Intervention de Pedro Ortún Silván

Réunion du 18 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires européennes

Pedro Ortún Silván, conseiller spécial à la Direction générale Entreprises de la Commission européenne sur les questions de responsabilité sociétale des entreprises :

Permettez-moi de commencer par dresser un bref état des lieux du processus de RSE tel qu'il se déroule à la Commission et dans l'ensemble de l'Union européenne et d'en rappeler les étapes principales, avant d'aborder les perspectives qu'envisage la Commission.

Tout a vraiment commencé en octobre 2011 par l'adoption au terme d'un long processus de concertation avec l'ensemble des parties prenantes – États membres, entreprises, organisations non gouvernementales, syndicats – de la stratégie de la Commission sur la RSE, qui fixe les principes de base et une définition nouvelle de la RSE, et qui contient un plan d'action pour les années 2011 à 2015. Depuis, plusieurs évolutions politiques positives se sont produites : les conclusions du G7 de juin dernier, puis l'adoption des objectifs de développement durable en septembre et l'accord obtenu au terme de la COP21 en décembre. La présidence néerlandaise de l'Union a donné une nouvelle impulsion au processus, qui a notamment progressé suite à des tragédies comme celle du Rana Plaza au Bangladesh ou à des scandales touchant de grandes entreprises, y compris européennes.

Nous venons d'achever l'évaluation de la mise en place de la stratégie de la Commission sur la RSE. La définition, l'approche et les principes adoptés en 2011 demeurent valables aujourd'hui : créer de la valeur partagée pour les entreprises, mais aussi pour les sociétés dans lesquelles elles sont établies, mettre en place des processus internes dans les entreprises en associant tous leurs partenaires afin d'intégrer les dimensions sociales, environnementales, éthiques et de respect des droits de l'homme dans leurs principales stratégies, et aboutir à une combinaison intelligente – un smart mix – de mesures que les entreprises prennent de leur propre initiative et, si nécessaire, d'initiatives législatives. L'idée est de favoriser ce processus afin d'atteindre au plus tôt l'objectif commun, que partagent tous les acteurs publics et privés, que le plus grand nombre possible d'entreprises européennes intègre pleinement les principes de RSE dans leurs grandes stratégies et qu'elles prennent les mesures adéquates de prévention et d'atténuation des risques sociaux, environnementaux et éthiques.

Cette évaluation a produit les résultats suivants, que partage la très grande majorité des parties prenantes européennes : un progrès important a été réalisé mais la mise en place de la stratégie a été complexe et souvent lente, et les résultats demeurent insuffisants. Une vingtaine d'États membres seulement ont adopté des plans d'action en matière de RSE, et seuls sept d'entre eux ont également adopté des plans d'action visant à élaborer une stratégie nationale de respect des droits de l'homme, tandis que sept autres y travaillent. Autrement dit, plus de la moitié des États membres n'ont pas encore entrepris de se doter de tels plans. D'autre part, un nombre croissant de grandes entreprises européennes agissent conformément à la stratégie de la Commission sur la RSE, mais elles ne sont encore que quelques centaines, un millier tout au plus, alors qu'il existe en Europe plus de 10 000 entreprises employant plus de 1 000 salariés, et environ 15 000 qui en emploient plus de 500. En clair, le chemin est encore long.

La Commission, quant à elle, a pris la plupart des initiatives qu'elle avait prévues dans sa stratégie de 2011, y compris plusieurs initiatives législatives dont la révision de la directive « Marchés publics », destinée à ce que les États membres intègrent des critères environnementaux et sociaux dans leurs processus de passation de marchés publics. D'autres projets s'ajoutent à la directive sur la publication d'informations non financières, comme une directive concernant les droits des actionnaires et un règlement relatif aux minerais provenant de zones en conflit, qui ont déjà atteint les phases ultimes de trilogue. De même, la Commission a adopté en janvier un paquet relatif à la transparence fiscale, et proposera bientôt une directive imposant, pays par pays, des règles de transparence fiscale aux entreprises. Enfin, ces mesures législatives sont assorties d'une série de mesures d'accompagnement.

Face à un bilan encore mitigé, nous avons répertorié plusieurs mesures dont il est nécessaire d'approfondir ou d'accélérer la mise en oeuvre, ainsi que de nouvelles pistes de réflexion à ouvrir. L'objectif, encore une fois, vise à impliquer le plus grand nombre d'entreprises dans le processus de RSE. La responsabilité n'en incombe pas qu'aux seules autorités publiques, mais aussi à tous les acteurs concernés, y compris les entreprises qui sont en pointe dans leur secteur. L'impulsion doit provenir du plus haut niveau, dans les pouvoirs publics comme dans les entreprises.

Nous préparons donc un plan d'action actualisé qui sera prêt avant la fin de l'année, comme le préconise le Conseil. Notre action portera en particulier sur les domaines suivants. Il faut tout d'abord consolider et accélérer l'application des mesures législatives déjà adoptées. La directive sur la publication d'informations non financières, par exemple, a été adoptée il y a près d'un an et demi avec un délai de transposition de deux ans. Or, très peu d'États membres l'ont transposée, alors qu'il ne reste que six mois. La Commission prépare actuellement un guide destiné à faciliter cette transposition. D'autre part, des mesures seront prises pour renforcer les capacités des États membres, des entreprises, des organisations professionnelles nationales et sectorielles à ces fins, car sur les 6 000 grandes entreprises concernées par la directive, environ 4 000 n'ont pas encore entamé ce processus.

Il faudra ensuite veiller à la transposition la directive « Marchés publics » révisée, ce que n'ont pas fait plus de sept États membres alors que le délai de transposition était fixé au mois d'avril. Il reste donc beaucoup à faire pour transposer et surtout intégrer ces nouvelles dispositions dans les processus de passation de marchés publics, de fourniture de services et d'investissement.

Il restera à finaliser avec les États membres l'adoption de la directive sur les droits des actionnaires et du règlement sur les minerais provenant des zones de conflit. L'adoption du paquet relatif à la transparence fiscale, si elle risque d'être plus compliquée, va dans le même sens. De même, nous devrons inciter les États membres qui ne l'ont pas encore fait à adopter des plans d'action en matière de RSE et de respect des droits de l'homme, en encourageant les initiatives associant diverses parties prenantes issues de la sphère publique et du secteur privé, et ce à l'échelle sectorielle – qui est la moins difficile.

Au-delà de ces différentes mesures, nous devons susciter une plus grande demande de ces pratiques responsables, parmi les investisseurs tout d'abord. Seuls 10 % à 15 % de l'ensemble des capitaux disponibles dans le monde sont investis dans des projets durables et responsables : c'est trop peu. Tous les investisseurs doivent intégrer des critères de viabilité sociale, environnementale et éthique dans leurs stratégies de prise de participation, de prêts et de garanties. Un effort est à faire auprès des consommateurs, ensuite : les citoyens doivent en effet être sensibilisés davantage à ces mêmes critères afin qu'ils les intègrent dans leurs choix d'achat et d'investissement.

Enfin, il faut renforcer le cadre de coordination internationale avec l'OCDE, l'Organisation internationale du travail (OIT) et l'ONU, pour veiller à ce que ces initiatives européennes se répercutent ailleurs, en particulier dans les pays en voie de développement.

L'élan politique existe, mais d'importants obstacles – la question des réfugiés, celle du terrorisme et de la sécurité, la crise économique – peuvent entraver le processus de RSE. À condition que les dirigeants politiques et les dirigeants d'entreprise donnent une véritable impulsion, j'espère néanmoins que nous pourrons poursuivre sa mise à jour, car une chose est certaine : une entreprise ne peut être compétitive à moyen et à long terme que si elle adopte des pratiques durables et éthiques en son sein et dans l'ensemble de sa chaîne d'approvisionnement.

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