Intervention de Sandrine Doucet

Réunion du 8 juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet, rapporteure :

Madame la Présidente, mes chers collègues, le rapport d'observation que je vous présente aujourd'hui porte sur son titre I, intitulé « Citoyenneté et émancipation des jeunes », et plus particulièrement sur le dispositif du Service civique instauré par la loi n° 2010-241 du 10 mars 2010. Notre pays a fait de la lutte en faveur de la jeunesse l'une de ses priorités, voire LA priorité du quinquennat. Celle-ci s'est traduite de manière concrète autour du « Plan Priorité Jeunesse » dans de nombreuses mesures telles que les emplois d'avenir à hauteur de 250 000 emplois, les contrats de génération, l'encadrement des stages, la revalorisation des bourses étudiantes, la relance de l'apprentissage ou encore la création de la « garantie jeunes ». Le Projet de loi « Egalité et citoyenneté » qui passe en commission spéciale la semaine prochaine veut aller encore plus loin. Je me permets à ce titre de reprendre les propos du Ministre, Patrick Kanner, précisant bien qu'il ne s'agit pas là de faire la voiture-balai de tout ce qu'on n'aurait pas fait pour la jeunesse mais de faire avancer l'égalité et l'émancipation de la jeunesse.

On connaît le succès du Service civique : 53 000 missions étaient prévues en 2015, 110 000 en 2016 et conformément à l'ambition clairement énoncée par le Président de la République qui veut instaurer un « parcours citoyen généralisé », il est prévu que d'ici à trois ans la moitié d'une classe d'âge puisse être accueillie en mission de service civique, soit près de 350 000 jeunes par an s'ils le souhaitent. L'enjeu ne vise donc pas moins que d'assigner au service civique l'ambition de devenir un droit universel, ce qui est un projet largement partagé au niveau européen. On va le voir, ce projet est partagé par d'autres pays européens.

Dans le contexte des événements dramatiques qui ont frappé notre pays en janvier et novembre 2015 derniers et qui réactivent le besoin d'assurer l'adhésion à des valeurs républicaines et nationales de tous les citoyens, je ne peux, nous ne pouvons, que nous féliciter haut et fort d'une telle ambition de parfaire encore davantage l'engagement citoyen.

Ce projet de loi, vu sous l'angle européen, est le moyen d'évaluer les expériences qui sont réalisées dans d'autres pays européens. Les exemples de l'Allemagne, de l'Italie et du Royaume-Uni sont développés dans ce rapport. L'expérience de ces trois pays en matière de service civique est très riche, d'abord parce que concernant l'Allemagne et l'Italie, nous avons affaire à des systèmes d'esprit assez comparables à ce que nous avons en France. Nous avons donc avec eux des programmes bilatéraux permettant d'envoyer des jeunes en service civique dans le pays partenaire. Je pense au programme franco-allemand de l'Office franco-allemand de la jeunesse. Ou encore, plus récemment, au programme pilote franco-italien dont l'accord a été conclu par MM. Harlem Désir et Patrick Kanner avec le gouvernement italien le 16 octobre 2015 dernier et qui doit permettre à 100 jeunes Français et Italiens de pratiquer une mobilité de deux mois dans l'autre pays dans le cadre de leur service civique.

Concernant l'Italie, une décision législative du 18 mai dernier vient de faire du servizio civile nazionale un service civique universel. Hasard du calendrier encore puisque au Royaume-Uni, le gouvernement vient d'annoncer, dans le Discours de la Reine le même jour, la pérennisation législative d'un dispositif, le National Citizen Service, qui pour ne pas être universel – il ne concerne que les jeunes de 16 et 17 ans – n'en a pas moins des résultats très prometteurs en termes d'intégration et de mixité sociale. Mais, j'ajouterai à cela qu'à l'occasion d'un déplacement que j'ai fait hier à Bruxelles, il est apparu qu'en matière de volontariat le poids de l'histoire pouvait jouer : les pays de l'Est sont réticents à l'égard des politiques en faveur du volontariat des jeunes parce qu'il était obligatoire sous la période communiste.

Mais le point de vue européen n'est pas seulement d'ordre comparatif. Les programmes éducatifs ou de jeunesse bien que relevant toujours de l'ordre des compétences nationales ne sauraient plus être pensés en dehors des dispositifs européens qui irriguent désormais, aux niveaux nationaux et régionaux mais aussi associatifs, tout le tissu social de notre société. Vous êtes, chers collègues de cette Commission, bien placés pour le mesurer. Considérer le projet de loi « Égalité et citoyenneté » sous l'angle européen, c'est donc aussi mesurer que très tôt, dès les années 90, dans le contexte d'une panne de l'identité européenne, celle-ci a cherché des outils pour favoriser une « citoyenneté européenne active », laquelle passe prioritairement par l'expérience d'une mobilité européenne. S'il est évident que la mobilité ne saurait constituer la panacée susceptible de résoudre les problèmes d'adhésion aux valeurs républicaines et démocratiques, il n'en ressort pas moins qu'elle participe d'une expérience concrète de l'autonomie du jeune et, par la confrontation avec d'autres pratiques et habitudes culturelles, favorise son adhésion à l'idée européenne.

Parmi les outils de promotion de la mobilité européenne au service d'une citoyenneté européenne, figure non seulement le dispositif phare bien connu des bourses d'études et de stages Erasmus sur lequel, vous le savez, j'ai travaillé en 2013 et 2014, mais également un dispositif dont les principes et la déclinaison ont inspiré le Service civique français. Je veux parler du Service volontaire européen ou SVE.

Le SVE est associé en France par l'article L.121-1 du code du Service national à un service civique, ce qui constitue un élément de comparaison intéressant. L'Union européenne a, dès les années 1990, mesuré l'opportunité en matière d'insertion sociale et d'accès à la citoyenneté que représentent les activités de volontariat pour les jeunes européens. Pour compléter les dispositifs d'échanges existant au bénéfice des étudiants (Erasmus, …) et offrir aux jeunes (quel que soit leur niveau de formation) un accès démocratique à la mobilité, l'Union européenne a lancé le 23 décembre 1996 un « Service volontaire européen pour les jeunes ». Depuis 2007, il est un des volets du programme européen « Jeunesse en action » (2007-2013) et s'inscrit désormais dans le nouveau dispositif Erasmus + (2014-2020) dont le volet Jeunesse reprend les principaux éléments de « Jeunesse en action ».

Le SVE permet aux jeunes entre 17 et 30 ans de s'engager personnellement dans une cause en travaillant à plein temps entre 2 semaines et 12 mois comme bénévoles dans un pays étranger, dans ou hors de l'Union européenne. Dans le contexte de la crise de 2008, on a également affaire là à un dispositif qui se professionnalise de plus en plus en permettant d'ajouter une plus-value au CV.

Cette année, le SVE a 20 ans. Son succès est important car on constate avec tous les services civiques européens une montée en charge, les jeunes se sentant de plus en plus concernés. Le SVE permet donc à des jeunes de 17 à 30 ans sans condition de diplômes d'être candidats. Et il est ouvert aux publics les moins enclins à celle-ci : « les jeunes avec moins d'opportunités » (JAMO) qui concernent la tranche d'âge de 16 ans.

Il s'agit donc d'un dispositif très démocratique mais pour autant, comme dans le constat que j'avais fait à l'occasion de mon rapport sur la démocratisation d'Erasmus, il reste relativement confidentiel et on se rend compte que ceux qui s'en emparent sont les publics socio-économiquement et culturellement déjà enclins à la mobilité. En France, il faut nuancer ce constat puisque le SVE qui est géré par l'Agence Erasmus + Jeunesse et Sport a compté en 2015 plus de 40 % de « jeunes ayant moins d'opportunités » (JAMO). Je me réjouis de cette tendance et appelle à poursuivre le volontarisme en faveur de ces catégories plus défavorisées. On peut déplorer le caractère trop modique des indemnités versées qui sont comprises entre 50 € et 160 € selon le pays de mobilité, chiffre bien inférieur à celle du Service civique. Mais compte tenu de l'esprit du volontariat, malgré cela, le SVE constitue un outil intéressant d'autant que tous les frais occasionnés par cette mobilité sont pris en charge dans le cadre d'Erasmus +.

La comparaison des deux dispositifs est donc importante pour répondre à la question cruciale suivante : comment démocratiser au maximum un dispositif pour en faire bénéficier le plus grand nombre sans porter préjudice à ses exigences de qualité ? Autrement dit, comment concilier massification et une exigence de qualité ?

D'où deux pistes principales selon qu'on envisage le Service civique tel qu'élargi par le projet de loi « Égalité et Citoyenneté » ou selon qu'on envisage le SVE.

Vis-à-vis de l'Union européenne, il s'agit de plaider pour une politique d'élargissement du SVE, notamment en augmentant les crédits et les ambitions du dispositif. Il conviendra donc d'être très vigilant sur les propositions de la Commission européenne à l'occasion du vingtième anniversaire du SVE et de l'étude d'impact qu'elle prévoit de réaliser cette année.

Il existe une Charte européenne pour les organismes d'accueil des volontaires du SVE qui porte principalement sur les exigences d'assurance-qualité. À l'instar de ce que le projet de loi « Égalité et Citoyenneté » préconise, il conviendrait que l'Union européenne élabore une Charte des valeurs fondamentales de l'Union à destination des jeunes du SVE afin de les sensibiliser à la dimension citoyenne de leur mobilité. Donc pas seulement une charte d'assurance qualité mais un document qui rappelle aux jeunes les valeurs et les modalités du SVE. Le projet de loi Egalité et Citoyenneté pourrait donc inspirer le SVE dans ce sens-là.

Enfin, dans l'axe du rapport que j'ai écrit en 2015 sur la validation des acquis de l'apprentissage non formel et informel, il convient de militer auprès de l'Union européenne, et de la Commission européenne en particulier, pour un agenda renouvelé sur la mise en oeuvre de la recommandation du 20 décembre 2012. Je fais le lien entre cette recommandation et l'article 14 du projet de loi avec son dispositif de « validation législative obligatoire » par les établissements d'enseignement supérieur des compétences, savoir-faire et connaissances acquises à l'occasion d'une mobilité à l'étranger et d'un service civique à l'étranger s'inscrit en effet résolument et positivement dans ce sens. Compte tenu du caractère non contraignant d'une recommandation au niveau européen, il est en effet impératif si l'on souhaite répondre à l'échéance de 2018 fixée par la recommandation pour permettre la validation des huit compétences sociales et civiques de la recommandation de 2006, d'inciter davantage à un état d'avancement en la matière dans les pays européens. On a l'impression qu'il y a une panne en Europe dans la mise en oeuvre de la recommandation. Avec le projet de loi Egalité et Citoyenneté, nous manifestons, nous, que la France avance dans ce dossier.

Dans ce contexte, il convient d'optimiser les outils européens, Europass et le Passeport Jeunesse, pour les rendre plus simples donc plus lisibles et plus accessibles pour les bénéficiaires, et plus attractifs et plus opérationnels auprès des institutions et organismes susceptibles de reconnaître ces compétences, à savoir les opérateurs d'enseignement et de formation mais également les employeurs.

Vis-à-vis du service civique français, voici quelques pistes de réflexion et d'amélioration : dans la mesure même où le SVE, qui constitue selon la loi un service civique, s'avère une réussite, il faut chercher les moyens d'augmenter le nombre de jeunes qui partent dans le cadre de ce dispositif.

Comme je le montre dans ce rapport, le dispositif du SVE, géré par l'agence nationale chargée des programmes européens de jeunesse, l'Agence Erasmus + Jeunesse et Sport, relève d'un « sur-mesure », pensé en termes de projet individuel. Il faudrait tirer les leçons pour le Service civique des richesses méthodologiques du SVE, par exemple en termes d'encadrement et d'accompagnement des bénéficiaires. L'accompagnement dispensé autour du SVE pourrait inspirer celui du service civique.

Cet accompagnement, en amont, pendant et en aval, pourrait notamment être pensé autour du rôle pivot d'une Charte de l'engagement citoyen, à l'instar de celle prévue par l'article 1er du projet de loi pour la réserve citoyenne, qui devient structurante et responsabilisante à la fois pour les structures d'accueil et les volontaires dès lors que, conformément à l'article 3 du projet de loi, le service civique serait subordonné à son adhésion et conditionné à son respect.

On pourrait également prendre modèle sur les outils de soutien post-mission à l'auto-évaluation de façon à appuyer les efforts de reconnaissance et de validation des acquis de l'apprentissage, préconisés dans l'article 14 du projet de loi. Je reviens à mon rapport d'information sur la validation des acquis de l'apprentissage non formel et informel. Un service civique est une expérience qui relève d'un cadre informel et non formel. C'est à ce titre qu'il faut lui appliquer les outils d'évaluation des compétences du type Youthpass. Mais pour garantir la pertinence de cet outil par lequel un jeune s'autoévalue, un accompagnement à l'autoévaluation doit être prévu également en aval. Des sessions communes auraient en outre le mérite de fédérer les jeunes qui entreprennent un service civique.

Faire monter en puissance ces programmes de volontariat, cela passe aussi par une publicité, au sens noble du terme. Cela pourrait notamment être fait en associant les anciens volontaires aux campagnes annuelles de service civique comme de véritables ambassadeurs.

Pour conclure, le projet de loi « Egalité et Citoyenneté » s'inscrit dans une dynamique générale, forte et nécessaire, visible en Europe et par l'Europe, en faveur d'un dispositif noble qu'est le service civique ou encore la réserve citoyenne. Cette tâche est délicate car elle cherche à concilier encouragement à l'engagement citoyen et respect de l'initiative individuelle dans une optique quantitative qui ne porte pas ombrage à l'exigence qualitative, consubstantielle à la démarche d'un engagement authentique.

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