Intervention de Son Excellence M Salman Elherfi

Réunion du 10 mai 2016 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Son Excellence M Salman Elherfi, ambassadeur, Chef de la Mission de Palestine en France :

C'est un honneur pour moi de dialoguer pour la première fois avec vous.

Avec l'âge que j'ai et les fonctions que j'ai occupées durant les cinquante dernières années, j'ai eu l'occasion d'être confronté à de nombreuses difficultés, de rencontrer de grands hommes sur tous les continents et d'étudier de près les expériences des autres nations.

L'occupation israélienne de la Palestine n'est pas le seul exemple d'occupation dans le monde. Vous, les Français, avez été occupés. Nous avons étudié l'occupation allemande en France et la manière dont vous avez résisté. J'ai accompagné un peuple frère qui a combattu un système similaire. Dans le passé, j'étais ambassadeur en Afrique du Sud ; j'ai fait la connaissance de M. Mandela lorsqu'il était en prison et je l'ai côtoyé après sa libération et pendant la démocratisation de l'Afrique du Sud. Nous vivons sous une autre forme d'apartheid, ce n'est pas moi qui le dis mais les Sud-Africains. Desmond Tutu considère que l'apartheid en Afrique du Sud est un pique-nique si on le compare avec la pratique israélienne.

J'espère pouvoir apporter des réponses à toutes vos questions.

Le peuple palestinien n'a pas opté pour la paix hier. Depuis plus de cinquante ans, nous défendons le dialogue et la paix. Nos programmes politiques en témoignent. Ces vingt-cinq dernières années, les négociations ont été directes avec tous les gouvernements israéliens successifs. Nous avons négocié avec M. Shamir, M. Rabin, M. Netanyahou à plusieurs reprises, M. Olmert, M. Barak et M. Sharon. L'échec des négociations n'est pas lié au manque de dialogue. Nous sollicitons l'intervention de la communauté internationale pour déterminer qui fait obstacle aux solutions et qui a mis en échec toutes les tentatives d'accord. Nous avons discuté de tous les problèmes – de Jérusalem, des frontières, de sécurité, des réfugiés ; nous avons négocié des nuits durant. Or, à chaque fois que nous nous approchons d'une solution, le gouvernement israélien change d'avis. Nous ne sommes pas les seuls à le dire. Demandez aux Américains, demandez au Quartet.

Ce n'est pas faute de partenaire – nous avons un partenaire – mais faute de courage de celui-ci. Il faut du courage pour la paix, celui qu'ont eu Rabin et Arafat de signer les accords d'Oslo. L'actuel Premier ministre israélien est fier d'avoir détruit ces accords. Comment peut-on faire la paix avec cette mentalité ?

Nous faisons appel au Conseil de sécurité ainsi qu'à la communauté internationale et nous soutenons l'initiative française pour sauver la paix. La paix est une nécessité, pas seulement pour les Palestiniens mais aussi pour les Israéliens, pour la région et pour le monde entier.

Mme l'ambassadrice d'Israël préfère parler d'implantations. Mais pourquoi ne construit-elle pas des colonies dans les frontières d'Israël ? La Galilée est vide, le Néguev est vide. Pourquoi faire des colonies dans les territoires palestiniens occupés, reconnus par les Nations unies ? Les colonies dans un territoire occupé sont illégales. Le monde entier a reconnu que le territoire délimité en 1967 est un territoire occupé, tout le monde sauf Israël. Mme l'ambassadrice doit construire les écoles et les hôpitaux sur le territoire israélien et non sur le territoire palestinien.

Nous croyons à la paix. Nous voulons donner cet espoir aux générations futures, aux enfants palestiniens aussi bien qu'aux enfants israéliens. Tôt ou tard, la Palestine sera indépendante, mais nous voulons préserver la vie de la population civile sans défense. Mettez-vous à la place du peuple palestinien, des jeunes palestiniens, des femmes palestiniennes, des enfants palestiniens, qui, chaque jour, trouvent face à eux un soldat israélien et subissent des humiliations. Il n'est pas possible d'aller d'un village à un autre, ou de l'école à la maison. Telle est la situation difficile que vit le peuple palestinien. Je vous invite tous à vous rendre en Palestine afin de voir de vos propres yeux l'occupation israélienne. Nous acceptons d'avance votre jugement.

Le général Yair Golan, chef d'Etat-major adjoint de l'armée israélienne, dit lui-même qu'Israël est dans une situation pire que l'Allemagne nazie. Cela lui vaut des critiques de M. Netanyahou. Mais de nombreux généraux israéliens ne supportent plus la situation parce que le pays de leur chair et de leurs enfants paie le prix de l'occupation. En Afrique du Sud, les généraux étaient pour la guerre et les politiciens pour la paix. Malheureusement, en Israël, les généraux s'expriment en faveur de la paix et les politiciens pratiquent le populisme, le marchandage politique, et la surenchère. Les dirigeants israéliens n'ont pas le courage de prendre des décisions et de signer la paix avec leur partenaire palestinien.

Nous sommes la seule résistance dans le monde à avoir dénoncé la violence et à parler de la paix. Nous avons bien reçu l'initiative française car elle permet de changer le discours sur la situation dans la région, qui ne renvoie qu'à la guerre et aux atrocités. Quant à M. Netanyahou, il tient un discours religieux. Si le conflit devient religieux, ce sera beaucoup plus dangereux, pour Israël et pour nous tous. Il faut avoir le courage d'arriver à une solution.

Nous sommes arrivés à une solution avec M. Olmert mais nous n'avons reçu aucune offre de M. Barak. Je défie quiconque de trouver une offre qu'aurait pu présenter M. Barak, écrite ou orale. Lors des négociations qui se sont déroulées en Afrique du Sud sous la présidence de M. Mandela, les Américains ont admis l'absence d'offre de la part d'Ehud Barak. Robert Malley, conseiller du président Clinton, a reconnu le bluff de M. Barak, qui, à l'époque, malheureusement, était soutenu par l'administration américaine. Nous avons entamé des négociations avec M. Olmert comme avec tous les autres dirigeants israéliens. À chaque fois que nous discutons de Jérusalem, des réfugiés, des frontières, de l'eau, ou de la sécurité, nous réussissons à résoudre les problèmes à plus de 95 %. Puis, tout d'un coup, le gouvernement israélien change d'avis et il faut recommencer une nouvelle fois.

Nous avons signé un accord avec le regretté Rabin qui prévoyait de relâcher tous les prisonniers politiques détenus avant 1993. M. Netanyahou n'a pas voulu l'appliquer. Le problème avec les gouvernements israéliens successifs tient à ce qu'ils n'ont jamais respecté leur signature et leurs engagements ; ils n'ont jamais appliqué les accords. Nous demandons à la communauté internationale, au Conseil de sécurité, à la France et à l'Union européenne de nous aider à mettre fin à ce conflit.

Nous ne souhaitons pas continuer la guerre, nous ne cherchons pas la guerre, nous cherchons la paix.

S'agissant de l'eau, 85 % de l'eau palestinienne est volée par Israël. Elle nous est revendue à des prix multipliés par trois ou quatre. Ce constat est étayé par des calculs des institutions internationales.

Israël rejette tous ces déchets toxiques dans les territoires palestiniens, y compris les armes qui sont utilisées – trois guerres successives ont été menées contre Gaza en huit ans ; la guerre est quotidienne depuis 1967 en Cisjordanie et à Gaza.

Nous l'avons dit, nous sommes d'accord pour résoudre le problème des réfugiés, négocier et accepter les solutions convenues entre les deux parties. Mais il faut d'abord reconnaître à ces derniers le droit de retourner chez eux. Chez eux, ce n'est pas l'Arabie saoudite, ce n'est pas l'Irak, ce n'est pas l'Égypte. Chez eux, c'est la Palestine. Je ne pense pas que l'on conseille à un réfugié d'Afrique du Sud d'aller chercher une place dans un autre pays d'Afrique parce qu'il y trouvera des Noirs comme lui. Les réfugiés sont arabes et fiers de l'être, mais ils veulent rentrer dans leur pays. Nous avons discuté du problème des réfugiés, du Canada jusqu'à la Nouvelle-Zélande, du Japon à l'Argentine. Nous avons organisé des séances de travail pour examiner tous les problèmes en détail. Nous avons donné à la France tous les documents nécessaires dans la perspective de la conférence internationale montrant sur quels points des solutions ont été trouvées. Le problème vient de notre partenaire israélien : il doit avoir le courage de reconnaître que le territoire palestinien est un territoire occupé par Israël, ce qu'il ne fait pas aujourd'hui.

Nous espérons la réussite de l'initiative française. Celle-ci bénéficie du soutien de la direction palestinienne, de toute la société et de tous les pays membres de la Ligue arabe. Le soutien des pays arabes à la cause palestinienne est clair et net. Il s'est exprimé à plusieurs reprises. Si Israël se retire des territoires occupés, y compris Jérusalem-Est, le pays bénéficiera de la reconnaissance totale de tous les pays arabes et musulmans. C'est un travail de longue haleine que nous avons mené pour convaincre 56 pays de le faire.

Oui, nous sommes plein d'espoir pour l'avenir. Nous sommes flexibles, très flexibles, sur toutes les questions. Notre position est très transparente et très connue sur tous les sujets – Jérusalem, les réfugiés, l'eau, les frontières, la sécurité.

Quant à une possible fédération économique, laissez-nous d'abord obtenir la reconnaissance de l'État palestinien. Ensuite, peut-être nous envisagerons une fédération, une confédération ou un Benelux, nous sommes très ouverts à toutes les solutions.

M. Habib évoque la corruption en Palestine de manière infondée ; il sait qui sont les corrompus. Notre économie est transparente, nos finances également. Toutes les informations sont disponibles sur internet. Il existe, en outre, un mécanisme de surveillance internationale du budget de l'Autorité palestinienne. Si on parle de corruption, il faut regarder du côté des Israéliens avant de désigner le fils d'untel.

La situation régionale est très dangereuse, elle est explosive parce que l'extrémisme a ravagé toute la région. Malheureusement, la politique américaine, soutenue ou encouragée par Israël, a bouleversé la donne. Daech est l'héritier de cette politique. Après avoir soutenu puis combattu Saddam Hussein, les États-Unis ont laissé un vide que Daech comble aujourd'hui. Lors du printemps arabe, malheureusement, on s'est précipité pour soutenir des gouvernements sans avoir préparé aucun plan pour la suite. Nous sommes face à un flux de réfugiés, un flux de terrorisme et un flux d'extrémisme. Nous alertons nos cousins et nos voisins israéliens – nous sommes condamnés à vivre ensemble – en leur disant que, tôt ou tard, Daech s'approchera. Nous les enjoignons d'arrêter de coopérer avec Daech et les extrémistes en Syrie parce que, demain, ces derniers seront chez eux. On voit les blessés de guerre de Daech et d'Al-Nosra dans les hôpitaux israéliens. Malheureusement, celui qui joue avec le feu finit par se brûler les doigts.

Malgré tout, nous souhaitons le changement en Israël. Nous gardons l'espoir. Nous avons des contacts avec tous les partis politiques. Nous engageons le dialogue avec tous, avec la société israélienne, avec les communautés, avec tout le monde, pour mobiliser le peuple israélien, côte à côte avec le peuple palestinien, car ce sont eux les victimes de la situation et de la guerre. Nous voulons vivre comme les autres. Nous voulons que nos enfants vivent comme les enfants du monde entier. Cela fait plus de cent ans que le peuple palestinien n'a pas joui de sa liberté. Le peuple palestinien veut la paix, c'est le seul peut-être qui veut la paix aujourd'hui plus que jamais.

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