C'est un honneur pour moi de m'adresser pour la première fois à la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et de me trouver dans cette institution, symbole de la démocratie française et de ses valeurs universelles que nous partageons. Je vous remercie de m'avoir invité à m'entretenir avec vous des perspectives de paix en Palestine et au Moyen-Orient.
Permettez-moi d'abord d'exprimer la gratitude de peuple palestinien pour le vote que vous avez émis le 2 décembre 2014 en faveur de la reconnaissance de l'État de Palestine par le Gouvernement français. À ce jour, douze parlements européens ont appelé leurs gouvernements à reconnaître l'État de Palestine à l'instar de la Suède, neuvième pays européen l'ayant officiellement reconnu. La reconnaissance de l'État de Palestine est le premier pas vers une relation d'égal à égal entre Israël et la Palestine. Elle est la condition sine qua non de l'ouverture de véritables négociations. J'exhorte donc les pays reconnaissant les deux États, à reconnaître les deux États.
L'année prochaine marquera le 50e anniversaire de l'occupation militaire israélienne du territoire palestinien. Depuis le début de cette occupation, en 1967 et jusqu'à ce jour le gouvernement d'occupation israélien a pratiqué une politique de punition collective contre notre peuple désarmé. Elle s'exerce par divers moyens : la démolition de maisons, la détention dite administrative – celle d'enfants comprise – sans procès, la rétention des dépouilles des martyrs, les exécutions extrajudiciaires sur le terrain sans procès ni chefs d'inculpation. À cela s'ajoute la fait de laisser les Palestiniens blessés par les tirs israéliens se vider de leur sang jusqu'à ce que mort s'ensuive en bloquant toute assistance médicale et en empêchant les ambulanciers de leur porter secours. Le permis donné aux soldats d'occupation, en leur conférant une protection juridique ad hoc, de tirer à volonté sur les Palestiniens, constitue également une violation flagrante du droit fondamental de notre peuple à la sécurité et à la protection. Le 24 mars dernier encore, un soldat israélien a tiré à bout portant une balle dans la tête d'Abd Al-Fattah Al-Sharif, devant une équipe médicale, alors même que le jeune homme gisait immobile, déjà blessé par le tir d'un autre soldat israélien ; le deuxième soldat a été glorifié pour cet assassinat.
Par ailleurs, l'encerclement de régions entières par des barrages militaires, à l'entrée des villes, des villages et des camps de réfugiés, privent les citoyens palestiniens de leur liberté de mouvement et de circulation, de leur droit à l'accès aux lieux de culte, aux hôpitaux, aux écoles et aux universités. Ce sont autant de violations du droit international et du droit international humanitaire, comme le sont les constantes humiliations aux postes de contrôle.
Une des causes profondes de l'impasse actuelle reste la colonisation israélienne en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est ; elle se poursuit à un rythme alarmant. Cette politique, qui constitue un crime de guerre, fragmente la continuité géographique de l'État de Palestine et sape la viabilité de la solution des deux États. Depuis 1993, début du « processus de paix », le nombre de colons israéliens a triplé : ils étaient alors 270 000, ils sont maintenant 700 000. Ces chiffres démontrent le manque de sérieux des gouvernements israéliens successifs dans leur investissement dans la paix. Entre 2004 et 2014, le nombre de colons a augmenté de 14 600 chaque année et, comparée à la même période en 2015, la construction des colonies illégales a augmenté de 250 % au cours du premier trimestre 2016.
La confiscation des terres palestiniennes, l'expansion de la colonisation, le blocus imposé à la Bande de Gaza asphyxiant 2 millions d'habitants, la politique de punition collective infligée aux citoyens palestiniens dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie – y compris à Jérusalem-Est – participent de l'objectif d'Israël visant à s'approprier ce qui reste de la Palestine et à enterrer de facto la solution des deux États.
Face à cela, la population palestinienne, particulièrement sa jeunesse, privée de tout espoir, humiliée et visée directement par l'armée israélienne alors qu'elle aspire à vivre dans la liberté et la dignité, se soulève pacifiquement contre l'occupation.
Cette politique est la partie visible de l'iceberg des violations quotidiennes du droit international et du droit international humanitaire par Israël ; elle place cette puissance occupante en tête des entités irrespectueuses de ces normes. Ce constat doit pousser la communauté internationale à prendre ses responsabilités légales et morales envers notre peuple, de manière à traduire cela en une nouvelle mobilisation et un engagement en faveur de la mise sous protection internationale immédiate de notre peuple, qui n'a toujours pas obtenu la protection à laquelle il a droit. Qu'une population civile sans défense soit laissée à la merci de la brutalité de l'occupation militaire n'est conforme ni au droit international ni à l'éthique et aux valeurs universelles que la France défend depuis des siècles. Empêcher cette protection internationale ne ferait que renforcer l'impunité d'Israël.
C'est en raison de l'impasse politique dans laquelle nous nous trouvons que la France a pris une initiative dont l'objectif est de recréer un horizon politique permettant de préserver la solution des deux États – solution admise, réaliste et réalisable. Le Président Mahmoud Abbas a dit son entier soutien à l'initiative française ; il l'a rappelé lors de son entretien avec son homologue, le président François Hollande, à Paris.
Ce que nous envisageons pour sortir de cette impasse est en parfaite cohérence avec l'initiative française. Elle se veut coopérative, et prévoit à cette fin des consultations étroites avec les parties et les acteurs régionaux et internationaux avant de formuler des propositions. Elle se veut aussi inclusive et s'attache pour cela à travailler en complémentarité avec le Quartet, les Nations Unies et les États-Unis, car l'engagement de tous est nécessaire et primordial pour réussir. Elle se veut enfin graduelle, pour préserver la solution des deux États et recréer sur cette base une dynamique politique positive.
La France a invité le 30 mai à une réunion ministérielle les membres du Quartet, les membres permanents du Conseil de sécurité, le Quartet de la Ligue arabe et d'autres acteurs régionaux et européens. Cette réunion aura pour objectif de réaffirmer le soutien de la communauté internationale à la solution de deux États, conformément aux résolutions des Nations unies et à l'initiative arabe de paix, et aussi de rassembler les engagements concrets pris par la communauté internationale à cette solution. Des groupes de travail seront installés, chargés de définir un « paquet global » d'incitations qui comprendrait la réaffirmation de l'initiative arabe de paix ainsi que des garanties économiques et sécuritaires ; un partenariat spécial européen fera également partie de ces incitations. La réunion aura aussi pour but de régler le calendrier, les objectifs précis et la méthode d'une conférence internationale qui sera organisée à l'automne pour poser les bases de la relance d'un processus de négociations crédible, dans un cadre et avec un accompagnement internationaux.
Chaque jour qui passe sans solution signifie davantage de morts civils innocents, qu'ils soient Israéliens ou Palestiniens, davantage de destructions d'habitations, de nouveaux désespoirs et d'autres obstacles à la paix. Chaque jour qui passe sans solution représente aussi une menace permanente pour la paix et la sécurité internationales.
L'impasse politique dans laquelle nous nous trouvons exige un engagement. Après des années de mise à mal de la solution des deux États et d'obstruction au processus de paix, nous ne pouvons plus attendre ni accepter les excuses et les prétextes qui permettent à Israël, puissance occupante, d'agir en toute impunité, faisant fi de la légalité et violant les droits de notre peuple.
Certes, la Palestine n'a manqué ni d'appui ni de solidarité. Ce qui fait défaut, c'est le courage et la véritable volonté politique de faire appliquer les nombreuses résolutions des Nations Unies face à l'absence complète de respect par Israël de toutes ses obligations au regard du droit international. Cette situation a provoqué d'immenses souffrances en Palestine, augmenté le nombre de réfugiés et exacerbé une situation sociale et économique déplorable.
Rien ne peut justifier une telle violence et l'oppression d'une population sans défense. Les Conventions de Genève de 1949 interdisent d'ailleurs de telles mesures, et les affirmations d'Israël selon lesquelles ces crimes seraient nécessaires pour assurer sa sécurité, doivent être tout simplement rejetées. Tous les peuples ont droit à la sécurité, pas seulement Israël – d'autant qu'Israël, l'occupant, est la seule puissance nucléaire de la région et dispose de l'une des plus puissantes armées au monde. Les mesures illégales doivent cesser. La communauté internationale ne peut détourner son regard face aux horreurs que subit le peuple palestinien.
Israël doit choisir entre l'occupation et la paix ! Considérant les politiques appliquées par les gouvernements israéliens successifs, il est évident qu'un programme de colonisation a pris la place de la paix. Les droits inaliénables du peuple palestinien, notamment son droit à l''autodétermination et à la liberté, ne sont pas négociables. La communauté internationale a-t-elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que l'on en arrive à un tel point de non-retour ?
Le Président Abbas a réaffirmé plusieurs fois l'engagement de la direction palestinienne en faveur de la paix en dépit des refus successifs du gouvernement Netanyahou de reprendre les négociations sur la base de la solution de deux États – Israël d'une part, la Palestine dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale d'autre part – coexistant en paix et en sécurité.
Pour permettre la reprise de négociations crédibles, nous exigeons qu'Israël respecte les engagements pris dans le cadre des accords d'Oslo. Cela signifie la cessation des incursions dans les zones A sous contrôle administratif et sécuritaire palestiniens, la libération des prisonniers politiques palestiniens détenus avant 1993 et l'arrêt total de la colonisation.
C'est avec l'objectif de préserver la solution des deux États que nous nous concertons avec les acteurs régionaux et internationaux, France incluse, pour présenter un projet de résolution condamnant la colonisation israélienne devant le Conseil de sécurité. La colonisation, je le répète, constitue un crime de guerre, condamné par l'ensemble de la communauté internationale, les États-Unis compris. Ce projet de résolution n'est pas en contradiction avec l'initiative française. À l'inverse, il va dans le sens de la dynamique française et internationale et il a le même objectif principal : préserver la solution des deux États avant qu'il ne soit trop tard.
Le règlement de la question palestinienne est la clef de toutes les crises dans la région. Il mettra fin à la radicalisation et au terrorisme dont souffrent et la région et l'Europe. À ce sujet, nous exprimons notre solidarité totale à la France et à l'Europe car nous sommes contre toutes les formes de terrorisme, tout comme nous condamnons le terrorisme de l'État d'Israël, des organisations juives radicales et des colons israéliens.
Nous agirons de façon responsable et nous ne ménagerons aucun effort, dans le plein respect du droit international, en ayant recours à tous les moyens diplomatiques, politiques, juridiques et non violents nécessaires pour mettre fin aux souffrances du peuple palestinien et assurer l'avenir de nos enfants et des enfants israéliens, non seulement en Palestine et en Israël mais dans l'ensemble de la région.
La Palestine croit en la paix et agit en sa faveur depuis des décennies. Mais Israël est-il prêt à la paix ? Est-il prêt à prendre le chemin commun qui mettra fin à une occupation militaire qui dure depuis 50 ans ?
La France, pays des droits de l'homme, fidèle aux valeurs universelles proclamées par les Lumières et à une tradition politique respectueuse du droit international, ne peut qu'oeuvrer pour encourager la communauté internationale à se mobiliser en faveur de la solution des deux États, en créant les conditions nécessaires et primordiales qui permettront de la préserver et de répondre ainsi aux aspirations de notre peuple par la reconnaissance de l'État souverain de Palestine.