Intervention de Yves Fromion

Réunion du 8 juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion, rapporteur :

La Stratégie européenne de sécurité de 2003 présente des avantages qu'il est utile de rappeler avant de présenter les critiques dont elle fait aujourd'hui l'objet. Élaborée par M. Solana, assisté d'un petit groupe de hauts fonctionnaires, elle présente une grande cohérence et les menaces qu'elle identifiait ont conservé leur pertinence jusqu'à aujourd'hui, parmi lesquelles la déliquescence des États, le terrorisme, la cybersécurité, la sécurité énergétique ou le changement climatique.

Elle permet également d'identifier les éléments qui caractérisent la culture de sécurité européenne et les perspectives stratégiques de l'Union :

– le soutien à un multilatéralisme efficace, considéré comme l'une des caractéristiques primordiales de son identité internationale ;

– la notion de souveraineté responsable ;

– la forte attention portée au voisinage de l'Union européenne qui, dans un contexte tendu, apparaît comme un « pôle de sécurité » dont l'élargissement a un impact stabilisateur ;

– l'importance accordée à la prévention et aux causes profondes des menaces sécuritaires. L'Union a conscience du lien entre sécurité et développement ainsi qu'entre les conflits et la fragilité des États tout en soulignant l'importance des implications du changement climatique et de la question de l'exploitation des ressources comme sources de conflit ;

– enfin, la nécessité d'améliorer la cohérence des différents outils de l'Union dans une approche d'ensemble de la sécurité.

Toutefois, cette cohérence de la Stratégie a été mise à mal par le rapport de 2008 qui, à l'inverse du processus d'élaboration de la Stratégie elle-même, a largement impliqué les États-membres dont les préoccupations stratégiques sont divergentes. Si elle présente une liste de défis et de menaces auxquels est et sera confrontée l'Union européenne, elle est fondamentalement dépourvue de toute portée opérationnelle ; d'une part, elle ne hiérarchise pas les intérêts européens entre eux, pas plus que ces derniers par rapport aux intérêts nationaux et, d'autre part, les développements relatifs aux capacités sont particulièrement vagues, laissant croire que l'Union a pris le parti de déléguer aux États membres etou à l'OTAN la responsabilité d'intervenir pour assurer sa sécurité, y compris à l'intérieur de son territoire.

En outre, la Stratégie européenne de sécurité apparaît singulièrement datée. Le rapport de 2008 n'était pas une réelle actualisation, si bien que jusqu'en 2016, le seul document stratégique global dont disposait l'Union européenne datait de 2003. Il n'est guère étonnant que, dans le contexte de la guerre en Irak, elle considère que « la prolifération des armes de destruction massive constitue potentiellement la menace la plus importante pour sa sécurité ».

De même, les défis tenant à la stabilité du système financier international ne sont pas évoqués et le rôle majeur de la Russie pour la stabilité et la sécurité de l'Union, tant à l'intérieur (énergie) que dans son voisinage, est à peine mentionné, comme les défis posés par la Chine. Le défi que posent aujourd'hui les migrations n'est pas évoqué. Enfin, s'agissant des moyens d'action, la stratégie ne tient pas compte des avancées intervenues avec le Traité de Lisbonne, pas plus que du nouveau concept stratégique de l'OTAN adopté en 2010.

Enfin, d'une manière générale, et c'est peut-être le plus grave défaut de la stratégie européenne sécurité de 2003, le lien n'est pas réellement fait entre sécurité intérieure et sécurité extérieure.

Avec le recul, force est de constater que la Stratégie a largement échoué, dans sa mise en oeuvre, à dépasser les divergences d'intérêts entre les États-membres ainsi qu'à donner une cohérence à l'action extérieure de l'Union. En effet, les États-membres ont des intérêts nationaux forts en matière de sécurité, tant à l'intérieur de leur territoire qu'à l'extérieur, et ont poursuivi, sans se sentir tenus par la Stratégie, leur propre politique. Quant aux institutions européennes, premières concernées par la Stratégie, elles ne vont pas toutes dans le même sens en matière de PESC. Les études sont nombreuses qui montrent la lutte d'influence et le manque de coordination, voire la méfiance, entre la Commission, le Secrétariat du Conseil et le SEAE. Sans un leadership au niveau européen, la Stratégie ne pouvait évidemment pas être mise en oeuvre ;

Par conséquent, si l'Europe est parvenue parler d'une seule voix sur les sujets les plus consensuels, notamment sur le commerce et le développement, si les mécanismes de la PESC et ses institutions (à commencer par le SEAE) ont fait prospérer une réelle socialisation diplomatique européenne et une habitude de se concerter, les divisions ressurgissent dès que les enjeux touchent directement aux intérêts de certains États-membres. Après les divisions sur la guerre en Irak, les Européens se sont à nouveau divisés, notamment sur la Géorgie (2008), sur l'opportunité de recourir à la force en Libye (2011), au Mali (2013) et en Syrie (2013), sur le Kosovo (que tous ne reconnaissent toujours pas comme un État) ou sur l'admission de la Palestine à l'UNESCO (2011) puis comme État observateur à l'ONU (2012)…

L'absence de réaction de l'Union, en particulier lors de graves crises internationales, a eu deux conséquences :

– certains États-membres ont fait le choix d'agir seuls, sans l'accord de l'UE et des autres États-membres mais, le cas échéant, avec l'aide de l'OTAN (c'est-à-dire, en pratique, des États-Unis) : c'est le cas notamment de la France en Géorgie (2008) qui a élaboré avec la Russie un plan de paix, contre l'avis de certains États-membres. De même notre pays est-il intervenu en Libye en 2011, avec le Royaume-Uni, puis au Mali en 2013 ;

– deuxièmement, les institutions européennes ont, sans le dire, largement délaissé la Stratégie à laquelle elles ne faisaient plus que de très rares allusions. La Haute Représentante Mme Catherine Ashton, nommée en 2009, privilégiait pour l'Europe une approche par stratégie thématique et géographique qui s'est matérialisée, le temps de son mandat, par la multiplication des documents stratégiques spécifiques qui ne font pas référence à la Stratégie européenne de sécurité, visiblement considérée comme inutile et dépassée. Quant au Conseil européen, il a tout simplement ignoré les questions de Défense jusqu'au sommet des 19 et 20 décembre 2013.

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