Je prends la parole maintenant pour éviter de la reprendre sur chacun des amendements, parce qu’il paraît nécessaire – non seulement parce que vous m’avez interrogé, mais aussi parce que nous sommes très observés à l’extérieur sur ce débat important – de dire clairement quelle est la position du Gouvernement. Permettez-moi de manquer de l’humilité à laquelle vous nous appeliez, monsieur Denaja, en précisant la position que je défends dans des instances aussi bien européennes qu’internationales.
Évidemment, la lutte contre l’érosion des bases fiscales et contre l’optimisation fiscale, qui permet aux entreprises de ne payer d’impôt nulle part, ni chez nous, ni ailleurs, est une priorité absolue. Vous avez d’ailleurs adopté dans cet hémicycle des dispositions permettant de beaucoup mieux lutter contre une telle érosion. Mais, surtout, nous avons progressé au niveau international de manière assez incroyable : en l’espace de deux ans, nous avons pu adopter, grâce au travail de l’OCDE, des dispositions qui obligent tous les États de l’OCDE, mais également du monde, à faire en sorte qu’il n’y ait, entre administrations fiscales, aucun secret sur ce que paient les entreprises dans chacun des pays.
C’est ce qui permet à l’administration fiscale de voir que telle entreprise, même si elle est perdue dans les nuages – je veux dire dans les clouds (Sourires) –, peut ne pas payer beaucoup d’impôt dans tel pays où elle a implanté sa filiale. Cette entreprise ne payant quasiment pas d’impôt dans ce pays, nous retrouvons notre droit à l’imposer sur notre propre territoire.
Je ne prends aucun exemple, mais les sommes parfois citées dans la presse, que je ne peux en rien ni confirmer ni infirmer, montrent qu’il ne s’agit ni de petits sujets, ni de petits enjeux. Si, depuis quatre ans, nous avons réussi à augmenter de 6 milliards d’euros les paiements de plusieurs entreprises, ce n’est pas par hasard, surtout quand on sait que ce sont principalement cinq entreprises qui sont à l’origine de ces redressements et de ces paiements.
Par ailleurs, vous avez adopté en décembre dernier, comme vous y avez fait allusion, et j’étais là, dans la loi de finances pour cette année, une disposition qui est la traduction de ce que l’on appelle l’accord anti-BEPS – Base erosion and profit shifting –, c’est-à-dire contre l’érosion fiscale. Nous étions en avance, et tous les pays ne l’ont pas encore fait.
À l’époque, nous avons déjà eu un débat sur la question non pas de la transparence entre administrations fiscales, puisque cela est fait, mais de la publicité, afin de savoir si les citoyens, par le biais des organisations non gouvernementales, auraient la capacité de contrôler par eux-mêmes, ce qui en soi n’est pas scandaleux, bien au contraire, puisque cela fait aussi partie des pouvoirs des citoyens et des devoirs éventuels des organisations qui animent ce débat.
À l’époque, pour répondre à Mme de la Raudière, j’avais dit que je ne pouvais pas accepter cette publicité, si nous étions seuls à l’imposer. L’efficacité dans ce domaine, c’est de ne pas être seuls. Si un seul pays lutte contre la fraude internationale, elle continue au détriment de ce pays. Pour être efficaces, il faut travailler le plus largement possible. C’est le cas entre administrations fiscales pour tous les pays du monde. Nous avons fait en sorte que nous puissions avoir la même réglementation au niveau européen, pour mieux lutter contre la fraude, mais surtout pour informer nos concitoyens des situations de ces entreprises.
Depuis décembre dernier, la Commission européenne a présenté un projet de directive, qui est exceptionnelle et qui va très loin, sur laquelle nous sommes en train de travailler à vingt-huit – j’espère que nous resterons vingt-huit… –, pour faire en sorte qu’elle soit adoptée d’ici à la fin de l’année et puisse devenir une réalité pour tous les pays membres de l’Union européenne.
Aujourd’hui, que nous proposez-vous ? Je dis bien « vous », car, comme l’a rappelé le rapporteur, cette disposition n’était pas dans le texte initial du Gouvernement. Cette création de la commission est bienvenue, parce qu’elle a comme objectif de transcrire dans le droit français les éléments qui sont actuellement dans la directive, en faisant en sorte que ce droit ne s’applique en France qu’au moment même où la directive s’appliquera. Cela est un gage d’efficacité, laquelle constitue la première de nos préoccupations, mais aussi de constitutionnalité.
Nous aurons certainement des débats constitutionnels. J’espère qu’ils ne seront pas trop longs, car je sais qu’ils peuvent être sans fin. Je voudrais vraiment que chacun ait bien en tête que cette disposition, adoptée en décembre dernier, qui n’était pas publique, a été considérée comme recevable par le Conseil constitutionnel précisément parce qu’elle n’était pas publique.