Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 25 mai 2016 à 16h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Mon amendement CL251 est très proche de celui de Karine Berger, rapporteure de la mission d'information sur l'extraterritorialité de la législation américaine, dont je suis le président. On constate à ce sujet une véritable convergence transpartisane, dès lors que l'on veut bien réfléchir en termes d'efficacité.

Nous sommes confrontés à une offensive tous azimuts. C'est un véritable impérialisme juridique que les États-Unis sont en train d'instaurer, depuis maintenant plusieurs années. La semaine dernière encore était adopté le Justice Against Sponsors of Terrorism Act (JASTA), après un arrêt de la Cour suprême allant dans le même sens.

Ce phénomène affecte plusieurs domaines. En matière fiscale, d'abord, nous venons d'adopter – contre mon avis – une convention internationale qui fait entrer la législation américaine dans le droit français. Elle oblige les institutions financières françaises, sans réciprocité, à dénoncer au fisc américain tous les résidents américains en France – dont des citoyens français qui ne parlent pas l'anglais, qui n'ont aucun lien avec les États-Unis, qui se trouvent simplement être nés là-bas et dont on bloque pourtant les comptes.

Même si nous ne sommes pas signataires des conventions, des sanctions nous sont également imposées unilatéralement – près de 9 milliards de dollars pour la BNP !

En matière de corruption, enfin, au nom de la morale et de la convention de l'OCDE, et face à l'incurie du droit français, incapable de punir nos propres entreprises, le shérif américain a décidé d'appliquer le droit tout seul, par divers moyens.

Voici comment les choses se passent. Le FBI ou d'autres agences ont vent de pratiques pas très nettes, à l'autre bout du monde, de la part d'entreprises françaises qui n'ont rien à voir avec les États-Unis mais qui, en vertu d'une clause de rattachement – l'utilisation du dollar ou de la Poste américaine –, deviennent sujettes du droit américain. Dès lors, soit on arrête un cadre, comme dans le cas d'Alstom, soit on fait venir les représentants de l'entreprise pour leur faire part des éléments dont on dispose contre elle et entamer un processus de confession. On vous propose d'aller au pénal, ce qui vous expose au risque d'une condamnation qui vous interdirait à jamais toute activité aux États-Unis, ou alors de vous confesser – totalement, en reconnaissant tous vos autres crimes, ce à quoi vous êtes incité puisque l'on vous dit que l'on a déjà beaucoup d'informations sur vous. Une fois cette confession achevée, comme on n'a pas entièrement confiance en vous, on vous flanque d'un inspecteur, à vos frais ; en outre, vous vous acquittez d'une pénalité. Après quoi vous obtenez la rédemption.

Voilà le régime qui est appliqué aux entreprises françaises en ce moment. Karine Berger le sait comme moi, pour avoir assisté aux mêmes auditions. C'est au point que les présidents des entreprises punies n'ont même pas le droit de nous dire ce que celles-ci ont signé dans leur plaider-coupable. Ce n'est d'ailleurs pas à la justice américaine qu'elles ont affaire, mais à un bureau séparé : il n'y a ni plaidoirie ni jugement, mais un simple accord de compensation extrajudiciaire.

Madame Mazetier, entre Français, abstraction faite de toute considération idéologique : qu'est-ce qui est le plus efficace ? Je comprends que vous vouliez défendre notre tradition juridique par la réintroduction du juge d'instruction, la convention pénale, la mise en branle de la justice. Mais, en pratique, la justice pénale n'a pas les moyens d'agir ainsi. Le pôle financier vous le confirmera. La situation d'inégalité et l'inefficacité que nous déplorons vont donc perdurer, permettant à nos grands voisins et partenaires d'affirmer que la France n'est pas à la hauteur, ce que l'OCDE – dont Mme Berger et moi-même avons reçu les représentants – confirmera, et le droit américain continuera d'être appliqué en France. Je suis désolé, mais je ne veux pas cela.

Ce que je souhaite, ce que souhaite Mme Berger, c'est que nous nous dotions d'un système équivalent à celui des Américains, même si cela me navre de devoir le copier. Nous serons ainsi en mesure de leur dire que nous avons posé une limite, qu'ils peuvent rester chez eux et que nous nous chargeons de punir les sociétés, y compris les leurs – d'où notre précédent amendement, que vous avez voté. Nous installons des moniteurs, mais c'est à nous, État français, que les informations recueillies sont transmises, avant de l'être aux Américains – c'est mon amendement suivant. Vous voyez que ma démarche est cohérente. Je souhaite, en somme, que la France se dote de la même force de frappe que les États-Unis.

Je le répète, madame Mazetier, je comprends très bien votre argumentation. Moi aussi, j'ai fait des études de droit en France, et je suis très attaché à nos traditions. Mais, en l'espèce, je vous demande d'accepter un dispositif beaucoup plus efficace, qui nous permettra d'être sur un pied d'égalité avec nos partenaires, au lieu de passer pour un pays sous-développé à qui l'on dit que, puisqu'il n'est pas capable de faire justice, d'autres vont la faire à sa place en appliquant leur propre droit.

Cet exemple n'est pas le seul. En ce qui concerne l'immunité souveraine, la jurisprudence de la Cour suprême américaine est rigoureusement contraire aux dispositions de l'article 24 : alors que la France veut protéger les États étrangers, les États-Unis mettent la main sur l'immunité souveraine. Ils viennent ainsi de condamner l'Iran à 2 milliards de dollars de pénalité, au profit de victimes du terrorisme iranien – pourquoi pas ? Or il se trouve que nous avons signé l'année dernière, après dix ans de négociations, un accord sur le nucléaire iranien dont découle la reprise de nos relations économiques avec Téhéran. Si les sanctions sur la chambre de compensation en dollars, à New York, ne sont pas levées – et elles ne le sont pas –, et si les citoyens américains peuvent faire saisir les biens de l'État iranien aux États-Unis, alors il n'y aura pas de levée des sanctions. La France aura beau s'agiter, envoyer M. Fabius ou M. Ayrault, nous ne pourrons pas avoir de relations économiques avec l'Iran. On en est là !

Il nous faut donc pouvoir combattre à armes égales, y compris en matière d'immunité souveraine. Si nous voulons poursuivre un État terroriste, nous devons pouvoir le faire. Ne soyons pas naïfs, ne faisons pas du juridisme entre nous pendant que nos rivaux font du droit américain en France !

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