Intervention de Estelle Grelier

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 9h30
Autonomie des femmes étrangères — Présentation

Estelle Grelier, secrétaire d’état chargée des collectivités territoriales :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve.

Vous le savez, depuis 2012, la lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité politique du Gouvernement. Le quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes s’est fixé pour objectif de protéger plus efficacement les victimes de ces actes inacceptables. Dans ce cadre, le cas particulier des femmes étrangères a été pris en considération.

Au-delà des mesures de protection juridique, psychologique et sociale, leur protection exige de traiter spécifiquement les questions relatives à la préservation de leur droit au séjour sur le territoire français.

La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a apporté les modifications nécessaires pour conforter le droit au séjour des femmes étrangères victimes de la violence de leur conjoint au sein du domicile conjugal alors même que leur droit au séjour dépend très souvent, nous le savons, de la stabilité de la communauté de vie avec leur conjoint. Elles peuvent ainsi se prévaloir d’avoir été victimes de cette rupture et concentrer toute leur énergie pour reconstruire leur projet de vie.

Des instructions précises ont été données aux préfets par voie de circulaire afin que l’instruction des demandes d’admission au séjour présentées par des femmes victimes de la traite des êtres humains, de proxénétisme ou de violences conjugales fassent l’objet d’un examen particulièrement attentif et bienveillant.

Le texte que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cette logique et dans la continuité de l’action du Gouvernement à ce sujet. Il succède à la réforme de la législation appliquée aux étrangers en France commencée en 2015 avec la réforme de l’asile dont Sandrine Mazetier était la rapporteure. La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, adoptée à une large majorité, a en effet d’abord permis de moderniser les procédures et de faire en sorte que notre pays puisse faire face à l’augmentation de la demande d’asile.

Elle contient également des dispositions très explicites pour prendre en compte les préoccupations exprimées par la proposition de loi qui vous est soumise ce matin. La loi du 29 juillet 2015 précise ainsi qu’ouvrent droit au statut de réfugié les motifs de persécution fondés sur l’appartenance à un groupe social et souligne la nécessité de prendre en considération les aspects liés au genre. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides – OFPRA – peut désormais aménager les modalités d’examen des demandes d’asile présentées par des femmes se trouvant dans des situations de vulnérabilité en prévoyant un entretien avec un officier de protection du même sexe et spécialement formé à des thématiques telles que les violences faites aux femmes ou la prise en charge des victimes de la traite des êtres humains.

Le Gouvernement s’est également montré très sensible à ces questions lors de l’examen de la réforme du droit des étrangers, dont Erwann Binet était le rapporteur. Ainsi, la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, dont la majorité des dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1er novembre 2016, améliore les conditions d’accueil et l’intégration des étrangers sur notre sol et porte une attention particulière aux ressortissants étrangers en situation de vulnérabilité, notamment pour les victimes de violences physiques ou psychologiques dans le cadre familial.

Ce texte prévoit ainsi d’étendre la délivrance et le renouvellement de plein droit d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à la personne étrangère qui bénéficie d’une ordonnance de protection en raison de la menace d’un mariage forcé ou des violences commises par un ancien conjoint, un ancien partenaire de PACS ou un ancien concubin. Il comporte également une sécurisation du renouvellement de la carte de séjour temporaire du conjoint de Français et du conjoint entré par regroupement familial, puisque le préfet délivre désormais de plein droit le titre en cas de rupture de la communauté de vie due à des violences conjugales. S’agissant des conjoints de Français, la loi a même élargi l’origine des violences au cadre familial. Toutes ces dispositions sont appliquées depuis le 8 mars 2016 et contribuent d’ores et déjà à l’autonomie des femmes étrangères.

Cette proposition de loi comporte des dispositions qui approfondissent le travail déjà accompli et je souhaite vous saluer, madame la rapporteure, pour la qualité de votre travail et votre grand engagement sur ce sujet. Je tiens également à souligner la très grande sagesse du travail accompli en commission des lois, qui ne remet pas en cause les débats parlementaires qui se sont tenus dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers, notamment sur la question du parcours d’intégration.

Le Gouvernement est favorable aux dispositions des articles 4 et 5. À l’image de l’extension aux violences d’origine familiale pour la protection du droit au séjour des conjoints de Français que je viens de rappeler, l’article 4 prévoit, dans la même logique, que le titre de séjour remis au conjoint d’une personne étrangère ayant bénéficié de la procédure du regroupement familial ne peut être retiré si cette personne a subi des violences familiales ou conjugales. Il s’agit donc de mettre en cohérence le statut des conjoints de Français avec celui des conjoints entrés par le regroupement familial – objectif pleinement partagé par le Gouvernement.

L’article 5, quant à lui, substitue au pouvoir d’appréciation du préfet la délivrance d’une carte de résident de plein droit à la personne étrangère qui a déposé plainte pour des faits de violences exercées au sein du couple, en cas de condamnation définitive de la personne qui les a commises. C’est un message très fort en faveur du droit des femmes. Je sais qu’il s’agit là du coeur de votre proposition de loi, madame Buffet, et que vous êtes soutenue en ce sens par la députée Pascale Crozon, particulièrement investie sur ces questions. Je veux vous dire que le Gouvernement, et singulièrement le ministre de l’intérieur, partage votre intention.

Le Gouvernement n’a pas souhaité déposer d’amendement qui pourrait affaiblir le message adressé par votre proposition de loi, un message simple, lisible, efficace, qui correspond à la rédaction de votre article 5. Néanmoins, le dispositif ne nous paraît pas complètement abouti, notamment parce qu’il nous semble plus juste de traiter de façon identique les violences faites aux personnes étrangères et à celles victimes de la traite des êtres humains. En effet, il n’y a pas de distinction à opérer entre ces différentes catégories de victimes. C’est pourquoi le Gouvernement souhaite que, sur ce point, le travail législatif puisse continuer lors de débats parlementaires à venir.

Le dernier article subsistant dans le texte, l’article 6, entend créer un cas de délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à la personne étrangère victime de violences ayant entraîné une mutilation, une infirmité permanente ou une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, dès lors que des procédures civiles ou pénales ont été engagées. Les effets de cette disposition dépassent l’objet de cette proposition de loi. Elle pourrait trouver à s’appliquer dans une multitude de situations qui ne justifieraient pas nécessairement le maintien du plaignant étranger en France, alors même qu’il pourrait bénéficier de la représentation d’un avocat pour défendre ses intérêts dans une procédure pénale.

Le champ d’application de cet article est donc manifestement trop large, et potentiellement contraire aux objectifs poursuivis de protection des personnes vulnérables. Par conséquent, le Gouvernement ne pourra pas se montrer favorable à une telle disposition et vous proposera de voter un amendement de suppression de cet article. Sous réserve de cette modification, le Gouvernement donnera un avis favorable à cette proposition de loi, qui approfondit le travail déjà accompli pour mieux lutter contre les violences conjugales.

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