Intervention de Charles de Courson

Séance en hémicycle du 1er juin 2016 à 15h00
Réforme du système de répression des abus de marché — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le système français d’abus de marché est fondé, depuis plusieurs décennies, sur le principe d’une coexistence des poursuites et des sanctions administratives et de celles à caractère pénal. Notre double ordre de juridiction, administratif, d’une part, et judiciaire, d’autre part, explique la complexité du système juridique français.

Ainsi, l’Autorité des marchés financiers a le pouvoir d’imposer des sanctions administratives, qui peuvent être de nature pécuniaire etou disciplinaire.

Quant aux condamnations pénales, elles peuvent aller, pour une personne physique, jusqu’à sept ans d’emprisonnement et une amende de 1,5 million d’euros ou le décuple du profit. Pour une personne morale, l’amende peut être égale au quintuple de la peine d’amende prévue pour les personnes physiques.

Toutefois, depuis la création de l’Autorité des marchés financiers en 2003, le cumul des sanctions administratives et pénales a, en pratique, été très rare.

En effet, en dix ans, 182 procédures ont fait l’objet d’une transmission par l’Autorité des marchés financiers au parquet : ce sont donc en moyenne dix-huit procédures qui, chaque année, étaient susceptibles de faire l’objet d’une double poursuite, pénale et administrative.

Dans 90 % des cas, les magistrats ont toutefois estimé que les faits ne méritaient pas une réponse pénale, eu égard notamment à l’existence d’une sanction administrative déjà prononcée etou d’un trouble peu grave à l’ordre public. Ainsi, seulement dix-sept procédures en dix ans, soit 10 % des cas, ont donné lieu à la fois à une condamnation pénale et à des sanctions administratives.

La prédominance et l’efficacité des sanctions administratives est donc réelle, notamment du fait de sanctions pécuniaires plus nombreuses et plus sévères que par la voie pénale : le montant des sanctions imposées par l’Autorité des marchés financiers sur les 182 dossiers transmis au parquet en dix ans a ainsi dépassé 117 millions d’euros, alors que, dans la même période, le montant des sanctions pénales n’a été que de 2,9 millions d’euros.

En parallèle, les peines d’emprisonnement prononcées par le juge pénal demeurent peu répressives puisque l’ensemble des peines prononcées ont été assorties – tenez-vous bien, mes chers collègues – du sursis total, avec une durée moyenne d’emprisonnement de 9,3 mois. La peine maximale n’est donc jamais appliquée.

Enfin, les délais de jugement sont plus courts dans la voie administrative : le délai moyen de traitement est de deux ans et demi, contre près de dix ans pour les affaires les plus complexes dans la voie pénale.

Mes chers collègues, il nous faut d’ailleurs méditer sur ces chiffres au moment où nous nous apprêtons à examiner le projet de loi Sapin II. Telle qu’est organisée la juridiction pénale, les délais de jugement peuvent être très longs face aux avocats de puissants groupes financiers qui ont les moyens de faire durer le contentieux dix ans, voire vingt ans. C’est d’ailleurs pour cette raison que la loi Sapin I n’a jamais entraîné la condamnation définitive d’une quelconque entreprise coupable d’avoir utilisé la corruption pour obtenir des contreparties, en général des marchés.

Comme cela a été rappelé, le système établi depuis 1989 a été récemment remis en cause, suite à la double évolution des jurisprudences européenne et française. Il est donc nécessaire de réformer notre système de répression des abus de marchés pour que le nouveau régime se trouve en vigueur au 1er septembre 2016, date à laquelle le système censuré par le Conseil constitutionnel ne s’appliquera plus. C’est l’objectif que poursuit la présente proposition de loi en prévoyant la mise en place d’un aiguillage entre la procédure pénale et la procédure administrative.

Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants soutient cette réforme nécessaire afin d’éviter l’apparition d’un vide juridique très préjudiciable aux intérêts de l’État et au bon fonctionnement des marchés financiers, réforme qui a d’ailleurs recueilli un large consensus sur les bancs de notre hémicycle – qui, c’est suffisamment rare pour devoir être signalé, voteront tous en faveur de ce texte, y compris ceux du groupe « ex-communiste », si je puis dire.

Nous appelons toutefois le Gouvernement à la vigilance afin que le nouveau régime de répression des abus de marchés ne conduise pas à un engorgement supplémentaire de notre système pénal et donc à un nouvel allongement des procédures. Alors que le garde des sceaux déclarait récemment que la justice française était « sinistrée » et « en état d’urgence absolue », une telle évolution serait dramatique pour notre justice et sa crédibilité, mais également pour la lutte contre la délinquance financière dans notre pays.

Malgré ces quelques points qui justifient notre vigilance, les députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants soutiennent les évolutions proposées en matière de répression des abus de marché et voteront donc en faveur de cette proposition de loi.

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