Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du 1er juin 2016 à 15h00
Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

C’est évidemment toujours un peu le même refrain. Vous dites, monsieur le rapporteur, que vous ferez demain ce que vous n’avez pas fait pendant dix ans, de 2002 à 2012, alors qu’un accord aurait dû être possible et même facile au temps de cette belle alliance que constituait ce qu’on appelait le « Merkozy ».

Je crois utile de rappeler quelques faits auxquels souscrivent vos propres collègues du groupe Les Républicains, membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, très investis dans leur travail d’information et d’investigation sur la question des migrations, de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, ou l’enjeu de la gestion commune des frontières. Il suffit pour s’en convaincre de lire les rapports, les communications, les échanges et les résolutions adoptées par cette même commission – je vous y invite, monsieur le rapporteur, si vous ne l’avez pas encore fait.

Sur le fond, trois éléments me paraissent devoir être rappelés. À l’évidence, un lien existe entre la mise en mouvement de populations et les États ou régions connaissant d’importants déplacements forcés de populations civiles. Autrement dit, la déstabilisation de plusieurs États d’Afrique et du Moyen Orient a été un vecteur déterminant de la mise en mouvement de populations, qui fuient la guerre et les exactions. Sur cette période, la position de la France dans cette partie du monde semble avoir perdu de sa singularité et, peut-être, de son efficacité. Si les flux migratoires irréguliers n’étaient pas inconnus des différents États européens, leur ampleur nouvelle depuis 2015 en a changé la nature et a conduit à faire ce qui n’avait pas été fait.

Il aura fallu la crise migratoire, avec l’afflux, en 2015, de plus de 1,5 million de personnes ayant franchi irrégulièrement les frontières, pour que l’on prenne conscience de ce qui, a posteriori, apparaît comme une évidence : la décision de partager un espace commun de libre circulation ne peut se concevoir sans un contrôle efficace des frontières extérieures.

À la suite de cette prise de conscience, l’Union européenne a pris plusieurs mesures importantes, la France ayant toujours défendu une position très favorable à une coopération et un partage accrus des missions et des outils opérationnels.

Ainsi, les opérations maritimes des forces armées menées en mer Méditerranée par les États membres ont assurément sauvé de la mort plusieurs centaines de milliers de personnes – ce n’est pas rien ! – mais ont également mis un premier coup d’arrêt au large trafic des organisations criminelles, qui ont fait croire aux candidats à l’émigration que l’Europe pourrait les accueillir. Nous pouvons citer à ce titre les opérations maritimes Triton et Sophia, avec, pour cette dernière, l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies.

Puis, des centres d’enregistrement et de vérification des motifs d’entrée, les hot spots, ont été installés : ils sont la seule réponse qu’il était possible de donner face à l’ampleur du phénomène, là où le jeu ordinaire des règles européennes de Dublin III ne pouvait offrir de solution. En pratique, ils font reposer sur la Grèce et l’Italie la charge du premier accueil.

Par la suite, d’autres mesures provisoires de relocalisation ont été annoncées, mais celles-ci ne sont que très partiellement réalisées. Selon les chiffres rendus publics par l’Union européenne elle-même, au début de mai 2016, seules 1 440 personnes avaient effectivement pu bénéficier du mécanisme de relocalisation, sur les 160 000 prévues, soit moins de 1 %.

Parallèlement, l’Union européenne a progressé, pas toujours à la vitesse à laquelle nous le souhaiterions, mais de façon plus assurée et plus cohérente. Je rappelle ici qu’un projet de règlement européen établissant une liste commune de l’Union de pays d’origine sûrs, pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, est en cours de discussion au Parlement européen. La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a délibéré, il y a seulement deux semaines, sur un autre projet de règlement européen créant un corps de gardes-frontières. C’est, là encore, un progrès.

L’accord avec la Turquie a marqué une nouvelle étape. Compte tenu de la position stratégique de la Turquie, qui permettait à de nombreux passeurs de convoyer à partir des côtes turques des embarcations de migrants, l’Union européenne a décidé de signer, le 18 mars 2016, un accord avec ce pays pour tenter de mettre fin à ces flux clandestins. Cet accord est critiqué et critiquable, notamment en ce qu’il peut créer un effet d’aubaine pour des États peu regardants. Mais il est un pis-aller car la coopération avec la Turquie était et reste nécessaire.

À défaut d’une volonté politique et d’un système de gestion et de défense partagé des frontières extérieures, qui n’avait pas été pensé avant la crise migratoire, le sens commun semble dire qu’il suffit, puisque cela n’avait pas été fait à l’extérieur, de rétablir les contrôles aux frontières internes. Mais parfois, le sens commun n’est pas le bon sens. En effet, les accords de Schengen ne sont pas le problème, mais la solution. C’est le système Schengen qui permet aux États membres d’agir ensemble, par la mise en commun et le partage de moyens humains et matériels. Il faut conforter Schengen et l’améliorer, non le remettre en cause.

C’est parce que Schengen existe, parce qu’il permet la liberté de déplacement et facilite le droit d’aller et venir des Européens au sein de leur territoire, qu’il est un moyen de pression pour faire comprendre à nos partenaires les plus réticents la nécessité de partager les moyens et les informations. En effet, à défaut d’une action énergique aux frontières extérieures, nous pourrions perdre le bénéfice de cette liberté.

La France et le gouvernement français ont fait des propositions concrètes pour que le système d’information de Schengen soit interrogé, pour qu’il soit alimenté de façon homogène et systématique par les systèmes de renseignement et qu’il soit connecté aux autres fichiers criminels.

Comme vous le voyez, mes chers collègues, ni l’Union européenne ni la France ne sont restées inactives face à la crise migratoire. Mais, pour être juste, il ne suffit pas de hurler avec les loups,…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion