La séance est ouverte à seize heures trente.
Je vous remercie vivement, madame l'ambassadrice, d'avoir accepté notre invitation. Nous évoquerons ensemble la situation en Israël et dans la région ainsi que les perspectives du processus de paix. Nous nous sommes déjà rencontrées et vous connaissez plusieurs d'entre nous mais je tenais à ce que vous soyez reçue par notre commission. Nous sommes très heureux de vous accueillir. Nous recevrons demain M. Pierre Vimont, envoyé spécial du ministre des Affaires étrangères pour la préparation de la conférence internationale de relance du processus de paix au Proche-Orient et, la semaine prochaine, M. Salman El-Herfi, chef de la mission de Palestine en France.
Au cours de cette rencontre fermée à la presse, vous nous direz votre analyse d'une situation particulièrement préoccupante puisque, depuis octobre 2015 et l'assassinat de deux jeunes Israéliens, le bilan des affrontements s'élèverait, nous dit-on, à 28 morts du côté israélien et à près de 200 du côté palestinien, dont la moitié étaient les auteurs d'attaques contre des Israéliens. Le 18 avril encore, à Jérusalem, une explosion dans un autobus a fait plus de vingt blessés. Le nombre d'attaques au couteau aurait diminué, mais vous venez de me dire qu'il y en a eu une hier encore. Nous écouterons attentivement ce que vous nous direz de la façon dont la population et la classe politique israéliennes réagissent à ces violences.
Nous espérons la reprise du processus de paix par des discussions. J'ai le sentiment qu'en l'absence de dialogue entre Israéliens et Palestiniens, la situation ne peut que se dégrader. Cela profite aux extrêmes et menace les populations, prises en étau. Que le conflit se mue en conflit religieux, comme on peut le craindre au vu des heurts récents sur l'esplanade des Mosquées, et la situation deviendra incontrôlable. C'est dans ce contexte que l'initiative française d'organiser une conférence internationale au second semestre 2016 a été prise. Elle sera précédée le 30 mai, à Paris, d'une réunion préparatoire qui vise d'une part à réaffirmer l'attachement de la France et de la communauté internationale à la solution des deux États – un rapport du Quartet, en cours de préparation, doit faire des recommandations à ce sujet –, d'autre part à réfléchir à un ensemble de garanties et de mesures incitatives que la prochaine conférence internationale pourrait présenter, et à établir la méthode et le calendrier de la conférence.
J'ai noté les réticences du gouvernement israélien à l'initiative française, qui ne vise évidemment pas à se substituer aux négociations directes. Il reviendra in fine aux Israéliens et aux Palestiniens de faire la paix et de décider, seuls, de leur destin. Mais, le statu quo étant mortifère, nous ne pouvons nous résigner à ne rien faire ; nous voulons offrir un cadre et un appui à la reprise rapide des pourparlers entre Israéliens et Palestiniens.
La visite en Israël de notre ministre des affaires étrangères, mi-mai, sera suivie par celle du Premier ministre. Dans cette perspective, vous nous éclairerez, madame l'ambassadrice, sur la perception de l'initiative française par les autorités israéliennes, et sur la manière dont elle peut contribuer au mieux au règlement de la crise et à la fin des violences.
Je vous remercie de m'avoir invitée. C'est un grand plaisir pour moi de pouvoir parler avec vous de la situation en Israël et dans la région. La situation s'est en effet dégradée de manière significative en Israël depuis septembre dernier et pendant les fêtes juives. De nombreux attentats terroristes ont eu lieu, le plus récent hier ; ils ont causé la mort de 35 Israéliens et en ont blessé quelques centaines. Cependant, on constate ces dernières semaines une certaine amélioration et nous espérons, comme toujours, que les choses vont se calmer.
Vous avez mis l'accent, madame la présidente, sur les relations israélo-palestiniennes, mais nous, Israéliens, analysons la situation dans le contexte régional général. Pour nous, les relations avec les Palestiniens participent des menaces générales qui visent Israël. Au nombre de ces menaces, j'évoquerai d'abord l'attitude de l'Iran, dont vous savez qu'il s'est livré à un essai de missiles balistiques il y a un mois – et sur l'un de ces missiles il était écrit en hébreu, pour lever toute ambiguïté, qu'Israël devait être détruit. Dans ce contexte, le soutien qu'apporte l'Iran au Hezbollah au Liban et le fait que l'Iran ait renforcé sa présence dans la Bande de Gaza l'année dernière et qu'il appuie d'autres organisations terroristes représentent une réelle menace pour notre sécurité. La situation est aussi problématique dans le Sinaï, où Daech se renforce, de même que ses affidés, les autres organisations islamistes terroristes. À cela s'ajoute l'état d'esprit habituel dans les organisations internationales où, de fait, se forme et se formera toujours une majorité contre Israël. Voyez ce qui se passe au Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des Nations unies : depuis sa création, en 2006, cette instance a adopté plus de 70 résolutions condamnant Israël, et un chapitre spécifique de ses travaux est même consacré à notre pays ! Voyez, aussi, ce qui s'est passé à l'Unesco il y a une semaine : d'incroyables accusations ont été proférées contre Israël, et la France a soutenu ces résolutions.
En bref, le conflit israélo-palestinien n'est pas notre seul problème. Les graves menaces que je viens de recenser pèsent sur notre pays ; elles donnent aux Israéliens le sentiment d'être acculés, ce qui influe sur leur état d'esprit. Ce n'est pas un hasard si la société israélienne s'est progressivement droitisée au point que le Likoud n'est pas le parti le plus à droite de la coalition gouvernementale. Pour nous, Israéliens, il est très important de parvenir à la paix, nous l'avons démontré. Israël est le seul État démocratique au Moyen-Orient ; nous partageons les valeurs des pays européens, ne l'oublions pas. D'ailleurs, en dépit des attentats terroristes qui ont frappé notre pays à répétition ces derniers mois, le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a invité plusieurs fois Mahmoud Abbas à revenir à la table de négociation engager un dialogue direct.
Il est très important de procéder de la sorte. Nous l'avons vu lors de la négociation des traités de paix avec l'Égypte et la Jordanie : lorsque la volonté de parvenir à la paix était réelle, Israël a fait des concessions territoriales, bien que cela ne soit jamais simple pour notre pays. Mais, pour que les négociations aboutissent, le dialogue doit être direct. Lorsque la communauté internationale prend des initiatives qui ont pour conséquence de mettre Israël en minorité, de l'isoler et de le mettre sous pression, rien n'aboutit. Au lieu d'encourager Mahmoud Abbas à reprendre le chemin de la table de négociation, l'initiative française lui donne la possibilité de l'éviter ; ce faisant, elle éloigne la possibilité d'un dialogue direct entre Israéliens et Palestiniens. Je précise que M. Netanyahou, s'exprimant à ce sujet la semaine dernière, ne s'est pas prononcé contre l'initiative française ; il a dit considérer que la meilleure voie pour parvenir à une solution du conflit passe par des négociations bilatérales directes, soulignant, comme je viens de le faire, que le projet de conférence internationale encourage M. Abbas à ne pas venir dialoguer directement avec Israël. C'est dommage, car nous avons tout avantage à progresser vers la paix. Le gouvernement israélien, qui a déclaré publiquement, plusieurs fois, croire, comme la France, en la solution de « deux peuples, deux États », espère encore que Mahmoud Abbas acceptera un jour un dialogue direct.
D'autre part, l'incitation à la haine a pris de l'ampleur. Ce phénomène a été attisé par des éléments palestiniens mais aussi, au commencement, il y a quelques mois, par la Turquie et le Qatar ; ils ont cessé depuis lors, mais le phénomène persiste sur les réseaux sociaux et influence la jeunesse. Il est très grave, et tragique, que les auteurs des attentats commis en Israël au cours des derniers mois soient de très jeunes adolescents, parfois âgés d'une douzaine d'années seulement. De plus, en rendant, comme il le fait, visite aux familles dont un des membres est impliqué dans un attentat, Mahmoud Abbas donne un signe : il encourage à continuer dans cette voie. Il n'a d'ailleurs condamné aucun des attentats terroristes commis en Israël depuis septembre dernier. Peut-être le fait-il lorsqu'il est en Europe ou ailleurs dans le monde, mais c'est au peuple palestinien qu'il doit le dire, sur place. De même, quand l'Autorité palestinienne alloue une aide financière aux familles engagées dans les attentats terroristes, elle encourage leur perpétuation.
Chacun comprendra que ce contexte ne fait pas pencher les Israéliens en faveur des Palestiniens ni n'incite pas à trouver un accord de paix, bien que ce désir nous anime. Pour autant, en dépit de tout ce qui s'est produit au cours des derniers mois, Benjamin Netanyahou n'a pas cessé de proposer à M. Abbas qu'ils se rencontrent pour engager des discussions à Jérusalem, à Ramallah ou ailleurs. Les conditions préalables au dialogue posées par Mahmoud Abbas – par exemple, libérer tous les terroristes emprisonnés en Israël pour avoir tué des Israéliens – sont inacceptables. De même, lorsqu'il parle des implantations – mot que j'utilise délibérément, alors que vous utilisez le mot « colonies », dont la connotation, en France, est très particulière et n'a pas du tout le sens qu'il a en Cisjordanie –, Mahmoud Abbas revendique que les Israéliens arrêtent les constructions. Mais l'époque n'est plus celle du processus d'Oslo ni même du processus d'Annapolis. Les populations israélienne et palestinienne se sont raidies et, malheureusement, les Israéliens ne sont plus prêts à faire ce qu'ils étaient décidés à faire il y a vingt ou trente ans car le Moyen-Orient a changé, les menaces ont changé, les ennemis se sont renforcés et Israël est menacé. Je rappelle qu'en 2010, Benjamin Netanyahou a gelé les constructions pendant dix mois dans les implantations, puis appelé Mahmoud Abbas au dialogue ; celui-ci n'est pas venu. On ne peut répéter la même séquence : ce n'est malheureusement pas faisable, parce que la situation n'est plus la même, parce que le terrorisme s'est propagé au Moyen-Orient et parce qu'Israël est confronté à de graves défis.
Je sais qu'Israël est perçu comme un pays fort et qui peut se protéger – ce qu'il est, et j'en suis fière et heureuse. En 1967, relativement peu de temps après la Shoah, Israël était un très petit pays jugé très aimable par la communauté internationale. On commémorera demain la mémoire de la Shoah. Aujourd'hui, nous sommes forts et nous pouvons nous protéger, mais nous n'avons pas oublié les 30 000 années de diaspora ni ce qui s'est passé ici il y a 70 ans et la souffrance du peuple juif pendant des années ; le sentiment prévaut que même si nous avons un pays indépendant – et la création de l'État d'Israël est l'une des plus grandes réussites du XXe siècle –, il est inacceptable de devoir y penser à deux fois avant de sortir dans la rue tant la menace terroriste est forte.
Il y a dix ans, Israël s'est retiré de la Bande de Gaza, alors même que 10 000 Israéliens y vivaient dans des implantations. Si Ariel Sharon, qui n'avait rien d'un gauchiste, en a décidé ainsi, c'est qu'il jugeait cette initiative nécessaire pour progresser sur le chemin vers la paix. Le résultat a été que 10 000 missiles ont été tirés sur les communautés du Sud d'Israël pendant dix ans. Une telle situation se serait-elle produite en France qu'elle aurait été jugée inacceptable. Mais j'observe que la communauté internationale est restée silencieuse à ce propos au cours de ces années, pendant lesquelles nous avons subi trois conflits armés. Les implantations sont pour nous une question de survie, et je ne suis pas certaine que, lorsqu'on évoque les difficultés auxquelles Israël doit faire face, on en ait suffisamment conscience.
J'ajoute que les implantations représentent entre 2 et 3 % des territoires. Je rappelle aussi qu'entre 1948, date de la création de l'État d'Israël, et 1967, année pendant laquelle a eu lieu la guerre des Six jours, il n'y avait pas d'implantations ; la paix régnait-elle pour autant ? Non : il y avait des tensions et des attentats terroristes. Aujourd'hui, les implantations sont un fait. C'est le parti travailliste qui, à l'époque, avait appelé les Israéliens à s'établir en Cisjordanie. Ils y sont maintenant 350 000, sans mentionner Jérusalem. La réalité sur place n'est plus la même, il faut en convenir et trouver une solution ; c'est possible, car la population israélienne est encore prête à discuter et à faire des concessions territoriales. Mais, encore une fois, il faut pour cela accepter de s'asseoir autour d'une table, commencer un dialogue et vouloir parvenir à la paix.
Il y faut du courage ; je ne suis pas sûre que Mahmoud Abbas ait ce courage, car il dit lui-même être affaibli et menacé par le Hamas – l'absence d'élections en Cisjordanie depuis 2006 n'est pas sans raisons. Il y a deux ou trois ans, Mahmoud Abbas a pris la décision stratégique de demander à la communauté internationale de faire pression sur Israël, et il poursuit dans cette voie au lieu de discuter directement avec le gouvernement israélien. Nous attendons de la communauté internationale qu'elle tente de convaincre Mahmoud Abbas de la nécessité d'engager un dialogue direct, non qu'elle lui donne l'occasion d'éviter ce dialogue. Toute initiative internationale dans laquelle la plupart des participants soutiennent la position des Palestiniens est problématique pour Israël ; encore une fois, la meilleure voie pour parvenir à une solution du conflit passe par des négociations bilatérales directes.
Benjamin Netanyahou n'a pas dénoncé l'initiative française ; M. Jean-Marc Ayrault se rendra en Israël dans deux semaines puis viendra M. Manuel Valls, premier ministre. On verra ce qui résultera de ces rencontres. Nous sommes également favorables à la solution de « deux peuples, deux États », et nous attendons les conclusions du rapport du Quartet. La France tente de trouver une solution, mais la manière de procéder envisagée ne correspond pas tout à fait à la position d'Israël, qui considère que le problème doit être discuté directement entre les parties.
Je vous remercie, madame l'ambassadrice, d'avoir exprimé clairement le ressenti du peuple israélien dans sa majorité et les positions de votre gouvernement.
Quel crédit apportez-vous aux menaces d'attaque des infrastructures nucléaires israéliennes proférées récemment par les dirigeants du Hezbollah ? D'autre part, les livraisons d'armes par la Russie en Syrie et en Iran ne renforcent-elles pas les capacités du Hezbollah ?
Comment appréciez-vous l'évolution de la situation en Syrie ? Percevez-vous une menace éventuelle pour Israël, compte tenu du grand nombre de pays impliqués dans la guerre, qu'il s'agisse de livraisons d'armes ou d'implantations géopolitiques ?
Vous avez abordé la question de ce que vous vous refusez à qualifier de « colonies » en justifiant la colonisation par l'histoire de la Shoah et de la naissance de l'État d'Israël, et sa poursuite par le fait que la situation n'est plus ce qu'elle était en 1948. Vous demandez aux représentants des Palestiniens d'engager un dialogue direct, mais avez-vous une idée précise de ce à quoi Israël consentirait à propos d'un territoire qu'il estime maintenant nécessaire à sa sécurité, ce pourquoi il l'occupe et le colonise, si bien que l'idée même de Palestine disparaît, comment on le constate quand on voyage dans cet espace ? La Palestine semble oubliée même dans l'opinion arabe. Les Israéliens attendent des Palestiniens qu'ils s'assoient autour d'une table, mais la participation attendue paraît niée d'avance puisque, vous venez de le dire, l'existence d'un territoire palestinien vous semble difficile à accepter pour la sécurité d'Israël dans la situation actuelle du Proche-Orient.
La population israélienne considère-t-elle que le retrait de la Bande de Gaza fut une erreur ? Vous avez évoqué les menaces qui pèsent sur Israël mais, hormis Daech, y en a-t-il de nouvelles ? Considérez-vous que Daech soit devenu la menace principale pour Israël ? Enfin, le Liban subit bien sûr les contrecoups de la situation en Syrie, puisqu'il doit accueillir un afflux de réfugiés et qu'il y a quelques affrontements au Nord-Est du pays, mais il a jusqu'à présent échappé à l'extension du conflit syrien sur son sol ; la pensez-vous possible ?
Je vous sais gré de la clarté et de la franchise de votre analyse. Vous avez souligné l'importance du dialogue direct, qui a effectivement donné des résultats dans le passé avec l'Égypte et la Jordanie. Aujourd'hui, le terrorisme touche gravement Israël et, dans des proportions moindres, d'autres pays, dont la France, qui a notamment connu, avec l'attaque d'un supermarché casher, un attentat antisémite. On lit parfois dans la presse, et l'on entend parfois dans la vie publique, une description caricaturale des positions d'Israël ; il était donc important que vous vous exprimiez directement. Qu'attendez-vous de la France qui, en dépit des incompréhensions et des malentendus, reste un pays ami d'Israël et non son adversaire ? Attendez-vous du dialogue franco-israélien qu'il soit plus approfondi, même s'il est déjà fort ? Attendez-vous de la France – comme je le souhaite à titre personnel –une position plus équilibrée sur la question du Moyen-Orient tant aux Nations Unies que dans les organisations internationales spécialisées, dont l'une est très près d'ici ? Qu'attendez-vous des puissances occidentales en général et de la France en particulier ? Rejetez-vous l'idée même qu'un quartet ou toute autre formation incluant les puissances occidentales se crée et intervienne, leur préférant le seul duo israélo-palestinien ? Enfin, attendez-vous que, comme je le souhaite, la France pense à Israël, pays ami, lorsqu'elle parle à des pays avec lesquels elle doit parler mais qui ont toujours pour volonté affirmée la destruction de l'État d'Israël ?
Votre propos est qu'Israël souhaite la paix et que s'il n'y parvient pas, ce n'est pas sa faute ; je ne doute pas que lorsque nous recevrons, la semaine prochaine, le chef de la mission de Palestine en France, il nous dira la même chose – mais, chaque jour, des attentats continuent d'être commis et des gens de mourir alors que les peuples souhaitent simplement vivre en paix.
Je reviens sur ce que vous appelez les implantations et d'autres les colonies pour observer que, ces dernières années et même ces derniers mois, à chaque fois que l'on croit voir la paix se profiler, des permis de construire nouveaux sont délivrés. Il y a aussi le mur, ce nouveau mur de la honte édifié après que l'on a vu enfin tomber celui de Berlin. L'espoir existe-t-il qu'il soit à son tour détruit et que chaque peuple vive en paix et librement ? Enfin, quelle solution espérer pour Jérusalem ?
Quelles seront les conséquences du vote à l'Unesco d'une résolution qui réécrit l'histoire ? Comment expliquez-vous que cette résolution ait pu être adoptée et que la France se soit distinguée en votant ce texte contrairement à l'ensemble des autres pays européens et des États-Unis, suscitant la surprise dans la population française – non seulement celle de la communauté juive mais aussi celle d'historiens ? Sur un autre plan, la presse évoque de manière répétée un rapprochement entre Israël et le monde sunnite. Il est déjà évident avec l'Arabie saoudite ; qu'en est-il, et quelles conséquences cette évolution aura-t-elle sur vos relations avec l'Autorité palestinienne ?
Aux tensions anciennes qui caractérisent les relations israélo-palestiniennes s'ajoute, depuis la fin des années 1990, le bouleversement du Moyen-Orient. Comment analysez-vous le conflit entre musulmans sunnites et musulmans chiites ? Quelles répercussions peut-il avoir sur Israël ? On a le sentiment qu'il n'y pas d'interférences entre ces deux conflits. Qui jugez-vous les plus dangereux des sunnites ou des chiites ?
Les dernières élections en Iran ont eu pour résultat une assez nette victoire des « modérés » sur les conservateurs. Cela laisse-t-il présager l'évolution, à terme, des relations entre ce grand pays et Israël ?
Je m'associe aux remarques de mes collègues Michel Vauzelle et François Rochebloine au sujet des colonies. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer avec vous, madame l'ambassadrice, la situation à Beit Jala, un village sis à côté de Bethléem que le mur de séparation va couper en deux. Cela crée le désespoir. Je ne peux comprendre que l'on persiste dans cette voie, qui me paraît aller à l'encontre de l'intérêt de votre pays ; or, quelles que soient les différences d'approche, nous parlons tous en tant qu'amis d'Israël.
D'autre part, il est inexact, Monsieur Goasguen, d'affirmer que tous les pays européens sauf la France ont voté contre la résolution du Conseil exécutif de l'Unesco à laquelle vous avez fait allusion. L'Espagne, la Slovénie et la Suède se sont également prononcées en faveur de ce texte, et d'autres pays européens se sont abstenus. Ce n'est pas la première fois que la France se prononce sur cette résolution dite « omnibus ». Par ce vote, le Gouvernement français s'est exprimé en faveur de la liberté de culte pour les trois monothéismes à Jérusalem. Elle l'a donc fait aussi en ami d'Israël (MM. Claude Goasguen et Thierry Mariani marquent leur désaccord). Enfin, la France avait déjà émis un vote favorable à cette résolution, en octobre 2014 et en avril 2015. Elle s'est abstenue en octobre 2015. Vous nous direz, madame l'ambassadrice, votre point de vue.
Le vote de la France, favorable à la résolution du Conseil exécutif de l'Unesco, a été perçu en Israël avec surprise : non seulement, les deux années précédentes, la France s'était abstenue, mais, cette année précisément, elle promeut une initiative visant à trouver une solution au conflit entre Israéliens et Palestiniens. Par ce vote, la France a approuvé un texte selon lequel Israël exhumerait des cadavres musulmans pour inhumer des morts juifs, et dans lequel il n'est fait nulle mention de l'importance historique de Jérusalem pour le judaïsme. Pour dire les choses de manière diplomatique, c'est un vote étonnant, d'autant que, la même semaine, Mahmoud Abbas, en route vers New York, était en visite à Paris pour promouvoir une résolution contre Israël au Conseil de sécurité des Nations Unies. Peut-être y avait-il un lien entre le soutien de la France à cette résolution et la décision prise par Mahmoud Abbas de geler son initiative aux Nations-Unies – ce qui, pour Israël, est inacceptable.
Je vous ai entendu dire, madame la présidente, que ce vote a été exprimé dans le cadre des relations amicales entre la France et Israël. Je sais que les relations franco-israéliennes sont bonnes et que la France est une véritable amie de notre pays, mais je vous dis de la manière la plus nette que l'approbation d'une résolution qui passe sous silence le lien entre Jérusalem et le judaïsme et qui profère d'étranges accusations contre Israël a été perçue dans notre pays tout autrement que comme une manifestation d'amitié. Cette décision était à la fois surprenante et inacceptable, et le Premier ministre a protesté auprès de la France et des autres pays pour leur soutien à une résolution qui n'encourage nullement au rapprochement entre Israéliens et Palestiniens.
L'adoption d'un texte de cette nature corrobore ce que j'ai mentionné tout à l'heure : dans les organisations internationales, toute résolution condamnant Israël, contiendrait-elle un paragraphe affirmant que la Terre est plate, obtiendra une majorité automatique, par principe. C'est précisément pourquoi nous insistons sur la nécessité d'un dialogue direct entre Israéliens et Palestiniens.
Bien entendu, la situation au Liban nous inquiète. Certes, le Hezbollah a perdu des militants en Syrie mais, au fil des ans, il n'avait cessé de se renforcer. Il dispose aujourd'hui d'un arsenal de 100 000 missiles dont la portée lui permet de cibler l'ensemble du territoire israélien, et Hassan Nasrallah, son secrétaire général, se répand semaine après semaine en déclarations invitant à la destruction de l'État d'Israël. Les deux guerres qui ont eu lieu au Liban au cours des vingt ans écoulées – la seconde en 2006 – montrent qu'il ne s'agit pas seulement de rhétorique : il y a eu des actes menaçants contre Israël. Nous prenons donc très au sérieux la menace que représente le Hezbollah, une organisation directement soutenue par l'Iran, pour le compte duquel il agit. C'est pourquoi nous sommes très inquiets que la Russie livre, via la Syrie, des armes au Liban : elles ont clairement Israël pour objectif. Nous ne nous mêlons pas de la politique intérieure du Liban, même si nous considérons que chaque pays du Moyen-Orient, Liban compris, doit disposer d'un exécutif stable et d'une présidence. Pour Israël, je le répète, la menace principale est celle du Hezbollah et de ses relations avec l'Iran.
Nous ne voulons pas nous impliquer dans le conflit syrien, parce que nous avons suffisamment de problèmes à résoudre en l'état et parce que Bachar al-Assad et l'opposition syrienne sont tous deux opposés à Israël. Nous nous refusons donc à prendre parti. Le gouvernement israélien considère toutefois que certaines lignes rouges ne doivent pas être franchies. Il s'agit en premier lieu, je l'ai dit, des livraisons d'armes vers le Liban via la Syrie ; en ce cas, Israël se réserve le droit de réagir. Nous le ferons aussi si nous essuyons des tirs depuis la Syrie, comme cela s'est déjà produit. Enfin, nous ne permettrons pas que des organisations terroristes islamistes se renforcent sur le plateau du Golan, car il en va de notre sécurité, notre préoccupation première.
J'en viens aux implantations. Je le redis, il faut tenir compte de la réalité : elles représentent entre 2 et 3 % du territoire de la Cisjordanie, c'est un fait avéré. Quelques centaines de milliers d'Israéliens vivent là-bas. Aucune nouvelle implantation n'a eu lieu depuis 1991, mais de nouvelles constructions voient le jour qui sont nécessaires pour répondre aux besoins de la population : logements, écoles, jardins d'enfants…
Je n'ai pas en mémoire les chiffres précis, mais je peux les faire rechercher. Ce qui est construit est ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins des Israéliens qui vivent dans des territoires avec lesquels nous avons un lien historique. Il ne s'agit pas de colonies au sens qu'avaient les colonies françaises d'Afrique du Nord, mais de lieux où notre peuple a vécu anciennement ; nous y avons des attaches religieuses et culturelles. Cela ne signifie pas que nous ignorions l'existence du peuple palestinien, avec lequel nous devons vivre puisqu'il est notre voisin. Il faut trouver une solution permettant la coexistence mais jusqu'à ce qu'elle ait été mise au point, nous devons répondre aux besoins légitimes de ceux qui vivent dans les implantations. Que le temps passe sans que s'ouvre un dialogue direct entre les parties joue contre nous et contre les Palestiniens. Ce n'est pas ce que nous voulons, mais la réalité est celle-là.
Vous m'avez demandé ce que peut faire la France. Nous savons que la France se préoccupe de la sécurité d'Israël et j'insiste à nouveau sur le fait que nos pays sont des pays amis, qui partagent les mêmes valeurs – même si comme cela arrive parfois entre amis, il y a des malentendus entre nous. La France nous aiderait davantage en encourageant les Palestiniens à un dialogue direct qu'en promouvant une initiative que les Palestiniens soutiennent évidemment puisqu'elle leur donne un motif pour ne pas venir négocier avec nous, alors que c'est la seule solution permettant de parvenir à discuter d'un accord durable incluant les implantations, la question de Jérusalem et celle des frontières.
Tous ces enjeux étaient sur la table lors du processus d'Oslo ; ils n'ont pas changé, et nous savons exactement ce sur quoi il nous faut dialoguer. Vous m'avez demandé si le gouvernement israélien savait quelles propositions faire à Mahmoud Abbas si celui-ci acceptait de venir négocier. Il n'y a aucun mystère ! Au cours des processus d'Oslo puis d'Annapolis, nous avons discuté plusieurs fois ces sujets et nous étions sur le point de signer un accord lorsque, au dernier moment, nos interlocuteurs – Yasser Arafat en 2000 et, déjà, Mahmoud Abbas en 2007 – ont fait machine arrière. Nous savons précisément sur quoi discuter, mais avant cela doit se manifester, des deux côtés, la volonté de faire des concessions pour parvenir à une paix que je pense aussi importante pour les Palestiniens qu'elle l'est pour nous. Pour le moment, le fait est que Mahmoud Abbas refuse le dialogue auquel l'invite Benjamin Netanyahou. Je sais ce que la communauté internationale pense de Benjamin Netanyahou et de ce qui s'est passé auparavant mais, depuis huit mois, alors même que les attentats sont presque quotidiens en Israël, lui et son gouvernement de droite cherchent le dialogue direct avec la partie palestinienne – c'est indéniable. D'autre part, la question des implantations et celle des frontières sont indissociables et doivent être rediscutés ensemble, comme ce fut le cas lors du processus d'Oslo.
J'entends que l'on me demande de ne pas oublier de répondre au sujet de la clôture de sécurité ; je ne compte éluder aucune question, mais il me faut le temps d'y arriver.
Se retirer de la Bande de Gaza ne fut pas une faute et nous sommes heureux de l'avoir fait, mais nous pensions légitimement qu'après ce retrait nos communautés vivraient en paix et en sécurité. Cela n'a pas été le cas ; l'an dernier seulement, 200 missiles sont tombés sur les communautés du Sud d'Israël. Quelle voix, dans la communauté internationale, s'est élevée contre ces agissements ? Aucune. De nos amis, nous attendons exactement cela : qu'ils disent que c'est inacceptable.
Daech n'est pas pour nous la menace principale. D'autres menaces sont malheureusement plus graves : le Hamas, organisation terroriste reconnue comme telle par l'Union européenne, à l'oeuvre dans la Bande de Gaza; les salafistes, dans le Sinaï et dans la Bande de Gaza ; le Djihad islamique dont les émissaires sont en ce moment même en visite en Iran où ils sont allés chercher les moyens qui lui permettront de renforcer l'Intifada à Jérusalem et ailleurs en Israël. Daech est une menace tant qu'il se renforce dans la Bande de Gaza, mais le phénomène est encore très contenu ; pour le moment, Daech n'est pour Israël qu'une menace potentielle.
Israël et les Palestiniens se renvoient la responsabilité de la situation, avez-vous dit. Mais comme pour danser le tango, il faut être deux pour parvenir à un accord de paix. Il ne faut pas chercher des coupables mais être conscient que l'incitation à la haine n'aide en rien, ni l'encouragement au terrorisme. La réalité, je le répète, c'est qu'un homme politique israélien appelle son interlocuteur palestinien à venir négocier et que celui-ci refuse.
Dans une barrière de sécurité longue de 250 kilomètres, le mur de séparation est lui-même long de 8 kilomètres. Il était indispensable de l'édifier après la seconde Intifada, et la décision prise en ce sens était bonne puisque la clôture a eu pour effet de réduire le nombre des attentats terroristes et, en corollaire, de renforcer la sécurité des Israéliens. Je rappelle qu'il y a dix ans, de nombreux attentats visaient des autobus. Vous avez mentionné, madame la présidente, l'explosion d'un autocar, il y a une semaine, à Jérusalem ; heureusement, il n'était pas très rempli. La condamnation de cet attentat par le Gouvernement français était très encourageante.
Je pense qu'un rapprochement est possible entre Israël et les pays musulmans modérés. Nous considérons les pays du Golfe comme des pays modérés, menacés par l'Iran comme nous le sommes. On peut tenter de parvenir à un certain dialogue et à une reconnaissance. Il existe ici et là des liens économiques dont on ne parle pas beaucoup entre Israël et les pays modérés du Moyen-Orient. Notre coopération en matière de sécurité est très bonne avec l'Egypte – car nous affrontons les mêmes menaces au Sinaï – et avec la Jordanie, deux pays avec lesquels nous avons conclu un traité de paix. Il serait bon que nos relations avec les pays du Golfe s'améliorent ; j'espère qu'il en sera ainsi.
Je me rappelle précisément qu'à une certaine époque, tout ce qui se produisait au Moyen-Orient était artificiellement attribué au conflit israélo-palestinien. Quels que soient les événements au Yémen, en Irak, en Iran, au Pakistan, en Afghanistan, on les liait au conflit israélo-palestinien. Personne ne peut dire aujourd'hui que ce qui se passe en Syrie ou en Égypte a un lien avec les relations entre Israël et les Palestiniens, et j'espère que l'on n'accuse pas Israël d'être à l'origine de tous les conflits qui agitent le Moyen-Orient.
Nous avons bien entendu suivi les élections en Iran. Certes, le camp des réformistes s'est renforcé mais, avant-hier encore, Ali Khameini a affirmé que les États-Unis sont le plus grand ennemi de l'Iran, et Israël son ennemi en second. Même si les réformistes ont pris du poids à Téhéran, ce sont toujours les extrémistes, Ali Khameini et les Gardiens de la Révolution, qui ont le pouvoir en Iran, lequel est tout sauf un pays démocratique. Israël sera très heureux si le régime iranien se réforme mais, pour le moment, la menace que représente l'Iran pour notre pays demeure inchangée.
Je suis parfaitement consciente de ce que représente la barrière de sécurité à Beit Jala. Tout ce qui se passe dans ce village et en Cisjordanie découle directement de l'insécurité dans notre région. Il est regrettable qu'il ait fallu construire ce mur. Cela a suscité de nombreuses protestations en Israël même, et la question a été portée devant la Cour suprême, qui a autorisé la construction de la barrière, tout en donnant à la population de Beit Jala la possibilité de passer pour aller cultiver ses champs. Je ne prétends pas que la situation soit idyllique ni que des gens, où qu'ils soient, doivent vivre dans de telles conditions. Mais la contrainte de sécurité est réelle et nous devions trouver une solution. Comme on l'a vu à Berlin, un mur de séparation peut être détruit, mais il faut pour cela que les conditions qui le permettent soient réunies.
L'Espagne, la Slovénie et la Suède ont voté en faveur de la résolution du Comité exécutif de l'UNESCO, c'est exact ; mais l'Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont voté contre, et l'Italie s'est abstenue. Encore une fois, le vote de la France n'a pas été considéré comme un geste amical en Israël.
Je ne conclurai pas sans quelques mots optimistes. On ne doit pas analyser les relations franco-israéliennes, qui sont bonnes, sous le seul prisme du conflit israélo-palestinien. Ce sont des relations historiques, la communauté juive française est chère à la France comme elle l'est à Israël, nous avons des liens économiques et culturels, des valeurs partagées et des intérêts communs. Autrement dit, les relations entre nos deux pays sont beaucoup plus significatives que les malentendus liés au conflit israélo-palestinien. Nous devons les développer encore et, par exemple, favoriser les visites croisées. Les membres de votre commission pourraient ainsi se rendre en Israël pour y rencontrer leurs homologues. Je suis aussi très favorable aux échanges entre les jeunes, qu'il faut encourager. Un grand potentiel existe, et je puis vous promettre que pendant les quatre ans que durera ma mission, nous investirons beaucoup d'énergie pour renforcer les relations bilatérales.
De plus en plus d'Israéliens investissent en Afrique. Est-ce une politique volontariste d'Israël ?
Oui. J'ai moi-même accompagné le ministre des affaires étrangères lors de sa tournée africaine, il y a trois ans. Israël a toujours été très engagé dans le développement d'un continent avec qui il entretient une bonne coopération. Il existe de nombreuses similitudes entre nos jeunes pays. C'est la Première ministre Golda Meïr qui, la première, a donné une grande importance aux relations israélo-africaines et elles se poursuivent.
Je vous remercie, madame l'ambassadrice. Nous nous rejoignons sur quelques points essentiels : l'importance de la relation bilatérale franco-israélienne, notre volonté commune de faire prévaloir la paix et le refus de la violence, des extrémismes, et des discours de haine qui montent, hélas, partout et des deux côtés. Si nous avons un désaccord, c'est sur la façon d'y parvenir.
S'agissant de la résolution votée à l'Unesco, je souligne que nous sommes attachés au statu quo sur l'esplanade des Mosquées. Or ce statu quo est remis en cause depuis le début des années 2000 par des restrictions d'accès. De notre point de vue, loin d'aider à la paix, cela attise le ressentiment. Or la France est attachée au respect de la liberté de culte à Jérusalem. Enfin, j'exprime à nouveau mon désaccord au sujet des colonies, que je considère être un obstacle à la paix, même si je comprends les craintes d'Israël en matière de sécurité.
Nous ne pouvons prolonger ce débat plus avant, mais il nous a été très utile de vous entendre.
Je me dois cependant d'exprimer mon désaccord sur ce que vous avez dit au sujet du statu quo. C'est grâce à Israël qu'il y a un accès libre pour toutes les religions sur l'esplanade des Mosquées. Si des problèmes se posent parfois c'est, je le répète, en raison d'une situation sécuritaire très problématique.
Il faut être sur place pour apprécier ce qu'il en est. La coopération entre Israël et la Jordanie est très bonne.
Vous avez exprimé votre point de vue, je vous donne le mien, qui n'est pas celui de tous les députés mais qui est partagé par d'autres de mes collègues. Nous avons été très heureux de vous entendre, madame l'ambassadrice. Nous remercions aussi de leur présence auprès de vous M. Marc Attali, ministre plénipotentiaire, et Mme Ruthy Said Nedjar, chargée de mission. Nous nous reverrons certainement.
Je vous invite à vous rendre en Israël car il est toujours bon d'apprécier la situation sur place.
La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.