Intervention de Aliza Bin-Noun

Réunion du 3 mai 2016 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Aliza Bin-Noun, ambassadrice d'Israël en France :

Je vous remercie de m'avoir invitée. C'est un grand plaisir pour moi de pouvoir parler avec vous de la situation en Israël et dans la région. La situation s'est en effet dégradée de manière significative en Israël depuis septembre dernier et pendant les fêtes juives. De nombreux attentats terroristes ont eu lieu, le plus récent hier ; ils ont causé la mort de 35 Israéliens et en ont blessé quelques centaines. Cependant, on constate ces dernières semaines une certaine amélioration et nous espérons, comme toujours, que les choses vont se calmer.

Vous avez mis l'accent, madame la présidente, sur les relations israélo-palestiniennes, mais nous, Israéliens, analysons la situation dans le contexte régional général. Pour nous, les relations avec les Palestiniens participent des menaces générales qui visent Israël. Au nombre de ces menaces, j'évoquerai d'abord l'attitude de l'Iran, dont vous savez qu'il s'est livré à un essai de missiles balistiques il y a un mois – et sur l'un de ces missiles il était écrit en hébreu, pour lever toute ambiguïté, qu'Israël devait être détruit. Dans ce contexte, le soutien qu'apporte l'Iran au Hezbollah au Liban et le fait que l'Iran ait renforcé sa présence dans la Bande de Gaza l'année dernière et qu'il appuie d'autres organisations terroristes représentent une réelle menace pour notre sécurité. La situation est aussi problématique dans le Sinaï, où Daech se renforce, de même que ses affidés, les autres organisations islamistes terroristes. À cela s'ajoute l'état d'esprit habituel dans les organisations internationales où, de fait, se forme et se formera toujours une majorité contre Israël. Voyez ce qui se passe au Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des Nations unies : depuis sa création, en 2006, cette instance a adopté plus de 70 résolutions condamnant Israël, et un chapitre spécifique de ses travaux est même consacré à notre pays ! Voyez, aussi, ce qui s'est passé à l'Unesco il y a une semaine : d'incroyables accusations ont été proférées contre Israël, et la France a soutenu ces résolutions.

En bref, le conflit israélo-palestinien n'est pas notre seul problème. Les graves menaces que je viens de recenser pèsent sur notre pays ; elles donnent aux Israéliens le sentiment d'être acculés, ce qui influe sur leur état d'esprit. Ce n'est pas un hasard si la société israélienne s'est progressivement droitisée au point que le Likoud n'est pas le parti le plus à droite de la coalition gouvernementale. Pour nous, Israéliens, il est très important de parvenir à la paix, nous l'avons démontré. Israël est le seul État démocratique au Moyen-Orient ; nous partageons les valeurs des pays européens, ne l'oublions pas. D'ailleurs, en dépit des attentats terroristes qui ont frappé notre pays à répétition ces derniers mois, le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a invité plusieurs fois Mahmoud Abbas à revenir à la table de négociation engager un dialogue direct.

Il est très important de procéder de la sorte. Nous l'avons vu lors de la négociation des traités de paix avec l'Égypte et la Jordanie : lorsque la volonté de parvenir à la paix était réelle, Israël a fait des concessions territoriales, bien que cela ne soit jamais simple pour notre pays. Mais, pour que les négociations aboutissent, le dialogue doit être direct. Lorsque la communauté internationale prend des initiatives qui ont pour conséquence de mettre Israël en minorité, de l'isoler et de le mettre sous pression, rien n'aboutit. Au lieu d'encourager Mahmoud Abbas à reprendre le chemin de la table de négociation, l'initiative française lui donne la possibilité de l'éviter ; ce faisant, elle éloigne la possibilité d'un dialogue direct entre Israéliens et Palestiniens. Je précise que M. Netanyahou, s'exprimant à ce sujet la semaine dernière, ne s'est pas prononcé contre l'initiative française ; il a dit considérer que la meilleure voie pour parvenir à une solution du conflit passe par des négociations bilatérales directes, soulignant, comme je viens de le faire, que le projet de conférence internationale encourage M. Abbas à ne pas venir dialoguer directement avec Israël. C'est dommage, car nous avons tout avantage à progresser vers la paix. Le gouvernement israélien, qui a déclaré publiquement, plusieurs fois, croire, comme la France, en la solution de « deux peuples, deux États », espère encore que Mahmoud Abbas acceptera un jour un dialogue direct.

D'autre part, l'incitation à la haine a pris de l'ampleur. Ce phénomène a été attisé par des éléments palestiniens mais aussi, au commencement, il y a quelques mois, par la Turquie et le Qatar ; ils ont cessé depuis lors, mais le phénomène persiste sur les réseaux sociaux et influence la jeunesse. Il est très grave, et tragique, que les auteurs des attentats commis en Israël au cours des derniers mois soient de très jeunes adolescents, parfois âgés d'une douzaine d'années seulement. De plus, en rendant, comme il le fait, visite aux familles dont un des membres est impliqué dans un attentat, Mahmoud Abbas donne un signe : il encourage à continuer dans cette voie. Il n'a d'ailleurs condamné aucun des attentats terroristes commis en Israël depuis septembre dernier. Peut-être le fait-il lorsqu'il est en Europe ou ailleurs dans le monde, mais c'est au peuple palestinien qu'il doit le dire, sur place. De même, quand l'Autorité palestinienne alloue une aide financière aux familles engagées dans les attentats terroristes, elle encourage leur perpétuation.

Chacun comprendra que ce contexte ne fait pas pencher les Israéliens en faveur des Palestiniens ni n'incite pas à trouver un accord de paix, bien que ce désir nous anime. Pour autant, en dépit de tout ce qui s'est produit au cours des derniers mois, Benjamin Netanyahou n'a pas cessé de proposer à M. Abbas qu'ils se rencontrent pour engager des discussions à Jérusalem, à Ramallah ou ailleurs. Les conditions préalables au dialogue posées par Mahmoud Abbas – par exemple, libérer tous les terroristes emprisonnés en Israël pour avoir tué des Israéliens – sont inacceptables. De même, lorsqu'il parle des implantations – mot que j'utilise délibérément, alors que vous utilisez le mot « colonies », dont la connotation, en France, est très particulière et n'a pas du tout le sens qu'il a en Cisjordanie –, Mahmoud Abbas revendique que les Israéliens arrêtent les constructions. Mais l'époque n'est plus celle du processus d'Oslo ni même du processus d'Annapolis. Les populations israélienne et palestinienne se sont raidies et, malheureusement, les Israéliens ne sont plus prêts à faire ce qu'ils étaient décidés à faire il y a vingt ou trente ans car le Moyen-Orient a changé, les menaces ont changé, les ennemis se sont renforcés et Israël est menacé. Je rappelle qu'en 2010, Benjamin Netanyahou a gelé les constructions pendant dix mois dans les implantations, puis appelé Mahmoud Abbas au dialogue ; celui-ci n'est pas venu. On ne peut répéter la même séquence : ce n'est malheureusement pas faisable, parce que la situation n'est plus la même, parce que le terrorisme s'est propagé au Moyen-Orient et parce qu'Israël est confronté à de graves défis.

Je sais qu'Israël est perçu comme un pays fort et qui peut se protéger – ce qu'il est, et j'en suis fière et heureuse. En 1967, relativement peu de temps après la Shoah, Israël était un très petit pays jugé très aimable par la communauté internationale. On commémorera demain la mémoire de la Shoah. Aujourd'hui, nous sommes forts et nous pouvons nous protéger, mais nous n'avons pas oublié les 30 000 années de diaspora ni ce qui s'est passé ici il y a 70 ans et la souffrance du peuple juif pendant des années ; le sentiment prévaut que même si nous avons un pays indépendant – et la création de l'État d'Israël est l'une des plus grandes réussites du XXe siècle –, il est inacceptable de devoir y penser à deux fois avant de sortir dans la rue tant la menace terroriste est forte.

Il y a dix ans, Israël s'est retiré de la Bande de Gaza, alors même que 10 000 Israéliens y vivaient dans des implantations. Si Ariel Sharon, qui n'avait rien d'un gauchiste, en a décidé ainsi, c'est qu'il jugeait cette initiative nécessaire pour progresser sur le chemin vers la paix. Le résultat a été que 10 000 missiles ont été tirés sur les communautés du Sud d'Israël pendant dix ans. Une telle situation se serait-elle produite en France qu'elle aurait été jugée inacceptable. Mais j'observe que la communauté internationale est restée silencieuse à ce propos au cours de ces années, pendant lesquelles nous avons subi trois conflits armés. Les implantations sont pour nous une question de survie, et je ne suis pas certaine que, lorsqu'on évoque les difficultés auxquelles Israël doit faire face, on en ait suffisamment conscience.

J'ajoute que les implantations représentent entre 2 et 3 % des territoires. Je rappelle aussi qu'entre 1948, date de la création de l'État d'Israël, et 1967, année pendant laquelle a eu lieu la guerre des Six jours, il n'y avait pas d'implantations ; la paix régnait-elle pour autant ? Non : il y avait des tensions et des attentats terroristes. Aujourd'hui, les implantations sont un fait. C'est le parti travailliste qui, à l'époque, avait appelé les Israéliens à s'établir en Cisjordanie. Ils y sont maintenant 350 000, sans mentionner Jérusalem. La réalité sur place n'est plus la même, il faut en convenir et trouver une solution ; c'est possible, car la population israélienne est encore prête à discuter et à faire des concessions territoriales. Mais, encore une fois, il faut pour cela accepter de s'asseoir autour d'une table, commencer un dialogue et vouloir parvenir à la paix.

Il y faut du courage ; je ne suis pas sûre que Mahmoud Abbas ait ce courage, car il dit lui-même être affaibli et menacé par le Hamas – l'absence d'élections en Cisjordanie depuis 2006 n'est pas sans raisons. Il y a deux ou trois ans, Mahmoud Abbas a pris la décision stratégique de demander à la communauté internationale de faire pression sur Israël, et il poursuit dans cette voie au lieu de discuter directement avec le gouvernement israélien. Nous attendons de la communauté internationale qu'elle tente de convaincre Mahmoud Abbas de la nécessité d'engager un dialogue direct, non qu'elle lui donne l'occasion d'éviter ce dialogue. Toute initiative internationale dans laquelle la plupart des participants soutiennent la position des Palestiniens est problématique pour Israël ; encore une fois, la meilleure voie pour parvenir à une solution du conflit passe par des négociations bilatérales directes.

Benjamin Netanyahou n'a pas dénoncé l'initiative française ; M. Jean-Marc Ayrault se rendra en Israël dans deux semaines puis viendra M. Manuel Valls, premier ministre. On verra ce qui résultera de ces rencontres. Nous sommes également favorables à la solution de « deux peuples, deux États », et nous attendons les conclusions du rapport du Quartet. La France tente de trouver une solution, mais la manière de procéder envisagée ne correspond pas tout à fait à la position d'Israël, qui considère que le problème doit être discuté directement entre les parties.

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