Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames et messieurs les députés, chers collègues, régulièrement égratignée depuis quinze à vingt ans par les ONG reconnues pour leur expertise dans la lutte contre la corruption, la France a une belle marge de progression pour atteindre le haut du classement.
Tous les classements ont leur pertinence, mais aussi des biais, des failles, des critères critiquables : c’est une évidence, mais Bercy donne cette réponse systématique depuis trop longtemps. Nous ne pouvons pas nous dédouaner de nos responsabilités et de nos lacunes à si peu de frais.
Reconnaissons d’emblée que, si nous sommes en pointe pour plusieurs indices, nous devons faire mieux, nous pouvons faire mieux : c’est aussi l’un des objectifs importants de ce projet de loi.
Aux alentours de la vingt-cinquième place dans le classement de Transparency International, nous sommes tout de même au même niveau que le Chili, les Émirats Arabes Unis ou encore l’Estonie – avec tout le respect que nous devons à ces pays charmants par ailleurs. Et dans le « top 10 », très loin devant nous, il y a sans surprise la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, les pays du nord de l’Europe comme la Norvège ou les Pays-Bas, ainsi que le Luxembourg, Singapour ou la Suisse.
Certes, depuis trois ans, nous grignotons quelques places. Ne boudons pas notre plaisir : nous étions vingt-troisième au dernier classement publié en janvier dernier. Il faudrait une mauvaise foi malicieuse et une jolie dose d’ingratitude envers le Gouvernement pour dire que les récentes lois n’y sont pour rien.
La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ainsi que de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui avait créé le parquet national financier, ont abouti à de très bonnes mesures, qui se révèlent manifestement utiles. Ayant objectivement participé au renforcement de l’encadrement juridique et des outils disponibles, elles n’ont pas encore produit tous leurs effets.
Nous pouvons légitimement penser que nous allons encore progresser, surtout si nous parvenons, avec le texte que nous allons examiner cette semaine, à nous hisser au plus haut niveau des standards mondiaux.
Les multiples dispositions qu’il contient, bien détaillées dans les interventions précédentes, permettront assurément de perfectionner nos dispositifs de lutte contre la corruption et les atteintes à la probité en révisant profondément notre législation en matière de prévention comme de répression.
Comme nous l’avions laissé entendre au cours des examens dans les différentes commissions, au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je me permets de briser cet insoutenable suspense, monsieur le ministre : vous pouvez compter sur nos encouragements. Nous voterons ce projet de loi et nous ne négocierons ni ne mégoterons notre soutien.
Toutefois, la loyauté peut s’assortir d’un discours de vérité. Si le projet de loi initial comportait des lacunes et des faiblesses, il s’est amélioré après l’examen en commission. Mais il reste des insuffisances, des oublis, et nous avons encore des points à améliorer.
Dans son avis, le Conseil d’État ne s’est pas montré tendre avec le Gouvernement. Ainsi, pour citer un sujet récurrent, l’étude d’impact est jugée déficiente. Ce projet de loi comportant beaucoup de dispositions tendant à modifier le comportement des acteurs économiques, le Conseil d’État souligne que la pertinence des solutions proposées et les conséquences qui en résulteront doivent être analysées avec une attention particulière.
Certes, les sages du Palais-Royal ne sont pas stricto sensu des législateurs. Cependant, la publicité donnée depuis peu aux avis du Conseil d’État, si elle a parfois pour conséquence de brider nos respectables conseillers, peut aussi leur donner la fâcheuse impression qu’il leur pousse des ailes.
Cela dit, l’étude d’impact d’un projet de loi ne doit pas être un plaidoyer ni un argumentaire en faveur des mesures, mais une tentative d’analyse des conséquences. Pour ne prendre que le seul exemple de la réduction de la durée de validité des chèques à six mois, il est impossible de ne pas leur donner raison : il n’y a pas un mot dans l’étude d’impact sur les éventuels effets indésirables, pas un mot sur les risques potentiels, alors qu’on touche à une durée bien ancrée dans les habitudes de nos concitoyens.
Concernant le reporting public – en français dans le texte –, nous nous souvenons tous probablement d’une belle nuit de décembre qui a rencontré un petit succès sur internet et sur les réseaux sociaux. Certains doivent s’en souvenir plus que d’autres : je pense à notre vaillant et consciencieux rapporteur, dont nous avons pu constater en commission sa parfaite maîtrise de ce sujet, comme des autres d’ailleurs.
Sur les bancs de la majorité et aussi parfois de l’opposition, nous sommes favorables au reporting complet et public pour les multinationales.
La mesure adoptée dans le projet de loi de finances pour 2016 va dans le bon sens ; les normes européennes sont en germination et nous attendons qu’elles aboutissent à un résultat satisfaisant.
En commission, un amendement sur un reporting public européen calqué sur la proposition de directive de la Commission européenne a été adopté. Nous préférons la version du Parlement européen, votée par des députés de toutes les familles politiques. Nous sommes convaincus que les règles européennes et françaises devront évoluer rapidement.
Les scandales s’accumulant – la dernière affaire des Panama Papers est accablante –, nous ne pouvons pas rester passifs. Pour nos PME, pour notre compétitivité, pour la morale et pour la confiance de nos concitoyens, la France doit envoyer un signal et être en pointe sur le sujet en Europe.
Autre sujet médiatique, à la fois moralement et économiquement inacceptable : la rémunération indécente de certains patrons. Nous demandons une rémunération maximale pour une décence minimale. Il y va en effet des valeurs de la décence ordinaire, de la common decency d’Orwell, notion réhabilitée récemment par un intellectuel montpelliérain que doit bien connaître notre rapporteur, puisqu’il enseigne la philosophie au lycée Joffre.
Au Royaume-Uni, un P-DG s’est vanté d’avoir réussi à s’augmenter largement en une année, passant de 60 à 90 millions d’euros par an. Voilà à quoi nous aboutirons en France si nous suivons le discours de ceux qui prétextent la loi du marché pour refuser de fixer une limite. 90 millions, cela représente 7,5 millions d’euros par mois, soit 6 000 SMIC ou encore 40 000 euros de l’heure.
Ces fortunes accumulées sont d’ailleurs peut-être moins indécentes qu’absurdes. À quoi sert réellement d’augmenter ses revenus jusqu’à 40 000 euros de l’heure puisqu’on voit mal comment on les dépensera ? Cela permet de vivre dans un monde où l’on peut dépenser sans compter et, à l’heure où presque tout est devenu marchandise et achetable, tous les caprices peuvent être satisfaits. Le risque est grand de se retrouver dans une situation dans laquelle il ne sera plus possible de résister à des caprices qui deviennent infantiles.
Inévitablement, au fur et à mesure que l’on monte à ces niveaux de revenus stratosphériques, l’oxygène moral ne peut que se raréfier – c’est un élu de la montagne qui vous le précise.