Intervention de Stéphane le Foll

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 15h00
Garantie du revenu des agriculteurs — Présentation

Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement :

Monsieur le rapporteur, avant d’entendre les orateurs et de répondre ensuite aux uns et aux autres, j’aimerais vous dire que, dans ce moment difficile, les initiatives qui sont prises sont le fruit d’une volonté de trouver des solutions pour les agriculteurs. Et je sais qu’au cours des débats qui se sont tenus sur ces questions – et ils ont été nombreux ces deux dernières années –, vous avez conservé un même état d’esprit et votre volonté n’a pas fléchi.

Quels sont les points qui peuvent susciter le débat entre nous ? Ils dépassent largement la question agricole. Il me semble que nous n’appréhendons pas de la même façon le monde dans lequel nous vivons. Les marchés français, européens, mondiaux de l’agriculture et de l’agroalimentaire sont désormais imbriqués. La France est un grand pays agricole ; nous en sommes tous fiers. Les agriculteurs français sont parmi les plus compétents au monde, notre industrie agroalimentaire a des défauts, mais aussi beaucoup de qualités. La recherche et l’enseignement agricoles français sont reconnus dans le monde entier. Nous disposons donc de nombreux atouts, atouts que les agriculteurs, les coopératives, les industriels cherchent souvent à valoriser, tant sur le marché national que sur le marché européen ou mondial.

Je le dis souvent, et je le rappelle ici : tout produit agricole nécessite une transformation, dont le degré varie entre un niveau faible et une élaboration extrême nécessitant des process industriels et des investissements en capital très importants.

Au sein de ce système de production et de distribution agricoles et agroalimentaires coexistent des marchés différents. Nous en avons souvent discuté. Mme la députée Brigitte Allain avait notamment soutenu une proposition de loi visant à développer une alimentation ancrée localement, à promouvoir les stratégies de circuits courts et l’approvisionnement local. Elle y proposait d’inscrire dans la loi la définition des projets alimentaires territoriaux afin de coordonner l’offre et la demande. Ces projets fonctionnent, se développent et continueront de se développer.

On observe également une augmentation du nombre de demandes de conversion vers l’agriculture biologique organisée. Cette hausse dépasse d’ailleurs les prévisions que j’avais pu faire lorsque j’avais décidé de doubler le budget alloué à ce mode de production. J’ai toujours exprimé le souhait que l’agriculture biologique se développe dans un cadre organisé, afin de pouvoir garantir aux agriculteurs qui font ce choix des prix de vente rémunérateurs, ce qui est très important.

Puis il y a les marchés internationaux, les produits de haute valeur ajoutée, les indications géographiques protégées, et les produits standard.

La difficulté dans le débat qui nous oppose, monsieur le rapporteur, vient du problème de la définition du prix. Y a-t-il un prix unique ? Le premier postulat est qu’il existe une multitude de prix. Prenons l’exemple du lait, qui m’a frappé : avec un même produit de base, on peut fabriquer – en particulier en France, où ont été développées des stratégies de transformation et de valorisation du lait – de 4 000 à 5 000 produits différents. Cela signifie que la valorisation du prix du produit acheté par le consommateur par rapport au prix de base du produit agricole est un processus d’une complexité extrêmement difficile à maîtriser. Il y a donc non pas un prix, mais une multitude de prix. Or, pour les agriculteurs, le prix de base du lait est unique, et là réside toute la difficulté. La profusion des produits, donc des prix, des segments, cette diversité, qui est un atout colossal, se mue en difficulté dès lors qu’il s’agit de discuter du prix de base du produit agricole, qui détermine la rémunération des agriculteurs, et de choisir quel prix final sera retenu à cette fin. Tel est le sujet.

Vous avez indiqué au sujet de deux articles de votre proposition de loi que nous n’étions pas si loin de l’objectif d’une meilleure gestion de cette complexité des prix, mais qu’il restait nécessaire pour les agriculteurs de disposer d’un référentiel lisible. Dans le cadre de la révision de la loi de modernisation de l’économie dite LME, nous souhaitons précisément introduire une disposition qui permette, compte tenu de la profusion des produits existants, de fixer le prix payé aux producteurs à l’issue des négociations commerciales entre la grande distribution et les industriels.

Vous considérez quant à vous, monsieur le rapporteur, qu’il conviendrait de mettre en place une conférence annuelle interprofessionnelle pour que tout le monde se mette d’accord, mais sur quels sujets ? La difficulté tient à ce que, dans le cadre des négociations mentionnées dans la LME, on discute à la fois du yaourt, de la crème fraîche et du fromage, des produits sous marque de distributeur et des produits de l’agriculture biologique. Et concernant les yaourts, on discute des produits crémeux, des produits à base de nectar, c’est-à-dire de multiples sujets commerciaux que nous ne pouvons pas maîtriser. Il faut restreindre l’étendue de la négociation du prix et faire en sorte que celui-ci soit clairement indiqué pour le producteur, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous avons donc des progrès à faire sur ce point.

En tant que ministre, j’ai acquis une certaine expérience des discussions interprofessionnelles agricoles. Quand nous avons commencé à travailler sur le fond des questions, j’ai pu constater la complexité des sujets. On m’avait d’ailleurs reproché la durée des tables rondes, et certains se demandaient même ce que le ministre faisait pendant des heures autour de la table avec les représentants des différentes professions. Or, c’est en discutant des problèmes concrets, pour faire en sorte que les acteurs économiques se mettent d’accord, que j’ai compris l’écart énorme qui séparait les demandes de la grande distribution et celles des industriels, et les conséquences que cela pouvait avoir pour les producteurs.

Et la question devient encore plus compliquée entre des entreprises qui transforment des produits avec une forte valeur ajoutée tels que le fromage, pour rester dans le secteur laitier, et des entreprises dont les produits sont peu transformés ou dont le mixte est composé en grande partie de poudre de lait. La capacité à dégager des profits, la rentabilité seront très différentes entre le premier cas et le second. La détermination du prix de base n’aura pas du tout les mêmes conséquences pour ces deux entreprises, qui ne vendent pas les mêmes produits, donc ne pratiquent pas les mêmes prix.

L’amendement du Gouvernement dont nous avons discuté me paraît donc pertinent, alors que mon avis est plus réservé sur votre amendement no 1 , monsieur le rapporteur. Celui-ci vise à définir un niveau plancher de prix d’achat, qui par définition est extrêmement délicat et difficile à fixer, et je l’affirme en m’appuyant sur l’expérience que j’ai acquise. Il me semble d’ailleurs qu’il y a une contradiction entre les articles 1er et 3 de votre proposition de loi : si une conférence annuelle définit un prix plancher par production agricole, que signifie l’interdiction par l’article 3 de la vente à perte ? Cela revient à estimer que la conférence a fait une erreur dans la fixation du prix plancher.

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