abordé pendant l’examen de la loi Rebsamen, sauf erreur de ma part.
Je crois qu’il faut faire attention aux amendements de rattrapage. Quand quelque chose n’est pas passé il y a moins d’un an, on essaie d’y revenir : cela prouve une certaine cohérence dans la pensée…
Bien sûr, mais nous travaillons dans le réel, avec la matière humaine et des entreprises qui préparent un certain nombre de décisions : Tout chambouler continuellement risquerait de gêner la mise en application de l’accord national interprofessionnel de 2013.
Il en va de même de cet amendement, qui est lui aussi un amendement de rattrapage venant après le débat qui a eu lieu sur la loi travail. C’est pourquoi le Gouvernement n’y est pas favorable.
L’amendement no 10 est adopté.
La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement no 4 rectifié .
L’objet de cet amendement est d’interdire l’attribution de jetons de présence aux présidents du conseil d’administration ou du conseil de surveillance ainsi qu’aux directeurs généraux et directeurs généraux délégués lorsqu’ils sont administrateurs de la société qu’ils gèrent. C’est une disposition qui figurait dans l’excellent rapport Houillon de 2009 sur les rémunérations qui avait d’ailleurs à l’époque fait consensus. Je dois même dire, à sa relecture, que les représentants du groupe socialiste le trouvaient presque trop « soft ».
J’ai repris, dans différents amendements, les préconisations du rapport Houillon.
Cet amendement me paraît incompatible avec l’article 3 qui donne partiellement satisfaction à ses auteurs. Alors qu’aujourd’hui l’attribution et la répartition de ces jetons de présence relève du conseil d’administration, l’assemblée générale se contentant de voter l’enveloppe totale, le 1° de l’article 3 prévoit que leur répartition est « proposée par le conseil d’administration et approuvée par l’assemblée générale ».
À partir du moment où l’assemblée générale vote sur la répartition des jetons de présence et sur la rémunération de chaque dirigeant, il n’est plus utile d’interdire une forme de rémunération ou une autre.
De plus, ce dispositif est potentiellement risqué pour les administrateurs salariés, qui conservent leur salaire et reçoivent des jetons de présence. En poursuivant le même raisonnement, on devrait également supprimer leurs jetons de présence, je le crains. Avis défavorable.
Même avis. Je suis heureux que nous partagions cette analyse.
L’amendement no 4 rectifié est retiré.
La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement no 5 rectifié .
Il porte sur la participation effective des administrateurs, qui conditionnerait l’attribution des jetons de présence. Mais je crains qu’il subisse le même sort que le précédent.
Cet amendement risque de ne pas être compatible avec le dispositif adopté par la commission, qui prévoit l’approbation par l’assemblée générale des modalités de répartition.
À titre personnel, je suis favorable à cet amendement, même si la commission l’a repoussé.
L’amendement no 5 rectifié est retiré.
Je me suis exprimé sur cet amendement en commission : son adoption conditionne en quelque sorte notre vote sur cette proposition de loi.
Rendre exécutoire la décision de l’assemblée générale ordinaire à l’issue d’un vote contraignant obligerait les dirigeants à quitter l’entreprise en cas de vote négatif : dans ce cas-là, ils n’auraient pas d’autre choix.
Paradoxalement, cela risque de paralyser les actionnaires, qui peuvent souhaiter dénoncer les émoluments d’un directeur général sans pour autant souhaiter son départ. Ce n’est pas forcément le voeu qu’émettent les actionnaires quand ils procèdent à un tel vote. Il serait dommage d’adopter une mesure d’une telle rigidité.
Il semblerait plus adéquat de laisser la porte ouverte à une phase de négociation permettant au conseil d’administration de soumettre de nouvelles propositions à un nouveau vote.
Et pourquoi donc ? Il peut très bien y avoir un second vote, une négociation permettant d’aboutir à une rémunération acceptable.
La question est de définir le « délai raisonnable » mentionné dans l’amendement. Cette disposition me semble n’apporter que peu de choses au dispositif voté par la commission. Celui-ci précise déjà que les éléments de rémunération sont définis par le conseil d’administration et approuvés par l’assemblée générale. Mon avis est donc défavorable.
Je ne suis pas favorable à cet amendement, mais je vois qu’il est déposé dans un esprit très constructif et je voudrais profiter de ce moment pour revenir sur le dispositif adopté par la commission.
Je l’approuve, même s’il doit être peaufiné techniquement. Je souhaite qu’il aboutisse et nous allons continuer à le travailler.
Monsieur le rapporteur vous le savez, tout comme Mme la présidente de la commission : c’est un dispositif auquel le Gouvernement tient beaucoup. Il faut légiférer dans ce domaine et vous savez que, dans le texte sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique – que certains abrègent parfois sous la forme d’un nom et d’un chiffre –, ce dispositif fera l’objet d’un amendement. Les deux textes vont donc, à un moment, se croiser.
Je n’ai pas d’opposition à ce que le dispositif soit adopté aujourd’hui, sachant que nous aurons à le travailler plus précisément dans le cadre du texte dit « Sapin 2 ».
L’amendement no 12 n’est pas adopté.
L’amendement no 13 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’article 3 est adopté.
Il vise à instituer une véritable transparence sur les rémunérations des opérateurs financiers au sein des sociétés intervenant dans la finance.
Il pourrait être retiré.
L’amendement no 8 est retiré.
Dans le droit fil des conclusions du rapport Houillon de 2009, il vise à supprimer la décote de 20 % sur le prix d’attribution des stock options aux dirigeants mandataires sociaux.
L’amendement no 6 , accepté par la commission, repoussé par le Gouvernement, est adopté.
Dans le même esprit que le précédent, il vise à lisser les prix d’attribution des stock options en calculant le cours moyen sur une période plus longue.
L’amendement no 7 , accepté par la commission, repoussé par le Gouvernement, est adopté.
Il reprend une proposition de loi de l’ancien groupe socialiste, républicain et citoyen, débattue en 2009 et dont le rapporteur était Pierre-Alain Muet.
Il vise à interdire d’une part l’attribution de stock options et d’autre part l’attribution gratuite d’actions aux dirigeants de sociétés dès lors que celles-ci bénéficient d’aides publiques.
Le sous-amendement no 23 vise à préciser que l’interdiction est valable au moins deux ans après que l’aide publique a été accordée.
Le sous-amendement no 22 vise à élargir l’interdiction à toutes les sociétés ayant bénéficié d’une aide d’État devant être notifiée à la Commission européenne et non aux seules aides publiques effectuées par recapitalisation.
Sous réserve de l’adoption de ces deux sous-amendements, je suppose que vous êtes favorable à l’amendement.
Avis défavorable sur l’ensemble.
L’amendement no 9 , sous-amendé, est adopté.
La parole est à M. Gaby Charroux, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 21 .
Il vise à étendre l’application de la loi à l’ensemble du territoire de la République, y compris aux collectivités d’outre-mer comme la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, les Terres australes et antarctiques françaises, ainsi que la Nouvelle-Calédonie.
Il faut rectifier l’amendement, qui vise le III de l’article 1er bis et les articles 2 à 3 quater.
Sur le principe, le Gouvernement est évidemment favorable à l’adoption de cet amendement. Nous aurions procédé ultérieurement car l’application des dispositions à ce que l’on appelle encore aujourd’hui les territoires d’outre-mer – l’outre-mer dans sa diversité – est toujours plus compliquée.
Je suis ennuyé parce que je rends ainsi applicables certaines dispositions avec lesquelles je n’étais pas d’accord mais, enfin, restons au coeur du texte ! Les dispositions centrales ayant fait l’objet d’un accord du Gouvernement, je suis favorable à l’adoption de cet amendement, monsieur le président.
L’amendement no 21 rectifié est adopté.
N’étant saisi d’aucune demande d’explication de vote, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
La proposition de loi est adoptée.
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales, la proposition de loi qui vous est soumise a été initiée par les député-e-s du Front de Gauche et adoptée par la commission des lois après avoir été amendée. Ce sont les associations qui agissent au quotidien pour les droits des femmes – Africa, Femmes solidaires, le Collectif national pour les droits des femmes et la CIMADE – qui en sont néanmoins à l’origine. Confrontées aux souffrances comme aux combats quotidiens des femmes étrangères arrivant ou vivant depuis peu en France, elles nous ont alertés sur un problème trop souvent tu : leur mise en état de dépendance par la loi.
Je salue ces combattantes des droits des femmes ici présentes dans nos tribunes. Grâce à elles, cette proposition de loi aborde de façon frontale une question discutée jusqu’ici seulement à la marge de plusieurs lois : celle du droit à l’autonomie pour les femmes étrangères entrant dans notre pays.
Le combat des femmes pour l’autonomie ne date pas d’hier ni ici, dans notre pays, ni ailleurs. En France, les avancées vers l’autonomie des femmes résultent d’un combat poursuivi de génération en génération. Le droit de vote ne date que de 1945, celui de maîtriser sa maternité de 1967 et de 1975 avec la loi Veil. Ce n’est qu’en 1965 que la loi a autorisé les femmes à exercer un emploi sans l’autorisation de leur mari et à avoir un compte bancaire à leur nom. Malgré neuf lois sur l’égalité professionnelle, celle-ci est encore loin d’être acquise. Ce n’est qu’en 2010 qu’une loi visant à combattre toutes les violences faites aux femmes a été votée ; ce n’est que depuis cette année, 2016, qu’une autre s’en prend au système prostitutionnel !
Contrairement à ce que j’ai pu entendre lors des débats en commission, ce rappel montre que cette question de l’autonomie des femmes n’est pas liée à une « communauté » ou à certaines « cultures » mais bien à une domination patriarcale qui se décline avec plus ou moins de violences partout dans le monde.
Notre Assemblée peut s’y attaquer une nouvelle fois avec cette loi et poursuivre ainsi ce long chemin vers la liberté et l’égalité des femmes vivant sur notre territoire. Agissant ainsi, nous participons à l’émancipation de toute la société en la débarrassant de tout rapport de domination et en libérant les individus de ce fardeau. Dans ce pays qui a donné naissance à la première déclaration des « Droits de l’Homme », beaucoup reste encore à faire pour que toutes les femmes puissent vivre libres et égales – pour parodier Coluche, certaines femmes sont en effet « moins égales que d’autres ».
Telle est la raison d’être de cette proposition de loi qui concerne les femmes arrivant en France sans bénéficier des mêmes droits que les autres, ces femmes venues dans notre pays pour des raisons conjugales ou familiales et dont l’existence légale, le statut, dépendent de l’autre, du conjoint. En tant que personnes, elles ne bénéficient de surcroît ni de liberté ni d’existence propre.
Comment s’émanciper, rompre ou modifier son mode de vie et envisager de construire une autre vie si la carte de séjour est le plus souvent délivrée sur le fondement de liens conjugaux et familiaux ? Comment une femme peut-elle se prémunir d’un divorce acté à l’étranger sans qu’elle en soit prévenue, alors que c’est la première juridiction saisie qui prévaut selon l’accord binational ? Comment aller seule à un rendez-vous en préfecture alors que cette dernière demande la présence du conjoint pour renouveler la carte de séjour ? Comment sortir de la polygamie ? Comment porter plainte pour violence si, dès cette plainte, des garanties de pouvoir poursuivre sa vie en France ne sont pas données ?
Il est certes possible de nier la nécessité d’un traitement spécifique du parcours et du statut des femmes étrangères. Pour illustrer cette option, madame la secrétaire d’État, je prendrai le rapport que vient de remettre le Gouvernement au Parlement sur « les étrangers en France » pour l’année 2014.
Si nous y trouvons un constat précis, nous n’avons pas de données de genre de la population étrangère en France, hormis pour les personnes concernées par l’asile. Pour cette seule catégorie, un chapitre est consacré à la répartition hommesfemmes des demandeurs. On y apprend que les femmes représentent 36,4 % de la demande d’asile et qu’elles sont majoritairement mariées, contrairement aux hommes.
En revanche, pour la totalité de la population étrangère, y compris lorsque le rapport étudie les données par catégorie de titres de séjour délivrés, nous n’avons aucune répartition hommesfemmes. Cette inexistence des femmes dans le champ de la statistique témoigne de l’occultation de la spécificité de leur parcours et de leur situation. Une reconnaissance permettrait pourtant d’envisager les mesures adéquates qui doivent être prises pour leur assurer le droit commun.
L’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à l’ONU dispose : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». En adoptant cette proposition de loi, nous pouvons contribuer à ce que la République reconnaisse aux femmes étrangères tous les droits et toutes les libertés dus à chacun.
Contrairement à ce que nous avons pu entendre lors des débats de la commission des lois de la part du député Bompart, cette proposition de loi ne s’inscrit donc pas dans une prétendue politique, je cite, d’ « d’immigrationnisme », mais dans une volonté de se mettre en accord avec la devise de notre République française : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Cette loi tend à incarner cette devise dans le quotidien des femmes étrangères arrivant sur notre territoire.
Madame la secrétaire d’État, chers collègues, la commission des lois, après débat, a retenu trois articles qui ont une portée significative.
Les articles 4 et 5 apportent des corrections utiles à notre législation. La loi de 2016 a généralisé l’expression « violences familiales ou conjugales » dans le CESEDA, prenant acte du fait que les coups donnés par un père ou par un frère sont aussi détestables que ceux portés par le mari ou par un compagnon et que la maltraitance d’une belle famille est inacceptable. Cette évolution a été faite partout, sauf pour le regroupement familial, ce à quoi remédie l’article 4.
L’article L.316-4 du CESEDA prévoit qu’une carte de résident « peut être » délivrée par l’autorité administrative à l’étranger ayant déposé plainte contre son conjoint lorsque celui-ci est définitivement condamné. L’article 5 adopté par la commission rend automatique cette délivrance et il s’agit là d’un progrès considérable. Nous sommes plusieurs à avoir mené cette bataille pendant la discussion de différentes lois et je suis heureuse que nous puissions la gagner aujourd’hui.
L’article 6, amendé en commission, permet à la personne victime de violence ayant engagé une procédure de pouvoir bénéficier d’une carte de séjour temporaire durant le temps de cette procédure. Il complète le chapitre du CESEDA consacré aux « Dispositions applicables aux étrangers ayant déposé plainte pour certaines infractions, témoigné dans une procédure pénale ou bénéficiant de mesures de protection ».
On peut se féliciter de l’adoption initiale de ces trois articles par la commission car ils apportent des garanties aux femmes étrangères. J’espère que notre débat d’aujourd’hui les confirmera.
Contre à mon avis en tant que rapporteure, la commission a rejeté quatre articles en premier examen avant de revenir sur certains d’entre eux par voie d’amendements. Je tiens à souligner ici que ces articles permettaient d’apporter une réponse cohérente à la question soulevée : l’autonomie des étrangères.
Ainsi l’article premier a-t-il été rétabli lors de l’examen des amendements en application de l’article 88. Il propose de porter à quatre années la durée de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale ». Cela offre à chaque femme de meilleures conditions pour construire sa vie, choisir son mode de vie et, pour certaines, pouvoir se libérer de possibles menaces ou chantage aux papiers exercés à leur encontre dans le cadre familial ou conjugal. Au fond, ils mettent un terme à cette précarité juridique qui brime leur capacité de révolte.
L’article 3 – supprimé – permettait de se mettre en accord avec la loi sur les violences faites aux femmes en faisant bénéficier du dispositif accordé aux femmes victimes de violences celles ayant conclu un PACS ou vivant en concubinage, au-delà donc des seules femmes mariées – il est en effet étonnant de reconnaître ces modes de vie commune pour les femmes françaises et de les nier pour les femmes étrangères.
Enfin, la commission n’a pas retenu deux articles, l’un portant sur les conséquences des accords bilatéraux, l’autre sur le droit d’asile.
Sur l’article 2, nous n’avons malheureusement pas pu bénéficier de l’apport du ministère des affaires étrangères que nous souhaitions auditionner, ce dernier ayant décliné l’invitation de la commission. Nous avons entendu l’argument selon quoi cet article pouvait se heurter à l’article 55 de la Constitution mais, par cinq arrêts, la cour de cassation a refusé de donner effet en France à des répudiations faites dans des pays concernés par les accords binationaux car méconnaissant le principe d’égalité des époux. Ce problème doit donc bien être traité et il serait souhaitable qu’à l’avenir la France défende les droits des femmes lors de la renégociation de ces accords.
Le retrait de l’article 7 a été justifié en raison de sa satisfaction par les dispositions actuelles et par l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946 disposant que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».
Toutefois, nous avons pu entendre M. le directeur de l’OFPRA, qui a porté à notre connaissance des éléments supplémentaires sur les motifs de protection que pouvait offrir notre pays à des femmes étrangères en raison de leur combat de femme pour vivre en toute liberté dans leur pays, selon leur choix de vie. Cet article, dont je regrette la suppression, aurait pu apporter des garanties sur la prise en compte de ce combat dans l’accès des femmes au droit d’asile sur le long terme.
Chers collègues, après avoir rendu compte des conclusions des travaux de la commission des lois, permettez-moi de vous inviter à enrichir en séance publique cette loi sur l’autonomie des femmes étrangères. Une nouvelle fois, sur tous les bancs de cette Assemblée et comme nous l’avons fait à l’occasion de la loi contre les violences faites aux femmes, nous pouvons nous rassembler pour faire droit au combat des femmes !
Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve.
Vous le savez, depuis 2012, la lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité politique du Gouvernement. Le quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes s’est fixé pour objectif de protéger plus efficacement les victimes de ces actes inacceptables. Dans ce cadre, le cas particulier des femmes étrangères a été pris en considération.
Au-delà des mesures de protection juridique, psychologique et sociale, leur protection exige de traiter spécifiquement les questions relatives à la préservation de leur droit au séjour sur le territoire français.
La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a apporté les modifications nécessaires pour conforter le droit au séjour des femmes étrangères victimes de la violence de leur conjoint au sein du domicile conjugal alors même que leur droit au séjour dépend très souvent, nous le savons, de la stabilité de la communauté de vie avec leur conjoint. Elles peuvent ainsi se prévaloir d’avoir été victimes de cette rupture et concentrer toute leur énergie pour reconstruire leur projet de vie.
Des instructions précises ont été données aux préfets par voie de circulaire afin que l’instruction des demandes d’admission au séjour présentées par des femmes victimes de la traite des êtres humains, de proxénétisme ou de violences conjugales fassent l’objet d’un examen particulièrement attentif et bienveillant.
Le texte que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cette logique et dans la continuité de l’action du Gouvernement à ce sujet. Il succède à la réforme de la législation appliquée aux étrangers en France commencée en 2015 avec la réforme de l’asile dont Sandrine Mazetier était la rapporteure. La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, adoptée à une large majorité, a en effet d’abord permis de moderniser les procédures et de faire en sorte que notre pays puisse faire face à l’augmentation de la demande d’asile.
Elle contient également des dispositions très explicites pour prendre en compte les préoccupations exprimées par la proposition de loi qui vous est soumise ce matin. La loi du 29 juillet 2015 précise ainsi qu’ouvrent droit au statut de réfugié les motifs de persécution fondés sur l’appartenance à un groupe social et souligne la nécessité de prendre en considération les aspects liés au genre. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA – peut désormais aménager les modalités d’examen des demandes d’asile présentées par des femmes se trouvant dans des situations de vulnérabilité en prévoyant un entretien avec un officier de protection du même sexe et spécialement formé à des thématiques telles que les violences faites aux femmes ou la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains.
Le Gouvernement s’est également montré très sensible à ces questions lors de l’examen de la réforme du droit des étrangers, dont Erwann Binet était le rapporteur. Ainsi, la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, dont la majorité des dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1er novembre 2016, améliore les conditions d’accueil et l’intégration des étrangers sur notre sol et porte une attention particulière aux ressortissants étrangers en situation de vulnérabilité, notamment pour les victimes de violences physiques ou psychologiques dans le cadre familial.
Ce texte prévoit ainsi d’étendre la délivrance et le renouvellement de plein droit d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à la personne étrangère qui bénéficie d’une ordonnance de protection en raison de la menace d’un mariage forcé ou des violences commises par un ancien conjoint, un ancien partenaire de PACS ou un ancien concubin. Il comporte également une sécurisation du renouvellement de la carte de séjour temporaire du conjoint de Français et du conjoint entré par regroupement familial, puisque le préfet délivre désormais de plein droit le titre en cas de rupture de la communauté de vie due à des violences conjugales. S’agissant des conjoints de Français, la loi a même élargi l’origine des violences au cadre familial. Toutes ces dispositions sont appliquées depuis le 8 mars 2016 et contribuent d’ores et déjà à l’autonomie des femmes étrangères.
Cette proposition de loi comporte des dispositions qui approfondissent le travail déjà accompli et je souhaite vous saluer, madame la rapporteure, pour la qualité de votre travail et votre grand engagement sur ce sujet. Je tiens également à souligner la très grande sagesse du travail accompli en commission des lois, qui ne remet pas en cause les débats parlementaires qui se sont tenus dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers, notamment sur la question du parcours d’intégration.
Le Gouvernement est favorable aux dispositions des articles 4 et 5. À l’image de l’extension aux violences d’origine familiale pour la protection du droit au séjour des conjoints de Français que je viens de rappeler, l’article 4 prévoit, dans la même logique, que le titre de séjour remis au conjoint d’une personne étrangère ayant bénéficié de la procédure du regroupement familial ne peut être retiré si cette personne a subi des violences familiales ou conjugales. Il s’agit donc de mettre en cohérence le statut des conjoints de Français avec celui des conjoints entrés par le regroupement familial – objectif pleinement partagé par le Gouvernement.
L’article 5, quant à lui, substitue au pouvoir d’appréciation du préfet la délivrance d’une carte de résident de plein droit à la personne étrangère qui a déposé plainte pour des faits de violences exercées au sein du couple, en cas de condamnation définitive de la personne qui les a commises. C’est un message très fort en faveur du droit des femmes. Je sais qu’il s’agit là du coeur de votre proposition de loi, madame Buffet, et que vous êtes soutenue en ce sens par la députée Pascale Crozon, particulièrement investie sur ces questions. Je veux vous dire que le Gouvernement, et singulièrement le ministre de l’intérieur, partage votre intention.
Le Gouvernement n’a pas souhaité déposer d’amendement qui pourrait affaiblir le message adressé par votre proposition de loi, un message simple, lisible, efficace, qui correspond à la rédaction de votre article 5. Néanmoins, le dispositif ne nous paraît pas complètement abouti, notamment parce qu’il nous semble plus juste de traiter de façon identique les violences faites aux personnes étrangères et à celles victimes de la traite des êtres humains. En effet, il n’y a pas de distinction à opérer entre ces différentes catégories de victimes. C’est pourquoi le Gouvernement souhaite que, sur ce point, le travail législatif puisse continuer lors de débats parlementaires à venir.
Le dernier article subsistant dans le texte, l’article 6, entend créer un cas de délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à la personne étrangère victime de violences ayant entraîné une mutilation, une infirmité permanente ou une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, dès lors que des procédures civiles ou pénales ont été engagées. Les effets de cette disposition dépassent l’objet de cette proposition de loi. Elle pourrait trouver à s’appliquer dans une multitude de situations qui ne justifieraient pas nécessairement le maintien du plaignant étranger en France, alors même qu’il pourrait bénéficier de la représentation d’un avocat pour défendre ses intérêts dans une procédure pénale.
Le champ d’application de cet article est donc manifestement trop large, et potentiellement contraire aux objectifs poursuivis de protection des personnes vulnérables. Par conséquent, le Gouvernement ne pourra pas se montrer favorable à une telle disposition et vous proposera de voter un amendement de suppression de cet article. Sous réserve de cette modification, le Gouvernement donnera un avis favorable à cette proposition de loi, qui approfondit le travail déjà accompli pour mieux lutter contre les violences conjugales.
Prochaine séance, à quinze heures :
Suite de la proposition de loi pour tendre à l’autonomie des femmes étrangères ;
Proposition de loi relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 ;
Proposition de loi visant à garantir le revenu des agriculteurs.
La séance est levée.
La séance est levée à douze heures cinquante.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly