La séance est ouverte à seize heures trente.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Son Excellence M. Salman Elherfi, ambassadeur et chef de la mission de Palestine en France, pour évoquer avec lui les perspectives du processus de paix.
La semaine dernière, M. Pierre Vimont, envoyé spécial du ministre des Affaires étrangères pour la préparation de la conférence internationale de relance du processus de paix au Proche-Orient, nous a rappelé à quel point la situation était préoccupante. Nous serons particulièrement attentifs à ce que vous nous direz, monsieur l'ambassadeur, de la situation en Cisjordanie, mais aussi à Gaza, où la situation humanitaire et politique est grave.
Nous avons également reçu la semaine dernière Mme l'ambassadrice d'Israël en France, à laquelle nous avons rappelé l'attachement de la France à la solution des deux États, que le maintien du statu quo et la poursuite de la colonisation compromettent. Cette solution fait-elle encore l'unanimité du côté palestinien ?
En l'absence de dialogue entre les parties, la situation est vouée à se dégrader, ce qui profite aux extrémistes et menace les populations civiles dans chaque camps. Que le conflit prenne un tour religieux, comme on a pu le craindre avec les heurts récents sur l'esplanade des Mosquées, et la situation, de dangereuse qu'elle est, deviendra incontrôlable.
C'est dans ce contexte que s'inscrit l'initiative française d'organiser une conférence internationale au second semestre 2016. Elle sera précédée le 30 mai prochain, à Paris, d'une réunion préparatoire visant à réfléchir aux garanties et mesures incitatives que la prochaine conférence internationale pourrait présenter, et à établir la méthode et le calendrier de cette conférence.
Dans cette perspective, le ministre des affaires étrangères puis le Premier ministre se rendront en Israël et dans les territoires palestiniens très prochainement. Vous nous direz comment les autorités et la population palestiniennes perçoivent l'initiative française et en quoi celle-ci peut contribuer au règlement d'une crise dont la perpétuation menace la sécurité de la région. Nous souhaitons aussi connaître l'état de vos discussions avec nos partenaires de la Ligue arabe en vue de l'organisation de cette conférence ? Enfin, vous nous éclairerez sur les négociations inter-palestiniennes.
C'est un honneur pour moi de m'adresser pour la première fois à la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et de me trouver dans cette institution, symbole de la démocratie française et de ses valeurs universelles que nous partageons. Je vous remercie de m'avoir invité à m'entretenir avec vous des perspectives de paix en Palestine et au Moyen-Orient.
Permettez-moi d'abord d'exprimer la gratitude de peuple palestinien pour le vote que vous avez émis le 2 décembre 2014 en faveur de la reconnaissance de l'État de Palestine par le Gouvernement français. À ce jour, douze parlements européens ont appelé leurs gouvernements à reconnaître l'État de Palestine à l'instar de la Suède, neuvième pays européen l'ayant officiellement reconnu. La reconnaissance de l'État de Palestine est le premier pas vers une relation d'égal à égal entre Israël et la Palestine. Elle est la condition sine qua non de l'ouverture de véritables négociations. J'exhorte donc les pays reconnaissant les deux États, à reconnaître les deux États.
L'année prochaine marquera le 50e anniversaire de l'occupation militaire israélienne du territoire palestinien. Depuis le début de cette occupation, en 1967 et jusqu'à ce jour le gouvernement d'occupation israélien a pratiqué une politique de punition collective contre notre peuple désarmé. Elle s'exerce par divers moyens : la démolition de maisons, la détention dite administrative – celle d'enfants comprise – sans procès, la rétention des dépouilles des martyrs, les exécutions extrajudiciaires sur le terrain sans procès ni chefs d'inculpation. À cela s'ajoute la fait de laisser les Palestiniens blessés par les tirs israéliens se vider de leur sang jusqu'à ce que mort s'ensuive en bloquant toute assistance médicale et en empêchant les ambulanciers de leur porter secours. Le permis donné aux soldats d'occupation, en leur conférant une protection juridique ad hoc, de tirer à volonté sur les Palestiniens, constitue également une violation flagrante du droit fondamental de notre peuple à la sécurité et à la protection. Le 24 mars dernier encore, un soldat israélien a tiré à bout portant une balle dans la tête d'Abd Al-Fattah Al-Sharif, devant une équipe médicale, alors même que le jeune homme gisait immobile, déjà blessé par le tir d'un autre soldat israélien ; le deuxième soldat a été glorifié pour cet assassinat.
Par ailleurs, l'encerclement de régions entières par des barrages militaires, à l'entrée des villes, des villages et des camps de réfugiés, privent les citoyens palestiniens de leur liberté de mouvement et de circulation, de leur droit à l'accès aux lieux de culte, aux hôpitaux, aux écoles et aux universités. Ce sont autant de violations du droit international et du droit international humanitaire, comme le sont les constantes humiliations aux postes de contrôle.
Une des causes profondes de l'impasse actuelle reste la colonisation israélienne en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est ; elle se poursuit à un rythme alarmant. Cette politique, qui constitue un crime de guerre, fragmente la continuité géographique de l'État de Palestine et sape la viabilité de la solution des deux États. Depuis 1993, début du « processus de paix », le nombre de colons israéliens a triplé : ils étaient alors 270 000, ils sont maintenant 700 000. Ces chiffres démontrent le manque de sérieux des gouvernements israéliens successifs dans leur investissement dans la paix. Entre 2004 et 2014, le nombre de colons a augmenté de 14 600 chaque année et, comparée à la même période en 2015, la construction des colonies illégales a augmenté de 250 % au cours du premier trimestre 2016.
La confiscation des terres palestiniennes, l'expansion de la colonisation, le blocus imposé à la Bande de Gaza asphyxiant 2 millions d'habitants, la politique de punition collective infligée aux citoyens palestiniens dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie – y compris à Jérusalem-Est – participent de l'objectif d'Israël visant à s'approprier ce qui reste de la Palestine et à enterrer de facto la solution des deux États.
Face à cela, la population palestinienne, particulièrement sa jeunesse, privée de tout espoir, humiliée et visée directement par l'armée israélienne alors qu'elle aspire à vivre dans la liberté et la dignité, se soulève pacifiquement contre l'occupation.
Cette politique est la partie visible de l'iceberg des violations quotidiennes du droit international et du droit international humanitaire par Israël ; elle place cette puissance occupante en tête des entités irrespectueuses de ces normes. Ce constat doit pousser la communauté internationale à prendre ses responsabilités légales et morales envers notre peuple, de manière à traduire cela en une nouvelle mobilisation et un engagement en faveur de la mise sous protection internationale immédiate de notre peuple, qui n'a toujours pas obtenu la protection à laquelle il a droit. Qu'une population civile sans défense soit laissée à la merci de la brutalité de l'occupation militaire n'est conforme ni au droit international ni à l'éthique et aux valeurs universelles que la France défend depuis des siècles. Empêcher cette protection internationale ne ferait que renforcer l'impunité d'Israël.
C'est en raison de l'impasse politique dans laquelle nous nous trouvons que la France a pris une initiative dont l'objectif est de recréer un horizon politique permettant de préserver la solution des deux États – solution admise, réaliste et réalisable. Le Président Mahmoud Abbas a dit son entier soutien à l'initiative française ; il l'a rappelé lors de son entretien avec son homologue, le président François Hollande, à Paris.
Ce que nous envisageons pour sortir de cette impasse est en parfaite cohérence avec l'initiative française. Elle se veut coopérative, et prévoit à cette fin des consultations étroites avec les parties et les acteurs régionaux et internationaux avant de formuler des propositions. Elle se veut aussi inclusive et s'attache pour cela à travailler en complémentarité avec le Quartet, les Nations Unies et les États-Unis, car l'engagement de tous est nécessaire et primordial pour réussir. Elle se veut enfin graduelle, pour préserver la solution des deux États et recréer sur cette base une dynamique politique positive.
La France a invité le 30 mai à une réunion ministérielle les membres du Quartet, les membres permanents du Conseil de sécurité, le Quartet de la Ligue arabe et d'autres acteurs régionaux et européens. Cette réunion aura pour objectif de réaffirmer le soutien de la communauté internationale à la solution de deux États, conformément aux résolutions des Nations unies et à l'initiative arabe de paix, et aussi de rassembler les engagements concrets pris par la communauté internationale à cette solution. Des groupes de travail seront installés, chargés de définir un « paquet global » d'incitations qui comprendrait la réaffirmation de l'initiative arabe de paix ainsi que des garanties économiques et sécuritaires ; un partenariat spécial européen fera également partie de ces incitations. La réunion aura aussi pour but de régler le calendrier, les objectifs précis et la méthode d'une conférence internationale qui sera organisée à l'automne pour poser les bases de la relance d'un processus de négociations crédible, dans un cadre et avec un accompagnement internationaux.
Chaque jour qui passe sans solution signifie davantage de morts civils innocents, qu'ils soient Israéliens ou Palestiniens, davantage de destructions d'habitations, de nouveaux désespoirs et d'autres obstacles à la paix. Chaque jour qui passe sans solution représente aussi une menace permanente pour la paix et la sécurité internationales.
L'impasse politique dans laquelle nous nous trouvons exige un engagement. Après des années de mise à mal de la solution des deux États et d'obstruction au processus de paix, nous ne pouvons plus attendre ni accepter les excuses et les prétextes qui permettent à Israël, puissance occupante, d'agir en toute impunité, faisant fi de la légalité et violant les droits de notre peuple.
Certes, la Palestine n'a manqué ni d'appui ni de solidarité. Ce qui fait défaut, c'est le courage et la véritable volonté politique de faire appliquer les nombreuses résolutions des Nations Unies face à l'absence complète de respect par Israël de toutes ses obligations au regard du droit international. Cette situation a provoqué d'immenses souffrances en Palestine, augmenté le nombre de réfugiés et exacerbé une situation sociale et économique déplorable.
Rien ne peut justifier une telle violence et l'oppression d'une population sans défense. Les Conventions de Genève de 1949 interdisent d'ailleurs de telles mesures, et les affirmations d'Israël selon lesquelles ces crimes seraient nécessaires pour assurer sa sécurité, doivent être tout simplement rejetées. Tous les peuples ont droit à la sécurité, pas seulement Israël – d'autant qu'Israël, l'occupant, est la seule puissance nucléaire de la région et dispose de l'une des plus puissantes armées au monde. Les mesures illégales doivent cesser. La communauté internationale ne peut détourner son regard face aux horreurs que subit le peuple palestinien.
Israël doit choisir entre l'occupation et la paix ! Considérant les politiques appliquées par les gouvernements israéliens successifs, il est évident qu'un programme de colonisation a pris la place de la paix. Les droits inaliénables du peuple palestinien, notamment son droit à l''autodétermination et à la liberté, ne sont pas négociables. La communauté internationale a-t-elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher que l'on en arrive à un tel point de non-retour ?
Le Président Abbas a réaffirmé plusieurs fois l'engagement de la direction palestinienne en faveur de la paix en dépit des refus successifs du gouvernement Netanyahou de reprendre les négociations sur la base de la solution de deux États – Israël d'une part, la Palestine dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale d'autre part – coexistant en paix et en sécurité.
Pour permettre la reprise de négociations crédibles, nous exigeons qu'Israël respecte les engagements pris dans le cadre des accords d'Oslo. Cela signifie la cessation des incursions dans les zones A sous contrôle administratif et sécuritaire palestiniens, la libération des prisonniers politiques palestiniens détenus avant 1993 et l'arrêt total de la colonisation.
C'est avec l'objectif de préserver la solution des deux États que nous nous concertons avec les acteurs régionaux et internationaux, France incluse, pour présenter un projet de résolution condamnant la colonisation israélienne devant le Conseil de sécurité. La colonisation, je le répète, constitue un crime de guerre, condamné par l'ensemble de la communauté internationale, les États-Unis compris. Ce projet de résolution n'est pas en contradiction avec l'initiative française. À l'inverse, il va dans le sens de la dynamique française et internationale et il a le même objectif principal : préserver la solution des deux États avant qu'il ne soit trop tard.
Le règlement de la question palestinienne est la clef de toutes les crises dans la région. Il mettra fin à la radicalisation et au terrorisme dont souffrent et la région et l'Europe. À ce sujet, nous exprimons notre solidarité totale à la France et à l'Europe car nous sommes contre toutes les formes de terrorisme, tout comme nous condamnons le terrorisme de l'État d'Israël, des organisations juives radicales et des colons israéliens.
Nous agirons de façon responsable et nous ne ménagerons aucun effort, dans le plein respect du droit international, en ayant recours à tous les moyens diplomatiques, politiques, juridiques et non violents nécessaires pour mettre fin aux souffrances du peuple palestinien et assurer l'avenir de nos enfants et des enfants israéliens, non seulement en Palestine et en Israël mais dans l'ensemble de la région.
La Palestine croit en la paix et agit en sa faveur depuis des décennies. Mais Israël est-il prêt à la paix ? Est-il prêt à prendre le chemin commun qui mettra fin à une occupation militaire qui dure depuis 50 ans ?
La France, pays des droits de l'homme, fidèle aux valeurs universelles proclamées par les Lumières et à une tradition politique respectueuse du droit international, ne peut qu'oeuvrer pour encourager la communauté internationale à se mobiliser en faveur de la solution des deux États, en créant les conditions nécessaires et primordiales qui permettront de la préserver et de répondre ainsi aux aspirations de notre peuple par la reconnaissance de l'État souverain de Palestine.
La semaine dernière, Mme l'ambassadrice d'Israël en France nous a dit regretter que le président Mahmoud Abbas refuse d'engager un dialogue direct avec la partie israélienne ; pouvez-vous nous dire les raisons de ce refus ? Mme Aliza Bin-Noun a d'autre part justifié les constructions dans les colonies – qu'elle appelle des implantations – par la nécessité de pourvoir aux besoins d'une population croissante ; qu'en pensez-vous ? Quel est, d'autre part, l'état des relations entre le Fatah et le Hamas ? Enfin, vous qui, monsieur l'ambassadeur, avez été le conseiller de Yasser Arafat, voyez-vous un espoir de paix pour les deux peuples ?
L'ambassadeur Pierre Vimont, qui est chargé de préparer la conférence internationale de relance du processus de paix au Proche-Orient, a exposé les principaux points qui doivent être traités dans le cadre de la solution à deux États, au nombre desquels le statut de Jérusalem-Est, le tracé des frontières, la sécurité…. Mais la question centrale n'est-elle pas celle de la viabilité à terme de l'État de Palestine sur les plans économique et social comme pour ce qui est de ses relations avec les autres États ? A-t-on suffisamment progressé sur ce plan ?
Les multiples tentatives visant à résoudre le conflit israélo-palestinien ont malheureusement échoué. Quels éléments particuliers peuvent, selon vous, susciter un nouvel espoir ? Le dialogue est-il encore possible, et sur quelles bases ? Quel lien faire entre la résolution du conflit israélo-palestinien et l'environnement régional ?
Dans le rapport déposé en décembre 2011 en conclusion des travaux d'une mission d'information sur la géopolitique de l'eau, notre collègue Jean Glavany traitait des difficultés d'accès à l'eau qu'éprouve la population palestinienne ; il en résulte, constatent les Nations-Unies, que ses conditions de vie se dégradent. Comment parvenir à une répartition équitable des ressources hydriques du bassin du Jourdain et des aquifères de Cisjordanie et de Gaza ? Les négociations sur ce point sont-elles entamées ou en panne ? L'Agence française de développement intervient pour améliorer le service public de l'eau et de l'assainissement dans les territoires palestiniens, mais que sait-on de la qualité et de la quantité des eaux souterraines profondes, qui sont d'une importance fondamentale pour l'approvisionnement régional en eau, lequel se dégrade de manière alarmante ?
Au nombre des points de blocage figure le retour des réfugiés palestiniens. Or, j'ai constaté, lors de mon dernier voyage en Jordanie, que nombre d'entre eux ont commencé de s'y intégrer. Considérez-vous que la question des réfugiés doive impérativement être traitée dans le cadre des négociations de paix ? Comme Michel Destot, je m'interroge d'autre part sur la viabilité du futur État de Palestine ; une confédération économique réunissant deux États politiquement indépendants est-elle concevable ?
À vous entendre, monsieur l'ambassadeur, Israël est responsable de tout. Pourtant, il y a eu dans cette région 300 000 morts au cours des trois dernières années, soit dix fois plus que depuis le début de conflit israélo-palestinien, en 1948 – mais, de cela aussi, la faute est certainement à l'État d'Israël ! À vous entendre encore, il semblerait que l'Autorité palestinienne ne connaisse aucun problème : il n'y a pas d'islamisme, et il n'y a pas non plus de corruption – alors même que la presse vient de faire état de comptes cachés au Panama par le propre fils du président de l'Autorité palestinienne. Il serait intéressant de savoir si ces allégations sont fondées, car c'est de l'argent des contribuables français qu'il s'agit ; et donc, monsieur l'ambassadeur, est-ce vrai ou est-ce faux ? D'autre part, est-ce qu'entre 1948 et 1967 les Palestiniens ont accepté la solution des deux États ? Nullement. Pourquoi ont-ils refusé la proposition d'Ehud Barak et celle d'Ehud Olmert ? D'autre part, les Palestiniens font valoir le droit au retour, mais que faut-il entendre par là ? Au-delà de la création d'un État de Palestine, quelque 3 millions de réfugiés, c'est-à-dire les deux tiers de la population de la Jordanie, rentreraient dans l'État d'Israël. Outre cela, les Palestiniens refusent évidemment tout partage de Jérusalem. Comment être optimiste face à pareil jusqu'auboutisme ? Malgré cela, je suis convaincu que, même si les parties ne sont pas d'accord au moment où les négociations s'engagent, il faut savoir s'asseoir à une table, pour mettre un terme aux souffrances des deux côtés. Mais j'ai du mal à croire que 6 000 km² de terrain, rapportés aux millions de kilomètres carrés de terres arabes qui entourent Israël, soient la source de tous les maux de l'humanité, de la région et du monde.
Nous venons de l'entendre à l'instant, tout le monde veut un règlement du conflit mais dès lors que les prérequis sont inacceptables pour l'une des parties, on pourra les réunir autant qu'on veut, on n'arrivera pas à une solution.
Ce drame, ce sont les peuples qui le vivent, alors qu'ils aspirent à la paix. Les dirigeants peinent à en prendre conscience. On ne peut pas rester insensible et inerte, ni se satisfaire de constats systématiques d'échec, réunion après réunion, sommet après sommet, alors que la situation n'est plus tenable et qu'elle provoque d'autres déstabilisations dans le reste du monde.
Les peuples veulent la paix, ils souhaitent pouvoir vivre ensemble. Entendez-vous ce message ? Est-ce un élément que vous mettez en avant dans les négociations ?
Sans refaire l'histoire, les accords d'Oslo ont été à deux doigts d'aboutir sur des points d'extrême sensibilité – les territoires, le statut de Jérusalem, le sort des réfugiés. Je ne reviendrai pas sur les raisons de l'échec car tout le monde se renvoie toujours la balle.
Les solutions trouvées à l'époque sur ces points restent-elles la base d'un accord de paix potentiel ? La perspective d'un accord s'est-elle éloignée de manière irrémédiable ou reste-elle possible ?
Quel est selon vous l'état d'esprit des membres de la Ligue arabe ? Le soutien est-il unanime en son sein au projet de résolution que vous souhaitez soumettre aux Nations unies ? Vous considérez que celle-ci n'est pas contradictoire avec l'initiative française mais elle interfère avec cette dernière. Quelle articulation positive peut-on imaginer entre les deux ?
Nous avons l'impression que le découragement gagne. Comment comptez-vous le combattre ? Je rejoins les questions de mes collègues sur l'absence d'avancée sur les points durs de la négociation. Puisque vous souhaitez la reprise des négociations, comment pensez-vous sortir de ce que vous avez qualifié d'impasse ?
C'est un honneur pour moi de dialoguer pour la première fois avec vous.
Avec l'âge que j'ai et les fonctions que j'ai occupées durant les cinquante dernières années, j'ai eu l'occasion d'être confronté à de nombreuses difficultés, de rencontrer de grands hommes sur tous les continents et d'étudier de près les expériences des autres nations.
L'occupation israélienne de la Palestine n'est pas le seul exemple d'occupation dans le monde. Vous, les Français, avez été occupés. Nous avons étudié l'occupation allemande en France et la manière dont vous avez résisté. J'ai accompagné un peuple frère qui a combattu un système similaire. Dans le passé, j'étais ambassadeur en Afrique du Sud ; j'ai fait la connaissance de M. Mandela lorsqu'il était en prison et je l'ai côtoyé après sa libération et pendant la démocratisation de l'Afrique du Sud. Nous vivons sous une autre forme d'apartheid, ce n'est pas moi qui le dis mais les Sud-Africains. Desmond Tutu considère que l'apartheid en Afrique du Sud est un pique-nique si on le compare avec la pratique israélienne.
J'espère pouvoir apporter des réponses à toutes vos questions.
Le peuple palestinien n'a pas opté pour la paix hier. Depuis plus de cinquante ans, nous défendons le dialogue et la paix. Nos programmes politiques en témoignent. Ces vingt-cinq dernières années, les négociations ont été directes avec tous les gouvernements israéliens successifs. Nous avons négocié avec M. Shamir, M. Rabin, M. Netanyahou à plusieurs reprises, M. Olmert, M. Barak et M. Sharon. L'échec des négociations n'est pas lié au manque de dialogue. Nous sollicitons l'intervention de la communauté internationale pour déterminer qui fait obstacle aux solutions et qui a mis en échec toutes les tentatives d'accord. Nous avons discuté de tous les problèmes – de Jérusalem, des frontières, de sécurité, des réfugiés ; nous avons négocié des nuits durant. Or, à chaque fois que nous nous approchons d'une solution, le gouvernement israélien change d'avis. Nous ne sommes pas les seuls à le dire. Demandez aux Américains, demandez au Quartet.
Ce n'est pas faute de partenaire – nous avons un partenaire – mais faute de courage de celui-ci. Il faut du courage pour la paix, celui qu'ont eu Rabin et Arafat de signer les accords d'Oslo. L'actuel Premier ministre israélien est fier d'avoir détruit ces accords. Comment peut-on faire la paix avec cette mentalité ?
Nous faisons appel au Conseil de sécurité ainsi qu'à la communauté internationale et nous soutenons l'initiative française pour sauver la paix. La paix est une nécessité, pas seulement pour les Palestiniens mais aussi pour les Israéliens, pour la région et pour le monde entier.
Mme l'ambassadrice d'Israël préfère parler d'implantations. Mais pourquoi ne construit-elle pas des colonies dans les frontières d'Israël ? La Galilée est vide, le Néguev est vide. Pourquoi faire des colonies dans les territoires palestiniens occupés, reconnus par les Nations unies ? Les colonies dans un territoire occupé sont illégales. Le monde entier a reconnu que le territoire délimité en 1967 est un territoire occupé, tout le monde sauf Israël. Mme l'ambassadrice doit construire les écoles et les hôpitaux sur le territoire israélien et non sur le territoire palestinien.
Nous croyons à la paix. Nous voulons donner cet espoir aux générations futures, aux enfants palestiniens aussi bien qu'aux enfants israéliens. Tôt ou tard, la Palestine sera indépendante, mais nous voulons préserver la vie de la population civile sans défense. Mettez-vous à la place du peuple palestinien, des jeunes palestiniens, des femmes palestiniennes, des enfants palestiniens, qui, chaque jour, trouvent face à eux un soldat israélien et subissent des humiliations. Il n'est pas possible d'aller d'un village à un autre, ou de l'école à la maison. Telle est la situation difficile que vit le peuple palestinien. Je vous invite tous à vous rendre en Palestine afin de voir de vos propres yeux l'occupation israélienne. Nous acceptons d'avance votre jugement.
Le général Yair Golan, chef d'Etat-major adjoint de l'armée israélienne, dit lui-même qu'Israël est dans une situation pire que l'Allemagne nazie. Cela lui vaut des critiques de M. Netanyahou. Mais de nombreux généraux israéliens ne supportent plus la situation parce que le pays de leur chair et de leurs enfants paie le prix de l'occupation. En Afrique du Sud, les généraux étaient pour la guerre et les politiciens pour la paix. Malheureusement, en Israël, les généraux s'expriment en faveur de la paix et les politiciens pratiquent le populisme, le marchandage politique, et la surenchère. Les dirigeants israéliens n'ont pas le courage de prendre des décisions et de signer la paix avec leur partenaire palestinien.
Nous sommes la seule résistance dans le monde à avoir dénoncé la violence et à parler de la paix. Nous avons bien reçu l'initiative française car elle permet de changer le discours sur la situation dans la région, qui ne renvoie qu'à la guerre et aux atrocités. Quant à M. Netanyahou, il tient un discours religieux. Si le conflit devient religieux, ce sera beaucoup plus dangereux, pour Israël et pour nous tous. Il faut avoir le courage d'arriver à une solution.
Nous sommes arrivés à une solution avec M. Olmert mais nous n'avons reçu aucune offre de M. Barak. Je défie quiconque de trouver une offre qu'aurait pu présenter M. Barak, écrite ou orale. Lors des négociations qui se sont déroulées en Afrique du Sud sous la présidence de M. Mandela, les Américains ont admis l'absence d'offre de la part d'Ehud Barak. Robert Malley, conseiller du président Clinton, a reconnu le bluff de M. Barak, qui, à l'époque, malheureusement, était soutenu par l'administration américaine. Nous avons entamé des négociations avec M. Olmert comme avec tous les autres dirigeants israéliens. À chaque fois que nous discutons de Jérusalem, des réfugiés, des frontières, de l'eau, ou de la sécurité, nous réussissons à résoudre les problèmes à plus de 95 %. Puis, tout d'un coup, le gouvernement israélien change d'avis et il faut recommencer une nouvelle fois.
Nous avons signé un accord avec le regretté Rabin qui prévoyait de relâcher tous les prisonniers politiques détenus avant 1993. M. Netanyahou n'a pas voulu l'appliquer. Le problème avec les gouvernements israéliens successifs tient à ce qu'ils n'ont jamais respecté leur signature et leurs engagements ; ils n'ont jamais appliqué les accords. Nous demandons à la communauté internationale, au Conseil de sécurité, à la France et à l'Union européenne de nous aider à mettre fin à ce conflit.
Nous ne souhaitons pas continuer la guerre, nous ne cherchons pas la guerre, nous cherchons la paix.
S'agissant de l'eau, 85 % de l'eau palestinienne est volée par Israël. Elle nous est revendue à des prix multipliés par trois ou quatre. Ce constat est étayé par des calculs des institutions internationales.
Israël rejette tous ces déchets toxiques dans les territoires palestiniens, y compris les armes qui sont utilisées – trois guerres successives ont été menées contre Gaza en huit ans ; la guerre est quotidienne depuis 1967 en Cisjordanie et à Gaza.
Nous l'avons dit, nous sommes d'accord pour résoudre le problème des réfugiés, négocier et accepter les solutions convenues entre les deux parties. Mais il faut d'abord reconnaître à ces derniers le droit de retourner chez eux. Chez eux, ce n'est pas l'Arabie saoudite, ce n'est pas l'Irak, ce n'est pas l'Égypte. Chez eux, c'est la Palestine. Je ne pense pas que l'on conseille à un réfugié d'Afrique du Sud d'aller chercher une place dans un autre pays d'Afrique parce qu'il y trouvera des Noirs comme lui. Les réfugiés sont arabes et fiers de l'être, mais ils veulent rentrer dans leur pays. Nous avons discuté du problème des réfugiés, du Canada jusqu'à la Nouvelle-Zélande, du Japon à l'Argentine. Nous avons organisé des séances de travail pour examiner tous les problèmes en détail. Nous avons donné à la France tous les documents nécessaires dans la perspective de la conférence internationale montrant sur quels points des solutions ont été trouvées. Le problème vient de notre partenaire israélien : il doit avoir le courage de reconnaître que le territoire palestinien est un territoire occupé par Israël, ce qu'il ne fait pas aujourd'hui.
Nous espérons la réussite de l'initiative française. Celle-ci bénéficie du soutien de la direction palestinienne, de toute la société et de tous les pays membres de la Ligue arabe. Le soutien des pays arabes à la cause palestinienne est clair et net. Il s'est exprimé à plusieurs reprises. Si Israël se retire des territoires occupés, y compris Jérusalem-Est, le pays bénéficiera de la reconnaissance totale de tous les pays arabes et musulmans. C'est un travail de longue haleine que nous avons mené pour convaincre 56 pays de le faire.
Oui, nous sommes plein d'espoir pour l'avenir. Nous sommes flexibles, très flexibles, sur toutes les questions. Notre position est très transparente et très connue sur tous les sujets – Jérusalem, les réfugiés, l'eau, les frontières, la sécurité.
Quant à une possible fédération économique, laissez-nous d'abord obtenir la reconnaissance de l'État palestinien. Ensuite, peut-être nous envisagerons une fédération, une confédération ou un Benelux, nous sommes très ouverts à toutes les solutions.
M. Habib évoque la corruption en Palestine de manière infondée ; il sait qui sont les corrompus. Notre économie est transparente, nos finances également. Toutes les informations sont disponibles sur internet. Il existe, en outre, un mécanisme de surveillance internationale du budget de l'Autorité palestinienne. Si on parle de corruption, il faut regarder du côté des Israéliens avant de désigner le fils d'untel.
La situation régionale est très dangereuse, elle est explosive parce que l'extrémisme a ravagé toute la région. Malheureusement, la politique américaine, soutenue ou encouragée par Israël, a bouleversé la donne. Daech est l'héritier de cette politique. Après avoir soutenu puis combattu Saddam Hussein, les États-Unis ont laissé un vide que Daech comble aujourd'hui. Lors du printemps arabe, malheureusement, on s'est précipité pour soutenir des gouvernements sans avoir préparé aucun plan pour la suite. Nous sommes face à un flux de réfugiés, un flux de terrorisme et un flux d'extrémisme. Nous alertons nos cousins et nos voisins israéliens – nous sommes condamnés à vivre ensemble – en leur disant que, tôt ou tard, Daech s'approchera. Nous les enjoignons d'arrêter de coopérer avec Daech et les extrémistes en Syrie parce que, demain, ces derniers seront chez eux. On voit les blessés de guerre de Daech et d'Al-Nosra dans les hôpitaux israéliens. Malheureusement, celui qui joue avec le feu finit par se brûler les doigts.
Malgré tout, nous souhaitons le changement en Israël. Nous gardons l'espoir. Nous avons des contacts avec tous les partis politiques. Nous engageons le dialogue avec tous, avec la société israélienne, avec les communautés, avec tout le monde, pour mobiliser le peuple israélien, côte à côte avec le peuple palestinien, car ce sont eux les victimes de la situation et de la guerre. Nous voulons vivre comme les autres. Nous voulons que nos enfants vivent comme les enfants du monde entier. Cela fait plus de cent ans que le peuple palestinien n'a pas joui de sa liberté. Le peuple palestinien veut la paix, c'est le seul peut-être qui veut la paix aujourd'hui plus que jamais.
Je vous remercie, monsieur l'Ambassadeur. Il était important que vous nous fassiez part de votre ressenti personnel, vous qui avez une si longue et si riche expérience aux côtés du président Arafat. On peut lire beaucoup de choses dans les notes des experts ou dans la presse mais rien ne vaut d'entendre directement les personnes qui éprouvent ce genre de drame. Tout ce que vous nous avez dit du vécu de la population palestinienne en raison de la colonisation, passée, présente et malheureusement future, je le crains, est évidemment très important.
Vous connaissez les positions que j'ai exprimées. Je me rappelle ce mot de Jean Monnet : « ce qui est important, ce n'est pas ni d'être optimiste, ni pessimiste, mais d'être déterminé ». C'est un peu la philosophie qu'a adoptée le Gouvernement français : essayer toujours, ne pas renoncer à essayer. C'est important pour les Israéliens et les Palestiniens. Nous sommes très attachés, vous le savez, à la sécurité d'Israël. Nous pensons qu'il n'y a pas d'autre issue qu'un accord sur les bases qui ont été définies et acceptées à Oslo. Il va maintenant falloir de la bonne volonté des deux côtés. C'est probablement ce qui fait défaut actuellement.
Nous aurons, je l'espère, l'occasion de vous entendre de nouveau si la situation évolue, ce que nous souhaitons.
La séance est levée à dix-sept quarante-cinq.