Intervention de Yves Fromion

Réunion du 8 juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion, rapporteur :

La Stratégie devra, bien plus que celle de 2003, mettre l'accent sur les moyens. En effet, sans des développements précis consacrés au renforcement des capacités civiles et militaires ainsi qu'aux autres moyens d'action de l'Union sur la scène internationale, il est plus que probable que la Stratégie resterait un exercice théorique sans portée pratique.

Ce renforcement des capacités de l'Union repose avant tout sur les États-membres. C'est en effet dans le cadre national que s'effectue, aujourd'hui encore, l'effort de Défense. Au niveau de l'Union, les dépenses consacrées à la Défense ne représentent que 1,2% du PIB. Il va sans dire que sans un effort supplémentaire, l'Union européenne ne pourra jouer un rôle majeur sur la scène internationale ni atteindre les objectifs fixés par la nouvelle Stratégie.

Même si l'année 2015, marquée par les attentats de Paris, la multiplication des crises et la montée générale de l'insécurité internationale, a vu les budgets consacrés à la Défense augmenter dans plusieurs États-membres, notamment en Allemagne, en Pologne et dans les Pays Baltes, il est évident que les États-membres ne pourront pas seuls, indépendamment les uns des autres, mobiliser les sommes considérables qu'exigent les programmes d'armement modernes. C'est pourquoi la Stratégie devra réaffirmer la nécessité d'une coopération entre les États-membres, à la fois pour identifier les lacunes capacitaires et développer leurs capacités respectives selon une programmation cohérente. L'Agence européenne de Défense (AED) aura un rôle majeur à jouer dans la mise en oeuvre de cette politique de renforcement en commun des capacités de Défense de l'Union.

Le rôle de l'AED est également important en matière de recherche puisqu'elle est en charge de l'Action préparatoire du futur programme de recherche européen consacré à la Défense et à la sécurité à partir de 2021. D'une manière générale, 20% des 2% de PIB consacrés à la Défense (comme le demande l'OTAN) devraient l'être à la recherche et au développement, à la fois pour améliorer la performance des armements mais également pour soutenir l'industrie européenne de Défense. En effet, si le renforcement des capacités de Défense européenne a pour objectif, comme la Stratégie elle-même, l'autonomie stratégique de l'Union, cette dernière serait réduite à néant si les Européens devaient se fournir à l'étranger – notamment aux États-Unis, faute d'une industrie européenne performante. Préserver les capacités industrielles de l'Union en matière de Défense et de sécurité doit aussi être un objectif mentionné en tant que tel dans la Stratégie. Il apparaît également nécessaire de changer les règles européennes de partage des résultats de cette recherche afin d'en réserver le bénéfice à ceux, industriels et États-membres, qui l'ont financée.

Le renforcement des moyens doit également concerner le renseignement intérieur qui, malgré les attentats réguliers sur le territoire de l'Union souffre encore d'un manque de coordination entre les services nationaux et de l'absence d'un service européen de renseignement, sur le modèle d'Europol.

Dotée de nouvelles capacités, en particulier militaires, l'Union doit être capable de les déployer sur le terrain, notamment en Afrique, en renforçant ses structures de planification et de conduite des opérations. Toutefois, un tel déploiement repose aujourd'hui sur les États-membres qui non seulement fournissent les troupes mais doivent en plus assumer l'essentiel du coût, même lorsqu'elles sont déployées dans le cadre de la PSDC. Compte tenu des contraintes budgétaires des États, surtout s'ils doivent accroître leur effort de Défense, le renforcement du mécanisme Athéna apparaît nécessaire pour lever leurs réticences à déployer leurs troupes.

Ce renforcement des capacités des États-membres, la mutualisation de celles-ci et l'augmentation des financements européens sont la voie vers une Défense intégrée européenne plus que jamais nécessaire. En effet, l'étape suivante pourrait être la mutualisation permanente d'unités militaires sous commandement européen via un quartier général européen, dont la doctrine d'emploi serait fixée par l'équivalent européen des « Livres blancs » nationaux. Maintes fois annoncé et a priori prévu pour l'automne, ce « Livre blanc » apparaît comme le complément indispensable de la Stratégie.

Enfin, la Stratégie doit être l'occasion pour l'Union européenne de clarifier ses relations avec l'OTAN, à laquelle appartiennent 22 de ses membres. Les relations sont aujourd'hui apaisées et l'appartenance à l'OTAN ne suscite plus – même dans notre pays – de controverses idéologiques. Cependant, la question reste ouverte des rapports entre les deux organisations. L'autonomie stratégique de l'Union, qui est l'objectif fondamental poursuivi par la Stratégie, ne peut se satisfaire d'une subordination de la Défense européenne à l'OTAN. En revanche, la Défense européenne pourrait devenir le « pilier » européen de ce l'OTAN et son premier partenaire sur le continent. L'Union européenne doit ainsi coopérer avec l'OTAN, notamment en matière de renseignement, de réalisation et d'interopérabilité des armements comme de planification ou de conduite des opérations. Cette coopération intelligente doit être un choix, non une contrainte. L'Union sera par ailleurs d'autant plus considérée comme un partenaire de valeur par les États-Unis qu'elle aura renforcé ses propres capacités.

Enfin, au-delà du contenu de la Stratégie, nous nous interrogeons sur sa portée, qui nous semble incertaine pour deux raisons.

La première est conjoncturelle. En effet, nous avons pu constater, au cours de nos travaux, combien le référendum britannique, par sa seule perspective, influençait négativement le processus d'élaboration de la Stratégie. À l'origine, selon nos informations, le Conseil « Affaires étrangères » du 23 mai aurait dû se voir présenter un résumé de la Stratégie, voire même l'adopter. Or, il n'en a rien été. Les ministres ont simplement évoqué le sujet lors de leur déjeuner sans disposer d'aucun document. La Stratégie ne sera par ailleurs transmise que quelques jours avant le Conseil européen des 28 et 29 juin afin d'éviter qu'elle puisse être instrumentalisée dans le débat sur le « Brexit ».

De même, la Haute représentante a, jusqu'ici, soigneusement évité le terme de « Livre blanc » de la Défense qui doit décliner la Stratégie sur le plan plus opérationnel et si la fin de l'année a pu être évoquée comme calendrier, ce n'est pas officiellement. Une fois de plus, le référendum britannique oblige à la prudence sur une question – celle de la Défense et de sécurité – qui est très sensible dans le contexte actuel.

Enfin, il est probable qu'en cas de « non » le 23 juin, l'ordre du jour du Conseil européen soit complètement chamboulé, renvoyant la présentation de la Stratégie à une date indéterminée. En outre, un éventuel départ du Royaume-Uni de l'Union européenne, compte tenu de l'importance de ses capacités, remettrait largement en compte, au moins à court terme, les avancées de l'Europe de la Défense comme la perspective d'un « Livre blanc » ambitieux.

L'autre raison est quant à elle plus structurelle. En effet, élaborée par la Haute représentante via une plume assistée par le SEAE, la Stratégie a vocation à guider son action – et celle du SEAE – pour les prochaines années. Il n'est pas certain, en revanche, qu'elle engage réellement la Commission tout entière. Certes, la Haute Représentante est aussi vice-Présidente de la Commission et a un rôle de coordination des Commissaires en charge des relations extérieures. La Stratégie a donc vocation à être celle de la Commission européenne pour l'ensemble de son action extérieure. Cependant, seule la pratique montrera si une telle coordination est possible.

Enfin, à supposer même qu'elle soit endossée par la Commission tout entière, la Stratégie ne serait pas pour autant celle de l'Union européenne, à moins que les États-membres en décident autrement. En effet, les 28 et 29 juin prochains, il semblerait que le Conseil européen se contente de « prendre note » ou de « prendre acte » de la Stratégie sans la reprendre à son compte. Une telle formulation aurait pour conséquence que les États-membres, en tant que Conseil européen, ne s'approprieraient pas la Stratégie alors même qu'individuellement, ils garderaient toute latitude dans la définition de leur politique étrangère et de sécurité nationale.

Au final, même si la Stratégie n'est finalement que celle de la Commission, voire seulement de la Haute représentante, elle peut néanmoins jouer un rôle important, à l'extérieur comme à l'intérieur, d'une part en affirmant publiquement les intérêts de l'Union européenne sur la scène internationale et, d'autre part, en tant que texte fondateur, en contribuant à faire émerger le SEAE comme corps diplomatique à part entière au service d'une politique européenne cohérente. L'importance de la Stratégie serait encore renforcée si sa durée de validité était calée sur celle du mandat de la Commission, permettant ainsi au Parlement européen comme aux Parlement nationaux de contrôler sa mise en oeuvre par la Haute représentante.

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