Intervention de Louis-Georges Tin

Réunion du 1er juin 2016 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi Égalité et citoyenneté

Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires, CRAN :

« Malheur aux longues dissertations », disait Voltaire, et puisque je dispose de peu de temps, je formulerai sept propositions. Je n'évoquerai pas uniquement le CRAN, même si nous avons beaucoup travaillé sur les discriminations et si nous sommes à l'origine de la campagne sur les actions de groupe, soutenue par votre rapporteur général Razzy Hammadi, que je remercie. Je ne m'exprimerai pas seulement au sujet des populations noires, même s'il faut reconnaître qu'elles sont à la fois visibles et invisibles puisque la Décennie internationale des descendances africaines, proclamée par l'Organisation des Nations unies (ONU) et ratifiée par la France, n'est jamais évoquée. Je déplore que la question des Noirs ne soit pas prise en compte de façon particulière dans le rapport de la CNCDH, alors qu'une partie importante de ce rapport est consacrée à l'islamophobie – ce qui est nouveau et dont je la remercie – ainsi qu'à l'antisémitisme et au racisme dont souffrent les Roms. Il n'empêche que la question de la négrophobie n'apparaît jamais alors même que, sur le plan international, la France se flatte de soutenir des textes de cette nature.

La vérité est que 100 % des Français sont susceptibles de faire l'objet de discrimination. Tout un chacun peut être stigmatisé au titre de ses convictions politiques, de son genre, de ses origines, de son âge – chacun a été jeune et chacun sera vieux, et l'on peut être entre deux âges, mais déjà trop vieux pour quelque chose ou pas assez jeune pour une autre. Ainsi la discrimination ne concerne-t-elle pas les seules minorités, mais bien l'ensemble de la population.

Ma première proposition concerne la police. Vous avez peut-être à l'esprit le rapport de l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), qui démontre à quel point les minorités visibles sont surreprésentées parmi les personnes tuées dans un contexte policier. Ces personnes sont sept à huit fois plus présentes au sein de cette mortalité que le reste de la population ; ces chiffres sont strictement corrélés avec ceux du contrôle au faciès.

Selon nous, la solution consisterait à établir une parité entre la police et la société civile au sein des instances de contrôle de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui ne nous apparaît pas comme une autorité indépendante. Il s'agit de restaurer la transparence et la confiance nécessaire – car on parle beaucoup, ces jours-ci, de violences policières – entre la police et la société.

Je suggère aussi de réfléchir à la réforme du système de points en vigueur dans la police, dont se plaignent les syndicats eux-mêmes. Le barème est ainsi défini qu'il pousse les policiers à cibler la petite délinquance, c'est-à-dire les petites gens et donc bien souvent les minorités visibles, et à ne pas se focaliser sur les grosses infractions ou la délinquance en col blanc. Il suffirait de réviser le barème pour que les policiers ne soient plus tentés de viser un certain type de population, celle des jeunes stationnant au pied des immeubles et dans la poche desquels ils savent trouver 20 grammes de cannabis – ce qui leur donnera quatre points acquis en dix minutes. Enquêter sur d'autres types de délits infiniment plus violents pour la société demande plus de temps et d'investigations ; on va donc au plus simple pour avoir les primes de fin d'année. Voilà pourquoi il y a un profilage ethnique même par des policiers qui, dans leur majorité, ne sont pas racistes ; quand ils le sont, évidemment, les choses s'aggravent. Une réforme est cruciale.

Ma troisième proposition a trait à la musique. Je suggère d'instaurer un quota de 10 % de diffusion de musiques et de chansons en langues régionales – en créole, en breton, en alsacien… Des pans entiers du patrimoine culturel français, ignorés, passent à la trappe alors que les musiques et les musiciens diffusés sont toujours les mêmes. La diversité culturelle est la culture elle-même : il n'y a pas de culture dans l'uniformité. Or, nous promouvons une culture française rétrécie et rabougrie. Ce n'est pas ma vision dans un pays qui ne se limite pas à quelques arrondissements parisiens.

Il serait opportun d'ouvrir aux étrangers les nombreux emplois qui leur sont fermés sans raison. Si l'impératif de sécurité impose parfois de réserver certains emplois à des Français, dans de nombreux autres cas aucune raison objective ne le justifie, sauf à admettre une préférence nationale qui ne me semble pas être défendue ici.

Je propose encore de créer un observatoire de la négrophobie sur le modèle des observatoires de l'islamophobie et de l'antisémitisme, qui ont fait mieux comprendre ces phénomènes. La compréhension, la connaissance et la reconnaissance de la négrophobie font défaut. Il y a pourtant des évidences : la traite négrière concernait une population particulière, celle que visent aussi les insultes et comparaisons simiesques que subissent tous les jours non seulement Mme Christiane Taubira mais tant d'autres Français avec elle, dans les stades et dans les cours de récréation. Seuls ceux qui n'ont jamais étudié la question ignorent ces spécificités.

Je suggère aussi que l'on revoie la péréquation territoriale. Actuellement, 5 % des collectivités territoriales représentent 80 % des bases de ce qui a remplacé la taxe professionnelle. On croit souvent que les quartiers pauvres, bénéficiant de politiques sociales et d'aides, sont « assistés ». En réalité, on paye dans ces quartiers plus d'impôts, notamment indirects, que l'on ne reçoit des services publics. Des calculs concernant quelques banlieues emblématiques permettraient de vérifier que leurs habitants ne sont pas des assistés mais, en quelque sorte, des exploités. Une nouvelle péréquation permettrait de leur rendre justice, qu'ils habitent des zones rurales, urbaines ou péri-urbaines. Je ne sais si cette proposition entre dans le champ de ce texte mais elle relève incontestablement de la puissance publique. La péréquation doit viser au minimum à ce que les gens reçoivent autant que ce qu'ils payent ; la vérité est que l'on donne moins aux plus pauvres et plus aux plus riches, si bien que les pauvres n'en finissent pas de s'appauvrir et que les riches de s'enrichir. Le mécanisme de péréquation n'a pas été révisé depuis fort longtemps ; cela a conduit à des abus. Il faudrait le réformer.

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