Intervention de Marie-Thérèse Le Roy

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 9h30
Encadrement des rémunérations dans les entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Thérèse Le Roy :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la question de la rémunération des dirigeants d’entreprise est d’une grande actualité, en raison d’un nouveau scandale qui a éclaté à la fin du mois d’avril. Nous avons alors appris que le patron du groupe Renault allait voir sa rémunération, ou devrais-je dire plutôt ses rémunérations, passer de 2,67 millions à 7,22 millions d’euros. Une augmentation choquante, qui témoigne du fossé abyssal qui sépare les rémunérations des ménages français de celles des grands patrons, le tout sur fond de crise économique et financière.

Je me félicite donc que nous abordions aujourd’hui ce sujet majeur qui suscite l’émoi de nos concitoyens. Et pour cause : le patron le moins bien payé du CAC 40 perçoit 1,32 million d’euros par an, ce qui représente tout de même 76 SMIC !

Soulignons d’ailleurs que ces dérives choquantes n’ont rien de spécifiquement français. En termes d’écarts de rémunérations, notre pays est dans la moyenne des nations occidentales : les États-Unis, le Canada ou l’Allemagne sont beaucoup plus inégalitaires que la France.

De fait, la prise de conscience du problème posé par l’écart grandissant des rémunérations des dirigeants et des salariés revêt une véritable dimension internationale. Avec plus ou moins de succès, et dans le cadre de réformes plus ou moins ambitieuses, plusieurs pays, depuis une décennie environ, ont légiféré, ou tenté de le faire, dans le but de réduire les écarts de salaires au sein d’une même entreprise. Tel a été notamment le cas en Allemagne, en Italie, ou encore en Belgique.

C’est dans ce contexte que nous examinons la proposition de loi présentée par notre collègue Gaby Charroux, qui nous propose de légiférer pour répondre aux dérives en matière de rémunération des dirigeants de société et apporter une solution pérenne à ce problème de plus en plus pressant qu’est l’inflation inconsidérée de la rémunération des dirigeants.

Avant de revenir plus précisément sur les dispositions proposées par notre collègue, je voudrais rappeler les importants progrès introduits par notre majorité depuis 2012.

Nous avons plafonné dès 2012 les revenus des dirigeants d’entreprises publiques ; nous avons obtenu le renforcement du code de gouvernance des sociétés cotées élaboré par l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, et le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF ; nous avons obtenu, au niveau européen, que les bonus ne puissent plus excéder les salaires annuels fixes dans le secteur bancaire et nous avons encadré le système des retraites chapeaux des mandataires sociaux. Bien loin des déclarations d’intention de la droite, notre majorité n’est pas restée les bras croisés et agit pour un juste encadrement des rémunérations. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des finances – hier après-midi encore, lors des questions d’actualité – ont d’ailleurs rappelé la nécessité de légiférer sur cette question.

Je voudrais maintenant revenir sur les dispositions du texte soumis aujourd’hui à notre discussion.

L’article 1er, qui visait à plafonner les écarts de rémunérations, a été supprimé en commission des affaires sociales. Comme je sais que M. le rapporteur nous présentera des amendements visant à réintroduire cet article, je voudrais rappeler les raisons qui ont conduit à sa suppression.

Tout d’abord, cet article comportait un risque important d’atteinte au principe de la liberté d’entreprendre, qui permet à chacun d’exercer l’activité qu’il souhaite, ainsi qu’au principe de liberté contractuelle. En effet, tant aux termes de la Constitution que de la jurisprudence constitutionnelle, la liberté ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre, ainsi qu’à la liberté contractuelle. Le législateur ne peut donc qu’y apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Or, imposer un écart maximum entre les rémunérations les plus hautes et les plus basses dans une entreprise conduirait à méconnaître la liberté de l’employeur, comme celle du salarié, d’exercer librement leur activité. La réduction des inégalités, comme seul motif d’intérêt général invoqué, ne semble pas suffisante au regard du contrôle de proportionnalité de l’atteinte aux droits précités exercé par le juge constitutionnel.

Par ailleurs, cet article 1er ne s’appliquerait qu’aux contrats conclus postérieurement à la loi, en vertu du droit constitutionnel au maintien de l’économie des conventions légalement conclues.

L’article 2 prévoit de limiter à deux, au lieu de cinq actuellement, le nombre de conseils d’administration dans lesquels une personne peut siéger, pour lutter contre la consanguinité des conseils d’administration et des conseils de surveillance. La loi de 2001 relative aux nouvelles régulations économiques avait déjà abaissé à cinq, contre huit auparavant, le nombre maximal de mandats d’administrateur et de membre du conseil de surveillance qu’une personne physique peut exercer. Dans son rapport de 2008 sur les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marché, adopté à l’unanimité, notre collègue de l’opposition Philippe Houillon proposait déjà de limiter plus fortement le cumul des mandats sociaux. Cet article 2 va dans le sens de nos travaux et des préconisations formulées par nos commissions.

L’article 3, issu de nos travaux en commission, prévoit l’approbation par l’assemblée générale des rémunérations et des indemnisations des mandataires sociaux des sociétés anonymes. L’exemple récent de Renault que j’évoquais au début de mon intervention a montré les limites du vote simplement consultatif des actionnaires et atteste la nécessité de légiférer en la matière.

Mes chers collègues, le choix opéré en 2012 avait été celui de la responsabilisation des entreprises. Force est de constater qu’il n’a pas été concluant. Les rémunérations excessives perdurent et les tentatives de moralisation n’ont eu qu’un succès relatif. Après le temps du patronat est venu celui du Parlement. C’est pourquoi le groupe socialiste, écologiste et républicain votera cette proposition de loi telle qu’amendée en commission des affaires sociales.

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