Intervention de Dominique Orliac

Séance en hémicycle du 14 juin 2016 à 15h00
Discrimination et précarité sociale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Orliac :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale.

Comme l’a révélé l’UNICEF – le Fonds de nations unes pour l’enfance – début juin 2016, un enfant sur cinq est pauvre, ce ratio s’établissant même à un sur deux dans les zones urbaines sensibles. Rapporté au nombre d’habitants, cela représente 3 millions d’enfants en France. Si notre pays est riche, 8,5 millions de personnes y vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 987 euros par mois. Aussi, selon l’INSEE, notre pays compte entre 4,9 et 8,5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, soit 14,3 % de la population. Au premier trimestre 2016, il était précisé que 10,2 % de la population active était touchée par le chômage, ce qui atteste de l’ampleur du phénomène.

De nombreux drames liés à la non-effectivité des politiques publiques ou à l’absence de politiques publiques de lutte contre la précarité ont été rappelés au Sénat par l’auteur de cette proposition de loi, Yannick Vaugrenard. À mon tour de faire référence à Esther Duflo, économiste française spécialiste des questions de pauvreté, qui explique l’échec de nos politiques par les « 3 i » : ignorance, idéologie, inertie.

Face à ce constat, il semble temps de retenir la précarité sociale comme critère de discrimination, d’autant que celle-ci revêt plusieurs formes, qui se manifestent directement dans tous les domaines de la vie quotidienne : en matière d’accès au logement, des bailleurs écartant des familles modestes par crainte de leur insolvabilité, même si elle n’est pas avérée ; en matière d’accès à des services comme la restauration scolaire, un enfant pouvant être évincé de la cantine à la suite du licenciement d’un de ses parents, censé être désormais disponible pour s’occuper de lui pour le repas de midi.

Les radicaux de gauche sont attachés à la lutte contre les discriminations.

Ainsi, sur l’initiative de son président Roger-Gérard Schwartzenberg, notre groupe avait défendu, le 12 mars 2015, une proposition de loi visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire de tous les élèves des écoles primaires, afin de mettre fin à une discrimination injuste et inacceptable. En effet, les services de restaurations scolaires se permettaient de refuser l’accès de certains enfants à la cantine, invoquant le motif de la prétendue disponibilité des parents pour s’occuper de leurs enfants lors du repas midi, en raison de leur absence d’emploi. En plus d’être fallacieux, cet argument ne fait que renforcer l’exclusion et la précarité des parents, la multiplication de démarches complexes induites par la recherche d’un emploi étant en opposition même avec le fait de se rendre disponible pour s’occuper de ses enfants au moment du repas du midi.

Plus récemment, notre groupe a également présenté une proposition de loi, pour laquelle j’ai été nommée rapporteure, visant à renforcer la protection des jeunes parents contre les discriminations. Ce texte, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale lors de notre journée d’initiative parlementaire du 10 mars dernier, prévoit de porter de quatre à dix semaines la période légale de protection contre le licenciement à la suite de l’arrivée d’un enfant. Les jeunes parents qui faisaient l’objet de discrimination et se voyaient licenciés au retour de leur congé parental voient donc leur protection accrue. Je tiens d’ailleurs à remercier l’auteur de la présente proposition de loi, Yannick Vaugrenard, pour son soutien à la démarche alors entreprise par notre groupe.

Avant d’entrer dans le détail du présent texte, je tiens à préciser que l’ajout d’un nouveau critère de discrimination a déjà été évoqué par nos assemblées, afin de répondre aux préconisations formulées en octobre 2013 par Dominique Baudis, alors Défenseur des droits : il s’agissait d’insérer deux nouveaux critères de discriminations dans le code pénal : le critère de discrimination à raison du lieu de résidence et le critère de discrimination à raison de la pauvreté. Si la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine a consacré ce premier critère dans le code pénal et dans la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, nous sommes tout à fait satisfaits de la mise à l’ordre du jour de la question de la discrimination en raison de la pauvreté, d’autant que cette question a déjà été prise en compte par certains de nos voisins européens, notamment la Belgique.

Ce texte vise à retenir un vingt et unième critère de discrimination pouvant donner lieu à des poursuites, fondé non pas sur la « précarité sociale » des personnes mais sur la notion, qui lui a finalement été préférée, de « la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue » de l’auteur de la discrimination. L’insertion de ce nouveau critère répond aux préconisations du Défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, mais aussi aux demandes de plusieurs associations de lutte contre l’exclusion. C’est également l’un des thèmes principaux du rapport « Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! », publié en février 2014 au nom de la délégation sénatoriale à la prospective.

Ainsi, afin d’éviter toutes discriminations, l’article unique de cette proposition de loi vise à insérer le critère de la « particulière vulnérabilité » des personnes « résultant de [leur] situation économique, apparente ou connue » de l’auteur de la discrimination, dans le code pénal, le code du travail, la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, et à rendre ces mesures applicables à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ainsi que dans les îles Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

Au Sénat, sur proposition du rapporteur Philippe Kaltenbach, la commission des lois a adopté la proposition de loi modifiée par quatre amendements.

Ainsi, le critère initial de la précarité sociale a été remplacé par un critère fondé sur la vulnérabilité de la personne résultant de sa situation économique. Cette nouvelle dénomination permet de répondre au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, ainsi qu’à celui d’interprétation stricte de la loi pénale, et évite la notion trop subjective de précarité sociale, que le Conseil constitutionnel aurait certainement rejetée.

Si l’introduction du critère de la vulnérabilité est apparue légitime et nécessaire dans le code pénal, le code du travail et la loi du 27 mai 2008, il n’a pas été jugé opportun de modifier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le délit d’injure ayant été considéré suffisant.

De plus, le code du travail autorisera les entreprises à prendre des mesures en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique, afin de favoriser l’égalité de traitement.

Enfin, un nouveau critère concernant les discriminations en matière de protection sociale a été refusé.

Face à la nécessité de reconnaître ce nouveau critère de discriminations et afin que ces dispositions soient promulguées le plus rapidement possible, la commission des lois de l’Assemblée a adopté le texte du Sénat sans aucune modification. Nous souhaitons qu’il en soit de même en séance publique.

En conclusion, vous l’aurez compris, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutiendra la démarche de nos collègues sénateurs et votera pour ce texte.

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