Intervention de Marie-George Buffet

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 9h30
Autonomie des femmes étrangères — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Notre Assemblée peut s’y attaquer une nouvelle fois avec cette loi et poursuivre ainsi ce long chemin vers la liberté et l’égalité des femmes vivant sur notre territoire. Agissant ainsi, nous participons à l’émancipation de toute la société en la débarrassant de tout rapport de domination et en libérant les individus de ce fardeau. Dans ce pays qui a donné naissance à la première déclaration des « Droits de l’Homme », beaucoup reste encore à faire pour que toutes les femmes puissent vivre libres et égales – pour parodier Coluche, certaines femmes sont en effet « moins égales que d’autres ».

Telle est la raison d’être de cette proposition de loi qui concerne les femmes arrivant en France sans bénéficier des mêmes droits que les autres, ces femmes venues dans notre pays pour des raisons conjugales ou familiales et dont l’existence légale, le statut, dépendent de l’autre, du conjoint. En tant que personnes, elles ne bénéficient de surcroît ni de liberté ni d’existence propre.

Comment s’émanciper, rompre ou modifier son mode de vie et envisager de construire une autre vie si la carte de séjour est le plus souvent délivrée sur le fondement de liens conjugaux et familiaux ? Comment une femme peut-elle se prémunir d’un divorce acté à l’étranger sans qu’elle en soit prévenue, alors que c’est la première juridiction saisie qui prévaut selon l’accord binational ? Comment aller seule à un rendez-vous en préfecture alors que cette dernière demande la présence du conjoint pour renouveler la carte de séjour ? Comment sortir de la polygamie ? Comment porter plainte pour violence si, dès cette plainte, des garanties de pouvoir poursuivre sa vie en France ne sont pas données ?

Il est certes possible de nier la nécessité d’un traitement spécifique du parcours et du statut des femmes étrangères. Pour illustrer cette option, madame la secrétaire d’État, je prendrai le rapport que vient de remettre le Gouvernement au Parlement sur « les étrangers en France » pour l’année 2014.

Si nous y trouvons un constat précis, nous n’avons pas de données de genre de la population étrangère en France, hormis pour les personnes concernées par l’asile. Pour cette seule catégorie, un chapitre est consacré à la répartition hommesfemmes des demandeurs. On y apprend que les femmes représentent 36,4 % de la demande d’asile et qu’elles sont majoritairement mariées, contrairement aux hommes.

En revanche, pour la totalité de la population étrangère, y compris lorsque le rapport étudie les données par catégorie de titres de séjour délivrés, nous n’avons aucune répartition hommesfemmes. Cette inexistence des femmes dans le champ de la statistique témoigne de l’occultation de la spécificité de leur parcours et de leur situation. Une reconnaissance permettrait pourtant d’envisager les mesures adéquates qui doivent être prises pour leur assurer le droit commun.

L’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à l’ONU dispose : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». En adoptant cette proposition de loi, nous pouvons contribuer à ce que la République reconnaisse aux femmes étrangères tous les droits et toutes les libertés dus à chacun.

Contrairement à ce que nous avons pu entendre lors des débats de la commission des lois de la part du député Bompart, cette proposition de loi ne s’inscrit donc pas dans une prétendue politique, je cite, d’ « d’immigrationnisme », mais dans une volonté de se mettre en accord avec la devise de notre République française : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Cette loi tend à incarner cette devise dans le quotidien des femmes étrangères arrivant sur notre territoire.

Madame la secrétaire d’État, chers collègues, la commission des lois, après débat, a retenu trois articles qui ont une portée significative.

Les articles 4 et 5 apportent des corrections utiles à notre législation. La loi de 2016 a généralisé l’expression « violences familiales ou conjugales » dans le CESEDA, prenant acte du fait que les coups donnés par un père ou par un frère sont aussi détestables que ceux portés par le mari ou par un compagnon et que la maltraitance d’une belle famille est inacceptable. Cette évolution a été faite partout, sauf pour le regroupement familial, ce à quoi remédie l’article 4.

L’article L.316-4 du CESEDA prévoit qu’une carte de résident « peut être » délivrée par l’autorité administrative à l’étranger ayant déposé plainte contre son conjoint lorsque celui-ci est définitivement condamné. L’article 5 adopté par la commission rend automatique cette délivrance et il s’agit là d’un progrès considérable. Nous sommes plusieurs à avoir mené cette bataille pendant la discussion de différentes lois et je suis heureuse que nous puissions la gagner aujourd’hui.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion