Intervention de Pascal Durand

Réunion du 18 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires européennes

Pascal Durand, membre de la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen :

La question majeure de la RSE touche au coeur de l'humain et du modèle de société que nous souhaitons, fondé sur un équilibre entre les nécessités de l'économie et de la production, d'une part, et, de l'autre, le respect des droits des citoyens où qu'ils soient nés, surtout s'ils n'ont pas la possibilité de choisir les conditions de leur travail – ce qui est évidemment le cas dans de nombreux pays où interviennent des entreprises européennes.

Vous avez raison, madame la présidente, de poser la question du droit contraignant – hard law – et des règles non contraignantes – soft law. J'entends beaucoup ressasser le leitmotiv de la nécessité d'adopter des bonnes pratiques et de dialoguer avec les parties prenantes, mais, curieusement, il n'est plus jamais question de soft law dès qu'il s'agit de réguler pour défendre les investisseurs ou les entreprises – en protégeant le secret des affaires, par exemple. Au contraire, les règles adoptées en la matière sont les plus contraignantes qui soient, et obéissent parfois même à une procédure accélérée, comme vient de l'illustrer la directive sur le secret des affaires. En revanche, pour ce qui concerne la responsabilité sociale et environnementale, les droits des travailleurs vivant dans des pays lointains, l'accaparement des terres ou encore la déforestation, alors mieux vaut se contenter de bonnes pratiques pour ne pas nuire au bon fonctionnement de l'économie.

Toute la difficulté est là. La RSE n'est pas une priorité de la législation européenne actuelle – ni pour le Conseil, ni pour la Commission, ni pour le Parlement. Je souffre profondément de l'opposition qui est faite entre la question des droits humains et celle de la compétitivité des entreprises européennes. La norme et la régulation, nous dit-on, porteraient atteinte à la capacité des entreprises européennes à agir partout dans le monde. C'est exactement le contraire ! L'Europe ne se grandit qu'en appliquant à l'ensemble des maillons de sa chaîne de valeur les règles qu'elle s'applique à elle-même ; c'est la définition des droits humains. C'est ainsi que l'Europe pourra jouer un rôle majeur dans le monde : en veillant à ce que toutes les dispositions qu'elle applique dans l'Union européenne s'appliquent aussi ailleurs. C'est aussi en veillant à ce que les tribunaux – puisque l'Europe a la chance de disposer d'une justice indépendante et compétente – puissent enfin connaître d'éventuelles violations des droits humains, sociaux et environnementaux pour que les entreprises européennes répondent des comportements de leurs filiales. Chacun sait en effet que le maître d'ouvrage est le donneur d'ordre et qu'à ce titre, il doit rendre des comptes – comme l'illustrent les règles récemment adoptées en droit français concernant les sociétés mères et les entreprises donneuses d'ordre, qui partent du maître d'oeuvre pour se décliner à travers les différents niveaux de sous-traitance.

En réalité, il n'existe en Europe aucune règle globale en la matière. Certains secteurs particuliers sont certes réglementés, comme les minerais de conflit. Néanmoins, il est extrêmement difficile de bâtir une vision transversale, même si certains domaines relèvent sans doute du principe de subsidiarité. À ce stade, par exemple, la directive sur les droits des actionnaires, en cours d'élaboration dans le cadre d'un trilogue entre le Conseil, la Commission et le Parlement, ne contient rien de substantiel sur ces questions, et je le regrette. Certes, la directive comptable existe, de même que les Principes directeurs des Nations unies – quoique l'Europe ne brille pas par l'efficacité de sa participation à ces débats, puisqu'elle y a posé des conditions préalables, l'une d'entre elles étant que les Principes s'appliquent à toutes les entreprises, et non pas seulement aux plus grandes, ce qui revient à bloquer le processus car chacun sait que les petites entreprises ne disposent pas des capacités nécessaires d'information.

Le carton vert auquel vous avez fait allusion, madame la présidente, est une excellente initiative. Au-delà, l'Europe attend de la France qu'elle fasse évoluer sa législation en matière de RSE, vers laquelle tous les acteurs ont tourné leur regard. Hélas, cette loi n'est pas en débat au Sénat, comme nous l'a dit le président Bartolone, car elle n'est pas encore inscrite à son ordre du jour. Les parlementaires européens et les autres parties prenantes souhaitent que le Sénat puisse s'en saisir très rapidement, car il est désormais indispensable que certains pays prennent l'initiative dans ce domaine, et que l'Europe suive l'exemple ainsi donné parce que nous oserons, dans la salle Lamartine, appeler un « phare de la pensée ». Rappelons en effet à l'Europe que sur certaines questions, le droit contraignant – qui n'est en fait que le droit – peut avoir une efficacité que les règles non contraignantes n'ont pas, puisque leur application dépend de la bonne volonté d'entreprises plus vertueuses que d'autres. Nous ne saurions continuer ainsi. En matière de RSE, l'Europe est très en retard ; c'est pourquoi nous attendons beaucoup de la législation française, qui est à la fois intelligente et équilibrée.

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