La séance est ouverte.
La séance est ouverte à dix-sept heures.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (nos 3623, 3785, 3756, 3778) et de la proposition de loi organique de MM. Bruno Le Roux et Sébastien Denaja, et plusieurs de leurs collègues, relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte (nos 3770, 3786).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur de la commission des lois, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, mesdames, messieurs les députés, j’ai plaisir à vous présenter, au nom du Gouvernement – nous sommes nombreux sur ces bancs, je veux dire les bancs du Gouvernement,
Sourires
et c’est très bien –, un texte qui, je pense, permettra de doter la France d’un dispositif à la fois riche et complet en matière de transparence, de lutte contre la corruption transnationale et de modernisation de la vie économique.
Ce texte contribuera à faire de notre pays une démocratie moderne, assise sur des valeurs solides, et non une démocratie du soupçon. Il contribuera à construire pour notre pays une économie au service de tous et à combattre une finance débridée au service de la corruption et de la spéculation.
Pour aboutir à la discussion qui s’ouvre aujourd’hui, nous avons étroitement travaillé, ces dernières semaines, avec les rapporteurs des trois commissions saisies, MM. Denaja, Colas et Potier. Je les remercie très chaleureusement, de même que la présidente et les présidents des commissions concernées, mais aussi les nombreux députés qui ont travaillé, pendant de longues heures, à l’amélioration du texte.
Ce projet de loi poursuit deux objectifs susceptibles, à mon sens, de vous rassembler tous dans cet hémicycle : d’une part, la transparence, afin de lutter contre le soupçon, je l’ai dit ; d’autre part, la lutte contre la finance qui prospère sur les abus, qui contourne, qui corrompt, et l’encouragement de celle qui, à l’opposé, permet de créer, de développer de l’activité, de l’emploi, d’innover pour redresser et renforcer notre économie.
Chacun le sent bien, et certains classements internationaux nous le rappellent régulièrement, notre pays a encore des progrès à accomplir dans le domaine de la transparence. Le temps est venu de poursuivre la modernisation de notre droit national pour le mettre au niveau des grandes démocraties qui nous entourent.
Je me permets d’insister sur la dimension internationale car il suffit de dialoguer avec certains de nos homologues étrangers pour se rendre compte d’une chose : si la France n’a pas hésité à proclamer en 1789, je cite, que « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », notre pays et notre droit sont longtemps restés marqués par des constructions juridiques, remontant parfois à l’Ancien régime, qui, depuis des siècles, traduisent la volonté du législateur de protéger en toutes circonstances l’action des pouvoirs publics et de ceux qui lui sont liés, même lorsque aucun secret d’État n’est en jeu.
C’est contre cette tradition, qui fait trop souvent rimer pouvoir et secret, qui encadre et trop souvent entrave les contre-pouvoirs les plus naturels, que la République et les Lumières ont, depuis le premier jour, entendu se battre pour garantir les droits du citoyen, c’est-à-dire sa protection.
C’est contre cette tradition ancrée au coeur des ressorts les plus intimes et des habitudes les plus routinières de nos institutions que le législateur républicain s’est tant de fois mobilisé. Aujourd’hui, c’est avec cette volonté politique et cette aspiration profondément démocratique qu’il nous faut renouer pour permettre à la France de relever les défis de la révolution numérique, de la mondialisation de l’information et de l’économie.
C’est un choix que le Président de la République a fait depuis son élection : ancrer la transparence dans nos institutions et créer le cadre juridique et les mécanismes nécessaires pour rendre dorénavant inéluctables les progrès de cette transparence. L’objectif est évidemment de consolider la confiance de nos concitoyens dans les institutions publiques et ceux qui les dirigent. Chacun se souvient ici des débats sur la loi relative à la transparence de la vie publique qui ont animé ces bancs.
Mais l’objectif est aussi de consolider la confiance des acteurs économiques dans une économie ouverte et saine. C’est le deuxième pilier de ce projet de loi, qui porte sur la modernisation de l’économie et a pour finalité de développer la liberté du commerce et de l’industrie ainsi qu’un financement efficace et sûr de notre économie.
Il a aussi pour ambition de sanctionner plus sévèrement cette finance dévoyée qui menace notre modèle économique et social. La lutte contre la corruption et le combat pour la transparence sont des impératifs moraux mais aussi économiques car ce sont des facteurs de croissance. Toutes les études le montrent : là où la corruption recule, le commerce prospère. Le projet de loi que je vous présente aujourd’hui, j’en suis persuadé, aura un effet positif sur l’investissement et la croissance.
Ce texte s’appuie sur un ensemble de travaux menés par exemple, en France, par le groupe de réflexion conduit par M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, ou, sur le plan international, par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE. Il répond à une série de préoccupations exprimées par des organisations non gouvernementales et fait suite à une série d’échanges avec une multiplicité d’acteurs.
Ce projet de loi touche à différents domaines de la vie publique et économique : les relations entre les pouvoirs publics et les représentants d’intérêts, la lutte contre la corruption, la protection des lanceurs d’alerte, la régulation financière, l’activité d’artisan, la vie des sociétés ou des questions strictement agricoles. La version initiale a été enrichie, notamment en ce qui concerne la protection des lanceurs d’alerte – le texte comportait une accroche, en attente de la conclusion des travaux menés par le Conseil d’État, que vous avez su utiliser pertinemment.
Première grande ambition du texte : une transparence assumée et revendiquée. Il comporte en effet une série de dispositions indispensables pour favoriser une plus grande transparence et aider à rétablir ce lien de confiance indispensable au bon fonctionnement de notre démocratie.
Il prévoit d’abord la création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts auprès du Gouvernement, à l’image des fichiers mis en place, il y a quelques années, par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, pour inventorier les représentants d’intérêts s’adressant aux parlementaires – vous en connaissez fort bien le fonctionnement, et pour cause.
L’objectif du Gouvernement est bien d’encadrer l’activité des représentants d’intérêts et non de l’interdire ou de la stigmatiser. Les représentants d’intérêts, par leur action, contribuent à la réflexion collective. Ils constituent des relais d’opinion utiles et nécessaires, que le Gouvernement et le législateur doivent écouter. Leurs informations et leurs arguments doivent donc être pris en considération.
Mais, parce qu’ils possèdent un pouvoir d’influence sur les pouvoirs publics, il faut rendre transparents les rapports qu’ils entretiennent avec ces derniers et leur activité doit être encadrée.
Le texte du Gouvernement a été enrichi lors de l’examen en commission. Je suis favorable à toute mesure allant dans le sens de la transparence, dès lors – c’est la moindre des choses – qu’elle assure la capacité opérationnelle à mettre en oeuvre le futur dispositif d’ensemble et qu’elle est conforme à la Constitution.
Je suis notamment favorable à la création d’un registre unique, commun au Gouvernement, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ainsi qu’à l’extension de l’obligation d’inscription dans ce répertoire aux représentants d’intérêts auprès des élus locaux.
Il s’agit aussi de protéger les lanceurs d’alerte. Les Panama Papers ou l’affaire Antoine Deltour, au Luxembourg, ont encore mis en lumière très récemment, s’il en était besoin, le rôle primordial des lanceurs d’alerte.
La manifestation de cette conscience citoyenne au bénéfice de l’intérêt général doit à l’évidence être mieux protégée.
Il faut d’abord définir ce qu’est un lanceur d’alerte afin de l’identifier juridiquement et, ainsi, de pouvoir le protéger.
Il faut ensuite définir ce que j’appellerai le « canal » que la révélation des informations dont il est dépositaire doit emprunter. Ce canal doit être clairement balisé et précisément défini afin de vérifier les informations et de protéger les tiers et l’organisation en cause contre tout signalement malveillant, tout en mettant les autorités compétentes en mesure de traiter ces informations.
Il faut aussi que tous les lanceurs d’alerte puissent bénéficier de la même protection, quel que soit le domaine dans lequel ils interviennent. Cette protection doit être renforcée, au regard de ce qui existe, afin qu’aucun d’entre eux n’ait à pâtir, notamment sur le plan financier, de la divulgation au public ou à la presse, dans les conditions légalement prévues, d’une information d’intérêt général.
C’est la raison pour laquelle je crois que la protection des lanceurs d’alerte doit être confiée à une autorité publique indépendante.
Je suis heureux que le travail en commission ait permis une évolution positive dans cette direction.
Deuxième grande ambition du texte : lutter plus efficacement contre la corruption.
Vous le savez, la France est malheureusement encore mal évaluée par des organisations internationales comme l’OCDE ou des organisations non gouvernementales comme Transparency International France. Il lui est notamment reproché de manquer encore de dispositifs suffisamment puissants pour prévenir la corruption dite transnationale.
Il importe de souligner que la justice française, depuis 2000, année de la création de cette infraction, n’a condamné définitivement aucune société française pour corruption active d’agent public étranger. Cependant, certaines de ces mêmes sociétés françaises ont été sanctionnées, parfois lourdement, par des justices étrangères.
C’est de toute évidence une situation inacceptable, in fine nuisible à notre image mais aussi, évidemment, à nos entreprises.
C’est ce retard que nous avons voulu combler pour mettre notre pays au niveau des grandes démocraties modernes.
Il s’agit d’abord de mieux prévenir et détecter la corruption. Le projet de loi prévoit, à cet effet, la création de l’Agence française anticorruption – c’est ainsi, en tout cas, que la commission des lois a voulu baptiser cet organisme. La nouvelle agence remplacera le service central de prévention de la corruption, créé par une loi de janvier 1993 ; elle reprendra bien sûr ses missions tout en assurant les nouvelles qui lui seront attribuées.
Le texte crée aussi une obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption, applicable à un certain nombre d’entreprises exposées à des situations de cette nature.
Il s’agit ensuite de rendre plus effective la répression de la corruption, à travers un renforcement de notre arsenal répressif. En particulier, le projet de loi lève ce que l’on peut appeler des « verrous procéduraux » agissant en cas de faits de corruption commis hors du territoire de la République.
Ainsi, il sera mis fin au monopole du parquet pour l’engagement des poursuites lorsque les faits de corruption sont commis dans leur totalité à l’étranger : dans un tel cas, une ONG, par exemple, pourra se constituer partie civile pour mettre en mouvement l’action publique.
En outre, pour que les poursuites puissent être exercées, il ne sera plus nécessaire qu’elles soient précédées d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où les faits ont été commis.
Nous créons par ailleurs une peine complémentaire, applicable aux entreprises, dite de « mise en conformité » des procédures de prévention et de détection de la corruption.
Je suis convaincu que vous aurez l’audace nécessaire pour compléter le texte afin de hisser notre pays aux meilleurs standards de lutte contre la corruption, en particulier contre la corruption transnationale.
Je voudrais dire un mot sur la proposition de Mme Mazetier, qui, en commission des lois, au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, a souhaité donner la possibilité à une société mise en cause pour une atteinte à la probité, de s’acquitter d’une amende au Trésor et de mettre en place un programme de mise en conformité de ses procédures internes de prévention de la corruption, en contrepartie de l’extinction de l’action publique.
Cette procédure, que la commission a baptisée « convention judiciaire d’intérêt public », serait laissée à la discrétion de l’autorité judiciaire. Pour être retenue, elle devrait présenter des garanties procédurales en matière de droits de la défense, de caractère équilibré du règlement transactionnel effectué sous le contrôle d’un juge indépendant et de publicité de la sanction, afin que nul ne puisse penser qu’il existe une justice négociée en coulisses.
Cette procédure permettrait, si vous l’adoptiez – et le Gouvernement s’en remettra à votre sagesse –,…
…de sanctionner ces sociétés plus vite et plus fort. Car il est un fait peu contestable : tous les pays qui sanctionnent des sociétés pour des faits de corruption commis en dehors de leur territoire utilisent aujourd’hui la voie transactionnelle.
La France ne peut pas rester à la remorque ou dans le sillon des justices étrangères, en particulier de celle des États-Unis – mais cette dernière n’est pas la seule à condamner nos entreprises, cela arrive aussi en Grande-Bertagne ou aux Pays-Bas. Il y va donc de la souveraineté de notre pays dans ce domaine pénal essentiel.
Troisième grande ambition du texte : moderniser la vie économique de notre pays, autour de quatre objectifs cohérents.
De nombreux amendements – je les ai examinés – ont été déposés à ce sujet car, dès que l’on parle de modernisation de la vie économique, l’imagination est au pouvoir. Je pense notamment à des amendements touchant au domaine fiscal. Je me permettrai de rappeler aux uns et aux autres que nous aurons d’autres occasions, notamment l’examen des textes financiers de fin d’année, pour aborder leurs suggestions, particulièrement en matière fiscale.
J’aimerais m’arrêter quelques instants sur le volet du texte relatif à la modernisation de la vie économique.
Le premier objectif est le renforcement de la régulation financière. Rendre la régulation financière française encore plus efficace permet de contribuer à la stabilité financière et à la compétitivité de la place financière de Paris. Cela permet aussi d’accroître la protection des épargnants. Nous en avons beaucoup discuté avec votre rapporteur pour avis de la commission des finances, et c’est une préoccupation que nous partageons.
Le projet de loi prévoit ainsi plusieurs mesures pour étoffer les pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF. L’autre superviseur financier français, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, verra également ses pouvoirs renforcés. Première en Europe, nous allons en particulier créer, pour les assurances, un régime dit « de résolution », afin de renforcer la stabilité financière et la protection des assurés.
Enfin, en commission, il a été décidé de renforcer les pouvoirs du Haut conseil de stabilité financière, que je préside depuis sa création, il y a maintenant deux ans. Cette institution, qui veille à l’interaction entre les développements financiers et la stabilité économique, a effectivement un rôle majeur à jouer. Je salue par conséquent l’initiative de la commission.
Le deuxième objectif est une meilleure protection des consommateurs et des épargnants. De ce point de vue, je voudrais insister sur deux mesures particulièrement importantes.
Nous souhaitons interdire purement et simplement la publicité pour certaines plateformes internet proposant des instruments financiers extrêmement risqués. Depuis 2011, le nombre de réclamations auprès de l’AMF a été multiplié par 18. Or plus de 90 % des personnes qui se laissent aller, si je puis dire, à ce type de comportement perdent de l’argent, et parfois des sommes extrêmement importantes. Et je ne parle pas des pratiques frauduleuses de certains acteurs. Vous vous apprêtez à améliorer la disposition initiale du texte en donnant à l’AMF des pouvoirs supplémentaires ; je salue cette initiative.
Par ailleurs, comme vous le savez, je veux faciliter l’usage sécurisé, pour les consommateurs, des moyens de paiement modernes. C’est notamment la raison pour laquelle il vous est proposé de restreindre la durée de validité du chèque à six mois, ce qui permettra également de diminuer l’incertitude liée au délai d’encaissement du chèque. La commission des affaires économiques a souhaité fixer une date claire d’entrée en vigueur, permettant aux acteurs de s’adapter ; j’en suis tout à fait d’accord.
J’ai noté qu’un amendement élargissant la compétence de l’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement, déclaré irrecevable au titre de l’article 40, n’avait donc pu être discuté en commission des lois. Le Gouvernement est toutefois favorable à cette mesure et la soutiendra si elle est défendue dans l’hémicycle.
Le troisième objectif concerne le financement de l’économie française.
Une première mesure, qui me paraît majeure, vise à faciliter le financement de l’économie par un certain nombre d’investisseurs. C’est pourquoi, conformément à ce que permet le droit communautaire, le projet de loi crée un régime prudentiel adapté pour les régimes de retraite supplémentaires, en maintenant évidemment un niveau de protection élevé des assurés. Cette évolution offrira des perspectives majeures de rendement accru pour les épargnants et permettra surtout de dégager plusieurs dizaines de milliards d’euros pour le financement direct des entreprises françaises. Vous auriez souhaité, je crois, que cette évolution puisse également s’appliquer aux PERP – les plans d’épargne retraite populaire –, mais ceux-ci ne sont pas des produits de retraite professionnels au sens de la réglementation communautaire. Je m’engage bien entendu à faire valoir vos arguments à Bruxelles pour faire évoluer la réglementation européenne.
Par ailleurs, le livret de développement durable comportera désormais un volet dédié à l’économie sociale et solidaire, secteur qui, je le rappelle, représente 10 % du PIB en France. Concrètement, les banques proposeront annuellement à leurs clients détenteurs d’un livret de développement durable d’en affecter une partie au financement d’une personne morale relevant de l’économie sociale et solidaire. Vous souhaitez également étendre aux entités de l’économie sociale et solidaire les obligations d’emploi de l’épargne réglementée incombant aux banques. Je pense que c’est une bonne mesure, qui incitera les banques à investir davantage dans ce secteur.
Ce texte doit aussi permettre d’améliorer les conditions d’exercice de nombreuses professions, en assurant plus de transparence et en adaptant le système de qualifications professionnelles pour en améliorer l’accessibilité et la qualité.
Il comporte enfin des mesures qui visent à mieux réguler l’économie, car l’objectif de transparence proposé passe aussi par la priorité donnée au bien faire plutôt qu’au laisser-faire, ce qui n’empêche pas, dès que cela se justifie, de simplifier les procédures et les démarches. Je n’entrerai pas dans le détail de ces mesures, qui ont déjà été longuement discutées en commission des affaires économiques et sur lesquelles le ministre de l’économie aura à coeur de revenir.
Je tiens d’ailleurs à salué la qualité des travaux menés en commission, qui ont contribué à enrichir le texte et à en clarifier les objectifs quand c’était nécessaire.
Vous avez également décidé, en commission, d’introduire une obligation de rapport – parlons français ! – financier public par pays pour les multinationales présentant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros, conformément à la proposition formulée par la Commission européenne au début du mois d’avril. Il s’agit là de prévoir dès à présent la mise en oeuvre d’une directive que la Commission européenne a désormais présentée et dont je soutiens l’orientation.
Très bien !
Pour conclure, je voudrais évoquer un débat qui a animé l’espace public, ces dernières semaines, à la suite des révélations sur le comportement – que je me permettrai de qualifier d’inadmissible – du conseil d’administration d’une grande entreprise, resté sourd aux appels à la modération lancés par la majorité des actionnaires, concernant la rémunération de son dirigeant.
Sachez tout d’abord que le Gouvernement partage pleinement l’objectif de modération de la rémunération des dirigeants. Votre commission des lois a adopté un amendement qui prévoit que les assemblées générales d’actionnaires devront donner leur feu vert aux rémunérations des dirigeants d’entreprise. Vous aurez, et nous aurons ensemble, à travailler plus précisément encore sur cette question, lors de l’examen du texte ; le Gouvernement proposera notamment des amendements sur la transparence des écarts de rémunération en entreprise. Mais l’orientation est la bonne et le Gouvernement la soutient.
Mesdames et messieurs les députés, l’esprit qui m’anime aujourd’hui est celui qui m’animait il y a vingt-trois ans, dans ce même hémicycle, lorsque je présentais devant la représentation nationale une loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
Nous étions si jeunes à l’époque ! Et nous le sommes encore !
Sourires.
Cette loi, vous vous en souvenez, a renforcé la transparence, notamment dans le financement des campagnes électorales et des partis politiques, ainsi que dans l’attribution des contrats de délégation de service public et de marchés publics.
C’est aussi cet esprit qui insuffle notre volonté de lutter contre la finance qui corrompt, qui dévoie, la finance qui s’affranchit de toute règle, de toute morale, de tout contrôle.
Et c’est cet esprit qui soutient notre détermination à séparer la finance qui spécule de celle qui investit et crée des richesses pour tous.
C’est cet esprit, mesdames et messieurs les députés, qui a guidé nos actions, vos actions, au cours de ce quinquennat. Les lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, ainsi que la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ont ainsi permis d’élever considérablement le niveau d’exigence des règles éthiques applicables aux responsables publics. À travers de nouveaux mécanismes de publicité et de contrôle, ces textes ont conforté les liens entre citoyens, élus et administrations. Le texte que le Gouvernement vous présente aujourd’hui constitue non pas l’aboutissement de cette réforme d’ampleur mais son prolongement et sa consolidation, car le combat pour la probité n’est jamais achevé.
Mesdames et messieurs les députés, je vous appelle à travailler dans un esprit de rassemblement, pour que cette loi, une fois son parcours parlementaire achevé, puisse apporter sa pierre à la construction d’une économie moderne et loyale, à la construction d’une démocratie apaisée et confiante en elle-même, en un mot, à une France plus sûre de son avenir et plus fière de ses valeurs.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames et messieurs les députés, intervenant à la tribune de cette assemblée à l’occasion du scandale de Panama, le 8 février 1893, Jean Jaurès dénonçait la corruption : « Ce n’est pas là un étroit procès instruit contre quelques hommes entre les murs étroits d’un prétoire ; c’est le procès de l’ordre social finissant qui est commencé et nous sommes ici pour y substituer un ordre social plus juste. »
Le choix des mots ne devait rien au hasard. La probité n’est pas seulement une valeur : sa présence, ou son absence, le degré avec lequel elle se manifeste, constituent des indicateurs. La confiance, au sein d’une société, est un marqueur de civilisation. C’est la raison pour laquelle le ministère de la justice souhaite jouer un rôle essentiel dans les sujets qui nous réunissent aujourd’hui.
À titre d’illustration, dans une circulaire publiée la semaine dernière, j’ai précisé aux procureurs généraux les principales orientations que j’entends donner à la politique pénale. Elle ne fixe qu’une seule priorité : rétablir quand c’est nécessaire ou conforter quand il en est besoin la confiance publique, notamment la confiance dans la justice.
C’est évidemment un moyen essentiel pour édifier la République exemplaire, que chacun d’entre nous contribue à construire, pierre après pierre. C’est une volonté constante du Gouvernement – Michel Sapin vient de le rappeler – et soutenue par la majorité. Mais ce combat devrait tous nous réunir, quel que soit le banc sur lequel nous siégeons, il devrait transcender les différences et les clivages. En effet, qui pourrait affirmer : « je suis pour la corruption » ? Sans la pratiquer lui-même, qui pourrait en accepter le principe ? En 1912, dans Propos d’un Normand, le philosophe Alain écrivait : « La corruption, on s’en fait le complice par le consentement d’esprit. » C’est justement cela que nous refusons.
Dans la circulaire que j’évoquais à l’instant, j’ai ainsi insisté sur la fermeté avec laquelle il convient de traiter la délinquance économique et financière complexe. La corruption constitue une forme de délinquance occulte, à l’opposé de l’objectif de transparence que nous poursuivons. Cette délinquance mine la confiance de nos concitoyens envers les institutions. Le préjudice qu’elle provoque quant aux capacités d’action budgétaire de l’État porte gravement atteinte au pacte républicain. Elle menace le principe d’une concurrence juste et équitable, donc la compétitivité de nos entreprises. Voilà pourquoi le ministère de la justice joue un rôle essentiel dans ce combat.
Depuis 2013, nous avons beaucoup avancé sur ces sujets, en particulier en créant un parquet national financier.
Ce parquet, et évidemment les magistrats qui le composent, se caractérisent par un fort degré de spécialisation et un très haut niveau de technicité et de compétence.
Son instauration a significativement modifié le paysage institutionnel de la lutte contre la grande délinquance économique et financière, et toute l’action de l’institution judiciaire s’en est trouvée renforcée. C’est dans la droite ligne de nos engagements internationaux et cela traduit la volonté de la France d’assumer sa place sur la scène internationale. Les progrès déjà accomplis avec la loi de 2013 ont été salués, notamment par l’OCDE. Il faut désormais aller plus loin et prolonger ce qui a été fait.
Le dispositif doit être consolidé pour que nous obtenions des résultats et que nous répondions concrètement aux ambitions qui ont conduit à cet ensemble de réformes. Ce projet de loi renforcera les outils juridiques à la disposition de la justice en général et du parquet national financier en particulier, dans le domaine de la corruption internationale. À ce titre, je veux évidemment saluer tous les parlementaires qui ont contribué, par leur travail en commission, à enrichir les propositions du Gouvernement, singulièrement ceux de la commission des lois, à laquelle je porte une attention particulière, chacun le comprendra.
Comme c’est gentil, monsieur le ministre ! En début de semaine, cela fait plaisir !
La France doit être en mesure de traiter elle-même les affaires de corruption qui concernent ses intérêts. Le chapitre III du titre I comporte ainsi un ensemble de mesures pour lutter contre la corruption et les différents manquements à la probité.
Nous vous proposons, par exemple, de créer une obligation de prévention contre les risques de corruption pesant sur certaines sociétés. En cas de manquement à cette obligation, il est prévu que le service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption puisse sanctionner les dirigeants des sociétés incriminées ou celles-ci en leur qualité de personne morale, par un avertissement, une injonction ou une sanction pécuniaire.
Nous vous proposons également de mettre en place une peine dite de « mise en conformité », qui pourra être prononcée par le juge pénal à l’encontre d’une entreprise condamnée du chef de corruption ou de trafic d’influence. Cela permettra de s’assurer que l’entreprise adapte bien ses procédures internes de prévention et de détection des faits de corruption et de trafic d’influence.
Dans la même logique, nous vous proposons d’étendre la peine complémentaire de publicité des condamnations, prévue à l’article 432-17 du code pénal, à toutes les infractions d’atteinte à la probité.
Nous vous proposons d’étendre l’infraction de trafic d’influence dans l’hypothèse où les faits impliquent un agent public étranger.
Nous vous proposons, enfin, de lever les entraves au plein déploiement de la compétence des autorités de poursuite françaises, en matière de corruption et de trafic d’influence, lorsque ces faits ont été commis à l’étranger.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, ce sujet ne concerne pas seulement l’Hexagone, vous le savez bien. La corruption est un phénomène mondial. Afin de mieux en comprendre les manifestations et en combattre les conséquences, pour la première fois, dans quelques jours, notre pays accueillera des rencontres internationales des autorités anti-corruption, réunion placée sous le haut patronage du Président de la République et du président de la Banque mondiale. Nous souhaitons que notre pays soit en première ligne dans ce combat.
Le dramaturge Lessing écrivait : « La probité et la justice font la sûreté de la société ». Ces mots datent du XVIIIe siècle mais ils sont d’une étonnante modernité. Cette réforme contre la corruption honorera la France. Elle prolongera ses engagements et créera toutes les conditions pour rendre possible ce qui fait société, c’est-à-dire la confiance.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, présenté par Michel Sapin, comporte en effet plusieurs mesures qui ont vocation à permettre au plus grand nombre de saisir les nouvelles opportunités économiques.
Notre pays dispose d’intelligence, de créativité, de volontés de produire et de s’engager. Pourtant, les Français, dans leurs activités économiques, manquent bien souvent de liberté, d’autonomie, de possibilités d’accès aux opportunités. Et ceux qui en manquent le plus, il faut le rappeler ici, ce sont souvent les plus jeunes, les moins bien formés, les personnes sans emploi depuis le plus longtemps, les habitants de certains quartiers, ceux qui vivent dans la France de la périphérie des métropoles. Toutes ces catégories n’ont ni représentant, ni porte-parole, ni défenseur pour dénoncer les injustices qu’ils subissent au quotidien. Force est de constater que nos concitoyens ne sont pas tous égaux pour tirer parti de leurs talents en étant capables d’agir et d’entreprendre. Si tous veulent réussir, certains en sont empêchés. Si tous veulent y arriver, mais beaucoup sont découragés. Il y a donc bien une France qui vit chaque jour l’inégalité des chances.
Les mesures législatives insérées dans ce texte procèdent d’une conviction commune : nous pouvons ensemble lever une série de blocages très concrets et notre action redonnerait à des millions de Français des opportunités réelles, des libertés réelles, de l’égalité réelle.
Plusieurs mesures cruciales figurent déjà dans le projet de loi pour une République numérique, en vue de faciliter l’usage des données comme ressources économiques, d’accélérer la numérisation des transactions, de favoriser le développement d’activités nouvelles et de soutenir l’investissement productif. Comme l’a rappelé Michel Sapin, les lois financières s’inscriront dans la même logique, avec notamment le lancement du compte épargne-investisseur.
La grande transformation économique à l’oeuvre dans notre pays nous invite d’abord à nous assurer que les personnes peu qualifiées soient en mesure d’accéder à des emplois, notamment aux activités indépendantes. En effet, le taux de chômage en France est le miroir des inégalités que je viens d’évoquer : pour les moins qualifiés, il est aujourd’hui supérieur à 16 %, car l’accès à l’emploi leur est plus difficile. L’une des clefs, c’est de développer le travail indépendant, non pas comme un substitut au salariat mais comme une voie complémentaire permettant aussi de sortir du chômage. Si nous parvenions à créer autant d’emplois non salariés que dans les autres pays européens, nous pourrions créer 2 millions d’emplois. Il y a donc une voie à suivre pour combler cette perte d’opportunités pour l’économie française.
On a eu trop tendance, en France, à penser qu’en dehors du contrat à durée indéterminée et de l’intégration dans une entreprise ou dans la fonction publique, il n’y avait rien. C’est faux. Développer le travail indépendant, c’est permettre aux Français de choisir, c’est donner les moyens y compris aux personnes les moins bien armées, à celles à qui le système n’a pas permis d’accéder à des qualifications, de trouver un emploi ou parfois de créer leur propre emploi. Ceux, nombreux, qui mènent déjà une activité indépendante, pourront désormais la poursuivre sous une forme régulière puisqu’ils auront dorénavant la capacité d’accéder à certaines activités de services.
Cette grande transformation implique aussi de forger un autre modèle de croissance, centré sur l’innovation, car innover est désormais la voie prioritaire pour prospérer. À cet effet, il faut transformer notre modèle de financement. C’est pourquoi nous devons améliorer la capacité des jeunes entreprises à trouver plus facilement les investisseurs qui leur permettront d’acquérir une taille internationale. Ainsi, nous redonnerons aux Français des opportunités réelles, en créant de l’emploi et en leur permettant d’innover.
La méthode retenue a d’abord été celle du dialogue avec les différentes professions concernées. Avec Martine Pinville et Axelle Lemaire, nous avons ainsi essayé de dégager des compromis sur les réformes souhaitables. Ensuite, nous nous sommes appuyés sur des travaux d’experts, notamment le rapport de Mme Catherine Barbaroux, présidente de l’ADIE – Association pour le droit à l’initiative économique –, intitulé « Lever les freins à l’entrepreneuriat individuel », dont ce projet de loi reprend fidèlement les préconisations. Enfin, au stade de la discussion parlementaire, nous avons donné toutes ses chances à un dialogue approfondi entre le Gouvernement et la représentation nationale. À cet égard, je tiens à remercier particulièrement la présidente et le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Mme Massat et M. Potier, pour le travail conduit ces dernières semaines et ces derniers jours avec les professions, sur un sujet éminemment sensible mais extrêmement important.
Ces mesures s’articulent autour de trois axes.
En premier lieu, elles visent à faciliter la création et le développement d’activités et d’emplois par les travailleurs indépendants. Elles prévoient ainsi de réformer notre système de qualifications professionnelles.
Le but est de soutenir les personnes éloignées du marché du travail, notamment celles qui ne sont pas titulaires de titres de qualification et souhaiteraient exercer légalement des emplois qui leur sont fermés. Il ne s’agit pas, comme j’ai pu le lire ou l’entendre encore récemment, de revenir sur les qualifications pour l’accès à ces métiers. Il faudra toujours un CAP pour être électricien ou boulanger et un brevet professionnel pour ouvrir son salon de coiffure. Néanmoins, pour plusieurs de ces professions, il fallait mieux prendre en compte la réalité, c’est-à-dire la valorisation des acquis de l’expérience. Ce texte le permettra, en suivant l’accord trouvé avec des professionnels – comme les coiffeurs, pour ne citer qu’eux – décidés à moderniser leur secteur.
Depuis la loi de 1996, le périmètre des métiers s’était élargi, sous l’effet de l’intégration d’activités périphériques, créant à des sortes de barrières à l’entrée : des tâches annexes à ces métiers étaient devenues inaccessibles aux moins qualifiés. Ainsi ont été créées sur vos territoires, ces dernières années, 10 000 ongleries, dont le statut juridique est éminemment incertain. En toute rigueur, un CAP d’esthéticien devrait être requis, mais ce n’est pas le cas. Cette incertitude pourrait nous conduire à les fermer ; nous créons au contraire un cadre pour pérenniser leur activité.
Il en va de même pour les laveurs de voiture et diverses tâches des métiers du bâtiment, précisées dans ce texte.
Tout ce qui relève de la santé et de la sécurité sera préservé et restera soumis à qualification obligatoire mais les tâches annexes à certains métiers seront ouvertes, de manière encadrée – c’est le sens du travail mené ces derniers jours, notamment par votre rapporteur –, pour faciliter la création d’activité.
Il s’agit simplement de regarder en face la réalité de notre économie : l’année dernière, un tiers des crédits octroyés par l’ADIE sur nos territoires ont été accordés à des femmes et des hommes n’ayant même pas le CAP, c’est-à-dire qui n’auraient pas pu créer leur activité si les normes en vigueur dans les secteurs concernés avaient été rigoureusement appliquées.
Je rappelle enfin que, pour toutes les professions qui relèvent du registre du commerce et non de celui des métiers de l’artisanat, aucune qualification n’est aujourd’hui obligatoire. Il n’y a donc aucune barrière à l’entrée. Ces métiers sont-ils pour autant dévalorisés ? En aucune façon. Pour les restaurateurs, par exemple, la reconnaissance passe par les étoiles, le titre de meilleur ouvrier de France, la sélection par la qualité.
Cette avancée est importante…
…car elle permettra notamment aux moins qualifiés d’accéder à l’activité.
Le deuxième axe est la facilitation de la création et du développement d’entreprises.
Des freins potentiels à l’activité existent, comme l’obligation d’ouvrir un deuxième compte bancaire, professionnel, au moment où l’on devient autoentrepreneur. L’article 39 de ce projet de loi prévoyait la suppression de l’obligation de double compte bancaire. Une autre solution, équilibrée, a été votée en commission, sur proposition de son rapporteur, M. Denaja, que je tiens à remercier.
De même, nous proposons de réformer le stage préalable à l’installation pour les métiers artisanaux. Le projet de loi encadre le délai autorisé pour obtenir le stage, qui pouvait parfois atteindre plusieurs mois, et clarifie les conditions de dispenses de stage, en particulier pour les entrepreneurs soutenus par les réseaux. Là aussi, un point d’équilibre a été trouvé en commission : le stage reste une obligation préalable mais dans le délai d’un mois.
Ce sont aussi les blocages qui empêchent la croissance de l’entreprise. Ce projet de loi prévoit de lisser les effets de seuils préjudiciables aux autoentrepreneurs. Cette disposition fait débat puisqu’elle n’a pas été retenue en commission. J’espère, monsieur le rapporteurs, que nous pourrons mener une réflexion sur des bases différentes en séance, afin de traiter les problèmes perçus sans revenir sur les équilibres trouvés.
Enfin, le troisième axe est la modernisation du régime de financement des start-up, des PME et des entreprises de taille intermédiaire. Dans une économie de l’innovation, je le répète, il faut pouvoir croître facilement et mobiliser du capital le plus rapidement possible. Nous irons dans ce sens de deux manières.
D’abord, il convient de favoriser l’orientation à long terme des investissements des régimes de retraites supplémentaires. Comme l’a évoqué Michel Sapin, ce texte prévoit de créer un régime des investissements des retraites supplémentaires hors des contraintes de l’assurance-vie, soumis à la directive Solvabilité I et non plus à la directive Solvabilité II, comme l’autorise la réglementation européenne. Sur les 130 milliards d’euros d’en-cours de ces régimes, quelque 20 milliards d’euros pourraient être remobilisés au profit du financement en fonds propres de l’économie.
Cela ne s’appliquera pas aux PERP, les plans d’épargne retraite populaire !
Tout à fait, vous avez bien suivi l’intervention de M. Sapin.
Ensuite, le projet de loi donnera aux entreprises de l’économie sociale et solidaire accès aux ressources du livret de développement durable, permettant ainsi un essor de ce secteur. Il s’agissait, là encore, d’une réforme attendue par ce secteur, justifiée par la nécessité de mobiliser un maximum de capital.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, les dispositions de ce texte, je crois, permettront d’avancer vers davantage d’égalité des droits. Beaucoup de Français ne demandent rien d’autre que d’être égaux, quelle que soit leur situation, sans obstacle de statut, grâce à leur seul talent et à leur volonté d’entreprendre, d’essayer et d’innover, les uns pour accéder à l’emploi, tous pour tirer parti de leur liberté d’entreprendre. À travers ces différentes dispositions, nous contribuons, je crois, à adapter l’économie française à cette grande transformation que j’ai évoquée. Au-delà de l’inquiétude qu’elle suscite parfois, elle doit être vécue, notamment parce qu’elle est l’occasion de rebattre les cartes. Cette occasion nous est offerte, vous est offerte, de redonner des opportunités à tous et, d’une certaine manière, de retrouver un équilibre entre plus de liberté et plus d’égalité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Sébastien Denaja, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le vice-président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, c’est un pas décisif que le Gouvernement propose aujourd’hui à notre Assemblée de franchir. Ce projet de loi, j’en ai la conviction, façonnera durablement notre droit. Il permettra des avancées décisives en matière de lutte contre la corruption et de transparence, des avancées sur lesquelles personne n’osera jamais revenir, une fois qu’elles auront été adoptées, ni dans un an ni dans vingt-trois ans, monsieur le ministre.
En 2013 déjà, notre majorité avait voté des changements cruciaux. Les deux lois d’octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique ont en effet permis d’imposer une moralisation de l’exercice des fonctions électives et politiques. La loi de décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, quant à elle, a créé le procureur national financier et punit désormais sévèrement les atteintes à la probité.
Ce projet de loi poursuit cette oeuvre et va même plus loin puisqu’il s’inscrit dans un mouvement d’ensemble, initié par le Président de la République et sa majorité. Ce mouvement, c’est celui de la lutte contre la finance dévoyée, contre l’argent sale qui corrompt. L’esprit de cette loi imprégnait, en janvier 2012, le discours du Bourget de François Hollande, qui désignait un adversaire : la finance.
Non pas celle qui participe au développement de l’économie réelle mais celle, toute puissante, vorace, dont le seul but est de créer de la richesse non pas pour les peuples mais afin de se l’accaparer, tels ces fonds vautours à la rapacité mortifère,...
…auxquels nous proposerons de nous attaquer. Oui, ce texte s’attaque à la finance dévoyée. Il propose même, grâce à de nouveaux outils, d’en dévoiler le visage et d’en donner l’adresse.
La corruption mine la société tout entière, qu’elle soit nationale ou transnationale, fragilise notre démocratie et met à mal le pacte républicain. Il est de notre devoir de législateurs de l’anéantir, comme Victor Hugo, à cette tribune, il y a 150 ans, proposait d’anéantir la misère. Les Français sont usés, fatigués, lassés, indignés d’entendre que certains, par des pratiques immorales et illégales, s’octroient sans vergogne privilèges et avantages.
Ce texte s’inscrit donc dans cette volonté de moralisation et de transparence, pour renouer la confiance et retisser les liens de la démocratie. La création d’une Agence française anticorruption, la mise en place d’un répertoire des représentants d’intérêts ou celle d’un socle commun des droits des lanceurs d’alerte constituent autant de progrès sur cette voie.
Parce qu’il souhaite, à l’inverse, encourager le développement de l’économie réelle, ce texte sert également de point d’ancrage à des dispositions de modernisation de la vie économique et financière. Leur diversité ne doit pas conduire à en sous-estimer la portée. Les articles renforçant les pouvoirs de l’AMF, par exemple, sont importants pour accroître l’efficacité de la supervision du secteur financier. D’autres dispositions, relatives notamment au foncier agricole, ont fait l’objet de débats importants en commission, preuve que leur caractère technique ne suffit pas à en occulter les conséquences concrètes.
Compte tenu de l’ampleur et de la diversité de son contenu, ce projet de loi a fait l’objet d’une procédure d’examen originale : la commission des lois a été saisie au fond, tandis que celle des affaires économiques et celle des finances ont été saisies pour avis, mais avec une délégation au fond pour les articles les concernant. Je salue au passage le travail mené par Romain Colas et Dominique Potier, avec lesquels j’ai travaillé en étroite collaboration.
Autre spécificité de procédure : il est rapidement apparu que, si nous voulions bâtir un véritable statut général du lanceur d’alerte, le défenseur des droits devait en assurer la protection. Une proposition de loi organique a été déposée en ce sens par Bruno Le Roux, au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, et son examen a pu être joint – je m’en réjouis – à celui du présent projet de loi.
Sur le fond, je ne répéterai pas ce que MM. les ministres ont exposé mieux que je ne saurais le faire mais me bornerai à présenter les principales avancées résultant du texte adopté par la commission des lois.
D’abord, la commission des lois a donné un nom au service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption : Agence française anticorruption, ou AFA. Je tiens à saluer la présence, ce soir, d’une délégation du SCPC, le service central de prévention de la corruption.
J’ai aussi souhaité que soient renforcées les garanties d’indépendance de son directeur et de son personnel, en rendant inamovible le magistrat hors hiérarchie de l’ordre judiciaire nommé à la tête de cette agence, sauf démission expresse ou empêchement, et en soumettant le personnel de l’agence à l’interdiction de recevoir des instructions et à l’obligation de respect du secret professionnel, formellement déjà prévues pour le directeur.
À mon initiative, les missions de l’AFA ont été complétées par la réintroduction d’une procédure d’avis ou d’expertise sur demande des magistrats, comme elle était déjà prévue, monsieur le ministre, dans la loi dite « Sapin I ».
En outre, l’AFA élaborera une véritable stratégie nationale de lutte contre la corruption.
À la demande de nos collègues de l’opposition, nous avons étendu aux établissements publics industriels et commerciaux l’obligation de prévention et de détection des risques liés à la corruption.
Dans le souci de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts, la commission a également imposé des obligations déontologiques aux experts, personnes ou autorités qualifiées auxquels peut recourir l’agence dans la mise en oeuvre de la peine de mise en conformité.
Par ailleurs, je suis heureux que la commission ait renforcé les dispositions réprimant les atteintes à la probité, en rendant obligatoire la peine complémentaire d’inéligibilité pour certains manquements à la probité, en créant des circonstances aggravantes, comme l’agissement en bande organisée ou l’interposition d’une structure offshore, pour l’ensemble des manquements au devoir de probité, et en permettant l’utilisation des techniques de surveillance, d’infiltration et d’écoute judiciaires pour les délits d’atteinte à la probité qui le nécessitent.
La commission des lois a également introduit, sur la proposition de notre collègue Sandrine Mazetier, une convention judiciaire d’intérêt public – chaque mot compte. Cette procédure doit permettre, sous le contrôle du juge et avec de fortes garanties de publicité, de conclure un accord avec les personnes morales mises en cause pour des délits d’atteinte à la probité. Cet accord prévoirait, en échange de l’abandon des poursuites, le versement d’une amende pénale et le suivi d’un programme de mise en conformité avec les obligations anticorruption.
Sur la suggestion de son rapporteur, la commission a également introduit sept nouveaux articles, qui donnent un statut aux lanceurs d’alerte, traduisant les préconisations de la récente étude du Conseil d’État sur le sujet.
Je le répète, elle a également adopté, après l’avoir modifiée, une proposition de loi organique relative à la compétence du défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte.
Le champ étant entièrement neuf, ces dispositions ne constituent qu’un socle de départ ; il nous appartiendra de les compléter et de les faire évoluer au cours de nos débats. Je serai d’ailleurs très ouvert aux suggestions des uns et des autres, dès lors que le principe d’un socle commun de droits, impliquant la disparition des articles épars des articles votés ces dernières années, ne sera pas remis en cause. Là où nous devons et pouvons nous retrouver, et j’y serai attentif, c’est sur la protection des lanceurs d’alerte car c’est une exigence démocratique.
S’agissant du répertoire des représentants d’intérêts, je me félicite qu’après le registre de transparence européen et les registres de l’Assemblée nationale et du Sénat, le pouvoir exécutif se dote à son tour, sur votre initiative, monsieur le ministre, d’un dispositif permettant de faire la lumière sur le lobbying, sous le contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, la HATVP. La commission des lois, en sachant utilement dépasser les clivages politiques, a fait sienne cette démarche et l’a notablement approfondie : elle a élargi la définition du représentant d’intérêts et ouvert la voie à la création d’un répertoire unique, commun au Parlement et au pouvoir exécutif, conformément d’ailleurs à ce qu’avait souhaité, dès l’automne dernier, le Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Des amendements présentés en ce sens par M. David Habib, vice-président de l’Assemblée nationale, président de la délégation du Bureau chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études, ont été adoptés par la commission.
Celle-ci a également – j’y tenais beaucoup – étendu le périmètre du futur répertoire aux activités de représentation d’intérêts exercées auprès des collectivités territoriales, comme y invitait du reste le Conseil d’État.
Elle a de plus enrichi les informations que devront fournir les représentants d’intérêts.
Elle a enfin renforcé les pouvoirs de contrôle et de sanction de la HATVP – et je vous proposerai, à cet égard, d’aller encore plus loin.
Je laisserai les rapporteurs pour avis détailler les mesures saillantes relatives à la modernisation de la vie économique.
S’agissant du reporting des entreprises, il convient de commencer par souligner que des avancées notables ont déjà été réalisées par notre majorité : un reporting pays par pays public pour les établissements bancaires dans la loi de 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ; un reporting pays par pays, également public, pour les activités d’extraction minière en 2014 ; un reporting pays par pays au profit des administrations fiscales, dont nous avons, en commission, abaissé très significativement le seuil. Et oui, lors de ces débats, nous irons au-delà, avec un reporting public par pays, dont il nous incombera de définir ensemble le périmètre exact.
Nous avons aussi fait oeuvre utile, je crois, en matière de rémunération des dirigeants, en introduisant une nouvelle procédure d’approbation préalable et contraignante des rémunérations des dirigeants des entreprises cotées par l’assemblée générale des actionnaires, c’est-à-dire par les propriétaires de l’entreprise.
La commission des lois et les deux commissions pour avis ont porté de 57 à 105 le nombre des articles du présent projet de loi. C’est dire s’il a déjà été enrichi par le débat parlementaire. Je gage que nous n’en resterons pas là – le Gouvernement pourra d’ailleurs aussi proposer quelques articles additionnels –, même si, j’en suis sûr, tout le monde ici aura à coeur d’assister au match inaugural de l’Euro, vendredi.
Sourires.
Plus sérieusement, monsieur le président, chers collègues, il me reste à vous inviter à adopter ce projet de loi ainsi que la proposition de loi organique qui lui est jointe. Ces deux textes permettront en effet de porter notre pays au tout premier rang, en Europe et dans le monde, en matière de lutte contre la corruption et de transparence publique. Comme l’a écrit un grand auteur méditerranéen, Tahar Ben Jelloun, particulièrement affectionné par le Sétois que je suis : « La corruption, c’est aussi le manque de dignité, c’est l’absence de scrupule, c’est l’exploitation des gens sans défense. » Eh bien, les solutions de défense, ce sont les mesures de ce projet de loi, que je vous proposerai de voter.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, qu’est-ce qu’ « une vie bonne », demandait Paul Ricoeur ?
C’est « l’estime de soi », « avec et pour les autres dans des institutions justes ». Or l’institution juste est justement le lieu du politique, peut-être même le seul lieu du politique, ô combien important, car sans justice, il n’y a pas d’estime de soi avec et pour les autres.
La justice comme lieu du politique est un défi pour chaque génération. La nôtre a deux défis majeurs à relever : sortir de l’individualisme contemporain et bâtir un nouvel âge de la mondialisation. Nous savons aujourd’hui que l’impuissance publique et la démesure libérale alimentent la tentation fasciste. À l’instar de Cynthia Fleury, nous devons proclamer notre rêve d’une génération qui espère cultiver l’amour de l’État de droit au même niveau que l’amour de soi.
Ce souci de justice est une espérance partagée par nos concitoyens à un point que nous ne devons pas sous-estimer ; nous devons même en faire une force. J’ai eu la chance, ce week-end, de faire trois rencontres qui m’ont révélé cette attente des Français : en répondant à l’invitation à l’université populaire d’ATD-Quart Monde de Lorraine ; en participant à l’assemblée générale des TPE et PME de mon territoire ; en assistant, hier, à la préfecture, à la remise aux lycéens des diplômes du concours national de la Résistance. Dans ces trois lieux, une même attente de justice, de vérité et de sens s’est exprimée.
Oui, pour lutter contre l’indolence de la génération qui monte et d’une partie du monde du travail, pour lutter contre tous les blocages de notre société, il nous faut du courage. Or ce courage, nous ne pourrons pas l’obtenir s’il subsiste de l’indécence : pas de lutte contre l’indolence sans lutte contre l’indécence.
C’est l’objet même de ce qui nous réunit aujourd’hui : sans justice, pas d’effort pour moderniser notre pays et conduire les réformes ; sans justice, pas d’effort pour moderniser les collectivités territoriales, la puissance publique, nos entreprises et les adapter à la conquête des nouveaux marchés et aux nouveaux défis technologiques ; si nous ne retrouvons pas le sens et le sentiment de la justice, pas d’effort pour moderniser la vie publique comme la vie entrepreneuriale.
Nous sommes au rendez-vous de la gauche et, plus largement, des républicains. C’est la lutte pour l’abolition des privilèges, c’est la lutte contre l’idolâtrie des marchés.
Mes chers collègues, permettez-moi de glisser une petite incise dans mon intervention. J’ai peu goûté que, dans le registre des lobbies, nous placions les représentants des cultes au même niveau que les autres représentants d’intérêts.
Pour conduire cet effort de reconquête du sens et du droit dans notre pays, nous aurons besoin de forces spirituelles, tout en nous méfiant de tous les absolutismes et de tous les fanatismes. C’est pourquoi je regrette que les représentants des cultes aient été placés au même niveau que les représentants d’intérêts privés, mus par l’appât du gain. J’espère que nous reviendrons sur cette disposition, que je considère comme une régression culturelle.
La commission des affaires économiques a apporté sa contribution à ce combat, en rétablissant l’agilité de l’entrepreneuriat – le ministre de l’économie vient de développer ce thème – tout en veillant à préserver la robustesse de l’artisanat, qui est l’une de nos fiertés françaises, nous y reviendrons au cours de nos débats.
Sur les questions agricoles, nous avons apporté de nombreux éléments touchant au rééquilibrage des forces entre le monde de la production et celui de la transformation et de la distribution.
Je dois dire combien je suis fier d’avoir mené, avec mes collègues, le combat pour le reporting. À l’heure où l’évasion fiscale, ce scandale de la mauvaise finance, coûte 2 000 euros à chacun de nos concitoyens, nous sommes heureux d’avoir instauré, à l’échelle mondiale, une obligation de reporting sans restriction. Cette mesure préfigure l’action que devra mener l’Union européenne et les dispositions que nous devrons prendre dans le cadre de l’économie du futur.
Je suis également fier d’avoir mené le combat, avec les plates-formes des ONG et dans le dialogue avec le cabinet de Michel Sapin, pour que la France se dote enfin d’un dispositif de lutte contre les fonds vautours, symbole de cette finance que nous voulons condamner et mettre à terre :…
…les biens et les actifs de ces rapaces, qui attaquent les États fragilisés, pourront être confisqués dans notre pays.
Enfin, je suis fier d’avoir lutté, comme paysan mais aussi et surtout comme député, dans le souci de l’intérêt général et dans l’esprit de la COP21, contre l’accaparement des terres. Ce que nous fîmes naguère dans le reste du monde, en saisissant 40 millions d’hectares, bien des paysanneries locales, des multinationales viennent le faire chez nous aujourd’hui, reproduisant un schéma d’agrandissement et de captation des terres qui menace la biodiversité, la création de valeur ajoutée, l’emploi et nos biens communs.
Il nous faudra du courage pour défendre chacune de ces dispositions contre tous les lobbies et tous les conservatismes. Il nous faudra alors avoir de la gratitude pour ceux qui nous ont précédés. En tant que Lorrain, je pense à cet habitant d’Épinal qui s’est un jour levé, en conscience : il s’appelle Antoine Deltour.
Que nos débats et le vote de ce projet de loi lui soient dédiés ! Les lanceurs d’alerte sont des éveilleurs de consciences.
Nous penserons également à ceux qui ont instauré, il y a un siècle, en 1915, une comptabilité moderne, avec le commissaire aux comptes. Nous devons désormais être comptables des droits humains à travers le monde. J’espère que ce combat de la loi dite « Sapin II » permettra d’ouvrir d’autres débats relatifs au devoir de vigilance des donneurs d’ordres dans le monde.
Comme Abraham Lincoln en 1862 – deux ans avant le vote du XIIIe amendement, portant abolition de l’esclavage –, nous pourrons dire : « D’autres moyens peuvent réussir, celui-là ne peut faillir. »
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Romain Colas, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, huit ans après le début de la crise financière, quelques semaines après l’affaire des Panama Papers, le texte dont nous débutons l’examen aujourd’hui constitue une réponse, forte et attendue par nos concitoyens, aux dérives de la finance dévoyée et, plus largement, à la fraude sous toutes ses formes.
Dans ce domaine, on ne peut que constater le volontarisme et la persévérance de la majorité et, plus largement, de l’ensemble des forces de progrès. Depuis le vote de la première loi Sapin, adoptée en 1993, les progressistes n’ont cessé de porter l’exigence de l’éthique, dans nos institutions comme dans la vie économique.
Au cours de cette législature, des pas importants ont été accomplis, avec la loi relative à la transparence de la vie publique, la loi portant création d’un parquet national financier ou encore la loi de séparation des activités bancaires.
Avec le présent projet de loi, il nous est proposé de franchir une étape nouvelle, à laquelle la commission des finances de notre assemblée a souhaité apporter une contribution substantielle. Une partie des dispositions prévues par ce texte visant à réprimer les abus de marché ont d’ores et déjà été intégrée à la proposition de loi portée par Dominique Baert et Dominique Lefebvre.
Les articles 21 à 23, portant sur la réglementation des compagnies d’assurance et des banques mutualistes, ont été largement complétés par la création d’un régime macroprudentiel dans le domaine des assurances, fondé sur le renforcement des pouvoirs du Haut conseil de stabilité financière.
L’article 28 a vu son champ considérablement élargi, afin que toute forme de publicité pour des produits financiers à haut risque – opérations binaires ou sur le FOREX, ou Foreign Exchange, par exemple – soit interdite, sur internet comme sur d’autres supports, notamment les maillots de clubs de football, que nous connaissons bien. Je proposerai, lors de la discussion, d’aller plus loin en créant une infraction pénale visant spécifiquement la diffusion de publicités en faveur des sites internet de prestataires de services d’investissement illégaux et en permettant à l’Autorité des marchés financiers de recourir à une procédure identique à celle dont disposera prochainement l’Autorité de régulation des jeux en ligne – ARJEL – pour procéder au blocage rapide des sites illégaux.
L’examen des articles 29 et 37 a donné lieu à plusieurs modifications conséquentes du projet de loi, inspirées notamment par les auditions des différents acteurs concernés. Comme M. Macron l’a évoqué, nous avons supprimé le système de lissage des seuils de chiffre d’affaires pour les micro-entreprises, mesure dont la portée et l’utilité nous sont apparues discutables. Parallèlement, nous avons élargi les possibilités de financement des investissements dans l’économie sociale et solidaire, en étendant au livret A l’option de partage prévue pour les livrets de développement durable.
Au-delà des articles délégués à la commission des finances, ce texte nous offre l’opportunité de lutter plus efficacement contre les dérives de certains grands acteurs économiques et de juridictions fiscales complaisantes.
De nombreux amendements portant articles additionnels après l’article 45 visent à instaurer une communication publique, pays par pays, des données financières des grandes entreprises transnationales – en bon français, le reporting. Abordée en décembre dernier, cette question n’a pas, jusqu’à présent, trouvé de réponse satisfaisante. Je souhaite que nos débats permettent d’aboutir à l’avènement d’un dispositif ambitieux, donnant les outils nécessaires à la vigilance citoyenne tout en tenant compte de l’existence d’une compétition internationale dans laquelle les entreprises françaises et européennes ne doivent pas être pénalisées. Il nous faudra donc concilier l’impérieuse exigence de transparence et la préservation de nos intérêts économiques.
Pour prévenir les délocalisations de profits, je proposerai par ailleurs, avec un grand nombre de collègues, une extension du champ d’application de l’obligation déclarative des prix de transfert aux entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 50 millions d’euros.
En outre, avec notre collègue Éric Alauzet, nous avons travaillé à l’élaboration d’un dispositif visant à créer un registre public des bénéficiaires effectifs des sociétés, afin de prévenir toute utilisation de structures écrans à des fins illégales.
Par ailleurs, je proposerai un amendement qui vise à améliorer la transparence dans la gestion de la liste des États et territoires non coopératifs,…
…prévoyant une saisine pour avis des commissions des finances des deux chambres, en vue de faire évoluer le périmètre des paradis fiscaux inventoriés.
Je veux terminer mon propos en saluant le travail de co-construction mené jusqu’ici entre les parlementaires et le Gouvernement.
À ce titre, je souhaite remercier M. Michel Sapin et ses équipes. Je veux également remercier le rapporteur Sébastien Denaja et le rapporteur pour avis Dominique Potier, qui ont scrupuleusement respecté le principe de la délégation d’articles et veillé sans cesse à la cohérence globale de nos travaux respectifs.
Je veux enfin remercier les administrateurs de la commission des finances pour leur appui précieux et leur disponibilité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis est un grand texte, à plusieurs titres. Il s’inscrit dans une philosophie de transparence nécessaire à la démocratie et chère à la majorité parlementaire. Il est le fruit d’un travail de longue haleine, entrepris dès 1993 avec la loi Sapin I, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
C’est dans cet esprit et avec la ferme volonté de moderniser notre économie que se sont tenus nos débats en commission des affaires économiques. Nous avons examiné sept articles sur les cinquante-sept du projet de loi et nous avons eu l’occasion d’entendre M. le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. La discussion, qui a duré plus de six heures, a porté sur 213 amendements ; notre commission en a adopté 60, dont la quasi-totalité ont été repris par la commission des lois, en vertu du principe de délégation des articles. Je remercie d’ailleurs, à mon tour, les rapporteurs d’avoir accepté cette procédure de délégation, un peu particulière dans notre assemblée. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble du travail accompli, mais je dois saluer celui de Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
Je tiens à souligner que l’examen des articles délégués à notre commission a permis de poser les fondements de notre discussion en séance sur des sujets majeurs, qu’il s’aggisse de la crise et du rééquilibrage des relations commerciales agricoles ou de la réforme des qualifications professionnelles de certaines activités artisanales.
Les articles 30 et 31, notamment, ont servi de support au débat sur les mesures législatives à prendre afin de compléter la loi d’avenir pour l’agriculture et les mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement pour remédier à la crise agricole. De nombreuses pistes de travail issues du rapport sur l’avenir des filières d’élevage, rendu par Mme Le Loch et M. Benoit, ont ainsi pu être explorées. L’interdiction de la cession marchande des contrats laitiers, prévue à l’article 30, a été portée de cinq à sept ans et étendue aux cessions partielles de volumes laitiers.
Le renforcement des missions de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires a également été une piste évoquée ; elle fait l’objet de nouveaux amendements en séance, nous l’évoquerons au cours de nos débats. Je présenterai moi-même un amendement ouvrant aux présidents des commissions du Parlement la possibilité d’organiser, sur le fondement du rapport annuel de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, une discussion publique entre tous les maillons des filières concernées pour l’ensemble des productions agricoles.
Il n’aura échappé à personne que je ne suis pas favorable à la modification des obligations de qualification pour l’accès à certaines activités artisanales.
Il me semble que je ne suis pas la seule. J’estime que cette réforme, à ce stade, n’est pas mature. Un tel sujet suscite de fortes inquiétudes sur nos territoires, de la part des artisans, des TPE, des PME, mais également des chômeurs, monsieur le ministre de l’économie. Ils craignent pour la pérennité de certaines activités, alors que leurs qualifications fondent leur réputation et leur savoir-faire, que le sujet a fait l’objet de textes législatifs récents et que le Gouvernement a érigé en priorité la sécurisation des parcours professionnels et de la formation.
S’il faut bien dire que la réforme ne remet pas en cause l’obligation de qualification, elle en modifie fortement les contours. Moi aussi, monsieur le ministre, j’ai lu avec attention le rapport de Mme Barbaroux. Son argumentation est en effet très convaincante mais elle précise qu’il faut « choisir une démarche de réforme constructive ménageant des transitions apaisées ».
Or, à mes yeux, les conditions d’un tel apaisement ne sont pas réunies en l’état : l’étude d’impact du projet de loi ne précise pas les activités pour lesquelles cette suppression serait justifiée ; ce sont des éléments dont nous avons besoin. Vu l’importance de cette réforme, il aurait été de bonne pratique d’en présenter le projet, notamment la liste des activités concernées, au Parlement. À cet égard, j’avais estimé, lors de l’examen en commission, qu’un inventaire précis devait être dressé en vue de la séance publique.
Enfin, l’absence de clarté en amont fait craindre, en aval, une perte de lisibilité de l’offre et une réduction de la qualité du service rendu pour le consommateur.
Mais nous aurons l’occasion de revenir sur ces points en séance publique, lors de l’examen des amendements.
En conclusion, je retiens surtout que ce texte s’inscrit dans un esprit progressiste, qu’il fait avancer notre démocratie et notre République, avec le souci de moderniser notre économie, en l’encadrant par des règles lisibles, claires et transparentes. Cet esprit ne peut que nous rassembler.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique.
La parole est à M. Olivier Marleix.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe Les Républicains partage naturellement les objectifs de cette loi : lutter contre la corruption, aller vers davantage de transparence dans la vie économique et financière, mais aussi dans les relations entre décideurs publics et représentants d’intérêts.
Malheureusement, on a un peu l’impression que ce projet de loi est examiné au mauvais endroit au mauvais moment et, alors que nous aurions dû examiner un texte ambitieux et consensuel, celui qui nous est soumis, d’une part, n’est pas à la hauteur des enjeux, loin s’en faut, et, d’autre part, semble pâtir du contexte politique dans lequel la majorité et le Gouvernement se trouvent aujourd’hui.
Au lieu de se concentrer sur les enjeux de transparence et de corruption, qui auraient mérité un texte entièrement dédié, le projet de loi est devenu en réalité un texte fourre-tout, recouvrant de très nombreux domaines, notamment des mesures qui devaient à l’origine figurer dans un éventuel projet de loi Macron II. Preuve en est, ce texte est défendu par trois ministres – pas moins – et a dû être partagé entre trois commissions.
Mes collègues Catherine Vautrin et Véronique Louwagie évoqueront plus en détail les sujets qui relevaient de leurs commissions. Pour ma part, je me bornerai à souligner la complète opposition des Républicains à toute idée d’abandon d’exigence de qualification professionnelle pour certains métiers de l’artisanat.
Cette idée, qui révèle une forme de mépris pour les métiers et les savoir-faire de l’artisanat, poserait de surcroît un vrai problème de sécurité pour les consommateurs et enverrait un étrange message aux jeunes, en proclamant qu’il ne serait finalement plus nécessaire de se former.
Ensuite, ce projet de loi vient au mauvais moment, parce que l’on ne peut s’empêcher d’observer que, dans le contexte pour le moins tendu des discussions – ou de l’absence de discussions – relatives à la loi travail, vous avez vu, avec ce texte, la possibilité de donner des gages et de tenter de reconstruire une majorité autour de cette vieille idée, certes un peu mal en point : l’ennemi, c’est la finance.
Il est regrettable que, s’agissant d’enjeux si importants, sur lesquels il aurait été plus intéressant de chercher à construire un consensus national, ces considérations moins élevées semblent l’emporter, avec, du coup, un texte qui a beaucoup évolué en commission sur des points clés mais sans véritable analyse.
En premier lieu, le groupe Les Républicains ne peut, par principe, qu’être favorable à l’Agence française anticorruption, créée par ce projet de loi.
Il est grand temps en effet, pour la France, de se doter d’une agence digne de ce nom pour lutter contre la corruption, d’abord pour lutter contre la corruption sur notre territoire, auprès de nos entreprises, mais aussi, et peut-être surtout, pour combattre à armes égales avec d’autres puissances étrangères – fussent-elles amies –, qui disposent de puissantes agences anticorruption n’hésitant pas à infliger des amendes colossales à nos entreprises, avec d’autant moins de vergogne qu’elles soutiennent, à bon droit, que la France n’entreprend aucune action en la matière. Au total, depuis une quinzaine d’années, ce sont près de 15 milliards d’euros d’amende dont ont écopé des entreprises françaises comme BNP, Total, Alcatel, Alstom, de la part du seul Department of Justice américain.
Les enjeux de la lutte contre la corruption, dont il est question ici, sont donc presque exclusivement des enjeux transnationaux, décrits avec beaucoup de précision et d’éloquence par notre collègue Pierre Lellouche, lors de notre réunion de commission. Or que faites-vous dans ce texte ? Vous construisez, je le crains, une agence très franco-française, très centrée sur nos propres entreprises et, de par sa culture, assez peu tournée vers les enjeux internationaux.
Tout d’abord, l’article 1er du projet de loi dispose que l’agence est placée sous la double tutelle du ministère du budget et du ministère de la justice. Toutefois, en réalité, dans sa composition, rien ne reflète cette double culture : elle est présidée par un magistrat et la commission des sanctions est composée de six autres magistrats.
Pour une plus grande efficacité, il faut vraiment trouver les moyens de donner à l’agence ce double ancrage : d’une part judiciaire, d’autre part économique et financière. La commission des sanctions gagnerait, par exemple, à être élargie à des personnalités économiques, connaissant le monde de l’entreprise en France et à l’international, sur le modèle du collège de l’Autorité des marchés financiers. L’agence n’en serait que plus crédible, alors que les affaires de corruption ont le plus souvent un caractère transnational.
S’agissant des moyens, ensuite, l’étude d’impact estime à soixante à soixante-dix personnes les besoins d’effectifs pour réaliser l’ensemble des missions confiées à l’agence. Quand on sait que le nombre de magistrats, en France, a baissé entre décembre 2015 et décembre 2012, on peut être dubitatif : cette agence sera-t-elle suffisamment prioritaire pour que ces postes lui soient effectivement accordés ?
Et, même si ces postes lui étaient accordés, ils peuvent sembler encore bien insuffisants pour remplir les très, très nombreuses missions que vous lui assignez – je ne vais pas toutes les rappeler, elles figurent dans le projet de loi.
À titre de comparaison, votre étude d’impact indique que l’agence italienne, qui « dispose de prérogatives de même nature que le futur service, rassemble 350 collaborateurs, répartis dans vingt-cinq bureaux ». En Grande-Bretagne, les effectifs du Serious Fraud Office – un nom qui en dit déjà long sur les priorités – sont similaires : il emploie 380 agents permanents et élargit encore son personnel lorsqu’il travaille sur de grosses affaires.
Comment notre agence, avec ses soixante-dix agents dans le meilleur des mondes possible, pourrait-elle donc prétendre suivre les transactions internationales des plus grandes entreprises du monde, tout en vérifiant et contrôlant ce qui est fait à la mairie d’Argenton-sur-Creuse – ou celle d’Anet, pour ne discriminer personne – en matière de lutte contre la corruption, puisque les communes feront partie de ses cibles ?
Il n’y aura aucun problème.
Oui, nous sommes dans une période budgétaire contrainte. Aussi, pour que l’agence puisse être un minimum efficace, il serait indispensable, je pense, de hiérarchiser ses missions : recentrons-nous sur les grands dossiers transnationaux et gardons pour plus tard la mairie d’Argenton, où il ne doit d’ailleurs pas y avoir de cas pendables.
La logique est identique pour les nouvelles contraintes imposées par ce texte à nos entreprises. Je vous les rappelle : édiction d’un code de conduite, vérification de l’intégralité des clients et fournisseurs, recrutement de spécialistes conformité, formation des cadres. Ces obligations ont probablement un sens pour les très grandes entreprises, les très grands groupes, mais seront très lourdes à mettre en place et auront un coût. Le Président de la République s’est engagé en personne auprès des entrepreneurs à créer un véritable « choc de simplification ». Ici, monsieur le ministre, on est au contraire dans la complication supplémentaire. Dans la rédaction actuelle du texte, le seuil à partir duquel les entreprises devront se conformer à ces obligations est encore trop bas, me semble-t-il ; nous gagnerions en efficacité en le rehaussant.
Enfin, nous considérons que, faute d’être accompagnée d’un dispositif de transaction pénale, si j’ose dire, attractif, la création de l’Agence française anticorruption restera vaine. Il convient de nous doter d’une mesure comparable à celles dont font usage de nombreux autres pays, nous l’avons dit et répété : préférer des amendes plutôt que des inscriptions au casier judiciaire. Il s’agit en premier lieu d’éviter à nos entreprises ayant fait l’objet de condamnations pénales, la privation automatique, du fait de la législation applicable dans certains États, à l’accès à certains marchés internationaux et à certains financements.
Mais un tel dispositif a d’autres avantages. Il y va de l’efficacité de notre lutte anticorruption elle-même. Si l’on demeure dans le système actuel, sans alternative à la procédure et à la sanction pénales, on aura beau créer une agence, il ne se passera rien. Vous l’avez vous-même souligné, monsieur le ministre des finances : depuis quinze ans, dans notre pays, aucune personne morale n’a été condamnée pour des faits de corruption, alors que les États-Unis, qui disposent d’un dispositif de cet ordre – je l’ai évoqué il y a un instant –, ont infligé des amendes pour un total de plusieurs dizaines de milliards de dollars.
La justice négociée a aussi été adoptée au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Italie, en Suisse, en Espagne, ainsi qu’en Allemagne, où plus de cinquante entreprises ont été sanctionnées depuis 2000, souvent par ce biais. Selon l’OCDE, 69 % des litiges de corruption internationale se règlent via une transaction.
Je me félicite que la commission des lois ait adopté un amendement de notre collègue Sandrine Mazetier proposant un dispositif alternatif à celui qui figurait dans l’avant-projet de loi du Gouvernement, prenant à son compte les observations du Conseil d’État, notamment en accordant une place aux victimes dans le processus. Avec Pierre Lellouche, nous avions proposé des amendements relativement proches et nous considérons que c’est un retour positif. Mais ce dispositif nous paraît encore fragile.
Il faut par exemple signaler que, si cette disposition était adoptée en l’état, il reviendrait au juge non seulement d’identifier les victimes, mais surtout d’estimer les dommages causés, en vue de leur réparation. Dans des affaires comme celles de corruption, où les victimes sont le plus souvent des entreprises concurrentes, évincées des marchés, on imagine à quel point la tâche sera ardue.
Il ne faudrait pas, en outre, qu’au terme de cette rédaction, une victime se déclarant après la transaction soit en mesure de fragiliser la procédure, en la rendant caduque ou, à l’inverse, en prenant le risque de se retrouver sans possibilité de réparations au civil. Sur ce sujet, le dispositif n’est malheureusement pas très clair ; il mériterait d’être retravaillé.
Quid aussi du scénario en cas d’échec de la procédure ? Il est prévu que le procureur la transmette au juge d’instruction. Soit, mais est-ce à dire que les éléments fournis par l’entreprise, presque spontanément, dans le cadre de la négociation avec le procureur, seront intégralement versés au dossier de l’instruction et pourront donc être utilisés à charge contre elle ? Cela risque, on le comprend bien, de dissuader des entreprises de choisir la convention pénale et de la rendre ainsi inopérante.
N’oublions pas non plus que la justice négociée est un marché mondial. Entre États européens, dans le cadre d’EUROJUST, nous appliquons un accord de primauté. En clair, il ne faudrait pas que l’entreprise, sentant qu’elle va se faire pincer, choisisse de se « mettre à table » en Grande-Bretagne, parce qu’elle sait que les informations qu’elle fournira seront protégées, même en cas d’échec de la convention – garantie qu’elle n’aurait pas auprès de l’Agence française anticorruption. Sur ce point également, nous devons donc améliorer, retravailler le texte issu de la commission.
Au-delà de la transaction pénale, plusieurs autres éléments du texte nous font douter de son ambition réelle.
Le groupe Les Républicains est aussi favorable à davantage de protection pour les lanceurs d’alerte, qui prennent des risques colossaux afin de mettre à jour des dispositifs géants de corruption ou de blanchiment de fraude fiscale.
Nous sommes partisans à la fois d’une définition stricte et d’une protection forte. Or vous faites l’inverse : une définition large et une protection molle. Il nous semble hasardeux, voire dangereux, d’encourager en quelque sorte les dénonciations sans que les garanties de protection soient suffisantes pour leurs auteurs.
Il faut au contraire s’assurer de prévoir un système équilibré, d’une part, décourageant les dénonciations calomnieuses et les manipulations éventuelles de la part de concurrents malintentionnés et, d’autre part, protégeant réellement et efficacement les lanceurs d’alerte de bonne foi. Sur ces deux sujets, les lacunes du texte nous paraissent encore très importantes.
Si le texte issu de la commission prévoit désormais, par exemple, non seulement l’avance des frais de procédure éventuels, mais également la réparation des dommages moraux et financiers, il ne prévoit toujours rien, en revanche, pour les cas où le lanceur d’alerte est amené à devenir un véritable collaborateur de l’État, afin de mettre à jour et de résoudre des affaires de fraude importantes. C’est dommage ; il aurait vraiment fallu progresser sur ce point.
Les contreparties en termes de protection, notamment du secret de l’identité du lanceur d’alerte, sont aussi beaucoup trop faibles eu égard aux risques qu’ils encourent. Plusieurs lanceurs d’alerte, à la suite de la révélation publique de leur identité, ont subi des harcèlements et de nombreuses pressions. Nous avons tous en mémoire certains témoignages. Quand un lanceur d’alerte souhaite conserver son identité secrète, les services de l’État doivent tout faire pour garantir sa confidentialité, afin de le protéger. Se contenter de soumettre les agents de l’Agence française anticorruption au secret professionnel, comme le prévoit le texte à ce stade, est largement insuffisant. Nous devons impérativement aller plus loin – le rapporteur, je crois, partage cet avis et aura des propositions à nous soumettre.
Toujours concernant l’alerte, le texte, tel qu’il nous est présenté, entend imposer aux entreprises à partir de cinquante salariés et aux communes à partir de 3 500 habitants de mettre en place des procédures internes appropriées pour recueillir les alertes de leur personnel, mais aussi de leurs collaborateurs extérieurs occasionnels. Ces seuils, encore une fois, sont beaucoup trop bas ; une telle mesure sera extrêmement lourde à mettre en place. On peut même s’interroger sur sa réelle opportunité : ne créera-t-elle pas de la confusion avec d’autres structures déjà en vigueur dans notre droit, comme les institutions représentatives du personnel ?
Enfin, s’agissant des représentants d’intérêts, là encore, nous partageons avec vous le constat du besoin de davantage de transparence dans les relations entre autorités publiques et représentants d’intérêts. Je rappelle que c’est sous la présidence de Bernard Accoyer que l’Assemblée nationale fut la première institution à se doter d’un arsenal visant à encadrer le lobbying.
Mais veillons à ne pas nous payer de mots : à force de contraintes sur le métier de lobbyiste, pourtant exercé de nos jours publiquement, nous risquerions de renforcer, de fait, une espèce de monopole d’État sur le lobbying. Je ne partage pas, pour ma part, votre vision caricaturale et étonnamment franco-française du lobbying. J’estime par exemple que les parlementaires ont besoin d’être éclairés par des points de vue, fussent-ils privés et fussent-ils contradictoires. S’il n’est pas la somme des intérêts particuliers, l’intérêt général n’est pas non plus nécessairement son ennemi et ne saurait leur tourner le dos.
Or, dans votre texte, les représentants d’intérêts sont présentés comme étant des corrupteurs en puissance et ne se voient dès lors pas offrir toutes les garanties suffisantes de protection de leur activité, laquelle semble pourtant devoir être elle aussi tant soit peu encadrée et protégée. Les exigences du rapport d’activité semestriel, par exemple, sont totalement disproportionnées et notre législation ne les impose d’ailleurs à aucune entreprise.
Le principe du contradictoire n’est, à ce stade, pas totalement assuré dans les procédures que peut enclencher la Haute Autorité. Les dégâts que peut causer, en termes de réputation, la publicité de l’engagement de procédures à l’égard d’entreprises ou de cabinets de représentation d’intérêts peuvent pourtant être considérables et difficilement réparables. Il nous faut donc être vigilants dans le domaine du contradictoire.
De même, alors que le texte prévoit que les représentants d’intérêts fournissent une quantité impressionnante d’informations à la Haute Autorité – et c’est tant mieux –, le secret professionnel n’est pas pleinement garanti. Il y a là un certain déséquilibre.
Le projet de loi crée aussi un déséquilibre au sein des personnes exerçant ce type d’activités, selon qu’elles sont officiellement lobbyistes déclarés, avocats ou hauts fonctionnaires en disponibilité. Sans m’attarder sur le cas des avocats, je relèverai qu’il y a, de toute évidence, une importante rupture d’égalité entre les représentants d’intérêts selon qu’ils exercent au sein d’un cabinet de lobbying ou d’un cabinet d’avocats. Pour ces derniers, en effet, il n’y aura pas de contrôle sur pièces et sur place et ils pourront opposer le secret professionnel : on voit l’intérêt qu’une entreprise pourrait avoir à recourir à tel représentant d’intérêts plutôt qu’à tel autre pour mieux assurer le secret de ses affaires.
Un mot, enfin, des hauts fonctionnaires en disponibilité, qui sont, étonnamment, les grands absents du projet de loi gouvernemental, alors que leur réseau en fait certainement les plus à même d’agir lorsqu’il s’agit d’influencer la décision publique.
Il ne faudrait pas que, dans notre pays, la relation d’influence soit encore davantage une sorte de monopole réservé aux anciens élèves des grandes écoles de la fonction publique. Quand on sait qu’il y a l’équivalent de dix promotions complètes de l’ENA dans le secteur privé,…
…on comprend que la question de la relation d’influence est plus large et plus diffuse que celle que l’on cerne dans ce projet de loi – je ne vise ici aucune promotion de l’ENA en particulier.
Ainsi, le départ du directeur général du Trésor – l’homme qui connaît le mieux les participations de l’État et siège au conseil d’administration des dix plus grosses entreprises françaises –, qui est allé offrir ses services à un fonds d’investissement franco-chinois, devrait notamment nous inciter à rendre publics les avis de la Commission de déontologie de la fonction publique. J’avais évoqué cette possibilité en commission lors de votre audition, monsieur le ministre, et je me réjouis que notre rapporteur ait repris à son compte cette suggestion.
Pendant qu’on détourne donc pudiquement le regard des hauts factionnaires, les associations à objet cultuel et leurs représentants sont bien, en revanche, des représentants d’intérêts aux termes de ce projet, depuis son examen en commission. Un évêque devra donc s’inscrire au répertoire numérique…
…et remplir les obligations prévues pour les représentants d’intérêts – et elles ne sont pas légères – avant de pouvoir échanger sur des questions de société avec les élus locaux de son diocèse.
Prudemment – je vous en donne acte –, le projet de loi ne dit rien, à ce stade, du secret de la confession,…
Sourires.
…mais on voit bien qu’on touche à l’absurde. Pour résumer : l’inspecteur des finances qui travaille chez Rothschild – je ne cite pas de nom – est un agneau présumé,…
Le ridicule ne tue plus. Heureusement !
Tout cela est un peu grotesque et fâcheux, à l’heure où les pouvoirs publics nous invitent, à juste titre du reste, au dialogue avec les religions, quelles qu’elles soient, dans nos territoires.
Dernier déséquilibre, enfin : le texte impose de manière léonine des obligations aux seuls représentants d’intérêts, alors que la relation entre décideurs publics et représentants d’intérêts n’est pas en sens unique et qu’elle devrait donc impliquer pour les décideurs aussi des obligations, notamment de vigilance quant aux interlocuteurs qui s’adressent à eux ou auxquels ils s’adressent.
Au total, avec ce texte, le Gouvernement semble davantage flatter les promoteurs d’une vision franco-française et un peu manichéenne du droit pénal des affaires, alors que l’unique question, qui devrait nous rassembler, est celle de l’adaptation lucide de notre droit aux évolutions internationales et de son utilisation à des fins d’intelligence économique.
Le Gouvernement a ainsi totalement ignoré des aspects complémentaires et indispensables de sa propre réforme, notamment pour ce qui concerne la protection des intérêts fondamentaux de la nation – j’ai déposé, avec mon collègue Pierre Lellouche, plusieurs amendements sur la loi de 1968. Nous pourrions aussi être plus imaginatifs en matière de sauvegarde de nos secteurs et entreprises stratégiques, sujet qui a été à peine effleuré avec la question des terres agricoles.
Il manque ainsi un volet complet sur la question du rachat de nos fleurons industriels par des investisseurs étrangers, comme ce fut notamment le cas dans l’affaire Alstom au terme d’une procédure américaine de justice négociée.
J’avais salué en son temps, à titre personnel, la réaction salutaire du ministre du redressement productif, qui avait, dans l’urgence, produit le « décret Montebourg » sur les investissements étrangers en France pour tenter de bloquer cette prise de contrôle.
Cependant, aussi utile soit-il, ce décret a été pris sur une base légale qui n’est plus adaptée et qui nécessite une profonde mise à niveau. Or, monsieur le ministre, la Cour de justice des communautés européennes considère que cette législation est du ressort exclusif des États, auxquels il appartient de protéger leurs intérêts essentiels, notamment en matière de défense nationale, d’autorités publiques et d’ordre public. C’est, malheureusement, une belle occasion perdue de légiférer sur ce point.
Ces questions appellent, depuis le décret Montebourg, de la transparence et les mesures évoquées auraient donc eu pleinement leur place dans le texte que vous nous proposez. Or ces sujets, qui sont au coeur de la modernisation de la vie économique et appellent d’urgence plus de transparence, sont restés totalement absents du projet de loi.
Pour toutes ces raisons, même si nous souscrivons aux objectifs affichés, nous estimons que le texte mériterait d’être profondément retravaillé. Le groupe Les Républicains demande donc son renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur Marleix, je prends votre motion de renvoi en commission pour ce qu’elle est : ce n’est pas une motion de rejet, et donc pas le signe d’une désapprobation totale de la démarche proposée.
Afin d’inciter mes collègues à rejeter cette motion, je rappellerai que la commission des affaires économiques a consacré à ce texte près de huit heures, la commission des finances plus de quatre et la commission des lois plus de douze, soit un total de vingt-quatre heures. J’ai moi-même consacré près de cinquante heures d’audition à l’examen de ce texte et j’ai rencontré 121 personnes, ce qui se traduit par huit pages dans le rapport que vous pouvez consulter depuis quelques jours. Le volume cumulé est comparable pour les commissions des affaires économiques et des finances, saisies pour avis, soit un total d’une centaine d’heures d’auditions. Rien ne me semble donc justifier, à ce stade, un renvoi en commission et nos collègues voudront certainement poursuivre très rapidement au fond l’examen de ce texte après une discussion générale qui, je n’en doute pas, sera passionnante.
Dans la mesure où la question de l’inscription des associations à objet cultuel sur le registre des représentants d’intérêts suscite déjà des inquiétudes, j’apporterai une précision sur le fond : je proposerai, dans le cours de la discussion, un amendement qui me semble équilibré, un amendement de sagesse, qui tend à ce que les associations cultuelles puissent, comme c’est le cas au niveau européen, faire partie du registre, dans une rubrique particulière toutefois, car il ne s’agit pas de les assimiler à tous les autres types de représentants d’intérêts. Au demeurant, cette mesure ne vise pas les personnes physiques – je renvoie à cet égard à la définition que nous avons proposée à l’article 13, qui désigne les personnes morales au nom desquelles on intervient. Je vous rassure donc : ce n’est pas n’importe quel curé de campagne, fût-ce celui de Cucugnan ou d’ailleurs, qui devra figurer dans ce registre.
Sourires.
Soit. Pardonnez au Sudiste que je suis d’avoir les références qu’il a ! J’aurais pu citer aussi bien le curé d’Argenton-sur-Creuse ou, pour faire plaisir à M. Marleix, l’évêque d’Eure-et-Loir.
Sourires.
Je proposerai donc, disais-je, en tant que rapporteur de ce texte, que les associations à objet cultuel ne soient intégrées au registre que pour des missions relevant strictement de la représentation d’intérêts, comme c’est le cas au niveau européen, et qu’en soient exclues les relations qu’elles entretiennent normalement et habituellement avec le ministère chargé des cultes.
Voilà la seule précision de fond que je voulais apporter, mais il me semble que l’inquiétude suscitée par cette question le méritait.
Quant au renvoi en commission, rien ne le justifie et j’invite donc mes collègues à rejeter cette motion.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de renvoi en commission.
La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Le groupe UDI votera contre le renvoi en commission car, si M. Marleix souligne à juste titre les insuffisances du texte, celui-ci, tel qu’il avait été soumis par le Gouvernement présentait de très graves lacunes et le travail en commission l’a tout de même plus que sensiblement amélioré. Il faut donc continuer à l’améliorer et il n’est pas besoin pour ce faire de le renvoyer en commission.
La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Nous ne voterons pas cette motion de renvoi en commission déposée par le groupe Les Républicains. Nous considérons en effet que le débat doit avoir lieu en séance publique. Les travaux menés par les commissions respectives ont permis d’améliorer le projet de loi initial – je pense notamment au statut des lanceurs d’alerte ou au registre des représentants d’intérêts.
Par ailleurs, des dispositions que nous considérions comme inacceptables ont été supprimées par ces commissions et ont permis de renforcer l’équilibre général du projet de loi. Nous avons aujourd’hui une belle occasion d’améliorer en séance publique le dispositif français de lutte contre la corruption et la délinquance économique. Bien entendu, il nous faudra continuer à améliorer ce texte, notamment en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale ou d’encadrement des rémunérations.
En tout état de cause, cependant, ce renvoi en commission ne nous semble pas légitime. Nous nous prononcerons donc contre cette motion de procédure.
La parole est à M. Christophe Castaner, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Notre groupe propose que nous entrions très vite dans le débat et poursuivions le travail engagé en commission.
Je ne comprends pas bien votre position, monsieur Marleix : tantôt nous allons trop loin et tantôt pas assez ; tantôt nous ne sommes pas assez européens et tantôt nous le sommes trop ; tantôt nous ne protégeons pas assez nos entreprises françaises – j’ai encore le souvenir d’un ancien Premier ministre qui voulait vendre Thomson pour 1 franc – et tantôt nous les protégeons trop. On s’y perd – et ce n’est pas là pour moi une façon d’entrer dans le débat entre les différents curés : je ne vise ni le Père, ni le Fils, ni le Saint-Esprit !
Sourires.
Quoi qu’il en soit, nous devons entrer dans la discussion au fond car, n’en déplaise à M. Marleix, la gauche s’est attelée, depuis 2012, à mettre la finance sous contrôle.
Sourires.
Au niveau international, la France a poussé l’Europe à se défendre contre les attaques des marchés financiers et s’est montrée à la pointe de la lutte contre l’optimisation fiscale et les paradis fiscaux.
Il est vrai cependant, monsieur Marleix, que la transparence, la régulation et la répression de la corruption sont des valeurs que nous avons défendues et des combats que nous avons menés. Je comprends que vous vouliez renvoyer à plus tard – et même à jamais – notre capacité de doter la France, notre pays, de la souveraineté dont elle a besoin et des outils nécessaires pour lutter contre tous ces excès. Il me semble donc nécessaire d’entrer tout de suite dans le vif du débat.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme Véronique Louwagie, pour le groupe Les Républicains.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué les temps de discussion du projet de loi en commission – huit heures pour la commission des lois, quatre heures pour la commission des finances et douze heures pour la commission des affaires économiques, soit au total vingt-quatre heures : ce n’est pas beaucoup pour un texte de cette nature, qui comporte un très grand nombre de points très divers.
J’ajouterai plusieurs éléments aux arguments développés par mon collègue Olivier Marleix. L’article 43, tout d’abord, qui contribue à une véritable remise en cause des obligations et qualifications professionnelles, inquiète énormément le monde de l’artisanat et peut représenter un préjudice important pour les activités artisanales. En un temps où l’activité économique connaît des difficultés, où la situation des entreprises est délicate, cela constitue un vrai problème. Il importe de prendre en compte l’ensemble de ces éléments et d’engager des discussions permettant de bien mesurer toutes les conséquences du dispositif proposé.
L’article 45 bis est relatif au reporting pays par pays. Ce point a été développé plusieurs fois ici – il y a peu de temps encore, en décembre 2015, Christian Eckert a notamment évoqué les risques que pouvait susciter un tel dispositif en matière de compétitivité des entreprises. On sent une certaine fébrilité sur le sujet et une division de la majorité. Il s’agit d’un sujet important, qui mérite d’être abordé avec beaucoup de sérénité et de temps, en prenant en compte également tout ce qui peut se passer à l’étranger et au niveau européen.
Mériterait également d’être développé le dispositif de protection des particuliers victimes d’escroquerie prévu à l’article 28, en prenant en compte la dimension européenne de la question, car les entreprises visées peuvent être installées dans d’autres pays d’Europe.
Tous ces éléments, ajoutés aux arguments développés par M. Marleix, nous conduisent bien évidemment à soutenir cette motion de renvoi en commission.
La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un projet de loi qui s’apparente à un texte quelque peu fourre-tout et qui aurait pu, à ce titre, s’intituler tout simplement « projet de loi portant diverses dispositions d’ordre social, économique et financier ».
Mal rédigé dans sa version initiale, traitant de sujets aussi divers que variés, il n’est rien d’autre que la triste illustration de l’absence de cap du Gouvernement qui, refusant d’accorder à Emmanuel Macron un nouveau projet de loi, a préféré compiler dans celui-ci, sans aucune cohérence, des mesures n’ayant aucun lien entre elles.
Malgré ces critiques de forme et même si ce texte est très loin de répondre aux grands défis que doit relever notre pays, les différentes dispositions qu’il comporte vont globalement dans le bon sens. Le groupe UDI est notamment favorable au renforcement des mesures de lutte contre la corruption ; il est ainsi nécessaire de mettre en place un système de contrôle interne au sein des grandes entreprises.
Bien entendu, des améliorations mériteraient d’être apportées, notamment concernant la création de l’Agence anticorruption dont la définition répond à celle d’une autorité administrative indépendante et qui, d’ailleurs, aurait pu être mise en place par un simple décret.
S’agissant des lanceurs d’alerte, le travail effectué en commission des lois a permis de donner une meilleure lisibilité au dispositif. Nous devrions néanmoins réfléchir aux moyens de mieux concilier cette protection des lanceurs d’alerte avec le devoir de loyauté et de discrétion des salariés.
Nous considérons en revanche que les mesures relatives aux représentants d’intérêts – les lobbyistes – relèvent largement de l’affichage et ne permettront pas d’améliorer véritablement un système qui devrait gagner en transparence.
Le texte exclut par exemple de son champ, de façon inexpliquée, les élus dans l’exercice de leur mandat, les partis et groupements politiques et les organisations syndicales de salariés. Les députés du groupe UDI ont d’ailleurs déposé des amendements afin de donner à ce dispositif davantage de cohérence et d’élargir le champ des personnes concernées, ce qui, hélas, n’a été que partiellement obtenu.
Sur un sujet différent, nous avons été très déçus de la manière très ponctuelle dont le texte traite de l’agriculture et de l’artisanat, sujets pourtant cruciaux pour la vie économique de notre pays. Sous l’impulsion de notre collègue Thierry Benoit, le groupe UDI a fait le choix de déposer de nombreux amendements pour tenter de faire évoluer ce texte ; je note d’ailleurs que la présidente de la commission des affaires économiques a trouvé certaines de ces propositions assez utiles.
Ainsi, alors que le ministre de l’agriculture avait annoncé une quasi-refonte de la LME – loi de modernisation de l’économie – de 2008 afin, notamment, de mieux équilibrer les relations commerciales entre les différents acteurs de la chaîne agroalimentaire, seuls deux maigres articles figurent dans ce projet de loi.
Nous déplorons vivement que rien n’ait été prévu pour aider certains de nos agriculteurs, en particulier les éleveurs, à sortir de l’impasse économique dans laquelle ils se trouvent depuis plusieurs mois maintenant.
Si le ministre de l’agriculture ne cesse de parler de plans d’urgence, il n’hésite pourtant pas à décaler systématiquement la mise en oeuvre des mesures. L’été dernier, il nous annonçait des dispositions dans le projet de loi de finances ; puis, lors de l’examen de celui-ci, il nous a assuré que le projet de loi de finances rectificative contiendrait des mesures ambitieuses ; enfin, lors de l’examen du PLFR, il nous a été indiqué que la loi « Sapin II » serait le véhicule législatif idoine pour revoir les relations commerciales. Or ce n’est nullement le cas : le groupe UDI a donc déposé de nombreux amendements pour y remédier.
Les principales mesures que nous avons défendues en commission et que nous défendrons en séance publique sont les suivantes : prévoir une première phase de négociations entre producteurs et industriels, précédant l’envoi des conditions générales de vente aux distributeurs ; inscrire dans les contrats de vente des clauses de révision faisant référence à des indices ou à des indicateurs publics de coûts de production et de marges ; donner davantage de pouvoirs à l’Observatoire de la formation des prix et des marges – avec la remise d’une rapport tous les six mois et une analyse comparative de la répartition des marges dans les pays de l’Union européenne – ; autoriser le déclenchement automatique des renégociations entre fournisseurs et distributeurs dès lors que les indicateurs de l’observatoire divergent ; interdire le logo « Transformé en France » ; permettre à l’Autorité de la concurrence de fixer un pourcentage maximum de parts de marché applicable aux groupements d’achats.
En effet, les centrales d’achat se sont concentrées et forment aujourd’hui un oligopole ; il en est de même, d’ailleurs, dans certaines filières de l’agroalimentaire. Or la concurrence n’est pas à géométrie variable. Il convient donc de redonner de véritables pouvoirs à l’Autorité. Cela passe par un contrôle et une dénonciation des situations de cartellisation et d’ultraconcentration des marchés. Nous espérons que le rapporteur, qui, nous le savons, partage en grande partie notre constat, ne restera pas sourd à nos propositions.
Concernant l’artisanat, nous nous félicitons des avancées obtenues lors de l’examen du texte en commission. Ainsi, le stage de préparation à l’installation devra être effectué dans un délai de soixante jours après la demande d’immatriculation. En outre, nous n’étions pas favorables à l’extension des dispenses aux SPI : celles-ci sont à présent mieux encadrées, à la suite du vote de certains amendements.
Nous soutenons également les évolutions concernant les qualifications, qui permettent de prendre davantage en compte les organisations professionnelles. Nous restons néanmoins vigilants quant à l’avenir de certaines professions, par exemple celle des ramoneurs, qui pourraient être dévalorisées.
Par ailleurs, je dirai un mot des articles pour lesquels la commission des finances est saisie pour avis, qui recouvrent des sujets d’une grande diversité, allant du renforcement de la régulation financière à la protection des consommateurs en matière financière, en passant par le financement des entreprises ou encore la modernisation de la vie économique et financière.
Il s’agit tout d’abord de transposer en droit français plusieurs textes européens traitant de la répression des abus de marché, des comptes de paiement ou encore des services de paiement dans le marché intérieur.
Le groupe UDI regrette que, sur ces sujets très importants, bien que très techniques, un véritable débat n’ait pas été engagé au sein de la représentation nationale. En effet, ces transpositions sont le fruit d’un travail considérable au niveau européen et reflètent plusieurs mois de travail, voire plusieurs années sur certains thèmes. La rapidité avec laquelle elles sont examinées au niveau national est choquante au regard de notre engagement européen.
À travers ce projet de loi, le Gouvernement demande également l’autorisation de prendre de nombreuses ordonnances dans des domaines tels que le financement de la dette des entreprises ou encore des prestataires de services d’investissement. Or le projet de loi n’encadre pas suffisamment l’action de l’exécutif.
C’est pourquoi nous demanderons au Gouvernement de ne pas se substituer à la représentation nationale et d’associer les parlementaires aux groupes de travail qui élaboreront certaines ordonnances. L’expression du Parlement, qui n’intervient qu’au stade de la ratification, est en effet insuffisante. Chacun sait que les ratifications ne donnent pratiquement jamais lieu à un dépôt d’amendements alors que, juridiquement, on pourrait parfaitement le faire. Nous regrettons que le Gouvernement demande aux parlementaires de se démunir d’un pouvoir qui est pourtant le leur.
Enfin, plusieurs dispositions visent à étendre les compétences de l’Autorité des marchés financiers et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Ces entités étant des acteurs essentiels de la régulation financière, nous soutenons le renforcement de leurs prérogatives afin de sécuriser davantage le système financier et donc les consommateurs.
Mes chers collègues, si le groupe UDI déplore l’absence totale de vision politique et d’ambition de ce projet de loi, nous ne nous opposerons pas aux quelques mesures intéressantes, quoique souvent insuffisantes, qu’il contient.
Nous espérons toutefois que le Gouvernement sera ouvert à nos propositions ambitieuses, de même que nos collègues parlementaires car, jusqu’à preuve du contraire, ce sont eux qui votent, et non le Gouvernement. C’est sur la base des résultats des travaux de notre assemblée que le groupe UDI déterminera sa position finale.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames et messieurs les députés, chers collègues, régulièrement égratignée depuis quinze à vingt ans par les ONG reconnues pour leur expertise dans la lutte contre la corruption, la France a une belle marge de progression pour atteindre le haut du classement.
Tous les classements ont leur pertinence, mais aussi des biais, des failles, des critères critiquables : c’est une évidence, mais Bercy donne cette réponse systématique depuis trop longtemps. Nous ne pouvons pas nous dédouaner de nos responsabilités et de nos lacunes à si peu de frais.
Reconnaissons d’emblée que, si nous sommes en pointe pour plusieurs indices, nous devons faire mieux, nous pouvons faire mieux : c’est aussi l’un des objectifs importants de ce projet de loi.
Aux alentours de la vingt-cinquième place dans le classement de Transparency International, nous sommes tout de même au même niveau que le Chili, les Émirats Arabes Unis ou encore l’Estonie – avec tout le respect que nous devons à ces pays charmants par ailleurs. Et dans le « top 10 », très loin devant nous, il y a sans surprise la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, les pays du nord de l’Europe comme la Norvège ou les Pays-Bas, ainsi que le Luxembourg, Singapour ou la Suisse.
Certes, depuis trois ans, nous grignotons quelques places. Ne boudons pas notre plaisir : nous étions vingt-troisième au dernier classement publié en janvier dernier. Il faudrait une mauvaise foi malicieuse et une jolie dose d’ingratitude envers le Gouvernement pour dire que les récentes lois n’y sont pour rien.
La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ainsi que de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui avait créé le parquet national financier, ont abouti à de très bonnes mesures, qui se révèlent manifestement utiles. Ayant objectivement participé au renforcement de l’encadrement juridique et des outils disponibles, elles n’ont pas encore produit tous leurs effets.
Nous pouvons légitimement penser que nous allons encore progresser, surtout si nous parvenons, avec le texte que nous allons examiner cette semaine, à nous hisser au plus haut niveau des standards mondiaux.
Les multiples dispositions qu’il contient, bien détaillées dans les interventions précédentes, permettront assurément de perfectionner nos dispositifs de lutte contre la corruption et les atteintes à la probité en révisant profondément notre législation en matière de prévention comme de répression.
Comme nous l’avions laissé entendre au cours des examens dans les différentes commissions, au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je me permets de briser cet insoutenable suspense, monsieur le ministre : vous pouvez compter sur nos encouragements. Nous voterons ce projet de loi et nous ne négocierons ni ne mégoterons notre soutien.
Toutefois, la loyauté peut s’assortir d’un discours de vérité. Si le projet de loi initial comportait des lacunes et des faiblesses, il s’est amélioré après l’examen en commission. Mais il reste des insuffisances, des oublis, et nous avons encore des points à améliorer.
Dans son avis, le Conseil d’État ne s’est pas montré tendre avec le Gouvernement. Ainsi, pour citer un sujet récurrent, l’étude d’impact est jugée déficiente. Ce projet de loi comportant beaucoup de dispositions tendant à modifier le comportement des acteurs économiques, le Conseil d’État souligne que la pertinence des solutions proposées et les conséquences qui en résulteront doivent être analysées avec une attention particulière.
Certes, les sages du Palais-Royal ne sont pas stricto sensu des législateurs. Cependant, la publicité donnée depuis peu aux avis du Conseil d’État, si elle a parfois pour conséquence de brider nos respectables conseillers, peut aussi leur donner la fâcheuse impression qu’il leur pousse des ailes.
Cela dit, l’étude d’impact d’un projet de loi ne doit pas être un plaidoyer ni un argumentaire en faveur des mesures, mais une tentative d’analyse des conséquences. Pour ne prendre que le seul exemple de la réduction de la durée de validité des chèques à six mois, il est impossible de ne pas leur donner raison : il n’y a pas un mot dans l’étude d’impact sur les éventuels effets indésirables, pas un mot sur les risques potentiels, alors qu’on touche à une durée bien ancrée dans les habitudes de nos concitoyens.
Concernant le reporting public – en français dans le texte –, nous nous souvenons tous probablement d’une belle nuit de décembre qui a rencontré un petit succès sur internet et sur les réseaux sociaux. Certains doivent s’en souvenir plus que d’autres : je pense à notre vaillant et consciencieux rapporteur, dont nous avons pu constater en commission sa parfaite maîtrise de ce sujet, comme des autres d’ailleurs.
Sur les bancs de la majorité et aussi parfois de l’opposition, nous sommes favorables au reporting complet et public pour les multinationales.
La mesure adoptée dans le projet de loi de finances pour 2016 va dans le bon sens ; les normes européennes sont en germination et nous attendons qu’elles aboutissent à un résultat satisfaisant.
En commission, un amendement sur un reporting public européen calqué sur la proposition de directive de la Commission européenne a été adopté. Nous préférons la version du Parlement européen, votée par des députés de toutes les familles politiques. Nous sommes convaincus que les règles européennes et françaises devront évoluer rapidement.
Les scandales s’accumulant – la dernière affaire des Panama Papers est accablante –, nous ne pouvons pas rester passifs. Pour nos PME, pour notre compétitivité, pour la morale et pour la confiance de nos concitoyens, la France doit envoyer un signal et être en pointe sur le sujet en Europe.
Autre sujet médiatique, à la fois moralement et économiquement inacceptable : la rémunération indécente de certains patrons. Nous demandons une rémunération maximale pour une décence minimale. Il y va en effet des valeurs de la décence ordinaire, de la common decency d’Orwell, notion réhabilitée récemment par un intellectuel montpelliérain que doit bien connaître notre rapporteur, puisqu’il enseigne la philosophie au lycée Joffre.
Au Royaume-Uni, un P-DG s’est vanté d’avoir réussi à s’augmenter largement en une année, passant de 60 à 90 millions d’euros par an. Voilà à quoi nous aboutirons en France si nous suivons le discours de ceux qui prétextent la loi du marché pour refuser de fixer une limite. 90 millions, cela représente 7,5 millions d’euros par mois, soit 6 000 SMIC ou encore 40 000 euros de l’heure.
Ces fortunes accumulées sont d’ailleurs peut-être moins indécentes qu’absurdes. À quoi sert réellement d’augmenter ses revenus jusqu’à 40 000 euros de l’heure puisqu’on voit mal comment on les dépensera ? Cela permet de vivre dans un monde où l’on peut dépenser sans compter et, à l’heure où presque tout est devenu marchandise et achetable, tous les caprices peuvent être satisfaits. Le risque est grand de se retrouver dans une situation dans laquelle il ne sera plus possible de résister à des caprices qui deviennent infantiles.
Inévitablement, au fur et à mesure que l’on monte à ces niveaux de revenus stratosphériques, l’oxygène moral ne peut que se raréfier – c’est un élu de la montagne qui vous le précise.
Sourires.
Il devient beaucoup plus difficile de conserver la décence commune.
Pour l’immense majorité des gens dont les revenus restent proches des valeurs médianes, la décence commune existe non pas en raison d’une condition sociale, mais des conditions d’existence, lesquelles se heurtent en permanence au réel, à l’autre, rendant impossible de vivre tel Narcisse, comme un éternel adolescent capricieux.
Les excès d’un libéralisme sans limite rendent de moins en moins acceptables, aux yeux des élites, les interventions du peuple. Les individus, les citoyens doivent être réduits à leur statut de consommateur, disait la Commission trilatérale au début des années 1970. Pour que l’économie de marché fonctionne à plein régime, il faut que la société de marché aboutisse à une apathie généralisée, l’économie et la politique étant des sciences trop compliquées pour le peuple. À la pacification des sociétés obtenue d’une telle façon, je crois qu’il ne faut surtout pas se fier.
S’agissant des revenus indécents et absurdes, je crois, comme le candidat François Hollande, qu’une société a le droit, et même le devoir, de fixer une limite à l’ampleur de l’éventail des rémunérations.
Nous comptons sur nos débats pour avancer sur cette question, de même que sur d’autres, et nous avons, pour ce faire, déposé des amendements.
Pour la protection des consommateurs, nous souhaitons ainsi clarifier les règles relatives au devoir d’information des banques à l’égard de leurs clients lorsqu’elles prélèvent des commissions d’intervention sur les comptes de dépôt. Cette information doit être transmise au préalable, au moyen d’un support distinct du relevé bancaire ; cette obligation figure dans la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013, mais elle n’est majoritairement pas appliquée, ce qui est sans conséquence pour les banques, mais pas pour les clients. Il est nécessaire de prévoir des sanctions.
S’agissant toujours de nos amies les banques, plusieurs facturent à leurs clients l’obligation légale d’informer chaque année la personne qui s’est portée caution du montant du principal et des intérêts : commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation de garantie. Nous proposons de prohiber la facturation de cette obligation légale.
Nous proposons aussi plusieurs mesures sur le crédit affecté, pour éviter que le consommateur se trouve engagé à ce titre sans en avoir conscience.
S’agissant des articles dont la commission des affaires économiques était saisie, ma collègue Jeanine Dubié a défendu une quinzaine d’amendements, dont trois ont été votés et plusieurs satisfaits.
Dans l’agriculture, on tâtonne depuis des années sur la question du prix à payer à nos paysans pour nos productions agricoles. Contractualisation, Observatoire de la formation des prix et des marges, structuration des interprofessions : autant de tentatives utiles, mais qui n’ont pas encore permis d’inverser la grande tendance de fond qu’est la captation de la valeur ajoutée par la grande distribution et par l’industrie agroalimentaire.
Le pouvoir de négociation des acteurs est trop déséquilibré, en défaveur de nos paysans. Nous devons rétablir l’équité dans les relations commerciales. La commission des affaires économiques a prévu de renforcer cet aspect du projet de loi, mais nous sommes encore loin du compte et il faudra faire mieux en séance publique.
S’agissant enfin de l’artisanat, nous constatons des blocages et demandons une plus grande fluidité, une plus grande simplicité, mais nous voulons aussi défendre la nécessité d’une qualification.
En ce qui concerne le maintien du stage préalable à l’installation – le SPI – comme le maintien de qualifications professionnelles, par exemple dans certains métiers du bâtiment, nous devons être vigilants : ne prenons pas le risque de basculer dans une ubérisation mal maîtrisée, dont les conséquences sociales, économiques et fiscales seraient préjudiciables.
En conclusion, un beau programme nous attend cette semaine. Nos concitoyens attendent que nous soyons à la hauteur des enjeux. Avec ce texte, nous avons les moyens de leur apporter des réponses fécondes pour améliorer leur vie quotidienne. Certes, deux écueils nous guettent : l’irénisme – non au sens religieux, mais au sens laïc du terme – et la présomption. Mais nous pouvons aussi amorcer des réflexions sur les thèmes complexes et ouvrir des chemins avec une volonté commune. C’est sans doute ce que l’on peut appeler l’esprit réformiste.
Dans cette perspective, nous formons le voeu que nos débats se déroulent dans la bienveillance, sur tous les bancs – y compris celui du Gouvernement –, afin de parfaire ensemble ce texte dans le sens de l’intérêt général.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
M. Giraud en appelle à la bienveillance – c’est un message qu’il envoie !
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, le débat que nous allons avoir dans ces prochains jours est fondamental pour notre démocratie, essentiel pour la justice et l’égalité, capital pour le pacte social et républicain.
Quel que soit l’endroit où l’on se trouve, la corruption est la gangrène de toute société. La corruption sape le contrat social, engendre défiance à l’égard des institutions, suscite méfiance à l’égard des représentants. La corruption peut miner de manière très concrète la vie quotidienne des citoyens et détruire toute volonté de projet commun.
Fondamentalement, elle pose la question de l’expression de notre souveraineté commune : l’expression de l’intérêt commun dans la prise de décision publique face à l’expression d’intérêts particuliers, privés, qui peuvent la préempter.
Bien entendu, cette gangrène n’affecte pas toutes les sociétés de notre planète de la même façon. Ne serait-ce qu’à l’échelle européenne, l’état des lieux révèle une relative inégalité entre les États face au problème. Entre la Finlande et la Bulgarie, entre les Pays-Bas et la Grèce, l’écart peut être immense. Au sujet de la Grèce, il est pour le moins curieux de voir la Troïka s’obstiner à couler le pays plutôt que de l’aider à combattre ce mal endémique qu’est la corruption.
Nous faisons justement l’inverse !
Notre pays n’est pas en queue de peloton en matière de lutte contre la corruption et de transparence de la vie publique. Il n’est malheureusement pas non plus en tête. Des évolutions législatives récentes, comme la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dont les prérogatives sont importantes, ont constitué des avancées.
Toutefois, notre pays n’est pas exemplaire. La France, comme le signale à juste titre le rapport, fait l’objet de critiques récurrentes de la part des organisations internationales spécialisées, que ce soit l’OCDE ou le Groupe d’États contre la corruption. Au même titre que certaines ONG très actives en la matière, elles pointent plusieurs failles majeures dans notre système de lutte contre la corruption.
D’une part, notre droit actuel est trop peu efficace et dissuasif : les sanctions applicables aux atteintes à la probité sont rares et le droit pénal se révèle insuffisamment dissuasif. Pour le dire simplement, trop peu de peines d’emprisonnement ferme sont prononcées : seulement quatre en 2013 pour des faits de corruption active, ce qui est insuffisant.
D’autre part, la France n’applique pas suffisamment les dispositions existantes relatives à la corruption active d’un agent public étranger. Là encore, les condamnations sont rares et les sanctions particulièrement faibles.
Enfin, en matière de moeurs économiques, il n’existe pas de textes normatifs contraignants, exigeant des grandes entreprises qu’elles développent des pratiques vertueuses afin de prévenir la corruption.
Il y a donc encore beaucoup à faire pour que notre pays rejoigne les États à la pointe de la lutte contre la corruption. Ce combat ne s’arrête d’ailleurs pas aux seuls points que je viens d’énumérer : il est bien plus grand et nécessite une plus vaste ambition. Il s’agit de restaurer la confiance des concitoyens à l’égard de la vie publique.
Comment ne pas voir l’état de déliquescence de nos institutions politiques, vieillissantes et inadaptées au monde actuel ? Comment ne pas voir la défiance de nos concitoyens à l’égard de leurs représentants ? Ils ont le sentiment qu’il n’est plus possible de changer les choses, que tout est verrouillé.
Voilà les éléments que nous devons garder en tête au moment d’entamer le débat. C’est le défi de la démocratie et de l’expression de la souveraineté du peuple que nous devons relever.
Le projet de loi que vous défendez, monsieur le ministre, montre une certaine ambition et a le mérite de mettre sur la table des sujets pour le moins essentiels – démarche que nous accueillons favorablement.
Ainsi en va-t-il de l’instauration de l’Agence française anticorruption, aux attributions assez larges : c’est une avancée indéniable. Mais c’est un bond, et non un pas en avant, qu’exige la situation du pays. Le projet de loi prévoit que cette agence soit placée sous l’autorité conjointe des ministères de la justice et du budget. Or, en matière de lutte contre la corruption, il nous faut à tout le moins garantir l’indépendance de cette agence, y compris à l’égard de toute ingérence potentielle du pouvoir politique. C’est une exigence pour laquelle nous nous battrons dès le début de l’examen de ce texte ; un pouvoir de sanction effectif en est une autre.
J’en viens au statut des lanceurs d’alerte. Leur protection constitue aujourd’hui un enjeu de société fondamental. Qu’est-ce que le droit d’alerte, mes chers collègues ? Ce n’est, ni plus ni moins, qu’une extension de notre liberté d’expression. À cet égard, nous devons la défendre, la protéger, la garantir.
Les révélations permises par l’action courageuse des lanceurs d’alerte, parfois au péril de leur vie, sont inestimables. Elles ont permis de faire la lumière sur les pratiques scandaleuses de nombre de secteurs économiques ou stratégiques.
Or force est de constater que notre droit actuel ne permet pas de garantir efficacement la protection des lanceurs d’alerte. Les dispositions sont éparses, ce qui mine l’efficacité globale du dispositif, largement insuffisante.
Sur bien des aspects, les travaux en commission auront efficacement amélioré le projet de loi initial. Il nous faut aller encore plus loin en ce qui concerne la définition même de l’alerte, l’articulation des procédures de signalement ou encore la protection face aux représailles – pour ne pas dire aux menaces.
La création d’un répertoire obligatoire des représentants d’intérêts va aussi dans le bon sens. À cet égard, il est surprenant que notre pays ne se soit pas déjà doté d’un tel outil, qui est pourtant la norme chez bon nombre de nos voisins. Facultatifs, les registres existants ont montré leurs limites. Le registre proposé doit donc être le plus large possible et imposer le plus haut niveau de transparence possible aux représentants d’intérêts.
Une nouvelle fois, la question des sanctions potentielles, en cas de non-respect des nouvelles obligations, sera centrale.
Au-delà de ces points, sur lesquels nous espérons que l’Assemblée saura aller encore plus avant, nous déplorons l’absence, en l’état, d’autres dispositions qui contribueraient à restaurer la confiance dans la vie publique. Alors que nous sommes encore au lendemain des Panama Papers, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est absente de ce projet de loi. Mes chers collègues, il est temps de prendre, enfin, nos responsabilités pour aller plus loin en matière de transparence fiscale.
À l’évidence, le reporting public pays par pays est une mesure essentielle que nous devons adopter. Rien ne justifie le maintien du verrou posé par Bercy. La très faible pénalisation des infractions fiscales nuit aujourd’hui fortement à la crédibilité de l’État et de la justice.
Par ailleurs, les scandales de pantouflage entre le secteur public et le privé continuent et minent nos institutions.
Nous proposerons donc de confier à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la mission de surveiller les passages du secteur public au privé.
Enfin, ce projet de loi sera pour nous l’occasion de rappeler une nouvelle fois les dispositions de notre proposition de loi visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises, adoptées le 26 mai dernier : suppression de l’inacceptable allégement fiscal sur les actions gratuites, renforcement de la présence des salariés dans les conseils d’administration, ou encore limitation du cumul de mandats par personne.
Une chose est sûre : l’article 54 bis, relatif au vote des actionnaires, est clairement insuffisant pour véritablement encadrer les rémunérations des dirigeants.
En tout état de cause, mes chers collègues, monsieur le ministre, nous nous réjouissons de la discussion qui s’ouvre. Nous aborderons ce débat, une nouvelle fois, de manière constructive, avec des propositions que nous espérons voir adoptées car elles permettraient de renforcer ce texte reposant sur des constats que nous partageons.
Je terminerai mon propos en évoquant la seconde partie du texte. Dans la lignée de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, votée l’an dernier, il est prévu cette fois de s’en prendre aux secteurs des services et de l’artisanat, en faisant valoir que la réalité du terrain, c’est-à-dire la multiplication des infractions à la législation, impose la dérégulation et la révision à la baisse des exigences de qualification.
Pour stimuler l’entrepreneuriat individuel, il est proposé de permettre aux jeunes sans qualification d’exercer des petits jobs sans lendemain.
Vous parlez d’émancipation économique et sociale des jeunes sans qualification. Nous pensons que cette émancipation ne doit pas se faire au prix d’un retour sur des conquêtes populaires, d’un renoncement à former nos jeunes afin d’obtenir un diplôme qualifiant qui leur permette d’être reconnus dans la société. La réforme proposée continue de faire peser de lourdes menaces. Nous en demanderons donc la suppression.
Applaudissements sur certains bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, il y a deux mois éclatait le scandale des Panama Papers, avec la fuite de millions de documents issus du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca.
Trois semaines plus tard débutait, au Luxembourg, le procès du courageux Antoine Deltour, inculpé pour vol de données et violation du secret professionnel pour son rôle de lanceur d’alerte dans l’affaire des LuxLeaks.
De HSBC à UBS, du scandale du Mediator à celui de Volkswagen ou à celui des abattoirs, l’actualité récente ne cesse de nous rappeler combien il est urgent de pouvoir lutter plus efficacement contre l’opacité, contre ces trous noirs de la finance internationale que sont les paradis fiscaux et judiciaires, contre la corruption – mais aussi combien il est urgent de mieux protéger, plus vite et plus efficacement, les lanceurs d’alerte.
C’est à ces grands et beaux sujets que s’attaque le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre.
Les députés du groupe socialiste, écologiste et républicain partagent bien sûr les objectifs de ce texte qui se situe, par ailleurs, dans la lignée de deux lois que nous sommes fiers d’avoir votées. En octobre 2013, la loi relative à la transparence de la vie publique a créé la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, si appréciée que nous souhaitons accroître ses compétences. La loi de décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, dont j’étais co-rapporteure, avec Yann Galut, elle a institué le parquet national financier, pivot de notre nouveau dispositif de lutte contre les atteintes à la probité.
Il s’agit donc d’une étape supplémentaire, et importante, de ce mouvement de réformes.
Le projet de loi initial du Gouvernement était déjà ambitieux. Notre groupe, qui s’est pleinement inscrit dans sa dynamique, a même souhaité aller plus loin sur certains sujets. Je tiens à ce titre à remercier nos rapporteurs, Sébastien Denaja, Romain Colas et Dominique Potier, grâce auxquels les trois commissions ont pu aborder de nombreux sujets, qui, s’ils ne figuraient pas dans le texte initial, y trouvent aujourd’hui toute leur place.
En matière de protection des lanceurs d’alerte, parce que notre priorité absolue est de protéger rapidement et efficacement ces personnes, nous avons fait le choix de déposer une proposition de loi organique et de confier la protection des lanceurs d’alerte au Défenseur des droits, ce qui pouvait faire débat.
Parmi les quarante-cinq heures d’auditions que nous avons menées – en plus des vingt-quatre heures de travail en commission, madame Louwagie –, l’entretien avec Stéphanie Gibaud, lanceuse d’alerte dans l’affaire UBS, nous a rappelé, si besoin en était, l’ampleur des représailles auxquelles s’exposent les lanceurs d’alerte : harcèlement, intimidations, mise au placard, licenciement. Aujourd’hui sans emploi, Mme Gibaud doit faire face non seulement aux nécessités du quotidien, mais aussi aux procédures judiciaires, nécessairement coûteuses, dans lesquelles elle s’est trouvée entraînée, malgré elle. L’aide, la protection, voire l’anonymisation des lanceurs d’alerte puis, une fois leur identité connue, leur accompagnement dans les procédures judiciaires auxquelles ils s’exposent, sont essentiels.
S’agissant de la définition des lanceurs d’alerte, des nuances subsistent entre le Gouvernement et notre groupe. Mais l’excellent travail de rapprochement des points de vue que nous avons déjà accompli en commission, se poursuivra assurément en séance.
Je remercie d’ores et déjà l’exécutif d’avoir accepté que nous confiions la protection des lanceurs d’alerte au Défenseur des droits – sans son accord, nous n’aurions pas pu le faire. En effet, en matière de lutte contre la corruption ou de protection des lanceurs d’alerte, le temps qui passe après les déclarations érode les déterminations les plus vives, voit parfois changer les majorités et fondre les moyens attribués, par exemple pour lutter contre la corruption. En donnant cette belle et nécessaire mission au Défenseur des droits, qui détient un rôle constitutionnel, nous avons fait le choix d’une autorité déjà existante, connue et reconnue, présente sur tout le territoire français, afin de donner aux lanceurs d’alerte les garanties dont ils ont besoin pour se manifester.
Ce projet de loi entend également lutter plus efficacement contre les atteintes à la probité. Sur le plan préventif, nous partageons pleinement l’objectif et approuvons les structures proposées par le texte, notamment à l’Agence anticorruption – c’est ainsi que nous l’avons baptisée en commission, afin de l’identifier clairement.
Nous notons avec une grande satisfaction que cette agence est dotée de moyens importants. Au-delà de l’affichage, des mots, il y a les moyens : la morale de l’action est pour nous au moins aussi importante que les déclarations d’intention. Aussi, alors que le rapporteur a déjà pu apporter en commission des garanties sur l’indépendance fonctionnelle de cette agence, j’espère que les débats permettront de lever entièrement les interrogations qui se sont exprimées.
Sur le plan répressif, le projet de loi prévoyait d’emblée de créer une nouvelle infraction de trafic d’influence d’agent public étranger et de lever certains freins procéduraux à la poursuite de faits de corruption d’agents publics étrangers. Désormais, des associations agréées pourront se porter partie civile aux procès : cet élément central était présent dès l’origine dans le texte.
Au-delà du travail, tout à fait remarquable, de nos rapporteurs, de nos commissions et de leurs administrateurs, je voudrais rendre hommage à l’ensemble des institutions, services, membres de cabinet, qui ont répondu à nos sollicitations. Je citerai également toutes les associations auditionnées, qui ont contribué à enrichir le texte et nous ont aidé à réfléchir aux amendements que nous pouvions présenter : Anticor, Sherpa, Regards citoyens, Bloom, Oxfam France, ONE, Transparency International France, CCFD Terre solidaire, ainsi que toutes les associations participant aux plateformes qu’animent ces associations, qui nous aident à avancer dans ce combat capital.
S’agissant de la répression, j’ai proposé un dispositif original car, tous et toutes, nous voulons sortir du statu quo, d’une situation qui relève de l’impunité pour les personnes morales qui se rendent coupables d’atteintes à la probité et de corruption transnationale. Le dispositif actuel n’est pas satisfaisant.
Dans votre propos introductif, monsieur le ministre, vous avez évoqué Total. On pourrait citer d’autres groupes, mais Total est non seulement mis en cause, mais aussi très lourdement et rapidement condamné à l’étranger – du moins beaucoup plus rapidement que la France ne peut le faire –, par exemple dans les affaires « Pétrole contre nourriture », que ce soit en Irak ou en Iran. Ces faits datent du siècle dernier ; l’action publique est engagée depuis fort longtemps.
Or, pour les mêmes faits, Total encourt en France 750 000 euros d’amende, au maximum, alors que le groupe s’est déjà acquitté, pour une de ces affaires, de près de 400 millions de dollars d’amende c’est-à-dire 466 fois plus que la somme qu’il pourrait être contraint de verser en France, au terme d’une très longue procédure.
Déclarer l’entreprise coupable, est-ce vraiment la sanctionner ? Peut-on concevoir une justice sans réparation ? Par ce dispositif, nous voulons véritablement obtenir réparation pour les victimes.
Elles seront désormais prises en compte, ce qui n’était pas le cas dans le dispositif de l’avant-projet de loi : c’est pourquoi elles doivent être recherchées et associées à l’évaluation du préjudice subi.
Mais nous voulons aussi obtenir réparation pour nos finances publiques, pour notre justice et pour ses moyens. Certes, ceux-ci ont beaucoup été augmentés depuis 2012, mais la situation était telle que toutes les amendes payées par les entreprises françaises – aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Allemagne –, seraient nécessaires à nos pôles financiers ainsi qu’à nos services d’enquête et d’investigation.
Il fallait donc sortir de ce statu quo. La lutte contre l’impunité, la lutte contre la corruption, la prévention de la récidive, la réparation, voilà la justice !
Par ailleurs, j’ai entendu Olivier Marleix critiquer le dispositif. Méfiez-vous des décisions que le Conseil constitutionnel sera conduit à prendre en vertu du principe non bis in idem. En effet, certaines entreprises ou personnes morales, parce qu’elles ont été condamnées à l’étranger, ne pourront peut-être plus jamais l’être en France. Il faut donc sortir de cette situation.
Enfin, ce projet de loi renforce la transparence dans la vie publique et économique, ce à quoi nous sommes très attentifs. Non, monsieur Marleix, nous ne considérons ni comme sale ni comme illégitime de défendre des intérêts, y compris privés, voire des convictions spirituelles, monsieur Potier. Il serait en revanche illégitime de défendre ceux-ci de manière occulte, et de ne pas assumer de le faire.
Nous considérons que nos concitoyens et nous-mêmes avons le droit de connaître la manière dont l’on prend une décision publique ou les moyens avec lesquels des arguments sont déployés, car l’on peut avancer des arguments et mener des campagnes de manière parfaitement transparente. Ainsi, de nombreux représentants d’intérêts, notamment dans notre assemblée, ont fait l’effort de s’inscrire sur un registre : cela n’a pas compromis leur activité.
En revanche, nous cherchons à chasser les influences occultes, et nous l’assumons.
Nous voulons de la transparence. Cela n’est pas illégitime, mais parfaitement normal.
Aussi, j’assume d’avoir, au nom du groupe socialiste, réintégré les associations cultuelles dans les groupements d’intérêts. Dans une république laïque, lorsqu’un culte combat ou promeut une disposition législative, il n’est pas illégitime de connaître les moyens qu’il emploie afin d’arriver à ses fins.
Je regrette cependant de ne pas avoir réussi à caractériser, législativement parlant, les groupements de fait, tels que les « Pigeons », qui, sans avoir déposé de statut en préfecture, ont pourtant démontré une grande efficacité pour convaincre de supprimer certaines dispositions des projets de loi de finances.
Nous souhaitons aussi, je l’assume, que les départs de nos hauts fonctionnaires vers le secteur privé soient transparents et ne donnent lieu à aucun soupçon ou polémique. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement sur ce sujet.
Enfin, je ne reparlerai ni de l’encadrement des rémunérations – il en sera question au cours du débat –, ni de l’ambition des trois rapporteurs et de l’ensemble du groupe socialiste, de voir lereporting pays par pays s’effectuer sur un périmètre mondial. Cela est possible sans porter atteinte à la compétitivité de nos entreprises – c’est du moins la conviction qui nous anime.
À travers ce texte, nous avons souhaité que la France retrouve le rang qui est le sien dans les standards internationaux,…
…dans sa capacité à inspirer ses partenaires européens mais aussi les grandes institutions internationales s’agissant de la bonne gouvernance et de la transparence démocratique. En adoptant ce texte et les amendements que nous avons déposés, nous serons fidèles à la vocation de la France au regard du monde.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, ce texte comporte de nombreuses dispositions justifiant la saisine de trois commissions – finances, lois et affaires économiques. Si plusieurs de ces dispositions font sens en matière économique, il ressemble quand même à une sorte de voiture-balai de fin de législature.
Je me contenterai de commenter les articles relevant de la commission des affaires économiques. Celle-ci a travaillé en bonne intelligence, grâce à l’esprit constructif du rapporteur pour avis, Dominique Potier, que je remercie.
Ce texte arrive à un moment où la crise agricole fait rage, où la situation des éleveurs comme celle des producteurs laitiers nous interpelle. Pour autant, le grand soir n’est pas encore arrivé pour ce qui est de refondre totalement la loi de modernisation de l’économie et je ne crois pas, d’ailleurs, que cela soit le sujet.
Les uns et les autres, nous avons cherché à répondre à plusieurs questions qui nous tiennent à coeur, sans oublier que le Gouvernement a commandé une étude à trois économistes, Marie-Laure Allain, Claire Chambolle et Stéphane Turolla, qui doivent rendre à la fin de l’année un diagnostic sur les effets économiques de la LME. Nous verrons alors l’opportunité d’écrire une nouvelle loi ou de modifier en profondeur la LME.
Je rappelle également que, depuis le début de la législature, la majorité a déjà voté deux textes visant à faire évoluer la LME : les lois Hamon en 2014 et Macron en 2015. Faut-il encore une évolution, voire une révolution ? Attendons de voir ce que diront les économistes.
D’ores et déjà, un sujet nous interpelle : l’évolution législative a montré que les pouvoirs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont augmenté. Je me réjouis que nous ayons pu mesurer et vérifier l’adaptation des moyens de cette direction à ses nouvelles missions. Trop souvent, nous entendons dire sur le terrain que, si elle fournit un excellent travail, elle n’est pas toujours à même de réagir dans le temps nécessaire. Or, pour être efficaces, les contrôles doivent être rapides.
La LME, dont on a tant parlé dans cet hémicycle, aura bientôt dix ans. L’heure des replâtrages est sans doute passée, d’autant que replâtrage rime souvent avec complexité.
L’environnement économique est bouleversé ; les relations entre distributeurs et producteurs sont unanimement considérées comme déséquilibrées, ce qui nécessite probablement une vision plus globale. Nous constatons tous que la course aux prix bas détruit de la valeur et des emplois, notamment lorsque des entreprises font le choix de quitter notre territoire. De plus, quand on se place du côté du consommateur, on mesure que la baisse réelle des prix est très limitée : elle ne dépasse pas 2 euros par caddie.
Par ailleurs, la part des dépenses alimentaires dans le budget des ménages tend à se réduire. Les postes qui pèsent le plus lourdement sur le pouvoir d’achat sont probablement le logement, les communications et les fluides, au même titre – c’est à peine si j’ose l’ajouter devant vous, monsieur le ministre – que la fiscalité des ménages.
Alors, mes chers collègues, au lieu de nous lancer dans une course effrénée à l’amendement et à la modification législative, ayons l’humilité de considérer que ce secteur économique a besoin de stabilité, de lisibilité. Laissons le normatif au législateur et le réglementaire à l’administration. Freinons notre envie de réagir sur chaque texte.
Dans tous ceux que nous discutons, nous trouvons toujours un article ou deux permettant de revenir sur les relations entre la distribution et le commerce. Mieux vaudrait adopter une vision globale, seule capable de résoudre la situation. Cherchons ensemble le moyen d’enrayer la spirale déflationniste et la baisse immodérée des prix.
C’est dans cet esprit que je me propose d’analyser les sept articles examinés par la commission des affaires économiques avec, j’ose le dire, prudence et sagesse. Le premier principe doit être de commencer par appliquer les textes en vigueur, notamment en matière de sanction, plutôt que de faire preuve d’une créativité législative parfois éloignée des réalités.
À l’article 30, relatif à la fin des quotas laitiers, la commission a adopté des amendements. J’en présenterai un de précision sur une spécificité de l’organisation agricole bien connue du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, la coopération, et ce en cohérence avec les demandes et les besoins des professionnels. Le coopérateur est à la fois un associé détenteur de parts sociales et un fournisseur de matière – en l’occurrence le lait, mais ce peut être de la betterave ou toute autre chose. Il existe souvent une cohérence entre ses apports et le nombre de parts sociales qu’il détient.
Chacun d’entre nous doit être conscient que la coopérative n’est en réalité qu’un prolongement de l’activité agricole : sans cette activité, il n’y aurait pas de coopérative, même si celle-ci porte la création de valeur. La crise agricole, notamment dans le domaine laitier, nous a montré que les producteurs avaient besoin que l’on adapte les modalités de conclusion des contrats. C’est pourquoi, monsieur le rapporteur pour avis, nous avons fait adopter un amendement tendant à prolonger l’interdiction de cession de cinq à sept ans. Je propose aujourd’hui que l’on précise les droits des producteurs non coopérateurs et qu’on améliore le dialogue interprofessionnel.
En ce qui concerne la possibilité de conclure des conventions pluriannuelles, j’ai noté les effets potentiellement positifs des contrats, mais aussi la grande prudence des associations professionnelles. Certains dispositifs existent déjà. En matière de conventions pluriannuelles, monsieur le rapporteur pour avis, nous avons la responsabilité de trouver un dispositif fixant des modalités réellement applicables de révision des prix.
Quant aux négociations annuelles, tous les retours montrent que le terme est désormais galvaudé, tant le rapport est déséquilibré. En termes calendaires, un détail me préoccupe depuis longtemps : je ne suis pas certaine qu’une date unique pour toute activité ou tout produit soit opportune. On peut aussi s’interroger sur la concomitance des dates du Salon international de l’agriculture et la fin des négociations. C’est un autre point sur lequel nous devons travailler.
Nous avons obtenu quelques avancées en commission sur le rapport entre les prix et les coûts de production. Je pense qu’il faut prendre en compte d’autres indices, issus par exemple d’observatoires européens et relatifs à la conjoncture, comme le prix de la matière première et les frais de logistique. Ce sera l’objet d’un amendement.
Entre les acteurs de la négociation commerciale, j’ai voulu donner plus d’importance aux petites ou très petites entreprises, que l’obligation de publier leurs comptes fragilise vis-à-vis de la concurrence. Cette obligation se comprend pour les grands groupes ou pour certains systèmes coopératifs, non pour les toutes petites entreprises, que nous devons protéger.
En ce qui concerne les accords internationaux, je considère qu’il est anormal que l’on puisse rémunérer des centrales d’achat, alors qu’aucun produit n’est commercialisé à l’international ou qu’aucun service n’est apporté. C’est le sens de l’amendement que j’ai proposé. Il s’agit là encore d’une mesure extrêmement concrète.
J’ai aussi voulu proposer quelques mesures supplémentaires sur les délais de paiement. Le sujet est crucial. L’État a fait des efforts, mais il doit continuer – comme pourrait l’écrire en guise d’appréciation un maître d’école.
Ce n’est déjà pas si mal !
Nous sommes tous d’accord pour cibler les mauvais payeurs endémiques. J’ai soumis un amendement visant à augmenter les sanctions et les amendes contre les acteurs s’adonnant à des retards de paiement répétés et volontaires.
Je demande à ma collègue Chantal Guittet de m’excuser, mais j’ai déposé un amendement de suppression de sa mesure, qui vise à permettre aux entreprises exportant hors de l’Union européenne de bénéficier d’un délai de paiement allongé. Selon le rapporteur, « le ministre doit prendre en compte les effets induits, qui seraient potentiellement énormes ». Ceux-ci sont tellement énormes, en effet, qu’il faut éviter de donner ce signal aux mauvais payeurs.
À l’article 43, comment ne pas être d’accord pour simplifier, faciliter l’accès à certains emplois et la création d’entreprises artisanales ? Mais attention : on ne peut pas mégoter sur les qualifications professionnelles ou la sécurité. Je sais, madame la présidente de la commission des affaires économiques, combien ce sujet vous tient à coeur.
Respecter un métier, c’est respecter les savoir-faire. C’est donc aussi encourager la formation, dans l’intérêt du consommateur.
J’en viens à l’article 44 et au stage préalable à l’installation. J’ai rencontré de nombreux artisans. Tous jugent raisonnable d’étendre le délai de trente à quarante-cinq jours. Mais il convient de rester vigilant et de conditionner cette extension à la réalisation effective du stage, qui garantit le savoir-faire.
Mes chers collègues, dans tous ces domaines, nous voyons la limite de notre rôle de législateur. En conclusion, je citerai une fois de plus Montesquieu, qui rappelle dans les Lettres Persanes que nous ne devons toucher à la loi que « d’une main tremblante ». C’est le sens des amendements que j’ai déposés. L’économie de notre pays et les chefs d’entreprise le méritent bien.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, chers collègues, ce texte poursuit l’ambition portée par la France avec volontarisme et détermination : mener le combat pour la transparence de notre économie, développer la liberté du commerce et de l’industrie en encourageant le financement de l’économie réelle. Oui, nous agissons, tout en luttant contre la finance qui corrompt, en sanctionnant fortement les dévoiements qui menacent notre modèle économique et social.
La gauche, dès son arrivée au pouvoir, a fait de la transparence un marqueur du quinquennat, une exigence pour notre République et un impératif pour notre démocratie.
Aujourd’hui, ce texte veut faire la lumière là où la mondialisation économique permet et parfois protège, disons-le, des zones d’ombre. Il encourage la finance qui crée des richesses et sanctionne celle qui triche, profitant de la complexité des circuits financiers, des sociétés internationales aux multiples ramifications et de l’opacité des flux financiers internationaux.
Il s’inscrit dans la continuité de l’impulsion donnée pour une République exemplaire en 2012, qui a suscité la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, puis celle du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. On l’a dit : il porte la législation française au niveau des meilleurs standards européens et internationaux, et réaffirme la volonté de la France de s’inscrire parmi les chefs de file de la lutte contre la corruption car, depuis quatre ans, la France modernise continûment son droit national.
De ce volontarisme dépend notre image internationale comme notre économie, car là où la corruption recule, l’investissement prospère. On attend du texte des effets macroéconomiques, notamment un surcroît de croissance de 0,2 point par an.
De ce volontarisme dépend aussi notre souveraineté nationale. La presse a publié aujourd’hui la répartition de l’amende versée par BNP-Paribas, groupe bancaire français, à l’État américain et à la ville de New York. Grâce à cette somme, la police de New York a amélioré son temps d’intervention de quatre minutes et vingt-six secondes.
Même dans le climat politique animé que nous connaissons, il est des sujets qui peuvent, qui doivent rassembler.
Dans les articles confiés plus particulièrement à la commission des finances, le projet de loi renforce et améliore nos moyens de régulation grâce à plusieurs mesures fortes.
Il élargit les pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution au bénéfice du rétablissement financier des organismes d’assurance. Il étend le champ de la composition administrative de l’Autorité des marchés financiers et met en cohérence la compétence de celle-ci avec la réglementation applicable aux offres de titres. Il instaure des dispositions en faveur du financement des entreprises. Il comporte enfin des mesures de modernisation de la vie économique et financière.
Grâce au travail parlementaire, et sous l’impulsion du rapporteur pour avis Romain Colas, nous avons ajouté d’autres mesures. L’article 29 visant à la création d’une option solidaire pour le livret de développement durable a été élargi, puisque le dispositif de partage s’étend désormais au livret A. De même, l’interdiction de la publicité pour les sites de trading très spéculatifs, donc très risqués a été renforcée. Au cours du débat, nous proposerons d’autres avancées.
L’examen en séance doit être l’occasion de poursuivre le travail engagé. Nous devons aller le plus loin possible sur la question dureporting public pays par pays, sans pour autant fragiliser nos entreprises.
Il est également impératif de renforcer les pouvoirs du Parlement, notamment de la commission des finances pour l’établissement de la liste des paradis fiscaux.
Voilà autant de sujets qui doivent nous rassembler et sur lesquels nous aurons l’occasion de nous exprimer collectivement tant aujourd’hui qu’avant la fin de l’année, lors de la lecture définitive, en illustrant par nous-mêmes le bienfait du principe de transparence, érigé en règle d’or.
Nos exigences sur ce texte n’ont d’égales que l’ambition que nous portons : faire de la France un modèle de transparence. Bien sûr, on peut toujours prétendre faire plus, et tenter d’opposer les vertueux aux réalistes, mais toute la force de ce texte tient dans son équilibre.
Nous sommes dans une économie mondiale ; la France doit être exemplaire, offensive mais jamais nous ne devons prendre le risque d’affaiblir notre économie. Dans la transparence, elle est forte, elle est à l’initiative dans l’Europe, mais elle ne peut, au nom de la vertu, négliger le dialogue nécessaire avec les entreprises comme avec nos partenaires européens.
Il n’y a de limite à notre exigence de transparence que l’efficacité de la loi. Un texte pétri de bonnes intentions et de grands principes inapplicables serait un échec. Nous devons aller le plus loin possible avec ce seul souci en tête.
C’est en tout cas la volonté qui animera l’action du groupe socialiste lors de ces débats, comme elle anime l’action du Gouvernement depuis le début du quinquennat.
Au moment de conclure, je m’aperçois n’avoir fait aucune citation sur la transparence… J’ai bien en tête celle d’Akhénaton, qui disait : « Je me suis tellement effacé que j’en suis devenu transparent »,…
Sourires.
…mais elle me paraît peu adaptée dans cet hémicycle.
Permettez-moi juste une pensée plus personnelle : n’ayons pas peur de la transparence, car c’est par la transparence que l’on découvre les éléments de sa propre vie, que l’on apprend sur soi. N’en ayons jamais peur. Et si la transparence vaut pour l’homme, gageons que notre économie a tout à y gagner aussi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Après tant de philosophie, monsieur le ministre, mon propos sera bref puisqu’il se limitera à deux sujets, parmi les nombreux autres traités dans le texte. Le premier concerne un thème essentiel, l’immunité souveraine des États : prévu à l’article 24, il a été supprimé du texte mais devrait y être réintroduit.
Le texte initial confortait dans notre droit le principe de l’immunité souveraine, au point, d’ailleurs, de susciter les critiques d’un certain nombre d’associations, qui souhaiteraient poursuivre, devant la justice française, certains chefs d’État au comportement peu scrupuleux, notamment dans les affaires dites des « biens mal acquis ».
J’attends avec intérêt la position du Gouvernement sur ce sujet, mais je voulais, pour ma part, insister sur un autre volet du problème, dans une époque hélas marquée par le terrorisme de masse, lequel frappe soit directement notre pays depuis l’étranger soit des citoyens français hors de nos frontières. Pour l’heure, la République a prévu un mécanisme d’indemnisation, au demeurant modeste, pour les victimes, sans mettre en cause la responsabilité de qui que ce soit, à commencer par celle des États qui pourraient être les donneurs d’ordre ou les complices d’opérations terroristes menées contre nous.
Nous devrions combler cette lacune, nous inspirant en cela, par exemple, de décisions de justice et de projets de loi actuellement examinés au États-Unis. C’est le sens d’un amendement que j’ai déposé, à l’article 24, pour introduire dans notre droit la possibilité, pour les victimes d’attentats terroristes, de mettre en cause la responsabilité des États qui, directement ou indirectement, auraient pu commanditer ou se livrer à des actions terroristes contre nous, ou servir de complices à de telles actions. C’est un débat important que je vous soumets, monsieur le ministre, ainsi qu’à la sagesse de nos collègues. Je sais, par exemple, que les victimes du Bardo – ou leurs familles – attendent toujours des clarifications sur les circonstances de l’attentat, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles éprouvent le plus grand mal à les obtenir de la part des autorités du pays concerné.
L’autre sujet majeur que j’évoquerai brièvement – mais sur lequel nous avons beaucoup travaillé, en commission des lois, avec le rapporteur et avec Mme Mazetier – est la lutte contre la corruption internationale. La France est signataire de la Convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – de 1997, mais elle a été accusée, non sans raison d’ailleurs, d’avoir été notoirement déficiente dans la mise en cause de faits de corruption internationale, notamment de corruption d’agents publics étrangers par des entreprises françaises.
Cette situation a fourni un prétexte à la justice américaine pour faire directement la police elle-même, à la place de l’État français, au sein de nos entreprises, et ce alors même que ces actes de corruption allégués, qui ont eu lieu à l’autre bout du monde, ne concernent en rien le territoire américain. Si tout le monde peut être d’accord avec l’objectif de lutter contre la corruption internationale, plusieurs questions se posent.
Est-il normal qu’un État, même surpuissant comme le sont les États-Unis, s’arroge le droit d’appliquer ses lois internes de façon extraterritoriale, en utilisant des arguments pour le moins discutables juridiquement pour établir le rattachement d’une entreprise étrangère à son droit national ? On le sait, le seul fait d’utiliser le dollar ou un fournisseur d’accès à internet américain, ou d’être coté aux États-Unis, permet à la justice américaine d’enquêter sur les entreprises étrangères, de les convoquer directement, voire même de procéder à des arrestations de leurs cadres, comme ce fut le cas pour un cadre d’Alstom, retenu un an et demi avec des drogués, dans des conditions abominables, dans une affaire où, comme par hasard, Alstom était en compétition avec une entreprise américaine pour la livraison d’une centrale thermique en Indonésie.
Est-il normal que les sanctions extrêmement lourdes soient ensuite payées au Trésor américain et non au Trésor français ?
Est-il normal que le dispositif de compliance – mise en conformité –, sous le contrôle d’un « moniteur » installé par la justice américaine au sein de l’entreprise, se traduise ensuite par le transfert de données confidentielles et stratégiques de l’entreprise aux autorités américaines, le tout échappant totalement à la coopération judiciaire classique ? Est-il normal que la République française, en contrepartie, n’ait aucune certitude sur la vertu présumée des sociétés, américaines ou étrangères, avec lesquelles nous sommes en compétition sur les marchés internationaux ?
Ce qui ressort des sanctions infligées par les agences américaines, c’est qu’elles concernent surtout des sociétés étrangères concurrentes et peu d’entreprises américaines. De même, vous l’aurez remarqué, une vertu magique semble entourer les acteurs économiques américains dans l’affaire des Panama Papers, seuls les étrangers s’étant rendus coupables de toutes les turpitudes.
La tendance de plus en plus marquée, ces derrières années, des administrations américaines à imposer à leurs concurrents économiques l’application extraterritoriale des normes américaines, toujours naturellement au nom des grands principes – lutte contre la corruption, lutte contre la fraude fiscale ou sanctions d’« États voyous » –, viole ouvertement notre souveraineté. C’est d’ailleurs ce qui m’avait conduit à demander la création d’une mission d’information, que je conduis avec Karine Berger.
Je vais donc conclure, monsieur le président ; mais je vais être obligé de sauter des passages entiers de ma brillante démonstration.
Sourires.
Sourires.
Le système de transaction pénale, qui a fait l’objet d’un amendement de Mme Mazetier et d’un amendement du groupe Les Républicains, me semble être la bonne solution. Nous devons sortir de ce problème par le haut, car il y va de la souveraineté de la France : trouvons donc un système qui permette de défendre tout à la fois nos entreprises et notre justice des empiétements d’un certain nombre d’États ; restera ensuite à s’assurer que, si nous sommes vertueux, les autres le sont aussi. En l’occurrence je ne suis pas tout à fait sûr que tout le monde l’est, y compris au sein de l’OCDE ; ce dont je suis à peu près sûr – et c’est l’ancien secrétaire d’État chargé du commerce extérieur qui vous le dit –, c’est que ceux qui n’y sont pas ne sont pas vertueux. Gardons-nous donc de paralyser nos outils industriels : je terminerai sur ce message.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, permettez-moi de commencer en rappelant quelques éléments du contexte dans lequel a été élaboré le projet de loi. Les lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique ont marqué une avancée significative pour le respect de règles éthiques par les responsables publics. À travers des mécanismes de publicité et de contrôle nouveaux, ces textes visaient à retisser le lien de confiance qui doit unir citoyens, élus et administration.
Aussi je me félicite que le texte présenté aujourd’hui prolonge et renforce cette volonté d’introduire plus de transparence dans la sphère publique comme dans le monde des affaires. Je me réjouis également qu’il tende à doter la France d’une législation à la pointe de ce qui peut se faire ailleurs en Europe en matière de lutte contre la corruption.
Enfin, responsable de l’examen du texte au sein de la commission des affaires économiques, j’en défendrai devant vous le volet relatif à la modernisation de la vie économique.
Je veux tout d’abord saluer la qualité des travaux menés avant, pendant et après l’examen en commission. Partant de constats simples, nous avons construit ce projet de loi en nous efforçant de lui donner le plus de corps possible. J’insiste sur la volonté de concertation qui a été la nôtre : nous avons associé les différentes corporations à nos réflexions afin d’élaborer le texte dans une démarche commune de modernisation et de simplification. Je veux à ce titre saluer l’exigence et la détermination dont a fait preuve le rapporteur, Dominique Potier, dans la conduite de nos travaux : cela nous a permis, sur bien des aspects, d’aller plus loin que la volonté initiale du Gouvernement et, ce faisant, de « co-construire » plusieurs amendements.
Nous ne pouvons pas faire comme si le monde n’évoluait pas, comme si de nouvelles pratiques, de nouveaux usages mais aussi de nouvelles demandes et de nouveaux besoins n’apparaissaient pas dans le quotidien de nos concitoyens. La tâche qui est la nôtre est d’accompagner ces changements en veillant à apporter des réponses qui soient justes, souples et sûres.
La situation, au sein de nos territoires, est trop souvent inéquitable pour nos concitoyens. Le secteur de l’artisanat n’échappe pas, malgré les traditions parfois multiséculaires qui le régissent, aux mutations du monde professionnel. Adapter ce secteur à ces mutations est l’enjeu de l’article 43, relatif à la démocratisation des métiers de l’artisanat. Nous n’avons pas cherché, ici, à déréguler, à réformer pour réformer, mais bel et bien à simplifier ce qui pouvait l’être et à conforter ce qui marchait déjà. Aussi notre rapporteur nous proposera-t-il un amendement de réécriture.
De fait, pour les menus travaux, le consommateur est trop souvent dans l’incapacité de trouver un artisan susceptible de répondre à ses demandes, que ce soit en raison de délais trop longs ou de tarifs prohibitifs au regard de la difficulté concrète de la tâche : les consommateurs en pâtissent, notamment ceux qui ne peuvent comparer les offres de service. Au vu de ce constat, il m’apparaît nécessaire et justifié d’ouvrir, pour les tâches les plus simples, différentes professions d’artisanat à ceux qui ont en eux l’envie et la détermination d’entreprendre.
Certains reprochent à cette mesure de permettre, in fine, la construction de maisons entières grâce au travail au noir. J’aimerais rappeler une vérité économique simple : pour faire construire une maison aujourd’hui, il est nécessaire d’apporter aux banques nombre de certifications et de garanties sur la capacité et la qualité des artisans à qui l’on fait appel. Aucun banquier n’accorde de prêt sans avoir confiance en ceux qui se sont engagés à réaliser le projet, garantie décennale, responsabilité professionnelle et habilitation à l’appui.
Enfin, l’un des aspects les plus importants de cet article – auquel il serait dommage de renoncer – est qu’il permet de faciliter les reconversions professionnelles, et ce pour tous les parcours professionnels, à travers une validation des acquis de l’expérience – VAE – simplifiée.
En effet, en accord avec Mme la secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle, nous proposerons un accès facilité et simplifié aux procédures de validation des acquis de l’expérience pour le secteur de l’artisanat. Cela permettra aux professionnels qui le voudront de multiplier leurs spécialités dans des délais aménagés, et à de nombreux entrepreneurs nouveaux de sortir d’une économie parallèle, où le travail au noir les prive de droits élémentaires des travailleurs – comme la cotisation pour la retraite ou l’accès à la médecine du travail – et leur évite une contribution à l’effort collectif qui garantit notre équilibre social.
De plus, il serait difficile de nier la réalité : nombre de nos concitoyens font déjà appel à du travail informel pour réaliser, dans des délais plus courts et avec des tarifs défiant toute concurrence, des travaux qui ne nécessitent pas une grande qualification. Or ces travaux se font au détriment de la qualité et du respect des normes de sécurité, que ce soit pour les travaux eux-mêmes ou pour ceux qui les réalisent.
Au travers de l’amendement de notre rapporteur, nous avons, me semble-t-il, trouvé un point d’équilibre entre besoin de transparence, de confiance et de sécurité pour le consommateur, simplification de l’accès des autoentrepreneurs à certains métiers de l’artisanat et possibilité, pour des artisans déjà installés, de diversifier leur activité de manière plus simple.
Tel qu’il a été amendé – puisque nous n’en avons pas accepté la rédaction initiale –, l’article visé accompagnera le secteur de l’artisanat, premier employeur de France faut-il le rappeler, face aux défis que lui imposent le monde d’aujourd’hui et celui de demain. Aussi me semblerait-il dommage de passer cet article par pertes et profits, car il répond aux trois grands principes du texte : transparence, lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique.
Le second grand sujet est l’agriculture. Je veux remercier M. le ministre de l’agriculture pour le travail qu’il a permis sur la question majeure des relations au sein des filières. Nous débattrons, en cette matière, d’amendements essentiels, et j’espère que nous saurons nous retrouver pour faire avancer la transparence dans les relations entre producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs : n’oublions pas que nous sommes là pour eux aussi.
Je laisserai les collègues signataires de ces amendements vous exposer les avancées qu’ils contiennent. Je souhaite un débat constructif, et conclurai, sans recourir à d’autres citations, en disant que le devoir de transparence devrait être pour nous une évidence.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et de la proposition de loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d’alerte.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly