Intervention de Sandrine Mazetier

Séance en hémicycle du 6 juin 2016 à 17h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - protection des lanceurs d'alerte — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mazetier :

Il s’agit donc d’une étape supplémentaire, et importante, de ce mouvement de réformes.

Le projet de loi initial du Gouvernement était déjà ambitieux. Notre groupe, qui s’est pleinement inscrit dans sa dynamique, a même souhaité aller plus loin sur certains sujets. Je tiens à ce titre à remercier nos rapporteurs, Sébastien Denaja, Romain Colas et Dominique Potier, grâce auxquels les trois commissions ont pu aborder de nombreux sujets, qui, s’ils ne figuraient pas dans le texte initial, y trouvent aujourd’hui toute leur place.

En matière de protection des lanceurs d’alerte, parce que notre priorité absolue est de protéger rapidement et efficacement ces personnes, nous avons fait le choix de déposer une proposition de loi organique et de confier la protection des lanceurs d’alerte au Défenseur des droits, ce qui pouvait faire débat.

Parmi les quarante-cinq heures d’auditions que nous avons menées – en plus des vingt-quatre heures de travail en commission, madame Louwagie –, l’entretien avec Stéphanie Gibaud, lanceuse d’alerte dans l’affaire UBS, nous a rappelé, si besoin en était, l’ampleur des représailles auxquelles s’exposent les lanceurs d’alerte : harcèlement, intimidations, mise au placard, licenciement. Aujourd’hui sans emploi, Mme Gibaud doit faire face non seulement aux nécessités du quotidien, mais aussi aux procédures judiciaires, nécessairement coûteuses, dans lesquelles elle s’est trouvée entraînée, malgré elle. L’aide, la protection, voire l’anonymisation des lanceurs d’alerte puis, une fois leur identité connue, leur accompagnement dans les procédures judiciaires auxquelles ils s’exposent, sont essentiels.

S’agissant de la définition des lanceurs d’alerte, des nuances subsistent entre le Gouvernement et notre groupe. Mais l’excellent travail de rapprochement des points de vue que nous avons déjà accompli en commission, se poursuivra assurément en séance.

Je remercie d’ores et déjà l’exécutif d’avoir accepté que nous confiions la protection des lanceurs d’alerte au Défenseur des droits – sans son accord, nous n’aurions pas pu le faire. En effet, en matière de lutte contre la corruption ou de protection des lanceurs d’alerte, le temps qui passe après les déclarations érode les déterminations les plus vives, voit parfois changer les majorités et fondre les moyens attribués, par exemple pour lutter contre la corruption. En donnant cette belle et nécessaire mission au Défenseur des droits, qui détient un rôle constitutionnel, nous avons fait le choix d’une autorité déjà existante, connue et reconnue, présente sur tout le territoire français, afin de donner aux lanceurs d’alerte les garanties dont ils ont besoin pour se manifester.

Ce projet de loi entend également lutter plus efficacement contre les atteintes à la probité. Sur le plan préventif, nous partageons pleinement l’objectif et approuvons les structures proposées par le texte, notamment à l’Agence anticorruption – c’est ainsi que nous l’avons baptisée en commission, afin de l’identifier clairement.

Nous notons avec une grande satisfaction que cette agence est dotée de moyens importants. Au-delà de l’affichage, des mots, il y a les moyens : la morale de l’action est pour nous au moins aussi importante que les déclarations d’intention. Aussi, alors que le rapporteur a déjà pu apporter en commission des garanties sur l’indépendance fonctionnelle de cette agence, j’espère que les débats permettront de lever entièrement les interrogations qui se sont exprimées.

Sur le plan répressif, le projet de loi prévoyait d’emblée de créer une nouvelle infraction de trafic d’influence d’agent public étranger et de lever certains freins procéduraux à la poursuite de faits de corruption d’agents publics étrangers. Désormais, des associations agréées pourront se porter partie civile aux procès : cet élément central était présent dès l’origine dans le texte.

Au-delà du travail, tout à fait remarquable, de nos rapporteurs, de nos commissions et de leurs administrateurs, je voudrais rendre hommage à l’ensemble des institutions, services, membres de cabinet, qui ont répondu à nos sollicitations. Je citerai également toutes les associations auditionnées, qui ont contribué à enrichir le texte et nous ont aidé à réfléchir aux amendements que nous pouvions présenter : Anticor, Sherpa, Regards citoyens, Bloom, Oxfam France, ONE, Transparency International France, CCFD Terre solidaire, ainsi que toutes les associations participant aux plateformes qu’animent ces associations, qui nous aident à avancer dans ce combat capital.

S’agissant de la répression, j’ai proposé un dispositif original car, tous et toutes, nous voulons sortir du statu quo, d’une situation qui relève de l’impunité pour les personnes morales qui se rendent coupables d’atteintes à la probité et de corruption transnationale. Le dispositif actuel n’est pas satisfaisant.

Dans votre propos introductif, monsieur le ministre, vous avez évoqué Total. On pourrait citer d’autres groupes, mais Total est non seulement mis en cause, mais aussi très lourdement et rapidement condamné à l’étranger – du moins beaucoup plus rapidement que la France ne peut le faire –, par exemple dans les affaires « Pétrole contre nourriture », que ce soit en Irak ou en Iran. Ces faits datent du siècle dernier ; l’action publique est engagée depuis fort longtemps.

Or, pour les mêmes faits, Total encourt en France 750 000 euros d’amende, au maximum, alors que le groupe s’est déjà acquitté, pour une de ces affaires, de près de 400 millions de dollars d’amende c’est-à-dire 466 fois plus que la somme qu’il pourrait être contraint de verser en France, au terme d’une très longue procédure.

Déclarer l’entreprise coupable, est-ce vraiment la sanctionner ? Peut-on concevoir une justice sans réparation ? Par ce dispositif, nous voulons véritablement obtenir réparation pour les victimes.

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