Intervention de Jean-Paul Pollin

Réunion du 30 janvier 2013 à 18h45
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Paul Pollin :

Merci M. le Président. C'est un honneur pour moi de pouvoir m'exprimer devant votre Commission, d'autant plus que, comme vous l'avez rappelé, M. le Président, c'est un sujet qui me tient à coeur.

La question de la concentration et de la diversification des activités bancaires me pose problème depuis longtemps, bien avant la crise. Pourquoi, en effet, aurions-nous besoin que les banques se concentrent et diversifient leurs activités ? C'est contradictoire avec tous les travaux des économistes, qui tendent à montrer que cela ne génère pas ou peu d'économies d'échelle et très peu de synergies.

Pourquoi la séparation des activités bancaires ? Ce qu'en dit la présentation du projet de loi est intéressant, bien fait et pédagogique. En premier lieu, les activités de marché sont incontestablement plus risquées que celles de la banque commerciale ; il s'agit donc de ne pas « polluer » l'activité de la banque commerciale. La banque de marché a besoin de la banque commerciale, dont l'activité est beaucoup plus régulière, mais le contraire n'est pas vrai. De nombreuses études montrent que les banques les plus vulnérables sont celles qui ont le plus de produits dérivés et de dettes à court terme au bilan, et qui sont mal capitalisées : tout cela est lié aux activités de marché. D'ailleurs, une étude récente de l'OCDE, qui utilise cette grille de lecture, en conclut que les banques françaises sont particulièrement vulnérables : parmi les huit banques dont la distance au défaut est la plus faible, quatre sont françaises.

Deuxième chose, les activités de marché ont été, nous le savons, à l'origine d'arbitrages réglementaires. Je ne m'attarderai pas sur cette question.

En outre, les banques de marché concentrent une grande part du risque systémique, car ce sont elles qui nouent l'essentiel des interconnexions entre banques. Ces interconnexions sont principalement en cause dans les phénomènes de contagion. Ce n'est en effet pas la faillite d'une banque qui entraîne celle d'une autre : les phénomènes de contagion passent par les prix d'actifs. Si telle banque fait des pertes, elle vend des actifs, ce qui fait baisser les cours et entraîne des pertes dans d'autres banques.

Par ailleurs, les activités de marché sont au coeur des crises de liquidité : nous pourrons y revenir.

De plus, il n'y a aucune raison pour que les activités de marché bénéficient de la garantie publique accordée à la banque commerciale. En effet, cette garantie se justifie par le caractère de service public des missions assurées par la banque commerciale. Rien ne justifie cette garantie pour les activités de marché ; elle constitue en plus un aléa de moralité, en incitant à la prise de risque.

Dernière chose, les banques universelles sont opaques, car elles regroupent des activités de natures différentes. La relation de crédit est une relation durable, bilatérale et hiérarchique. La relation de marché est une relation ponctuelle, anonyme et décentralisée. Quand on mélange les deux, il peut y avoir des conflits d'intérêts, et c'est source de difficultés de management. La comptabilité en valeur de marché n'a aucune raison d'être appliquée aux portefeuilles de crédits. Dans le modèle de la banque universelle, on a donc deux poids deux mesures : on demande aux banques de nous dire ce qui relève du « trading book » et du « banking book ». Mais cette distinction reste à la discrétion des banques et donc pose problème. Cela rend particulièrement difficile le management, la régulation et le contrôle par l'ensemble des parties prenantes, clients des banques, analystes financiers, traders et actionnaires. Cet argument a été développé par un analyste financier en France et aussi par Andrew Alder, directeur de la stabilité financière de la banque d'Angleterre et fervent partisan de la séparation des activités bancaires. Peut-être est-ce pour cela qu'on le surnomme, à ce qu'il paraît, le « banquier rouge ».

Nous en arrivons à la question qui vous intéresse : comment séparer les activités bancaires ? Cela recoupe deux interrogations, sur le tracé des frontières et sur les formes et statuts de la séparation. Commençons par les frontières. Les positions spéculatives, c'est-à-dire ouvertes, sont principalement du côté du « market making ». On n'arrivera pas à séparer les activités spéculatives entre celles qui relèvent du « market making » et les autres. Je crois que l'« underwriting », c'est-à-dire la prise ferme de titres, quand elle n'a pas de dimension d'animation de marché, doit être du côté des opérations séparées. Pour ce qui est des relations avec le « shadow banking », je ne vois pas pourquoi les dépôts garantis devraient financer des prêts à des fonds définis comme étant à fort effet de levier et souvent spéculatifs. Quant aux opérations de couverture pour le compte de la clientèle, on peut raisonnablement les garder dans la banque commerciale à partir du moment où c'est du « plain vanilla », c'est-à-dire qu'il s'agit d'opérations simples et non structurées. Pour la couverture de la banque commerciale, il faut autoriser ce qui porte sur le taux d'intérêt, par contre il paraît difficile de garder la couverture du risque de crédit, dans la mesure où cela reviendrait à demander à la banque commerciale de ne pas faire son travail. Nous reviendrons, avec Laurence Scialom, sur l'idée selon laquelle le découpage des activités doit être cohérent avec les plans de résolution : il faut parvenir à faire passer les ciseaux – l'expression utilisée par Mme Berger est même arrivée jusqu'à Orléans ! – entre des activités cohérentes.

Parlons à présent des formes et statuts de la séparation. On peut séparer totalement banque d'investissement et banque commerciale, qui se retrouvent alors sans lien. Mais on peut aussi chercher à préserver, si elles existent, les synergies entre activités. Comme je vous le disais en introduction, je ne crois pas que ces synergies soient fortes. Il n'y en a pas au niveau de la production des services : la banque de marché et la banque commerciale requièrent des compétences totalement différentes, des technologies totalement différentes. Il pourrait y en avoir au stade de la distribution : j'ai face à moi un client qui a des besoins divers que j'essaie de couvrir ; c'est l'idée du « one stop shopping ». Mais cela même peut être mis en doute : les grandes entreprises ont largement les moyens de faire jouer la concurrence pour bénéficier des meilleurs services bancaires, elles n'ont pas besoin d'un interlocuteur unique. Cela n'est pas vrai des PME, mais celles-ci ont des activités de marché largement moindres. L'existence de synergies entre activités de marché et commerciale peut ainsi être mise en doute au stade de la distribution également. Et même si ces synergies existent, cela ne signifie pas qu'une banque doive produire tout ce qu'elle distribue. Aujourd'hui déjà, les banques distribuent de nombreux services qu'elles ne produisent pas elles-mêmes ; cette tendance devrait s'accentuer à l'avenir.

Lorsqu'on organise la séparation, il faut éviter le passage des capitaux propres et de la liquidité de la banque commerciale vers la banque de marché, puisque c'est l'un des grands arguments qui justifient la séparation. Enfin, il faut veiller à ce qu'il y ait une concurrence équitable entre les différents modèles de banques : la banque universelle ne doit pas pouvoir profiter de l'avantage dont elle dispose en regroupant différentes activités pour surtaxer les concurrents qui s'adresseraient à elles ; elle ne doit pas jouir d'un avantage indu du fait des garanties publiques dont elle bénéficie.

Cette solution implique que l'on surveille les prix de transfert de façon à assurer un level playing field. C'est très compliqué dans la mesure où on ne dispose pas d'informations suffisantes. Vous rappeliez, Monsieur le Président, que je me suis occupé de cette commission de financement de l'économie pour le compte du Conseil national de l'information statistique. J'avais fait fonctionner deux groupes de travail : un sur les groupes financiers, le second sur les métiers bancaires. Jamais nous n'avons pu réussir à obtenir des informations précises sur leur activité. Les statistiques ne sont pas adaptées. C'est un problème pour les analystes financiers mais aussi pour les actionnaires. Pourquoi n'avons-nous pas d'informations sur cette comptabilité par activité ? Parce que les banques considèrent que c'est le coeur de leur stratégie et qu'il ne doit pas être dévoilé.

Revenons-en à la comparaison entre les différents plans. Volcker préconise le cantonnement du trading pour compte propre, de l'investissement dans les hedge funds et du private equity. Pour Vickers, trading pour compte propre, marketmaking et underwriting doivent être isolés. Laurence Scialom dirait que cela revient plutôt à sanctuariser la banque commerciale. Des contraintes prudentielles spécifiques pèsent sur les transactions et les expositions entre entités. Quant à Liikanen, il propose que trading pour compte propre, marketmaking et prêts aux hedges funds, auxquels il faut ajouter les fonds de private equity et SIV soient isolés et capitalisés séparément. Enfin, dans le projet de loi, seraient isolés trading pour compte propre et investissements spéculatifs. Je ne saurais dire les prêts aux fonds spéculatifs car il demeure une difficulté sur cette question.

Six ans après le début de la crise, la réforme du système bancaire reste à faire et Bâle III à mettre en oeuvre. Je constate avec une grande satisfaction que les exigences en fonds propres ne sont plus un problème pour les banques alors qu'elles ont dit l'inverse pendant des années. Il en sera de même avec le Net Stable Funding Ratio – NSFR –. Ce qui posait réellement problème était le ratio de liquidité – Liquidity Coverage Ratio ou LCR –, qui a été réformé de façon justifiée. Et la réforme du shadow banking est encore devant nous, alors même que le sujet a été soulevé dans plusieurs réunions du G20 après la crise.

La question de la concurrence dans ce secteur est très compliquée. Il ne suffit pas d'avancer que quatre banques, cela n'est pas assez. Accessoirement, le projet de loi en traite par le biais des tarifs et de la vente liée, pain quotidien du secteur bancaire, qui va de pair avec une sous-tarification du crédit. Une fois que vous avez pris un crédit, les banquiers vont vous harceler jusqu'à ce que vous ayez sept produits...

La réforme va dans le bon sens mais devrait être traitée de manière encore plus ferme dans le sens de la séparation, du maniement des « ciseaux ».

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