Intervention de Olivier Roussat

Réunion du 7 juin 2016 à 16h15
Commission des affaires économiques

Olivier Roussat, président-directeur général de Bouygues Telecom :

Vous avez été nombreux à demander des précisions sur les négociations de ce début d'année. Permettez-moi d'abord d'indiquer, Madame Marie-Lou Marcel, que Bouygues Telecom n'est pas en vente depuis deux ans. L'entreprise n'était pas en vente, en 2015, lorsque M. Patrick Drahi a fait une offre au groupe Bouygues de près de 10 milliards d'euros pour acheter sa filiale. Martin Bouygues avait clairement affirmé sur RTL qu'une entreprise n'était pas une marchandise comme les autres, que tout n'était pas à vendre, et que, de façon très concrète, nous n'étions pas à vendre.

Par ailleurs, et cela fera peut-être un lien diffus avec la question qui m'a été posée sur la loi « Travail », nous ne sommes pas tout à fait une entreprise comme les autres pour ce qui concerne les rapports avec nos partenaires sociaux : nous sommes une entreprise dans laquelle 82 % des salariés ont voté pour élire leurs représentants du personnel. Lorsque je discute avec les partenaires sociaux de l'entreprise, j'ai vraiment en face de moi des gens qui représentent l'ensemble des salariés de l'entreprise.

Nous pratiquons véritablement le dialogue social : il est utile et efficace, il permet d'avancer rapidement. Il nous a permis de traverser les difficultés que nous avons connues pendant de nombreuses années. Chaque fois que nous avons eu besoin d'agir, nous avons toujours discuté avec nos partenaires en faisant preuve de beaucoup de transparence. Nous avons présenté les choses comme elles étaient, ainsi que nos idées pour rétablir la situation. Nous avons ainsi pu prendre, avec les partenaires sociaux, l'ensemble des mesures qui ont permis de redresser l'entreprise. Le dialogue social est chez nous permanent et réel. Je ne sais pas si vous trouverez beaucoup d'entreprises de plusieurs milliers de personnes dans laquelle 82 % des salariés votent aux élections professionnelles. Ce dialogue existe depuis de très nombreuses années. Vous ne faites pas la restructuration que nous avons faite en 2014, dans les conditions dans lesquelles nous l'avons faite, sans le soutien des partenaires sociaux. En 2014, ils ont, par exemple, décidé de réduire la durée maximale prévue par la loi pour la mise en place du plan de départs volontaires, parce qu'ils souhaitaient que nous allions vite.

Les résultats que nous avons présentés à l'issue du premier trimestre 2016 ont permis à l'ensemble de nos collaborateurs de se dire que l'entreprise était sortie d'une période difficile. En février 2016, nous sommes revenus au chiffre d'affaires du secteur mobile qui était le nôtre en 2010. Il y avait eu une baisse jusqu'en 2013, suivie d'une remontée progressive grâce à la 4G, qui nous avait permis de retrouver notre situation antérieure, avant qu'une nouvelle baisse se produise. Nous sommes une jeune entreprise, et beaucoup de nos collaborateurs actuels étaient déjà présents à nos débuts. Ils ne travaillent pas dans « une » entreprise, mais dans « leur » entreprise ; l'entreprise qu'ils ont fabriquée, qu'ils ont créée. Nous avons tout créé : lorsque je suis arrivé, il n'y avait rien. À l'époque, nous étions deux cents collaborateurs chez Bouygues Telecom, où j'ai démarré avec une équipe de six personnes. Il y a beaucoup de gens qui, comme moi, ont passé vingt ans chez Bouygues Telecom. L'attachement au groupe est donc énorme.

Lorsque nous discutions avec Orange au premier trimestre, les salariés se rassuraient en pensant que les valeurs sociales d'Orange étaient voisines des nôtres, mais le déchirement n'en était pas moins extrêmement fort, parce qu'il s'agissait de « leur » entreprise et que celle-ci allait disparaître. Aujourd'hui, l'ensemble de nos salariés est rassuré que la stratégie conçue en 2014 porte ses fruits, et qu'elle nous permette de sortir l'entreprise de l'ornière.

Les discussions du début d'année ne visaient pas à « vendre » Bouygues Telecom. Le groupe Bouygues, qui souhaite rester dans les télécoms, comme il l'avait annoncé à la fin de l'année 2015, devenait actionnaire de référence d'Orange. Les choses ne se sont pas faites. Martin Bouygues explique clairement dans Le Figaro du 3 avril dernier que la consolidation du marché français ne peut se faire qu'à quatre acteurs. En raison de l'application des règles relatives à la concurrence, il n'est pas possible qu'un seul opérateur en achète un autre : tous doivent participer. Lorsque nous avons affirmé que la situation à quatre opérateurs était durable, nous voulions non seulement dire que les discussions ne pouvaient pas avoir lieu à trois, mais aussi que la situation était soutenable : notre état de santé retrouvé nous permettait de faire face à nos engagements. De mémoire, Martin Bouygues considérait dans Le Figaro que certains avaient eu un comportement puéril et l'avaient cru acculé. Bien évidemment, nous ne pouvions pas commencer une négociation avec l'obligation d'aboutir car, dans ces conditions, nous aurions pu être poussés à accepter des conditions qui n'auraient pas été dans l'intérêt du groupe. Les choses ne se sont pas faites parce que l'un des quatre acteurs présentait des demandes impossibles à satisfaire. Nous sommes maintenant dans une stratégie à quatre, et l'entreprise est suffisamment restructurée pour faire face aux enjeux et à son avenir.

Le nerf de la guerre dans les télécoms n'est pas l'évolution du chiffre d'affaires ou du résultat ; il tient à l'excèdent brut d'exploitation, l'EBITDA, soit le chiffre d'affaires moins les dépenses courantes, car cet argent permet d'investir. Si l'EBITDA devient trop faible, vous ne pouvez plus investir, ce qui signifie, dans un marché aussi capitalistique que les télécoms, que vous mourez. Nous devons donc redresser l'excédent brut d'exploitation afin qu'il couvre nos investissements et nos impôts. C'est à cette seule condition que nous sommes une entreprise viable sur la durée. C'est pourquoi nous avons pris autant de mesures de restructuration pour redresser l'EBITDA de Bouygues Telecom, et le ramener au niveau qui était le sien avant l'arrivée du quatrième opérateur. Nous dégageons désormais les marges suffisantes pour investir lourdement dans le mobile.

Nous considérons que la fibre optique n'est probablement pas un alpha et un oméga, car il faudrait des années pour mettre en place cette solution, qui est aussi infiniment plus coûteuse que la pose de pylônes dans les communes. Il est illusoire d'imaginer que l'on amènera la fibre optique dans les nombreuses communes qui ont mis en place des programmes zones blanches. Heureusement il y a d'autres solutions : nous étions favorables à ce qui nous a été demandé sur la couverture en 800 MHz afin d'apporter la 4G dans les zones rurales – nous trouvions en revanche qu'il était inutile d'ajouter une condition relative à la fréquence 700 MHz sachant que les deux fréquences ne peuvent pas être utilisées ensemble. Notre argent aurait été plus utile pour apporter la 4G où elle n'existe pas – cela dit ce n'est pas la première fois que l'on nous demande de mettre en place des infrastructures multiples qui n'ont aucun intérêt.

Si nous avions réalisé le rapprochement avec Orange, l'Autorité de la concurrence aurait été compétente pour se prononcer parce que la fusion concernait deux groupes dont plus des deux tiers du chiffre d'affaires global étaient réalisés en France – s'agissant d'Orange, qui venait de vendre sa filiale en Angleterre, cette situation était ponctuelle. Si nous n'avions pas eu la possibilité d'être soumis à l'aval de l'autorité française, nous n'aurions même pas discuté, car nous avions la certitude que la doctrine actuelle de la Commission européenne aurait abouti à un refus, comme cela a été le cas pour la Grande-Bretagne ou le Danemark. Actuellement, la Commission ne souhaite pas qu'il y ait de réduction du nombre des opérateurs – elle accepte la fusion qui se déroule en ce moment en Italie sous réserve qu'un autre opérateur émerge. Aujourd'hui, dans l'état d'esprit qui est celui de la Commission, les consolidations ne peuvent pas se faire, ou, plutôt, elles peuvent se faire, à condition que le nombre d'acteurs soit préservé, ce qui annule le gain économique que l'on en attend – d'où le fait qu'il n'y en ait pas. Cette donnée n'est pas neutre pour comprendre l'évolution du paysage global européen.

Bouygues Telecom est-il en mesure de faire face à tous ses engagements dans un univers aussi technologique que les télécoms ?

Nous avons, d'une part, opéré un partage de réseau mobile avec SFR. Cela nous permet de diviser par deux le coût de la couverture de 58 % de la population française, et de faire disparaître toutes les zones grises. En 2018, partout où il y a aujourd'hui un opérateur, il y en aura forcément trois.

Nous avons d'autre part fait le choix d'une box Android dont le coût de production permet de proposer des offres à 20 euros par mois pour la diffusion d'internet dans les foyers. Lorsque vous souhaitez baisser votre prix de vente, vous devez ramener votre prix de revient à un niveau extrêmement bas ce qui, dans un monde de haute technologie, peut consister à choisir une solution standardisée qui fait baisser drastiquement les coûts de production. Cela nous permet d'afficher des offres à 20 euros, alors que celles de nos concurrents sont à 38 euros.

Les opérateurs sans réseau (MVNO) ont, de fait, disparu après l'arrivée du quatrième opérateur. Il en existe encore deux types. Les opérateurs ethniques sont utilisés par les populations d'origine étrangère qui téléphonent beaucoup en Afrique ou dans les pays du Moyen-Orient, par exemple. On peut citer Lycamobile ou Lebara. Nous sommes l'opérateur qui accueillons le plus de MVNO ethniques. D'autres opérateurs possèdent un réseau de distribution et vendent de la téléphonie comme un produit supplémentaire. C'est le cas de La Poste dont le réseau extrêmement étendu permet de considérer comme marginaux les coûts de commercialisation. De la même façon, le CIC a pu mettre en place une offre de téléphonie qui fonctionne bien dans son réseau d'agences – CIC et Crédit mutuel. Sans réseau de distribution, un MVNO ne serait pas très rentable.

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