Vous avez relevé, M. Lesterlin, que trois députés ultramarins siégeaient au sein de cette Commission : ce n'est déjà pas si mal. En outre, les travaux de la Commission sont, à ma connaissance, ouverts à tous les députés.
La mise en oeuvre du concept de développement endogène, je le confirme, s'est traduite par un réel désengagement budgétaire de l'État. Certes, le ministère de l'Outre-mer a contribué, comme tous les autres, à l'effort de redressement national. Cependant, ce qui lui a été demandé a excédé – j'y insiste – sa capacité contributive. Lorsque Christian Paul a quitté le ministère en 2000, son budget s'élevait à environ 2 milliards d'euros, hors dépenses fiscales. En 2012, ce même budget s'élève à 1,9 milliard d'euros. Je vous invite à faire le calcul en tenant compte de l'inflation…
En 2009, le budget de l'outre-mer a certes connu un « sursaut », avec 2,5 milliards d'euros, à la suite des accords conclus après les grands mouvements sociaux. Il a toutefois été amputé de 500 millions d'euros l'année suivante. D'où l'engagement du Président de la République de débloquer 500 millions d'euros pour les outre-mer dans les cinq ans qui viennent. Cependant, la question de la périodisation de cet engagement se pose. C'est l'objet des arbitrages budgétaires, qui ne sont pas simples. De plus, faut-il inscrire ces crédits dans la mission budgétaire « Outre-mer » ou les ventiler dans les 37 autres ministères ? Cette dernière solution reviendrait pour nous à perdre l'autonomie de gestion récemment acquise, avec la création d'un ministère de plein exercice.
Le désengagement n'a pas été seulement financier. Certains propos ne tenant pas compte de l'histoire, des sensibilités et de la sociologie des territoires ultramarins ont profondément blessé ces derniers, laissant l'impression que le développement endogène signifiait en réalité une mise à l'écart. Engagement est pris de rechercher désormais la cohésion et l'unité, en respectant les identités ouvertes et plurielles.
Je confirme également que les monopoles sont bien présents et actifs. Nous avons, hélas, un défaut d'information statistique en matière économique et sociale. Les présidents de collectivités et l'État lui-même agissent « au radar ». Nous ne savons pas, par exemple, décomposer les mécanismes de formation des prix. M. Richard Crestor, en Martinique, vient de publier un ouvrage remarquable à ce sujet.
Quelles initiatives pouvons-nous prendre ?
Il faut tout d'abord changer l'environnement économique, même si tout ne viendra pas de l'État : dans une économie libre, il ne faut pas étouffer les initiatives individuelles, mais les susciter ou les accompagner. Cela peut être fait par des partenariats au niveau local. Les expériences peuvent ensuite être généralisées.
Nous devons également modifier le code de commerce et renforcer considérablement les pouvoirs de l'autorité de la concurrence, en la dotant du pouvoir d'injonction structurelle, même si certains parlementaires craignent, je le sais, une extension de cette prérogative à l'ensemble du territoire national. Je commence à subir des pressions de lobbys et on me qualifie de « bolchevik », ce qui tend à démontrer que mon action est efficace.
Il faut introduire la possibilité d'actions de groupe, en l'adaptant au cadre insulaire. Il convient d'interdire les exclusivités et les agences de marques. Il est souhaitable d'abaisser le seuil de notification des opérations de concentration, probablement de 7,5 à 5 millions d'euros de chiffre d'affaires. Le seuil actuel est très élevé pour les territoires ultramarins et laisse trop de marge de manoeuvre aux monopoles. Il reviendra au Parlement de fixer le nouveau seuil.
Nous devons instaurer le double étiquetage, de manière à pouvoir comparer le prix du produit en métropole et dans les territoires ultramarins. Dans un document de travail du Sénat, on peut lire que des sandales chinoises achetées 20 centimes sont revendues 20 euros à La Réunion. C'est le consommateur qui est floué. Il convient d'élucider et de faire connaître ces cas.
Nous devons créer – par la loi, le règlement ou l'initiative individuelle – un véritable contre-pouvoir des consommateurs dans les territoires ultramarins. Les organisations de consommateurs doivent y jouer pleinement leur rôle, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Nous pouvons conclure des accords avec la télévision publique, pour qu'elle informe, en toute transparence et de manière pédagogique, les consommateurs.
J'ai rencontré toutes les grandes organisations de consommateurs de la métropole. Elles ont donné leur accord pour faire bénéficier les territoires ultramarins de leur expertise, conduire des enquêtes et publier les prix. La confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV) le fait déjà pour les tarifs bancaires. À ce propos, nous avions imposé, dans la loi, la publication annuelle d'un rapport sur les tarifs bancaires. Le précédent secrétaire d'État chargé du commerce, M. Frédéric Lefebvre, devait faire publier le premier rapport, qui n'est pourtant toujours pas sorti. Pour permettre les comparaisons de prix, nous devons aller plus loin.
La concurrence doit être libre et non faussée ; elle doit jouer davantage, sous le contrôle d'une autorité indépendante. Des enquêtes de l'autorité de la concurrence sont actuellement en cours sur le prix des pièces détachées automobiles ou sur le fret maritime. Elles pourraient révéler des faits scandaleux. Il faut aller au-delà des amendes infligées et doter l'autorité de la concurrence, je le répète, du pouvoir d'injonction structurelle.
Dans le secteur du Robert en Martinique, un groupe avait concentré dans la zone de chalandise un pouvoir exorbitant. L'autorité de la concurrence a imposé une séparation de certaines de ses activités. Reste à déterminer si cette décision respecte le droit de propriété, qui a valeur constitutionnelle. Il semble cependant qu'elle soit conforme à une jurisprudence bien établie.
Nous ferons tout, en outre, pour accompagner les créations d'entreprises, l'économie sociale et solidaire, les regroupements et les coopératives. La coopérative Fibres à La Réunion a enregistré des résultats intéressants. En métropole, des artisans se sont regroupés dans des centrales d'achat pour résister aux grands groupes. Dans les territoires ultramarins, nous avons vu arriver de grands groupes européens et métropolitains qui ont cassé les prix, avant de pratiquer des prix de monopole. C'est une technique connue.
La communication qui sera faite le 25 juillet en conseil des ministres reviendra sur tous ces sujets.
Les attentes sont fortes, j'en suis conscient. On nous demande de bloquer les prix immédiatement. Nous sommes en train de préparer un arrêté à ce sujet. Cependant, je ne l'ai pas encore contresigné, car je suis défavorable à une modification des prix sur une base mensuelle.
Dans le secteur des carburants, nous allons remettre à plat le décret du 8 novembre 2010, qui n'est pas bon car il recèle des zones d'ombre.
Comment les préfets peuvent-ils agréer, en décembre, les budgets prévisionnels pour l'année 2012 ? Mon prédécesseur n'a pas validé le processus pour 2012 et m'a laissé une petite bombe.
Quels sont les éléments qui figurent dans ces budgets prévisionnels ? C'est tout d'abord le cas du « trading », à savoir des prix de transfert ou des prix de cession interne, pratiqués par une société filiale ou amie, que l'on refuse de vous communiquer en invoquant le secret commercial. C'est également le cas de la quote-part d'amortissement, qui est facturée ex ante au lieu de l'être ex post.
Enfin, le prix « spot » du baril de brent est répercuté, d'après le décret du 8 novembre 2010, dès le mois suivant. En d'autres termes, les prix de court terme impactent immédiatement le prix à la vente, alors que les achats de stocks se font dans le cadre de contrats à long terme ; on ne tient pas compte du termaillage.
Pourquoi ne pourrait-on tenir compte du fait que les pétroliers ont financé leurs investissements grâce à des mesures de défiscalisation ? De même, l'augmentation de la taxe sur les stock pétroliers ne sera pas étendue aux outre-mer ; j'ai attiré l'attention des pétroliers, pour leur demander de baisser leurs prix à proportion de ce qu'ils n'auront pas à acquitter : ils s'y refusent. Les normes européennes imposent le raffinage sur place du produit brut importé, si bien que, depuis les accords de Londres – et de Singapour pour La Réunion –, l'ensemble de la chaîne, jusqu'à la distribution, s'apparente à un contrat d'intégration au profit d'un seul et même groupe, qui assure aussi bien le « trading » que le transport, le raffinage, le stockage et la distribution, Total possédant la moitié des stations-service guadeloupéennes. Bref, on ne contrôle donc rien. Résultat : les profits explosent dans ce secteur dit « administré » et qui bénéficie de financements publics.
Après le blocage des prix de l'essence en novembre 2008, il était prévu que l'État verse 176 millions d'euros aux pétroliers ; mais la commission des Finances, à l'époque, avait eu le plus grand mal à connaître le montant des sommes effectivement déboursées. À l'heure où je vous parle, la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) et la Société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) menacent l'État d'un contentieux, arguant que c'est le budget de 2011 qui doit servir de référence, ce que je conteste. Je ferai donc mon possible avec Bercy pour remettre les choses à plat.
À Mayotte, où le secteur du gaz est monopolisé par Somagaz et Total, le prix de la bouteille atteint 37 euros, même si, compte tenu des aides régionales, il avoisine plutôt les 22 ou 23 euros. Lorsque j'ai signé un arrêté avec le ministre de l'Économie et des finances, j'ai demandé au président de Total si le fait de ramener ce prix à 22 euros poserait un problème de rentabilité ; il ne m'a pas fait de réponse claire. On a par ailleurs pu lire dans la presse que cet arrêté fixerait le prix à 28 euros, ce qui est faux. Bref, ces prix de monopole sont très élevés. J'étais personnellement favorable à la trimestrialisation, pour permettre un lissage ; mais je ne veux pas entrer dans des considérations techniques.
S'agissant des évolutions institutionnelles, les trente engagements de la campagne présidentielle seront scrupuleusement déclinés.
Quant à la Nouvelle-Calédonie, M. Dosière, l'État, qui avait pu donner l'impression de prendre parti, doit être actif tout en restant neutre, et s'en tenir au strict respect de l'accord de Nouméa. Ma rencontre avec les acteurs concernés, tous bords confondus, s'est déroulée dans un excellent climat ; l'enjeu, de fait, était d'éviter toute crispation supplémentaire entre les loyalistes et les kanaks. Le président du Congrès, M. Rock Wamytan, s'est déclaré favorable à l'ouverture de nouvelles négociations sur le drapeau commun. Je suis favorable à l'ouverture de ces négociations. D'ailleurs, les deux députés de Nouvelle-Calédonie, M. Gomes et Mme Lagarde, n'ont jamais demandé, je le rappelle, l'abandon du drapeau kanak. Un nouveau modèle de « vivre-ensemble » émerge au sein de la société néo-calédonienne ; aussi, je crois et j'espère que cette question donnera lieu à des débats pacifiques, respectueux de l'identité de chacun.
Certes, les uns interprètent l'accord de Nouméa dans un sens autonomiste, avec le transfert de pouvoirs qui sont aussi régaliens, quand d'autres l'inscrivent dans un processus de décolonisation devant conduire à une souveraineté pleine et entière. Il faudra tenter d'accorder ces deux visions, afin de répondre au mieux aux aspirations de chacun ; c'est précisément l'objectif de la mission de réflexion sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Un comité des signataires sera convoqué après l'élection du Congrès, sans doute fin novembre ou début décembre ; d'ici à cette échéance, j'espère que l'on aura trouvé les conditions d'un accord fructueux.
S'agissant de l'immigration clandestine à Mayotte, 16 374 personnes ont été reconduites en 2011, soit une diminution de 20 % par rapport à 2010. Cette évolution tient à deux facteurs techniques : la fermeture des frontières comoriennes en mars 2011 et le mouvement social dans le transport maritime. Le nombre de « kwassas kwassas » est d'ailleurs passé de 342 en 2010 à 449 en 2011, ce qui tend à prouver à l'inverse que la pression migratoire augmente. L'État, qui fournit déjà un effort considérable, doit-il faire plus ? Nous restons attentifs à l'ajustement des moyens, mais il faut manifestement revoir les analyses du groupe de travail de haut niveau. Après le référendum sur la départementalisation, les autorités comoriennes se sont raidies, engageant une offensive diplomatique sur la scène internationale. Le Président Ikililou Dhoinine semble ouvert à la discussion, mais il faudra sans doute revoir à la hausse nos engagements financiers, relancer nos efforts diplomatiques et inciter l'opinion mahoraise à dépasser ses craintes pour engager le dialogue avec les Comoriens. Le Président de la République a d'ailleurs accepté un ajustement des futures dispositions relatives au droit de vote des étrangers à la Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin. Pour ce qui concerne enfin l'état-civil, le problème est pour ainsi dire réglé, même s'il reste environ 3 000 dossiers à traiter – les autres feront l'objet de régularisations via des procédures de droit commun.
La société mahoraise doit s'adapter à un processus culturel, politique, administratif et juridique ; c'est presque un choc de civilisation pour elle. Nous devons en tenir compte en respectant le fonds de la culture mahoraise et en tirant les leçons de soixante ans de départementalisation. Quoi qu'il en soit, l'État alloue 80 millions d'euros pour le contrôle aux frontières, contre à peine 8 millions, non utilisés, pour la coopération régionale. Nous aurons à revoir cette répartition avec M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, et son ministre délégué, M. Pascal Canfin, qui s'est récemment entretenu au téléphone avec M. Ikililou Dhoinine.
Sur les évolutions institutionnelles, M. Vlody, nous écouterons scrupuleusement les élus, dans le respect de la subsidiarité. Il faudra se prononcer sur le mode de scrutin autant que sur le choix entre assemblée unique, collectivité unique ou régime défini par l'article 74 de la Constitution. Quant à l'organisation communale, je me suis rendu à Saint-Louis, où j'ai pu constater qu'il existait une forte aspiration populaire. Un référendum local a même été organisé. La création de cette nouvelle commune, nommée La Rivière, ne correspond pas forcément à l'air du temps car elle suppose des dépenses supplémentaires, mais nous verrons, dans un cadre interministériel, dans quelle mesure nous pouvons la prendre en compte, et peut-être la satisfaire.
Sur la continuité numérique, je rencontrerai M. Stéphane Richard, président-directeur de France-Télécom, la semaine prochaine, après avoir déjà reçu tous les autres opérateurs. Je le ferai de nouveau avec la ministre déléguée chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique, Fleur Pellerin, et des représentants du ministère de l'Économie. Pour paraphraser les rappeurs, « nous ne lâcherons pas l'affaire ! » (Sourires.)
J'ai aussi reçu longuement les représentants du monde agricole. Comme vous le savez, le vote d'une loi d'orientation et de modernisation agricole pour l'outre-mer est l'un des soixante engagements du Président de la République. Toutes les réformes du même genre, depuis la loi « Pisani », ont eu pour but de transposer le modèle de développement agricole métropolitain à nos régions sans hiver, à travers des mesures telles que la création d'exploitations familiales à deux unités de travail humain (UTH), ce qui est surréaliste pour de si petites parcelles. Il nous faudra aussi traiter l'épineux dossier des retraites, afin d'assurer un niveau de pensions correct. Le ministre de l'Agriculture, M. Stéphane Le Foll, a été saisi de ce dossier.