L'AFEV a été créée en 1991, dans le sillage de la politique de la ville. Sa création procède du refus de voir se creuser les inégalités, de la conviction que les étudiants souhaitent s'engager mais ne trouvent pas les espaces répondant à cette aspiration, et de l'intuition que cet engagement peut utilement constituer un lien complémentaire à côté des politiques publiques. Au fil du temps, l'AFEV est devenue le premier réseau d'engagement d'étudiants dans les quartiers populaires au travers de trois programmes : l'accompagnement individuel, par lequel des bénévoles s'engagent deux heures par semaine à accompagner dans leur parcours des enfants ou des jeunes en difficulté ; l'accueil de jeunes en service civique, au travers notamment du dispositif « Volontaires en résidence », dans les établissements scolaires – écoles primaires, collèges et lycées professionnels –, autour de l'ouverture culturelle, la citoyenneté ; les colocations solidaires, dont le principe est simple : à un logement en colocation correspond un projet solidaire dans le quartier où se trouve l'appartement, projet mené avec et pour les habitants. En 2014-2015, l'AFEV a ainsi organisé, suivi et encadré plus d'un million d'heures d'engagement solidaire dans 330 quartiers populaires en France.
Aujourd'hui, la France est l'un des pays de l'OCDE où les inégalités éducatives restent les plus fortes. Ces inégalités sont un catalyseur de l'assignation sociale et sont ressenties comme une trahison de la devise républicaine. Dans ces quartiers, le cumul des difficultés est amplifié par la crise et entraîne un isolement de plus en plus important des familles, notamment des femmes seules avec enfant(s), autrement dit des familles monoparentales qui représentent quasiment 40 % des familles dans certains endroits. Les établissements scolaires, dans lesquels nous intervenons, plus particulièrement les collèges, connaissent une dégradation importante du climat scolaire, ce qui rend encore plus difficile l'apprentissage. Et en 2015, nous avons constaté un phénomène marginal, mais réel, que j'appelle le « décrochage citoyen », avec des adolescents qui, à partir du collège, se sentent de moins en moins appartenir à la communauté. Face à ce phénomène inquiétant, notre responsabilité collective est immense, et le projet de loi « égalité et citoyenneté » doit être un outil à la hauteur des enjeux.
Nos remarques vont donc se concentrer sur le titre Ier du projet de loi : « Citoyenneté et émancipation des jeunes ». La transmission des valeurs de la République est moins une question de connaissances qu'une question d'usages, de pratiques ; ces valeurs peuvent se transmettre, non par l'injonction, mais par le « faire ensemble », le vécu, la conviction. Agir contre le décrochage citoyen, c'est offrir une possibilité d'engagement à chaque jeune. Nous sommes convaincus qu'il faut construire un vrai parcours pratique d'engagement tout au long de la scolarité, du primaire à l'université – parcours qui serait le pendant pratique du parcours citoyen prévu depuis 2015. Ce parcours pratique d'engagement serait progressif : à l'école primaire, il serait consacré à l'initiation à l'engagement et à la coopération ; au collège, à la pratique de l'engagement collectif ; au lycée puis à l'université, à la pratique progressive de l'engagement individuel. Le service civique pouvant être un prolongement naturel de cet apprentissage progressif. Pour monter, animer, donner du sens à ce parcours d'apprentissage de l'engagement, celui-ci serait le fruit d'une nouvelle alliance citoyenne entre les institutions scolaires et les associations d'éducation populaire. Nous pensons vraiment qu'il faut trouver des formes d'articulation plus fortes entre l'éducation formelle et les mouvements d'éducation populaire.
Dans l'enseignement supérieur, à côté de l'obligation de reconnaissance de l'engagement dans le cursus prévu à l'article 14, ce dont nous nous félicitons – car nous avons beaucoup milité pour une reconnaissance de l'engagement des étudiants dans le cursus –, nous prônons une politique active d'établissement pour développer l'engagement des étudiants dans la vie locale, pour favoriser l'implication des étudiants dans le lien université-quartier, et pour créer ce qu'on pourrait appeler un « service de responsabilité sociale des universités », c'est-à-dire un pont entre les quartiers et les universités dans les grandes agglomérations.
Ensuite, nous plaidons pour l'intégration de l'ensemble des pratiques citoyennes – pas seulement le service civique – dans le compte personnel d'activité qui comportera un compte engagement citoyen, afin de permettre une valorisation mais aussi une poursuite effective tout au long de la vie du parcours pratique d'engagement. C'est un continuum de l'engagement que nous proposons.
Enfin, si l'AFEV est opposée à toute forme d'obligation d'engagement vis-à-vis des jeunes – nous ne souhaitons pas que le service civique se transforme en « sévices civiques » –, nous pensons qu'il faut réussir à faire de la culture de l'engagement une composante culturelle de notre vivre-ensemble, ce qui suppose l'obligation pour les structures associatives mais aussi les institutions de valoriser et de permettre un engagement pratique à côté de l'enseignement théorique de la citoyenneté.