Intervention de Martine Martinel

Séance en hémicycle du 13 juin 2016 à 16h00
Conditions d'octroi de l'autorisation d'émettre de la chaîne numéro 23 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Martinel :

Monsieur le président, mes chers collègues, le 18 octobre 2011, le CSA, présidé par Michel Boyon, lançait un appel à candidatures pour attribuer sur la TNT gratuite six nouveaux canaux susceptibles d’enrichir le paysage audiovisuel par leur apport thématique. Il devait s’agir de chaînes qualitatives dites de complément. La chaîne Numéro 23 visait la promotion de la diversité : TVous La Télédiversité était d’ailleurs sa marque initiale. Les ambitions affichées devaient combler l’absence des diversités de tous ordres sur les chaînes historiques.

En 2012, dans un rapport sur les avances à l’audiovisuel public, j’avais noté que, si la diversité des origines, la diversité sociale, celle relative à l’orientation sexuelle ou le handicap n’étaient pas assez présents dans le paysage audiovisuel, on pouvait avoir des doutes sur l’opportunité d’une chaîne fondée uniquement sur les diversités avec pour cible un public qui en était issu. Cette offre, à l’heure où nous évoquons tous le vivre ensemble, me semblait et me semble toujours relever du ghetto caricatural.

Dès 2012, la presse s’était largement fait l’écho du cas particulier de Numéro 23, chaîne attribuée à une personne physique, ayant en tout et pour tout réuni 11 000 euros de capital de départ, qui avait immédiatement cherché et opportunément trouvé à revendre le canal qui venait de lui être attribué, pour la modique somme de 88,3 millions d’euros.

Ainsi que je l’avais dénoncé dans mon rapport, tout comme les principales sociétés d’auteurs et de producteurs, la convention de Numéro 23 prévoyait en toutes lettres sa revente, après seulement deux ans et demi d’exploitation du canal.

Lorsque l’on observe la grille des programmes de Numéro 23, on mesure que la chaîne a surtout recyclé des programmes obsolètes et de piètre qualité achetés aux chaînes historiques, des sous-programmes américains, souvent mal traduits, des émissions de téléréalité, comme « Ink Master » sur le tatouage, quelques documentaires sur des phénomènes surnaturels et une seule émission de flux, « Rocking Chair ».

En outre, un pacte d’actionnaires a été scellé de façon assez opaque avec un oligarque russe – en contradiction totale avec la loi de 1986, qui limite à 20 % les participations extracommunautaires – quelques sociétés du CAC 40 et l’ex-émir du Qatar. Ces opérations se sont déroulées, sans que ni le régulateur, ni la représentation nationale n’en soient informés, d’octobre 2013 à avril 2016.

Fort de toutes ces raisons, le CSA, désormais présidé par Olivier Schrameck, a décidé en octobre 2015 d’abroger l’autorisation de diffusion de Numéro 23, tant il y avait eu de modifications depuis la première autorisation d’émettre, de l’entrée de M. Ousmanov au capital de la chaîne à la revente de Numéro 23 à SFR en passant par le pacte d’actionnaires signé le 21 octobre et dissimulé durant dix-huit mois au CSA. Ce dernier a également souligné que la valorisation financière de Numéro 23 était tout à fait hors de propos et qu’elle ne reposait effectivement que sur la valeur de l’autorisation qui lui avait été donnée quelques mois plus tôt.

Toujours est-il que le CSA a considéré qu’une telle démarche était constitutive d’un abus de droit entaché de fraude, en contradiction avec la finalité poursuivie par le législateur. En effet, le principe de gratuité d’occupation du domaine public hertzien audiovisuel, dont la protection constitue un impératif constitutionnel, répond au principe fondamental de pluralisme garanti par la loi du 30 septembre 1986 et il ne vise pas à asseoir la valeur financière de la personne morale titulaire de la fréquence.

Alors que la rapporteure publique du Conseil d’État reprenait en toute logique l’essentiel de cette argumentation, le Conseil d’État, estimant que la fraude n’était pas démontrée, n’a pas suivi cet avis et a ainsi permis à Numéro 23, chaîne de très faible audience, de continuer à émettre et d’être revendue comme prévu à SFR, à peine une semaine plus tard.

Bien entendu, il ne s’agit pas, pour la représentation nationale, de se faire juge de la plus haute juridiction administrative. Mais le Conseil d’État, aussi inattendue que soit sa décision, n’a jamais dit qu’il n’y avait pas fraude, mais seulement qu’il était dans l’incapacité de la démontrer, cet impératif incombant au CSA. Or, lors de sa récente audition par la commission des affaires culturelles, présidée par Patrick Bloche, le président du CSA a déclaré que son conseil n’avait pas davantage de moyens d’investigation.

C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, il s’impose de voter la création de cette commission d’enquête, non pas pour nous livrer à des attaques personnelles inconvenantes, mais simplement pour nous éclairer sur les mécanismes qui ont permis la revente éclair de cette chaîne et, par esprit d’éthique, parce qu’il est inadmissible de spéculer ainsi sur l’argent public, pour éviter que cela ne se reproduise impunément.

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