Intervention de Pierre Lellouche

Séance en hémicycle du 6 juin 2016 à 17h00
Transparence lutte contre la corruption et modernisation de la vie économique - protection des lanceurs d'alerte — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Après tant de philosophie, monsieur le ministre, mon propos sera bref puisqu’il se limitera à deux sujets, parmi les nombreux autres traités dans le texte. Le premier concerne un thème essentiel, l’immunité souveraine des États : prévu à l’article 24, il a été supprimé du texte mais devrait y être réintroduit.

Le texte initial confortait dans notre droit le principe de l’immunité souveraine, au point, d’ailleurs, de susciter les critiques d’un certain nombre d’associations, qui souhaiteraient poursuivre, devant la justice française, certains chefs d’État au comportement peu scrupuleux, notamment dans les affaires dites des « biens mal acquis ».

J’attends avec intérêt la position du Gouvernement sur ce sujet, mais je voulais, pour ma part, insister sur un autre volet du problème, dans une époque hélas marquée par le terrorisme de masse, lequel frappe soit directement notre pays depuis l’étranger soit des citoyens français hors de nos frontières. Pour l’heure, la République a prévu un mécanisme d’indemnisation, au demeurant modeste, pour les victimes, sans mettre en cause la responsabilité de qui que ce soit, à commencer par celle des États qui pourraient être les donneurs d’ordre ou les complices d’opérations terroristes menées contre nous.

Nous devrions combler cette lacune, nous inspirant en cela, par exemple, de décisions de justice et de projets de loi actuellement examinés au États-Unis. C’est le sens d’un amendement que j’ai déposé, à l’article 24, pour introduire dans notre droit la possibilité, pour les victimes d’attentats terroristes, de mettre en cause la responsabilité des États qui, directement ou indirectement, auraient pu commanditer ou se livrer à des actions terroristes contre nous, ou servir de complices à de telles actions. C’est un débat important que je vous soumets, monsieur le ministre, ainsi qu’à la sagesse de nos collègues. Je sais, par exemple, que les victimes du Bardo – ou leurs familles – attendent toujours des clarifications sur les circonstances de l’attentat, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles éprouvent le plus grand mal à les obtenir de la part des autorités du pays concerné.

L’autre sujet majeur que j’évoquerai brièvement – mais sur lequel nous avons beaucoup travaillé, en commission des lois, avec le rapporteur et avec Mme Mazetier – est la lutte contre la corruption internationale. La France est signataire de la Convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – de 1997, mais elle a été accusée, non sans raison d’ailleurs, d’avoir été notoirement déficiente dans la mise en cause de faits de corruption internationale, notamment de corruption d’agents publics étrangers par des entreprises françaises.

Cette situation a fourni un prétexte à la justice américaine pour faire directement la police elle-même, à la place de l’État français, au sein de nos entreprises, et ce alors même que ces actes de corruption allégués, qui ont eu lieu à l’autre bout du monde, ne concernent en rien le territoire américain. Si tout le monde peut être d’accord avec l’objectif de lutter contre la corruption internationale, plusieurs questions se posent.

Est-il normal qu’un État, même surpuissant comme le sont les États-Unis, s’arroge le droit d’appliquer ses lois internes de façon extraterritoriale, en utilisant des arguments pour le moins discutables juridiquement pour établir le rattachement d’une entreprise étrangère à son droit national ? On le sait, le seul fait d’utiliser le dollar ou un fournisseur d’accès à internet américain, ou d’être coté aux États-Unis, permet à la justice américaine d’enquêter sur les entreprises étrangères, de les convoquer directement, voire même de procéder à des arrestations de leurs cadres, comme ce fut le cas pour un cadre d’Alstom, retenu un an et demi avec des drogués, dans des conditions abominables, dans une affaire où, comme par hasard, Alstom était en compétition avec une entreprise américaine pour la livraison d’une centrale thermique en Indonésie.

Est-il normal que les sanctions extrêmement lourdes soient ensuite payées au Trésor américain et non au Trésor français ?

Est-il normal que le dispositif de compliance – mise en conformité –, sous le contrôle d’un « moniteur » installé par la justice américaine au sein de l’entreprise, se traduise ensuite par le transfert de données confidentielles et stratégiques de l’entreprise aux autorités américaines, le tout échappant totalement à la coopération judiciaire classique ? Est-il normal que la République française, en contrepartie, n’ait aucune certitude sur la vertu présumée des sociétés, américaines ou étrangères, avec lesquelles nous sommes en compétition sur les marchés internationaux ?

Ce qui ressort des sanctions infligées par les agences américaines, c’est qu’elles concernent surtout des sociétés étrangères concurrentes et peu d’entreprises américaines. De même, vous l’aurez remarqué, une vertu magique semble entourer les acteurs économiques américains dans l’affaire des Panama Papers, seuls les étrangers s’étant rendus coupables de toutes les turpitudes.

La tendance de plus en plus marquée, ces derrières années, des administrations américaines à imposer à leurs concurrents économiques l’application extraterritoriale des normes américaines, toujours naturellement au nom des grands principes – lutte contre la corruption, lutte contre la fraude fiscale ou sanctions d’« États voyous » –, viole ouvertement notre souveraineté. C’est d’ailleurs ce qui m’avait conduit à demander la création d’une mission d’information, que je conduis avec Karine Berger.

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