Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 8 juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo, rapporteur :

Voilà où nous en étions en 2013. L'Europe avait bien, formellement, une Stratégie mais celle-ci était datée et marginalisée. Sa modernisation, à la lumière des changements intervenus dans l'environnement de sécurité et de l'expérience de sa mise en oeuvre, était unanimement considérée comme nécessaire et urgente. La crédibilité de l'Union sur la scène internationale comme vis-à-vis de ses citoyens, en attente forte de sécurité, impliquait ainsi une stratégie claire et ambitieuse qui ne pouvait plus être celle de 2003

Le Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013 a pris la mesure des enjeux. Il a fait le constat qu'« il n'y a pas de vision commune de long terme sur le futur de la PSDC » et a invité la Haute Représentante « à évaluer, en coopération étroite avec la Commission les conséquences des changements intervenus sur la scène internationale et à rendre compte au Conseil, dans le courant de 2015 et après consultation des États membres, des défis qui attendent l'Union et des possibilités qui s'offriront à elle ». Le processus de révision de la Stratégie européenne de sécurité est alors officiellement lancé.

Malgré l'arrivée d'une nouvelle Commission, l'agenda défini par le Conseil européen précité n'a pas été modifié et, lors du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015, Federica Mogherini a présenté un rapport sur les menaces et défis auxquels l'Union devra faire face. Ce rapport est une analyse fine et franche des évolutions du contexte régional et international, montre un changement radical par rapport à l'analyse faite en 2003.

En effet, à la satisfaction du constat que « l'Europe n'a jamais été aussi prospère, aussi sûre ni aussi libre » s'est substitué celui d'une « Europe entourée par un arc d'instabilité » avec, à l'Est, la remise en cause des principes du droit international, à commencer par l'inviolabilité des frontières, au Proche-Orient, des rivalités de puissances, les guerres et les attentats terroristes, en Asie, les tensions régionales suscitées par la Chine, sans oublier les menaces globales comme le changement climatique et la rareté des ressources.

L'étape de l'évaluation de l'environnement stratégique franchie avec la présentation du rapport de la Haute représentante, le Conseil européen a donné mandat à cette dernière de lancer – je cite – « un processus de réflexion stratégique en vue d'élaborer, en étroite coopération avec les États membres, une stratégie globale de l'UE concernant les questions de politique étrangère et de sécurité, qui sera soumise au Conseil européen d'ici juin 2016 ». En pratique, le processus d'élaboration écarte à la fois l'option retenue en 2003 d'une élaboration par le seul Haut représentant et l'option de 2008 d'une très grande implication des États-membres. Dans le premier cas, le risque est d'aboutir à un document, certes cohérent, mais que les États-membres n'endosseraient pas forcément et, dans le deuxième cas, d'aboutir à une stratégie incohérente, brouillonne et, de fait, inapplicable.

C'est ainsi que la Stratégie est rédigée par une conseillère de la Haute Représentante assistée du SEAE. Certes, les États-membres sont régulièrement consultés et des réunions mensuelles sont organisées avec les « points de contact » nationaux qui, de fait, peuvent faire passer leurs idées et indiquer quelles sont leurs lignes rouges mais ils ne tiennent pas la plume. C'est donc une action d'influence qu'ils doivent mettre en oeuvre afin de faire prévaloir leurs positions qui, une fois de plus, sont divergentes sur des points aussi importants que les relations avec la Russie ou la question des migrants. Pour notre pays, cette action est conduite par le Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du Ministère des Affaires étrangères, qui centralise l'ensemble des contributions des différentes parties prenantes françaises.

Ce processus d'élaboration, largement inclusif, s'achèvera avec le Conseil européen des 28 et 29 juin prochains, sous réserve que son ordre du jour ne soit pas bouleversé par les résultats du référendum britannique. Près de trois ans auront donc été nécessaires pour actualiser la Stratégie européenne de sécurité.

Quelle doit donc être cette stratégie ? Contrairement à la Stratégie de 2003, qui était une stratégie de sécurité, la Stratégie en cours d'élaboration est globale, c'est-à-dire qu'elle a vocation à englober l'ensemble des politiques européennes afin de leur donner une cohérence dans la perspective de la politique étrangère et de sécurité commune. Par conséquent, elle devra faire le lien avec d'autres politiques comme la politique commerciale, la politique en faveur du développement et la politique de lutte contre le changement climatique, sans oublier les dimensions intérieures de la sécurité extérieure.

Globale, la nouvelle Stratégie devra également être précise et définir de manière claire quels sont les intérêts de l'Union européenne. L'Europe est une communauté de droit mais également une communauté de valeurs. Dès lors, les conditions nécessaires pour préserver à l'intérieur les valeurs qui sont les siennes sont ces intérêts. La préservation des valeurs européenne est également un intérêt pour la PESC car les droits humains, l'État de droit, la démocratie, la prospérité et le bien-être des peuples, sont la condition de la stabilité et de la sécurité de l'Europe. Il est donc dans l'intérêt de l'Union européenne qu'ils soient répandus dans le monde et vital qu'il le soit dans son voisinage où certains pays font face à de nombreuses menaces susceptibles de les déstabiliser et, par conséquent, de déstabiliser l'Europe. Enfin, la stratégie devra aussi contenir des éléments précis fondant le recours légitime à la force

Une fois les objectifs généraux stratégiques définis sur la base des valeurs européennes, encore faut-il les décliner en objectifs opérationnels et, surtout, les hiérarchiser entre eux. Concrètement, les priorités pourraient s'organiser selon trois cercles concentriques : priorités intérieures de l'Union, priorités dans le voisinage et priorités globales qui, toutes, doivent tendre vers un objectif fondamental qui est l'autonomie stratégique à des fins de résilience de l'Union.

Les priorités intérieures. La première priorité de l'Union devrait donc être l'achèvement du marché intérieur. En effet, c'est en s'appuyant sur sa croissance, sa richesse et ses emplois que l'Europe pourra s'affirmer et agir sur la scène internationale. La deuxième priorité, c'est évidemment le renforcement de la sécurité intérieure. Outre l'amélioration des échanges en matière de renseignement intérieur, de coordination des polices et des autres services de sécurité, l'Europe a le devoir d'assurer la protection de ses frontières tout en accueillant dignement ceux dont la situation l'exige. Enfin, réduire la dépendance énergétique doit être la troisième priorité de l'Union sur la scène intérieure car elle la rend vulnérable aux ruptures d'approvisionnement comme aux fluctuations de prix, lesquels mettent en danger à la fois l'autonomie de sa politique étrangère et sa compétitivité.

Les priorités de voisinage. La stabilité du voisinage de l'Union doit être une priorité car toute déstabilisation d'un pays du voisinage impacte directement la stabilité et donc la sécurité de l'Union. Cependant, nous estimons que le voisinage être défini du point de vue stratégique et non géographique et, par conséquent, inclure la Turquie et la Russie mais également la Chine et les États-Unis. Dans le rapport, nous développons ce que devrait être la stratégie européenne vis-à-vis de ces quatre pays clés.

Enfin, les priorités globales. L'Union européenne est, par ses valeurs, son histoire et sa puissance commerciale, un acteur global qui doit continuer à poursuivre des objectifs stratégiques globaux, lesquels sont d'ailleurs inséparables des autres objectifs intérieurs et de voisinage. L'action de l'Union doit viser prioritairement les objectifs suivants :

– la politique de sécurité a incontestablement une dimension économique. L'extrême pauvreté, les violations de l'État de droit et des droits humains et, d'une manière générale, le manque de perspective pour la jeunesse forment le terreau idéal pour les troubles civils, la déstabilisation des États et l'implantation de mouvements terroristes qui, à terme, frapperont l'Europe. L'Union est d'ores et déjà le premier contributeur à l'aide au développement. Elle doit poursuivre dans cette voie en renforçant, par son aide, la résilience des pays les moins avancés les plus fragiles, notamment en Afrique ;

– une autre priorité globale de l'Union doit être ce qui apparaît de plus en plus comme la principale menace pour notre planète et ceux qui l'habitent : la lutte contre changement climatique. L'Union doit donc prioritairement poursuivre l'application des Accords de Paris adoptés lors de la COP21 ;

– l'Union devra travailler à améliorer la gouvernance économique mondiale car les États peuvent être autant, voire plus déstabilisés par une crise économique majeure que par des mouvements terroristes. La lutte contre les paradis fiscaux, qui sapent les ressources budgétaires, doit être une priorité.

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