Intervention de Martin Vial

Réunion du 1er juin 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Martin Vial, commissaire aux participations de l'état :

Merci, Madame la présidente, pour vos mots d'accueil. Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer devant votre commission ce matin. L'actualité concernant le portefeuille de l'APE est en effet très riche. Ainsi que vous l'avez rappelé, ce portefeuille s'élève à un peu plus de 100 milliards d'euros, avec des participations dans soixante-dix-sept entreprises. La somme agrégée des chiffres d'affaires de ces entreprises – qui n'est pas une valeur comptable – est supérieure à 400 milliards d'euros, et celle de leurs excédents bruts d'exploitation, à 65 milliards d'euros. C'est dire l'importance du rôle de l'État actionnaire dans l'économie du pays, qu'il s'agisse de l'industrie ou des services.

J'ai pris mes fonctions à l'été 2015 et j'ai acquis deux convictions : premièrement, depuis la création de l'APE, l'État actionnaire a beaucoup progressé, se dotant de leviers d'action qui le rendent aujourd'hui plus agile et plus efficace ; deuxièmement, l'État actionnaire doit avoir une posture décomplexée, jouer un rôle responsable et être exemplaire.

L'État actionnaire a connu plusieurs étapes de maturation.

La création de l'APE, en 2004, a consacré la fonction patrimoniale de l'État, qui était auparavant confondue avec d'autres fonctions : tutelle, régulateur, collecteur d'impôt et client.

En 2010, l'APE a été retirée du périmètre de la direction générale du Trésor. Désormais, le patron de l'APE rend compte directement au ministre chargé de l'économie et au ministre chargé des finances, ce qui donne à l'agence une autonomie par rapport aux politiques publiques ou sectorielles conduites – tout à fait efficacement – par la direction générale du Trésor.

Début 2014 a été fixée la doctrine d'investissement de l'État actionnaire, qui guide aujourd'hui notre action.

L'ordonnance relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique, publiée à l'été 2014, a constitué une étape très importante : l'État exerce son rôle dans les organes de gouvernance des entreprises comme un actionnaire normal. Ainsi, les représentants de l'État sont désormais nommés par les assemblées générales, à l'exception de ceux qui le représentent en tant que personne morale. D'autre part, nous pouvons dorénavant recruter des représentants qui ne sont pas des agents publics. Nous avons constitué une base de données et faisons appel à des personnes possédant des compétences managériales et entrepreneuriales afin d'enrichir la composition des conseils d'administration des soixante-dix-sept entreprises du portefeuille et contribuer à leur bon fonctionnement.

Aujourd'hui, l'État actionnaire dispose, à travers l'APE, d'un levier très puissant, mais nous ne sommes pas le seul acteur en la matière : la Banque publique d'investissement (BPIfrance) – dont la création a été un formidable succès – intervient, à travers un portefeuille d'environ 16 milliards d'euros, auprès des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et, de plus en plus, des petites et moyennes entreprises (PME) ; la Caisse des dépôts et consignations (CDC) joue un rôle d'actionnaire à travers son propre portefeuille d'actifs ; le Commissariat général à l'investissement (CGI), au titre du programme d'investissements d'avenir (PIA), gère une enveloppe d'un peu moins de 7 milliards d'euros réservée aux interventions en fonds propres, notamment pour soutenir l'innovation.

L'articulation entre ces différents acteurs est globalement bonne. Nous avons de nombreux échanges avec la CDC. Par exemple, l'APE et la CDC détenant chacune 50 % de BPIfrance, le directeur général de la CDC et moi-même avons créé un comité d'actionnaires qui nous permet de nous concerter sur les grands axes de la stratégie de BPIfrance. En revanche, notre coordination avec le CGI demeure insuffisante. C'est incontestablement un point sur lequel nous devons et allons progresser.

L'APE est aujourd'hui l'un des plus grands gérants de participations publiques au monde, avec les chiffres que j'ai cités en introduction. En 2015, nous avons procédé à environ 1,2 milliard d'euros d'investissements à partir du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » (CAS PFE) et avons cédé 2,3 milliards d'euros de participations, notamment dans Engie, Safran et l'aéroport de Toulouse. En outre, nous avons contribué l'année dernière au désendettement de l'État à hauteur de 800 millions d'euros. Nous sommes aujourd'hui engagés dans des opérations importantes, notamment pour la restructuration de la filière nucléaire, qui va mobiliser une part notable des ressources du CAS PFE sur 2016-2017.

Nous n'avons pas à rougir des performances de l'État actionnaire, même si nous ne sommes pas épargnés par certaines critiques dans la presse.

Il est vrai que plus de la moitié du portefeuille de l'APE est constitué par des participations dans le secteur de l'énergie. Or ce secteur subit actuellement, à l'échelle mondiale, un véritable choc, avec la baisse du prix du pétrole – baisse de moitié du prix en un peu plus de deux ans –, des matières premières et de l'électricité. Le prix de l'électricité a chuté d'environ un tiers entre le début de l'automne 2015 et l'hiver 2016. Toutes les entreprises du secteur énergétique et des matières premières sont frappées.

Il faut examiner nos performances au regard de l'environnement économique et prendre en considération les performances intrinsèques du portefeuille. Hors secteur de l'énergie, le taux de retour pour l'actionnaire sur le portefeuille coté de l'APE a été proche de 29 % en 2015, contre 12 % pour le CAC 40 – nous calculons ce taux de retour en tenant compte, d'une part, des dividendes versés par les entreprises du portefeuille et, d'autre part, de la réévaluation de la valeur de ces entreprises entre le 1er janvier et le 31 décembre. C'est donc une performance très positive. De plus, les sociétés qui ont obtenu les meilleures performances au sein du portefeuille, à savoir PSA, Renault et Airbus, sont aussi celles qui ont connu les plus fortes hausses au sein du CAC 40.

La performance de l'État actionnaire est non seulement celle du portefeuille coté, mais aussi celle de l'accompagnement industriel des sociétés du portefeuille. L'action mise en oeuvre par l'État actionnaire sous la responsabilité du Premier ministre, du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé des finances, à la suite des décisions prises par le Président de la République à l'été 2015, a visé à restructurer la filière nucléaire, laquelle constitue un atout industriel majeur pour le pays. Notre but est évidemment de renforcer les bases industrielles et financières d'EDF et d'Areva pour leur permettre de développer leur activité, en tant que leaders dans leur domaine.

J'en viens au rôle de l'État actionnaire.

Ma conviction, c'est que l'État actionnaire doit être, tout d'abord, décomplexé. L'État n'est certes pas un actionnaire banal : il représente l'intérêt collectif ; il est mû par des motifs d'intérêt général, notamment la cohésion économique et sociale du pays. Mais, quand il détient des intérêts économiques dans une entreprise, il doit jouer pleinement son rôle en tant qu'actionnaire. Dans les entreprises cotées, lorsqu'il est le premier actionnaire ou actionnaire de référence, même minoritaire, il est légitime qu'il fasse entendre sa voix. Tel est le sens du maintien, décidé en 2015, des droits de vote double dans un certain nombre d'entreprises. Comme dans toutes les entreprises, le premier actionnaire doit être écouté, même s'il ne doit pas avoir l'exclusivité de la relation entre l'actionnariat et le management.

L'État doit être aussi un actionnaire responsable, tant dans les entreprises où il est majoritaire que dans celles où il est minoritaire. Dans le second cas, nous devons bien sûr nous défaire des pratiques de l'État tuteur qui impose ses vues, tout en préservant l'intérêt social de l'entreprise et en prenant en compte les intérêts des autres actionnaires, notamment les intérêts minoritaires. L'État actionnaire doit se comporter de façon équilibrée en adoptant cette double approche, décomplexée et responsable.

L'État, qui n'est pas, je l'ai dit, un actionnaire banal, doit être, enfin, exemplaire.

Cette exemplarité concerne la « mesure » – pour reprendre le terme employé dans le code de l'Association française des entreprises privées (AFEP) et du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) – dans la rémunération des dirigeants des grandes entreprises. Pour les entreprises où l'État est actionnaire majoritaire, le Gouvernement a fixé, en 2012, un plafond de 450 000 euros pour la rémunération des mandataires sociaux. Les résolutions qui ont été adoptées dans ces entreprises sont toutes conformes à cette règle. Pour les entreprises où l'État n'est pas majoritaire, un certain nombre de règles ont été fixées : il a été demandé aux dirigeants de ces entreprises de consentir un effort de réduction de 30 % de leur rémunération par rapport à la situation ex ante ; il a été également demandé que les dirigeants ne bénéficient plus de retraites à prestations définies – dites « retraites chapeau » ; les indemnités de départ ont été plafonnées à un an de rémunération. Lorsque les patrons de ces entreprises ont fait les efforts nécessaires, nous avons voté pour les résolutions correspondantes. Tel a été le cas chez Air France-KLM, Engie et Orange. Mais lorsque la doctrine fixée n'a pas été respectée, nous avons été amenés à voter contre. Tel a été le cas, en conseil d'administration et en assemblée générale, chez Renault, PSA et Safran, pour ne citer que ces entreprises.

Au titre de l'exemplarité, l'État a également poussé les entreprises du portefeuille à féminiser leur conseil d'administration. À l'issue de la campagne d'assemblées générales en cours, le taux d'administratrices au sein des conseils devrait être supérieur à 30 % dans l'ensemble des entreprises du portefeuille, ce qui correspond à un quasi-doublement par rapport à 2012, où il était de 16 %. Notons qu'il est actuellement de 36 % dans les seules entreprises cotées du portefeuille. Nous atteindrons l'année prochaine l'objectif fixé par la loi, à savoir un taux minimal de féminisation de 40 %.

L'État doit aussi s'assurer de l'exemplarité des entreprises du portefeuille en matière fiscale. Au début de l'année 2015, les ministres ont adressé à toutes ces entreprises une lettre leur demandant de se conformer aux règles lorsqu'elles pratiquent l'optimisation fiscale. Nous entrons dorénavant dans un régime de transparence. Votre assemblé examine en ce moment même un projet de loi prévoyant de nouvelles dispositions en matière de transparence fiscale. Si vous les adoptez, l'État sera au premier rang pour les mettre en oeuvre, à travers son portefeuille.

L'État actionnaire a beaucoup progressé, mais il reste encore beaucoup à faire. Notre démarche permanente consiste à utiliser le rôle de l'État actionnaire comme levier pour valoriser le patrimoine de l'État – c'est la première fonction de l'APE –, comme levier de la politique industrielle, et comme levier pour diffuser la culture de responsabilité environnementale, sociale et sociétale de l'État au sein des entreprises du portefeuille. Telle est la préoccupation qui nous anime et continuera à nous animer au quotidien.

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