Intervention de Patrice Carvalho

Séance en hémicycle du 6 juin 2016 à 17h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - protection des lanceurs d'alerte — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Notre pays n’est pas en queue de peloton en matière de lutte contre la corruption et de transparence de la vie publique. Il n’est malheureusement pas non plus en tête. Des évolutions législatives récentes, comme la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, dont les prérogatives sont importantes, ont constitué des avancées.

Toutefois, notre pays n’est pas exemplaire. La France, comme le signale à juste titre le rapport, fait l’objet de critiques récurrentes de la part des organisations internationales spécialisées, que ce soit l’OCDE ou le Groupe d’États contre la corruption. Au même titre que certaines ONG très actives en la matière, elles pointent plusieurs failles majeures dans notre système de lutte contre la corruption.

D’une part, notre droit actuel est trop peu efficace et dissuasif : les sanctions applicables aux atteintes à la probité sont rares et le droit pénal se révèle insuffisamment dissuasif. Pour le dire simplement, trop peu de peines d’emprisonnement ferme sont prononcées : seulement quatre en 2013 pour des faits de corruption active, ce qui est insuffisant.

D’autre part, la France n’applique pas suffisamment les dispositions existantes relatives à la corruption active d’un agent public étranger. Là encore, les condamnations sont rares et les sanctions particulièrement faibles.

Enfin, en matière de moeurs économiques, il n’existe pas de textes normatifs contraignants, exigeant des grandes entreprises qu’elles développent des pratiques vertueuses afin de prévenir la corruption.

Il y a donc encore beaucoup à faire pour que notre pays rejoigne les États à la pointe de la lutte contre la corruption. Ce combat ne s’arrête d’ailleurs pas aux seuls points que je viens d’énumérer : il est bien plus grand et nécessite une plus vaste ambition. Il s’agit de restaurer la confiance des concitoyens à l’égard de la vie publique.

Comment ne pas voir l’état de déliquescence de nos institutions politiques, vieillissantes et inadaptées au monde actuel ? Comment ne pas voir la défiance de nos concitoyens à l’égard de leurs représentants ? Ils ont le sentiment qu’il n’est plus possible de changer les choses, que tout est verrouillé.

Voilà les éléments que nous devons garder en tête au moment d’entamer le débat. C’est le défi de la démocratie et de l’expression de la souveraineté du peuple que nous devons relever.

Le projet de loi que vous défendez, monsieur le ministre, montre une certaine ambition et a le mérite de mettre sur la table des sujets pour le moins essentiels – démarche que nous accueillons favorablement.

Ainsi en va-t-il de l’instauration de l’Agence française anticorruption, aux attributions assez larges : c’est une avancée indéniable. Mais c’est un bond, et non un pas en avant, qu’exige la situation du pays. Le projet de loi prévoit que cette agence soit placée sous l’autorité conjointe des ministères de la justice et du budget. Or, en matière de lutte contre la corruption, il nous faut à tout le moins garantir l’indépendance de cette agence, y compris à l’égard de toute ingérence potentielle du pouvoir politique. C’est une exigence pour laquelle nous nous battrons dès le début de l’examen de ce texte ; un pouvoir de sanction effectif en est une autre.

J’en viens au statut des lanceurs d’alerte. Leur protection constitue aujourd’hui un enjeu de société fondamental. Qu’est-ce que le droit d’alerte, mes chers collègues ? Ce n’est, ni plus ni moins, qu’une extension de notre liberté d’expression. À cet égard, nous devons la défendre, la protéger, la garantir.

Les révélations permises par l’action courageuse des lanceurs d’alerte, parfois au péril de leur vie, sont inestimables. Elles ont permis de faire la lumière sur les pratiques scandaleuses de nombre de secteurs économiques ou stratégiques.

Or force est de constater que notre droit actuel ne permet pas de garantir efficacement la protection des lanceurs d’alerte. Les dispositions sont éparses, ce qui mine l’efficacité globale du dispositif, largement insuffisante.

Sur bien des aspects, les travaux en commission auront efficacement amélioré le projet de loi initial. Il nous faut aller encore plus loin en ce qui concerne la définition même de l’alerte, l’articulation des procédures de signalement ou encore la protection face aux représailles – pour ne pas dire aux menaces.

La création d’un répertoire obligatoire des représentants d’intérêts va aussi dans le bon sens. À cet égard, il est surprenant que notre pays ne se soit pas déjà doté d’un tel outil, qui est pourtant la norme chez bon nombre de nos voisins. Facultatifs, les registres existants ont montré leurs limites. Le registre proposé doit donc être le plus large possible et imposer le plus haut niveau de transparence possible aux représentants d’intérêts.

Une nouvelle fois, la question des sanctions potentielles, en cas de non-respect des nouvelles obligations, sera centrale.

Au-delà de ces points, sur lesquels nous espérons que l’Assemblée saura aller encore plus avant, nous déplorons l’absence, en l’état, d’autres dispositions qui contribueraient à restaurer la confiance dans la vie publique. Alors que nous sommes encore au lendemain des Panama Papers, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est absente de ce projet de loi. Mes chers collègues, il est temps de prendre, enfin, nos responsabilités pour aller plus loin en matière de transparence fiscale.

À l’évidence, le reporting public pays par pays est une mesure essentielle que nous devons adopter. Rien ne justifie le maintien du verrou posé par Bercy. La très faible pénalisation des infractions fiscales nuit aujourd’hui fortement à la crédibilité de l’État et de la justice.

Par ailleurs, les scandales de pantouflage entre le secteur public et le privé continuent et minent nos institutions.

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