Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 19 juillet 2012 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Victorin Lurel, ministre des Outre-mer :

Oui, nous allons tout faire pour assurer la continuité numérique et supprimer les écarts abusifs.

S'agissant des essais nucléaires, le Président de la République a pris l'engagement de rouvrir le dossier et de modifier la loi « Morin ». Il entend élargir le périmètre géographique, allonger la liste des maladies et indemniser les victimes, après évaluation – il existerait des liens de causalité entre les essais nucléaires et certains types de cancer.

Nous avons pris différents engagements à l'égard de la Polynésie, je ne le cache pas. L'État a jusqu'à présent refusé d'ouvrir les archives, comme s'il s'agissait d'un secret défense. Nous ferons le nécessaire pour connaître la vérité sur ce qui s'est passé, par exemple, en mai 1967 en Guadeloupe, en décembre 1959 en Martinique, et concernant le sénateur polynésien Pouvanaa Oopa. Dans le respect des principes et sans opposer les personnes et les communautés, nous avons un devoir de vérité.

En ce qui concerne les ressources off shore et les capacités d'intervention de la flotte française dans les vastes espaces maritimes qui sont les nôtres, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ne sera pas simplement réactualisé mais rédigé de façon que notre capacité d'intervention soit réévaluée. Je rappelle qu'elle a diminué de 30 % au cours des dix dernières années. Il n'est pas normal qu'à deux encablures des côtes de la Guyane, une flotille brésilienne puisse pêcher dans des eaux riches et épuiser nos ressources halieutiques et ichtyologiques. La même chose se produit aux îles Kerguelen et dans les TAAF – les Terres australes et antarctiques françaises. Cette situation doit être réévaluée. Il convient de délimiter les eaux territoriales, ce qui n'a pas encore été fait aux Antilles, et de revoir les conventions de pêche.

Oui, Mme Girardin, et le Président de la République l'a dit à La Réunion, nous devons explorer davantage les possibilités d'échange, de commerce et de coopération avec nos voisins immédiats. L'ancien gouvernement nous a autorisés à engager des discussions avec les organisations internationales des différents bassins océaniques – la Communauté caribéenne (CARICOM), l'association des États de la Caraïbe (AEC), la Convention économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CPALC) et l'organisation des États de la Caraïbe orientale (EOCS). La même question se pose entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada, avec les difficultés diplomatiques que l'on sait, et dans l'Océan indien. L'Europe et la France doivent comprendre que si nous voulons diminuer les prix, notamment des denrées alimentaires, nous devons avoir la possibilité, en imposant certaines règles, de les importer des pays voisins au lieu de rester enfermés dans ce que d'aucuns ont appelé un pacte colbertiste. Certes, nous perdrions des devises, mais en échange nous pourrions vendre notre ingénierie, notre technologie, notre savoir-faire, notre agronomie et notre culture.

Pour répondre à la question complexe des espaces maritimes, il faut appliquer le Livre bleu, stratégie nationale pour la mer et les océans, qui traduit l'ambition de la France pour les dix prochaines années et devrait influencer la rédaction du prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

En effet, M. Letchimy, la délégation aux Outre-mer est une bonne chose. Nous allons essayer de résister à la pression des lobbies. Nous sommes sur la bonne voie puisque nous dérangeons. Entre nous, me faire « virer » n'est pas un problème, car être ministre n'est pas une fin en soi…

Le constat est alarmant, c'est vrai. Nous avons la volonté de tenir la feuille de route mais la conjoncture est difficile. Il faudra trouver de 7,5 à 12 milliards d'euros en 2012, et 33 milliards si la croissance n'est que de 1 %. Les outre-mer doivent certes participer à l'effort national, mais de quelle façon ? Faut-il remettre en question la défiscalisation ?

Je sais, pour avoir été député pendant dix ans, ce que représente l'outre-mer pour mes collègues de métropole, qu'ils soient de gauche ou de droite : la défiscalisation, la dolce vita et quelques privilèges… Mais savent-ils que les revenus médians y sont deux fois inférieurs au standard national, et que beaucoup de gens ne sont pas en mesure, dès lors, de payer l'impôt, que les prix sont nettement plus élevés qu'en métropole, que beaucoup choisissent de partir à la retraite sur la base d'inaptitude au travail parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'années de cotisations ? Savent-ils qu'il y a beaucoup de misère ? Nous, élus d'outre-mer, avons du mal à convaincre que nous ne quémandons pas des crédits, que nous souhaitons simplement une adaptation en faveur d'un développement endogène.

Le ministre des Outre-mer que je suis a le plus grand mal, dans l'arbitrage budgétaire, à faire comprendre à ses collègues qu'il ne faut pas toucher à la ligne budgétaire unique (LBU) – Cécile Duflot est en charge du logement mais c'est le ministère des Outre-mer qui gère la LBU. Les crédits devaient être sanctuarisés à hauteur de 270 millions : on passerait à 244 millions, ce qui me gêne un peu. Nous devons construire 100 000 logements dans les cinq ans qui viennent. Les files d'attente sont très longues, car l'habitat informel et indigne est une réalité.

Ma demande tient en cinq points, qui correspondent aux souhaits du Président de la République.

Tout d'abord, nous avons besoin de 500 millions d'euros sur cinq ans, que ce soit en autorisations d'engagement ou en crédits de paiement, pour la mission Outre-mer ou toute autre mission. Il vous appartiendra d'en décider, mesdames et messieurs les députés.

Le logement est un impératif, non seulement économique mais moral ; c'est un gage d'égalité entre Français. Cet habitat indigne est inacceptable dans des territoires français. Oui, il faut maintenir la sanctuarisation, mais également la défiscalisation du logement social. La défiscalisation s'appliquant au logement libre et intermédiaire a été supprimée par le précédent gouvernement. Il n'est pas dans nos intentions de la remettre en place.

Comme l'a annoncé le Président de la République lorsqu'il était candidat, toutes les niches fiscales devraient être plafonnées à 10 000 euros par an. Toutefois, il a entendu notre demande et un écart attractif devrait être conservé. Aujourd'hui, le plafond est fixé à 18 000 euros plus 4 % du revenu imposable. Un plafonnement à 10 000 euros nous serait fatal, compte tenu de la façon dont fonctionnent nos économies.

Nous traversons une période difficile et les crédits d'intervention de l'État ont dramatiquement diminué, conformément à l'objectif de désengagement budgétaire.

L'Europe, pour sa part, a choisi la voie de la concentration thématique et de l'e-marking et défini des secteurs d'intervention prioritaires comme les technologies de l'information et de la communication, l'innovation… En matière d'infrastructures, de routes, de lycées, de ports, elle ne finance plus que les grands projets européens.

Quant aux collectivités, elles n'ont plus de marges de manoeuvre en matière d'impôts.

Il nous reste deux outils. Tout d'abord, l'épargne locale, qui représente 6 milliards à la Martinique et en Guadeloupe, un peu plus à La Réunion, dont la moitié, investie dans le logement via le livret A, permet d'acheter des obligations d'État pour financer le déficit. Ne peut-on recycler sur place 10 % de cette épargne ? Ce serait un bon exemple de développement endogène. Il y a quelques années, lorsque j'étais député, le rapporteur général du budget, M. Gilles Carrez, a fait voter un FIP DOM, un fonds d'investissement de proximité qui réserve aux seuls ultramarins le droit d'investir chez eux. Voilà un moyen de capter une part de l'épargne locale.

Deuxième outil, la défiscalisation, qui est absolument vitale dans des économies sous-capitalisées comme les nôtres, et les exonérations de charges patronales de sécurité sociale. La loi organique pour le développement économique en outre-mer du 27 mai 20069 (LODEOM), présentée par M. Yves Jégo, en avait fixé le montant à 125 millions d'euros par an, après le grand mouvement social de l'automne 2008. Mes amis de Bercy veulent revenir sur ce point.

Avec un SMIC identique à celui de la métropole depuis 1996, auquel 200 euros nets ont été ajoutés à la suite des grandes grèves, puis la récente augmentation de 2 %, et du fait de la suppression de l'abattement de 30 % sur l'impôt sur les sociétés, le lissage des exonérations de charges patronales posera immanquablement quelques problèmes. Compte tenu de l'explosion du chômage, il faudra adapter cette disposition. C'est ce que je plaide devant le Premier ministre et le Président de la République.

Je l'ai dit à M. Barroso, il faut agir pour la survie de l'article 349 du traité de fonctionnement de l'Union européenne. Jusqu'à présent, nous l'avons utilisé uniquement dans le cadre du POSEI, le programme d'options spécifiques liées à l'éloignement et à l'insularité en vigueur aux Canaries, à Madère, aux Açores et dans les régions ultrapériphériques françaises (RUP) – Guyane, Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Mayotte et Saint-Martin –, et dans le cadre du régime spécifique d'approvisionnement (RSA) pour les intrants agricoles et les produits alimentaires. L'article 349 instaure pourtant un régime spécifique pour les produits de première nécessité. Je plaiderai donc pour que la France prenne une initiative en faveur d'un nouveau POSEI qui mettra en pratique l'article 349 afin d'adapter le droit européen à nos réalités. Il fut un temps où beaucoup considéraient que le droit européen était plus progressiste que le droit national. Tel n'est plus le cas. Le droit européen est en train de se fossiliser. Il faut prendre une initiative pour lui redonner vie.

Quelle croissance voulons-nous et quel type de protection ? C'est une question fondamentale. Nous avons l'ambition, en tant que territoires éloignés, de ne pas subir le dogme de la concurrence. Nous avons signé avec nos voisins des accords de partenariat économique. Pourtant, pendant une période de transition de 25 ans, ils pourront exporter leurs produits chez nous, mais nous ne pouvons pas leur exporter les nôtres. Une telle asymétrie est anormale. De la même façon, les personnes ont le droit de se déplacer librement dans les autres pays de la Caraïbe et de l'Océan indien, mais il faut un visa pour venir en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion.

Oui, la croissance doit créer des emplois. Oui, il nous faut trouver des formes de protection. L'octroi de mer est en cours de révision. Le ministère des Outre-mer présentera prochainement un rapport sur cette question.

En ce qui concerne la collectivité unique, nous n'avons pas l'intention de revenir sur ce qui a été décidé : la population s'est prononcée, des lois ont été votées, des rendez-vous sont organisés. L'instauration de la prime majoritaire a été acceptée. Cela me paraît raisonnable. La prime majoritaire est de 25 % dans la majorité des régions, mais de 33 % en Polynésie et de 20 % en Martinique. Pourtant, certains veulent la remettre en cause au motif qu'elle créerait des situations de rente. J'y suis attentif, mais pour l'instant je respecte les engagements qui ont été pris.

Quant à la loi spécifique pour l'agriculture, le calendrier parlementaire étant surchargé jusqu'au marathon budgétaire, si nous voulons agir vite, il faudra peut-être joindre un volet spécifique outre-mer à la loi de modernisation agricole.

S'agissant de la loi de programmation annoncée par le Président de la République, après inventaire des retards en matière d'équipements structurants dans les domaines sanitaire, médicosocial et du logement, nous préconisons a priori deux lois distinctes : une loi de programmation sur le développement et une autre pour le logement. Vous serez associés en amont pour trouver le vecteur le plus efficace.

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