Intervention de Claude Bartolone

Séance en hémicycle du 31 mai 2016 à 15h00
Éloge funèbre d'anne grommerch

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude Bartolone, président :

la disparition d’Anne Grommerch, le 15 avril, a provoqué une émotion considérable à Thionville, dans le Nord mosellan, en Lorraine, au Luxembourg et à l’Assemblée nationale, où nous ne soupçonnions pas que cette femme si spontanée et souriante menait un tel combat contre la maladie.

Injustement emportée à l’âge de quarante-cinq ans, cette grande dame de conviction était estimée. Estimée par toutes celles et tous ceux qui, un jour, croisèrent son chemin, quels que soient leur condition sociale ou leur horizon politique. La foule qui se pressa à ses obsèques à Thionville en témoigne, comme ces applaudissements spontanés qui retentirent sur le parvis de l’église Saint-Maximin. Les innombrables témoignages de reconnaissance décrivent une femme exceptionnelle, une femme de conviction, une femme de dialogue, accessible et courageuse. « Vous avez gagné tous les combats, mais le mal se cache, fouine, ronge et jamais ne se montre. Ça n’était pas loyal, ça n’était pas pour vous », a écrit l’un de ses concitoyens thionvillois, en hommage à celle qui avait la noblesse et la simplicité des grandes âmes. Car Anne Grommerch était ce que l’on appelle une belle personne : sincère, débordante d’énergie, attachante et généreuse.

Notre regrettée collègue est née le 11 décembre 1970. Elle était originaire de Waldwisse, cette petite commune qui constituait autrefois un trait d’union ferroviaire entre le sommet des côtes de Moselle et la Sarre. Mais c’est à Thionville qu’elle grandit, où ses parents, Fernand et Irène Brandenbourger, tenaient une boucherie, rue de l’Agriculture.

Anne Grommerch était profondément enracinée dans sa région, la seule région française à partager ses frontières avec trois États. Même si la Lorraine est sans aucun doute profondément intégrée à la France, Thionville s’est toujours située dans un espace de transition entre les mondes roman et germanique. C’est ainsi que, outre le français, bien sûr, elle parle aussi l’allemand et le luxembourgeois. Toute petite, quand ses parents parlaient en platt, racontait-elle, elle notait les mots sur un bout de papier pour en demander le sens à sa grand-mère.

Après avoir poursuivi des études en sciences de la nature et obtenu un diplôme d’études universitaires générales, elle devient, en 1991, assistante de direction dans un bureau d’expertise automobile au Luxembourg. En janvier 1999, elle est recrutée par une grande entreprise qui assure la vente et la distribution de boissons sur le marché luxembourgeois. Elle est déléguée commerciale, puis responsable de secteur avant de devenir, en 2006, directrice des ventes. Elle raconte qu’elle a gravi les échelons sans avoir jamais rien demandé. « C’est l’histoire de ma vie, dit-elle. J’ai été promue à des postes pour lesquels je n’avais pas postulé. »

Au Grand-Duché, elle rencontre, dans le cadre professionnel, Éric Grommerch, Belge originaire de la région de Spa, qui tient un cabinet d’expertise et qu’elle épouse le 28 juin 2001. « Il a fallu y aller par étapes, racontait-elle : pour lui faire franchir la frontière, j’ai accepté que nous nous installions à Roussy-le-Village, tout en sachant que nous irions à Thionville lorsque les enfants seraient en âge d’entrer au collège. »

Car celle qui vit au pays des batailleurs de Roussy, où elle fit son entrée en politique à l’occasion des élections municipales de 2008, a toujours gardé un attachement particulier à la ville de son enfance, à tel point que le député-maire de Thionville, Jean-Marie Demange, lui proposa d’être sa suppléante à l’occasion des élections législatives de 2007.

Devant cette proposition, Anne Grommerch hésite. Un cancer vient de lui être diagnostiqué. Elle pense à sa famille, à ses jeunes enfants, et entend ne pas abandonner son emploi. Mais la force et la constance de ses convictions refuseront de céder face à la maladie car elle fait partie de ces femmes et de ces hommes qui se font une haute idée du devoir et du faire. C’est ainsi qu’elle s’engage, avec énergie, dans cette bataille électorale couronnée de succès. Le 17 novembre 2008, le destin s’impose à elle une nouvelle fois : elle est propulsée de manière imprévue sur la scène politique nationale à la suite du décès de son député.

À l’Assemblée nationale, sous la XIIIe législature, elle découvre avec passion le travail en commission, d’abord à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, dont elle suit assidûment les travaux. En 2009, elle est notamment membre de la mission d’information de la commission des affaires sociales sur la prise en charge des victimes de l’amiante. Puis, à partir de 2011, elle siège à la commission des affaires économiques.

Incontestablement, Anne Grommerch se passionne pour la vie publique. Son objectif est de trouver des solutions simples à des problèmes simples : « Action, réaction », telle sera sa devise, qu’elle répétait régulièrement.

Son ascension est bientôt fulgurante. En mars 2010, elle est élue conseillère régionale de Lorraine, fonction qu’elle cumulera avec son mandat parlementaire jusqu’à sa démission, conformément à la loi. Elle se spécialise dans les problèmes des travailleurs transfrontaliers, qu’elle connaît bien, personnellement, dans tous leurs aspects concrets, et devient secrétaire nationale de l’Union pour un mouvement populaire, l’UMP, chargée des transfrontaliers.

En 2012, elle choisit de faire la campagne pour les élections législatives, alors qu’elle doit faire face à une récidive de son cancer et à un traitement médical lourd. Le combat politique rejoint le combat contre la maladie. « Rester à la maison à attendre, c’était mourir doucement », déclara-t-elle après l’élection, qu’elle remporte aux côtés de son suppléant, Patrick Weiten, recueillant 53,07 % des voix.

Dans les couloirs du Palais Bourbon, Anne Grommerch se fait un nom. Ses travaux parlementaires sont à son image : sérieux, rigoureux, continus. Elle est rapporteure pour avis de sa commission pour les projets de loi de finances, traitant de tout ce qui concerne les entreprises. Probablement en raison de sa proximité sentimentale, c’est presque naturellement qu’elle devient vice-présidente du groupe d’amitié France-Luxembourg.

Forte de son ancrage territorial et de son intérêt pour les questions de sidérurgie, elle devient membre de la mission parlementaire de suivi des accords entre l’État et le groupe Arcelor Mittal et de contrôle de la stratégie des entreprises à capitaux publics. En février 2013, elle devient vice-présidente de la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement. Membre de la mission d’information commune sur la Banque publique d’investissement, elle prend également la vice-présidence du groupe d’études Sidérurgie et fonderie.

Car, depuis l’Assemblée nationale, elle garde un oeil sur son territoire, cette terre industrielle, cette porte de France, et l’on comprend mieux pourquoi elle confiera à son père, avant de s’éteindre, qu’ « [elle aura] toujours Thionville au coeur ».

En mars 2014, elle se jette dans la bataille des municipales et devient première magistrate de sa ville de coeur, avec seulement 77 voix d’avance. Si l’élection est annulée en avril 2015 par le Conseil d’État, les électeurs lui renouvellent leur confiance, le 21 juin 2015, cette fois par 53,74 % des suffrages exprimés.

Également élue présidente de la communauté d’agglomération Portes de France-Thionville, elle s’investit dans le développement de son territoire et nous livre une véritable leçon de grammaire urbaine, où le temps de la ville se conjugue avec le temps de la vie des habitants.

S’appuyant sur ses connaissances du monde économique, elle obtient, en juin 2015, le label Métropole French Tech pour la Lor’NTech, cette communauté du sillon lorrain, qui réunit les agglomérations de Thionville, Metz, Nancy et Épinal. Elle suit également avec attention les conditions de fonctionnement de la centrale nucléaire de Cattenom et les problèmes de l’emploi local. Mai c’est la création de la maison de l’emploi à Thionville, qu’elle mène à bien, qui aura été son combat prioritaire, comme elle se plaisait à le dire.

La devise nationale luxembourgeoise, extraite du chant patriotique Le char de feu du poète Michel Lentz et qui est gravée au fronton de la maison communale d’Esch-sur-Alzette, ville où elle est décédée une semaine après son hospitalisation dans un état grave, correspond bien à la personnalité d’Anne Grommerch, dont la forte identité, le courage et la ténacité méritent l’éloge de tous : « nous voulons rester ce que nous sommes. »

Comme l’ont reconnu les Thionvillois, « c’est un rayon de soleil qui s’en va et une étoile qui apparaît. »

À son mari, Éric, à ses enfants, Thomas et Charlotte, à sa famille, à vous, Fernand et Irène Brandenbourger, ses parents, à sa soeur et à son frère, ici présents, à ses amis, à son fidèle premier adjoint devenu maire de Thionville, vous, Pierre Cuny, à ses collègues du groupe Les Républicains, à ses proches de Thionville, de Lorraine et du grand-duché du Luxembourg, j’adresse, au nom de tous les députés de l’Assemblée nationale et en mon nom personnel, mon amitié et mes condoléances profondément émues et attristées.

La parole est à M. le Premier ministre.

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