À propos de cet amendement, je laisserai ensuite s'exprimer, s'ils le souhaitent, le rapporteur pour avis de la commission des Finances et celui de la commission des Affaires économiques, qui en sont également cosignataires. Je souhaite préciser notre démarche. Nous entendons, à travers le présent amendement, traduire une volonté commune, celle de remettre sur le métier la question du reporting, dont nous avons déjà abondamment discuté au cours des derniers mois. Le Gouvernement et la majorité sont déterminés à avancer sur le sujet, compte tenu du fait que la directive européenne concernant le reporting est en cours d'élaboration. Et, même si elle pourrait être bientôt adoptée, nous devons nous livrer à une certaine gymnastique juridique non seulement pour avancer mais pour avancer en toute sécurité. Le présent amendement constitue donc une base de discussion, laquelle se poursuivra en séance publique.
Par souci de cohérence, j'évoquerai d'abord le reporting fiscal puis le reporting public.
Par l'amendement CL744, nous proposerons d'élargir le champ des entreprises soumises à l'obligation de reporting financier auprès des administrations fiscales. Il s'agit des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur non plus, comme le prévoit le droit en vigueur, à 750 millions d'euros, mais à 50 millions d'euros. Dès lors, les administrations fiscales françaises disposeront de toutes les données nécessaires pour toutes les entreprises françaises, hors PME, quel que soit le montant de leur chiffre d'affaires, et qui possèdent des filiales ou des succursales à l'étranger. Cet amendement vise à instaurer une transparence totale. C'est la première préoccupation de tous ceux qui veulent lutter avec efficacité contre l'évasion et la fraude fiscale : être à même de prendre les sanctions qui s'imposent en la matière et de déclencher les procédures judiciaires y afférentes. Aux yeux de l'administration fiscale française, toutes les activités de toutes les entreprises à l'international seront totalement transparentes.
Pour ce qui est du reporting public, les attentes de nos concitoyens sont très fortes et nous les partageons. Nous sommes néanmoins, ici aussi, confrontés à un certain nombre de contraintes. Le présent amendement prévoit que les entreprises concernées seront celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros – c'est le montant fixé par la directive européenne. Le reporting touchera donc les grands groupes français multinationaux ou les grands groupes étrangers dont l'une des filiales ou des succursales est située sur le territoire national. Il pourra également concerner de grandes entreprises de taille intermédiaire (ETI) – je rappelle que ces dernières représentent 40 % du chiffre d'affaires à l'exportation des entreprises françaises, majoritairement dans le secteur de l'industrie. De manière à apprécier les effets du reporting et à laisser le temps à nos partenaires européens de mettre en oeuvre la directive, ce seuil serait progressivement abaissé à 500 millions d'euros deux ans après l'entrée en vigueur du dispositif, soit, au plus tard en 2019, puis à 250 millions d'euros, au plus tard en 2021.
Nous pourrions par ailleurs réfléchir à l'instauration d'une clause de revoyure. Les organisations non gouvernementales (ONG), attentives à ces questions, y seraient associées, dans deux ans, pour que nous fassions le point ensemble.
En ce qui concerne le contenu des informations rendues publiques, notre amendement est conforme à la directive. Elles seraient détaillées pour les pays européens et agrégées pour les autres pays. J'ai connaissance de ce qui circule abondamment sur les réseaux sociaux depuis deux jours – la mobilisation sur le sujet est légitime – mais, j'insiste, ce que nous proposons n'est qu'une base de discussion.
Pourquoi sommes-nous restés prudents, à ce stade ? D'une part, nous proposons que la transparence soit totale vis-à-vis de l'administration fiscale, dont je rappelle qu'elle est chargée d'engager les poursuites nécessaires en cas d'évasion ou de fraude fiscale. D'autre part, s'il faut porter le maximum d'informations à la connaissance du public, nous devons néanmoins prendre garde de ne pas déstabiliser les entreprises françaises qui tentent de se déployer à l'international et qui, au demeurant, ne s'inscrivent pas toutes dans une logique d'optimisation fiscale.
Je prends deux exemples qui illustrent les difficultés que nous pourrions rencontrer à cet égard. Premier exemple : une société qui fabrique des matières plastiques en France et qui réalise un chiffre d'affaires de 590 millions d'euros, dont 540 millions à l'exportation avec deux clients seulement. Il suffirait donc de retrancher ses impôts et sa masse salariale de son chiffre d'affaires pour connaître sa marge, ce qui la mettrait en difficulté face à ses concurrents internationaux. Encore une fois, nous souhaitons une transparence maximale, mais nous devons savoir qu'elle risque d'avoir des conséquences économiques sans pour autant nécessairement accroître l'efficacité de la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, puisque, grâce à l'amendement CL744, l'administration fiscale détiendra, quant à elle, tous les éléments.
Second exemple, celui d'une grande entreprise qui exporte des turbines fabriquées dans la région Rhône-Alpes. Sur ce type de petits marchés aux enjeux économiques et financiers très importants, un reporting pays par pays n'est pas possible. Et que dire d'autres grands groupes qui, dans certains pays, n'exportent que des missiles, par exemple ?
Nous devons donc veiller à maintenir un équilibre entre, d'un côté, l'exigence de transparence, qui est un enjeu démocratique, et, de l'autre, la réalité économique d'entreprises dont beaucoup ont un comportement vertueux et cherchent simplement à se déployer à l'international et à créer ainsi de l'emploi en France. C'est pourquoi, à ce stade, nous ne sommes pas en mesure de donner entièrement satisfaction à celles et ceux qui suivent peut-être nos travaux. Mais, encore une fois, nous sommes ouverts à la discussion sur de nombreux points, notamment la clause de revoyure et un abaissement plus rapide ou, éventuellement, une définition différente des seuils. Des marges de manoeuvre demeurent, donc. Quant à la question du périmètre et de l'agrégation des données hors Union européenne, elle fera de toute façon l'objet d'une discussion en séance publique.